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Origine : http://www.ecoledemocratique.org/article.php3?id_article=126
Le colloque « Copyright/Copywrong » a réuni,
du 14 au 19 février 2000, à l’initiative de
Patrick Raynaud, alors directeur de l’ERBAN de Nantes, dix-sept
partenaires de la région des Pays de Loire, ainsi que Pro-Helvetia,
de Genève, autour des notions d’auteur, de propriété
intellectuelle et d’appropriation, aujourd’hui en pleine
évolution. Cet événement, qui a proposé
conférences, tables rondes, expositions, visites de sites
Web, programmations vidéo et cinéma, concerts et performances,
a tenté de pointer l’émergence de ces idées
et de ces pratiques censément « nouvelles » dans
les domaines des arts plastiques et visuels, du multimédia
et de la littérature, de la musique, de la philosophie et
de l’esthétique, des biotechnologies ainsi que leurs
implications juridiques, économiques, politiques, ou éthiques.
J’aimerais quelqu’un qui me sache déplumer,
je dis par clarté de jugement et par la seule distinction
de la force et beauté des propos
MONTAIGNE
Le propos était d’observer l’évolution
contemporaine du rapport original-copie, dans un contexte social
où s’exercent des processus d’interactions manifestes
entre les pratiques liées à des techniques de reproduction/d’appropriation
et les cadres juridiques qui les réglementent. La multiplication
des pratiques artistiques contemporaines d’appropriation,
« cut-up », « sampling », « found
footage », de détournement, de manipulation d’images,
de textes et de sons, revendiquent, dans le contexte de leur criminalisation
juridico-économique actuelle, une appréciation actualisée
du partage collectif de l’information et de la création.
Les plasticiens, écrivains, musiciens, artistes multimédias
qui s’emparent volontiers des images, textes et sons produits
par d’autres, pour les intégrer à leurs propres
œuvres, les envisagent naturellement comme des biens collectifs,
émanant d’une histoire de l’art collective, produite
par tous et au profit de tous. Ces pratiques, revendiquées
novatrices et délibérément subversives par
les uns, sont qualifiées d’illégales et d’illégitimes
par les autres. Un simple regard sur les pratiques historiques de
la peinture, de la musique et de l’écriture permet
de constater que ces deux positions, situées de part et d’autre
des valeurs morales et juridiques contemporaines qui divisent ce
contexte, sont illusoires ou abusives, en regard de la dimension
historique qui caractérise ces pratiques d’appropriation
(rappelons : « l’art se nourrit de l’art »
de Malraux). Or, c’est l’invention des cadres juridiques
favorisant la protection des auteurs (la propriété
intellectuelle) qui a, assez récemment, finalement, mis en
cause la légitimité de l’appropriation en occultant
purement et simplement sa pratique au cours de l’histoire
de l’art. Le bien-fondé de la nécessité
de protection des auteurs n’est ici nullement contesté,
plutôt les conséquences théoriques et morales
des dérives juridiques actuelles, qui situent l’auteur
dans un rapport matériel exclusif de propriété
à son œuvre, ce qui, d’un point de vue historique,
constitue une position qui est, elle, absolument nouvelle.
La position sociale du créateur a considérablement
évolué depuis que des enjeux économiques gigantesques
tendent à interférer sur ses droits juridiques. L’activité
artistique et surtout son avatar commercial, l’industrie culturelle,
sont une source de profits suffisamment importante, pour que l’Acte
final de 1994 du traité de l’OMC, dont chacun connaît
la dimension sociale et humanitaire, intègre les questions
concernant la propriété intellectuelle. Cette intégration
implique une dérive certaine du droit d’auteur vers
le droit économique. Bernard Edelman, dans La propriété
littéraire et artistique, note qu’aux Etats-Unis, «
...dans les années 70-80, les industries du droit d’auteur
atteignaient 2 à 6 % du PIB et croissaient rapidement, alors
que les industries traditionnelles (automobiles, sidérurgie)
stagnaient ou même régressaient. D’où
l’attention toute particulière portée au droit
d’auteur, l’une des rares industries ayant eu de bons
résultats dans la balance commerciale » Plus récemment,
en 1999, « ...la contribution des industries du copyright
a l’économie américaine est estimée à
677,9 milliards de dollars, correspond a, a peu pres 7,33 % du PIB,
(...) dépassant ainsi pratiquement toutes les autres industries
: chimie, composants électroniques, aéronautique,
informatique. Sur une échelle globale, la propriété
intellectuelle est devenue un facteur économique extrêmement
important » Les coûts de production industrielle sont
fondamentalement affectés par ce processus. Jeremy Rifkin
rapporte, en 1995, qu’« ...aujourd’hui, moins
de 3% du prix d’une puce va au propriétaires des matières
premières et de l’énergie ; 5% à ceux
de l’équipement et des installations ; et 6% au travail
élémentaire. Plus de 85% des coûts sont consacrés
aux concepteurs spécialisés et à l’ingénierie
informatique ainsi qu’aux brevets et à la protection
des droits d’auteurs. » Dans ce contexte, on peut imaginer
que certaines pressions, peu désintéressées,
s’exercent sur les auteurs, et s’attachent à
confondre pratiques artistiques d’appropriation et piratage
industriel, en un souci de criminalisation particulièrement
rentable, qu’il sera intéressant d’observer...
Notre histoire collective de l’art est constituée
d’actes artistiques appropriateurs, d’emprunts plus
ou moins transformés, qui vont du concept d’«
inspiration » (l’Olympia de Manet inspirée de
la Vénus du Titien, elle-même inspirée, etc.)
jusqu’à des pratiques plus radicales mais parfaitement
admises de copie pure et simple (l’activité de copiste
de Flaubert pour Bouvard et Pécuchet et le Catalogue des
idées reçues, par exemple). L’énoncé
émis par William Burroughs, évoquant la pratique du
« cut-up » vaut comme ici manifeste : « Que fait
un écrivain sinon choisir, annoter et réarranger un
matériau mis à sa disposition » Ou encore la
formule de Montaigne citée plus haut en exergue. Et aussi
Musset : « On m’a dit l’an dernier que j’imitais
Byron... Vous ne savez donc pas qu’il imitait Pulci ?... Rien
n’appartient à rien, tout appartient à tous.
Il faut être ignorant comme un maître d’école
pour se flatter de dire une seule parole que personne ici-bas n’ait
pu dire avant vous. C’est imiter quelqu’un que de planter
des choux » Lautréamont : « Le plagiat est nécessaire,
le progrès l’implique » Malraux : « tout
artiste commence par le pastiche [...] à travers quoi le
génie se glisse, clandestin » Valéry résume
ainsi sa pensée : « Le lion est fait de moutons assimilés
»
La copie sous toutes ses formes et selon ses degrés divers,
la reproduction, le pastiche, la parodie, plus près de nous,
avec les activités lettristes et situationnistes, le détournement,
la notion de répétition affichée par les artistes
américains de l’« appropriationnisme »,
tendent à débouter le concept romantique mais fort
consensuel économiquement d’originalité. L’originalité
de l’œuvre d’art supposerait la production d’une
chose entièrement nouvelle, absolument singulière,
c’est-à-dire « première », et accorderait
à l’auteur un crédit occulte de création
ex nihilo, pratiquement dégagé de toute influence
artistique autre que la sienne propre et réflexive, un divin
rapport au néant, une imperméabilité totale
à toutes pensées et toutes formes créées
antérieurement. Ce principe entraîne, dans le cadre
juridique du droit d’auteur, un rapport d’exclusivité
propriétaire de l’auteur à son œuvre, dessiné
par la perspective de cette antériorité absolue, que
l’on retrouve à l’œuvre dans la logique
du droit des marques et des brevets. C’est en s’appuyant
sur l’idée contraire que toute œuvre de l’esprit
est destinée à être reprise et répétée
par d’autres esprits, qui l’ont si bien assimilée
qu’ils « finissent par considérer le capital
ainsi obtenu comme leur propriété et revendiquent
ainsi le droit d’en tirer une production », que Hegel,
dans ses Principes de la Philosophie du droit, rejetait la prétention
du droit à légiférer sur le plagiat : «
Dans quelle mesure la forme donnée à ces traductions
répétées transforme le trésor scientifique
antérieur en une propriété intellectuelle pour
celui qui reproduit, et lui confère par suite un droit ou
non de propriété juridique - dans quelle mesure une
telle production dans une œuvre littéraire est un plagiat
ou non, c’est ce qu’on ne peut déterminer par
une règle exacte et ce qui ne peut donc s’établir
juridiquement et légalement. » L’honneur seul
constitue pour Hegel l’ultime garde fou contre la tentation
de commettre un plagiat, au sens le plus délibérément
frauduleux du terme. La notion de copie elle-même est aujourd’hui
définitivement discréditée, et entraîne,
dans sa disgrâce, une criminalisation de la pratique d’appropriation.
Cette condamnation est très récente et généralisante,
et s’incarne de manière indifférenciée
dans l’accusation de plagiat. La tradition romantique tend
à vêtir l’auteur contemporain d’un manteau
de fonction d’originalité qui, abusivement, tend également
à recouvrir généreusement tous les auteurs
avant lui. On suppose ainsi que de toute éternité
l’auteur est originel (fiction moderniste selon Rosalind Krauss),
son œuvre originale (fiction romantique), et ses appropriateurs
des faussaires, des plagiaires, des copistes au sens infiniment
péjoratif du terme. Or, la copie est loin de mériter
cette appréciation malveillante si l’on considère
son statut et ses fonctions historiques. La pratique de la copie
n’a pas toujours subi la charge négative de falsification
ou de contrefaçon dont on l’affuble aujourd’hui,
ce que Jean-Michel Ribettes rapportera précisément
dans son texte.
Il est donc intéressant de noter la perversité et
de comprendre les enjeux inavoués d’un système
qui tente de stigmatiser, à l’aide d’arguments
juridiques récents et supposés moralement incontestables,
un mouvement d’appropriation qui, lui, dispose de la légitimité
de l’expérience et de l’histoire. Les cadres
juridiques (droit d’auteur et copyright) de la propriété
intellectuelle ont fondé leur genèse, comme nous le
verrons, soit sur la protection des auteurs, soit sur celle de l’intérêt
public, positions qui, lorsqu’on les survole rapidement, sont
largement défendables. Cependant, ils succombent (ont déjà
succombé ?) à des tentations économiques qui
non seulement déboutent peu à peu les auteurs de leurs
droits au profit des investisseurs, des producteurs (ce qui est
déjà largement le cas du copyright et progressivement
du droit d’auteur avec le « droit voisin » - voir
le texte de Bernard Edelman), mais relèguent les pratiques
artistiques d’appropriation à des opérations
« frauduleuses ».
Les pratiques contemporaines d’appropriation tentent de modifier
le rapport romantique à l’œuvre originale, à
la notion même d’originalité. L’auteur,
lui, est depuis longtemps déjà, largement engagé
dans un processus de remise en cause. Mallarmé écrivait
déjà, en 1895 : « L’œuvre pure implique
la disparition élocutoire du poëte, qui cède
l’initiative aux mots, par le heurt de leur inégalité
mobilisés (...) » Roland Barthes dans le texte intitulé
« La mort de l’auteur », postule : « un
auteur multiple traversé par de multiples influences qu’il
se réapproprie, et qui s’effacent au profit de son
œuvre » . Pour lui : « l’image de la littérature
(...) est tyranniquement centrée sur l’auteur, alors
que l’unité d’un texte n’est pas dans son
origine, mais dans sa destination » (le lecteur). Jacques
Soulillou, à son tour, dans L’auteur, mode d’emploi
, interroge la légitimité de l’auteur en tant
qu’origine de l’œuvre. « Dès lors
que l’on admet qu’une œuvre d’art visuelle
ou sonore ou un texte, peuvent être entièrement originaux
bien que constitués de morceaux provenant d’autres
textes, d’autres œuvres sonores ou visuelles, c’est
en dernier ressort sur la source émettrice que reposera l’originalité,
étant entendu qu’elle doit se garder qu’on ne
la confonde avec une autre source et devra veiller ainsi à
garder ses distances. Elle doit toujours faire attention à
préserver la fiction de son originalité entendue comme
fiction de l’œuvre procédant d’une source
unique. » Proust notait ainsi que « l’apparence
d’individualité réelle obtenue dans les œuvres
[n’est] due qu’au trompe l’œil de l’habileté
technique ». Michel Foucault rapporte la censure à
l’origine de l’invention de l’auteur : «
Les textes, les livres, les discours ont commencé à
avoir réellement des auteurs (....) dans la mesure où
l’auteur pouvait être puni, c’est-à-dire
dans la mesure où les discours pouvaient être transgressifs.
» La nécessité de resituer historiquement cette
critique, avec ceux qui l’ont largement questionnée
est donc apparue : le langage comme origine de l’œuvre
chez Roland Barthes, l’identification de la fonction-auteur
chez Michel Foucault, l’auteur comme producteur (modificateur
d’un appareil de production) chez Walter Benjamin , ou la
notion de « dépersonnalisation » apparue chez
Armand Robin . L’ensemble de cet appareil critique peut paraître
à certains daté et déjà largement commenté.
Il semble urgent, cependant, de le ressaisir face aux problématiques
contemporaines liées à l’hégémonie
grandissante de la propriété intellectuelle qui, par
sa nouvelle dimension juridico-économique, tend à
s’abstraire totalement de tout appareil critique, précisément,
et à entraîner de regrettables confusions.
Au questionnement philosophique sur le statut et la fonction de
l’auteur vient s’ajouter, sur la scène culturelle
contemporaine, la tendance opposée de sa revendication juridico-économique.
Ce double mouvement fait l’objet de nombreux débats
et procès, qui s’inscrivent autour de trois pôles
: l’auteur, l’intérêt public et les intérêts
économiques de l’industrie culturelle. Trois courants
antagonistes sont repérables : • droits d’auteur
versus copyright : protection de l’auteur contre les pressions
économiques qui tentent d’assimiler le droit d’auteur
à un produit commercial, et permet au producteur de confisquer
les droits de l’auteur. Processus très au cœur
des enjeux de l’industrie culturelle. • copyright versus
droits d’auteur : revendication du postulat à l’origine
historique de l’invention du copyright qui pose, contrairement
au droit d’auteur, la question de la protection de l’intérêt
public. Le droit d’auteur ne tient compte, lui, que des seuls
intérêts de l’auteur en tant qu’individu
propriétaire de droits monopolistiques . • copyleft
versus copyright : défense de l’intérêt
public et de la pratique du partage collectif et gratuit de l’information
contre les pressions économiques et l’hégémonie
grandissante de l’industrie culturelle sous la protection
du droit. Le copyleft retient du droit d’auteur le droit moral
et du copyright la notion d’intérêt public. La
radicalisation de cette dernière position prônerait
l’abolition pure et simple du copyright, du droit d’auteur
, voire de l’auteur lui-même, au profit de la désappropriation
annoncée par Burroughs.
Afin de saisir plus précisément les enjeux propres
à ces trois courants, il serait bon, voire même utile
de rappeler les distinctions qui opposent les deux interprétations,
anglo-saxonne (le copyright) et française (le droit d’auteur),
de la propriété intellectuelle.
La législation américaine de 1790 en matière
de copyright précéda de peu deux décrets de
l’Assemblée révolutionnaire française
: voté en janvier 1791, le premier concerna le droit de représentation
des spectacles. Quant au second (juillet 1793), il devait innover
en adoptant, pour la première fois, les termes de «
propriété littéraire et artistique »
et énoncer ce qui deviendra la base de la législation
française : « Les auteurs d’écrits en
tout genre, les compositeurs, les peintres et les dessinateurs qui
font graver les tableaux et dessins jouiront leur vie entière
du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer leurs ouvrages
dans tout le territoire de la République et d’en céder
la propriété en tout ou partie. » C’est
à partir de cette possibilité de céder l’œuvre
« en tout ou partie » que vont se développer
les divergences entre la législation américaine du
copyright et la législation française du droit d’auteur.
Des spécifications multiples à ces premières
législations vont permettre à la France de constituer,
le 1er juillet 1992, le Code de la Propriété Intellectuelle
(qui intègre le droit des marques et des brevets) et qui
affirme le caractère inaliénable et perpétuel
du droit moral de l’auteur sur son œuvre. Le copyright,
quant à lui, permet de céder ce droit moral contre
rétribution.
Le copyright (Part 1) :
constitue l’organisation du droit de l’œuvre et
non celui de l’auteur. Au nom du droit de propriété
et de libre circulation des échanges commerciaux qui sont
propres à la société capitaliste et libérale,
le copyright assimile l’œuvre à une marchandise
- lui retirant, du coup, sa qualité d’œuvre de
l’esprit - et l’auteur à un marchand. La propriété
intellectuelle est ici infiniment aliénable, et peut être
cédée par l’auteur, pour une somme souvent forfaitaire,
à un producteur, en même temps que son monopole d’exploitation
: ce faisant, l’artiste ne peut plus disposer de son œuvre
à sa guise, ni revendiquer aucun droit, pécuniaire
ou moral, à son endroit (rappelons-nous Cole Porter, mort
dans la misère après avoir vendu ses droits pour quelques
cents). Le copyright est un droit exclusivement économique,
qui organise « le droit de l’œuvre, en ce sens
que l’auteur, en tant que tel, en est donc radicalement exclu
», affirme Bernard Edelman . C’est un dispositif protecteur
des investisseurs, investisseurs qui disposent de toutes facilités
pour protéger les objets de leurs investissements des appropriations
éventuelles (qu’elles soient artistiques ou commerciales),
et ce au détriment des auteurs.
Le droit d’auteur :
organise lui, originellement, le droit de l’auteur et non
celui de l’œuvre, et témoigne, du moins dans son
fondement, d’une inadéquation du concept de propriété
avec l’œuvre de l’esprit . Contrairement au copyright
dans lequel l’œuvre est considérée comme
bien matériel, et qui reflète une société
dont les valeurs exclusivement commerciales ne semblent protéger
que le droit des investisseurs, le droit d’auteur attribue
à l’auteur la qualité de personne et à
l’œuvre celle de bien intellectuel, en tant qu’elle
est une émanation de la « personnalité »
de son auteur. Le droit moral pose l’indivisibilité
de l’auteur et de l’œuvre : « les œuvres
sont l’industrie intellectuelle elle-même, et non pas
les produits de cette industrie » . L’auteur trouve
dans le droit d’auteur la protection qui lui est refusée
dans le copyright, et retrouve ses prérogatives en matière
de paternité. Ainsi, l’artiste peut vendre son œuvre
tout en conservant un droit moral sur celle-ci, qui reste inaliénable.
Il peut en autoriser ou en refuser la diffusion ou l’exploitation,
et touche des droits incontestés sur celle-ci jusqu’à
sa mort. Ses ayants droits conservent cette possibilité jusqu’à
70 ans après sa mort. Il est à noter que la confusion
la plus récurrente quant à la définition de
ces différents concepts vient du fait que de nombreux pays
adoptent, pour parler du droit d’auteur, le terme générique
de copyright qui, évidemment, ne va pas précisément
dans le même sens. Cet élargissement abusif ne favorise
évidemment pas la clarté et l’avancement du
débat.
Le copyright (Part 2) :
le copyright est vécu en Europe comme une censure ou une
usurpation des droits de l’artiste par le producteur ou l’investisseur.
Il intègre cependant une notion étrangère au
droit d’auteur, et non négligeable. Alors que le droit
d’auteur pose les limites de ses exigences aux seuls intérêts
de l’artiste (de l’auteur), comme son nom l’indique
d’ailleurs explicitement, le copyright, à son origine,
introduit cette notion fort pervertie, d’ailleurs, aujourd’hui,
par les pressions d’intérêts plus privés
que publics : l’intérêt public. « Le système
du copyright repose sur l’idée d’un contrat conclu
entre l’auteur et la société. » La pratique
du Fair Use envisage de justifier les préjudices portés
à l’auteur ou au producteur « dès lors
que le public y a intérêt ». Contrairement au
droit d’auteur, le monopole d’exploitation de l’auteur,
dans le système du copyright, est fondé « ...
non sur la qualité personnelle de l’auteur, mais sur
l’utilité publique de son œuvre. L’unique
intérêt des Etats-Unis et le premier objectif qu’ils
poursuivent résident dans les profits généraux,
tirés par le public, du travail des auteurs ».
Evidemment, les « profits généraux »
ont tendance, dans le contexte de l’influence gigantesque
de l’industrie culturelle américaine, à courir
plus dans le sens des producteurs que des auteurs. On peut, à
ce sujet, entendre la voix de la Cour suprême des Etats-Unis,
qui revendique « l’équilibre entre, d’une
part, les intérêts des auteurs et des inventeurs en
ce qui concerne le contrôle et l’exploitation de leurs
œuvres écrites et de leurs inventions et, d’autre
part, l’intérêt opposé de la société
qui veut la libre circulation des idées, des informations
et des échanges commerciaux » Un évident et
audacieux amalgame entre intérêts de la société
publique et de quelques sociétés privées...
C’est cependant à partir de cette notion d’intérêt
public, intégrée à son origine au copyright,
que Richard Stallman fondera la notion de Copyleft.
Le Copyleft
Lorsqu’il invente le Copyleft, Richard Stallman fonde cette
notion sur l’idée d’un partage mutuel des connaissances
et des inventions informatiques, qui sont « propriété
collective de l’humanité » . Son expérience
de programmateur au MIT lui a enseigné les principes d’une
coopération active entre les membres d’une communauté,
qui partage les informations, peut les modifier et en diffuser librement
des copies, en dehors de tout intérêt commercial. Ce
souci de collectivisation de l’information l’a donc
amené à critiquer le système du droit d’auteur,
dans la mesure où « aujourd’hui, le système
du droit d’auteur limite la liberté des lecteurs et
utilisateurs de l’information publiée. Et la dimension
morale de cette même loi est complètement modifiée.
Elle n’est plus une réglementation industrielle mais
une restriction imposée au grand public, et elle devient
à son endroit un système d’oppression. »
Le Copyleft pose ainsi les termes d’un contrat moral entre
inventeurs et utilisateurs de programmes informatiques. Son principe
simple, « il est interdit d’interdire », s’est
armé d’une structure précise, qui interdit effectivement
aux autres d’interdire ce que l’on a refusé soi-même
d’interdire, c’est-à-dire la diffusion et la
copie de son propre travail.
La Licence Art Libre
L’élargissement de cette proposition à la production
artistique est, en France, l’objectif de la Licence Art Libre
conçue par Antoine Moreau avec l’aide de deux juristes,
Mélanie Clément-Fontaine et David Géraud. La
Licence Art Libre envisage les perspectives de développement
d’une œuvre dont l’auteur « originel »
prévoit et permet un certain nombre de libertés d’appropriation
à d’éventuels « contributeurs »,
libertés et droits qui correspondent à ceux définis
par la General Public Licence des logiciels libres. Elle associe
la protection de l’auteur à ce que nous pourrions appeler
« l’intérêt public artistique »,
dans la lignée traditionnelle et légitime d’appropriation
par les auteurs des auteurs eux-mêmes. La Licence Art Libre
est revendiquée déjà par nombre d’artistes
soucieux de la dimension collective de l’œuvre énoncée
par Barthes, et permet à un artiste de revendiquer ce «
déplumage » que souhaitait Montaigne. La pratique du
processus permettra, à terme, d’élargir le cercle
des « initiés », et donc la diffusion et l’efficacité
du principe. Aux antipodes de cette dernière thèse
s’élabore la généralisation de la logique
industrielle du brevet. Certains lobbies financiers exercent des
pressions remarquables afin de substituer la notion de copyright
(où l’auteur cède l’intégralité
de ses droits) à celle de droit d’auteur (inaliénable),
très visible en France dans la doctrine juridique des «
droits voisins » . Cette influence marque leur volonté
d’assimiler le droit d’auteur à un investissement,
à une marchandise comme une autre, afin de confisquer à
leur profit les bénéfices ainsi réalisés.
L’AMI, sous toutes ses formes, représente la concrétisation
magistrale d’un tel projet. Dans les domaines agroalimentaires
ou pharmaceutiques, de puissantes sociétés, assimilant
le vivant à un simple produit de consommation, mettent la
nature sous copyright, ce qui constitue une privatisation monopolistique
des connaissances et des expériences collectives, à
laquelle s’opposent les partisans de la notion de bien public
. La privatisation de l’information correspond également
à cette logique. Dans le secteur audiovisuel, à la
télévision française comme dans le cinéma
américain, le droit d’auteur est passé aux mains
du producteur, ce qui revient à instituer comme auteur celui
qui détient le pouvoir économique. Des campagnes de
résistance s’organisent, se regroupant aussi sous la
bannière du « Copyleft », dans la perspective
de défendre précisément l’intérêt
public contre ces tentatives de privatisations, qui poussent le
cynisme jusqu’à revendiquer des justifications philanthropiques
sous le déguisement du « droit à l’information
». Dans un tel contexte, où les rapports de pouvoir
s’exercent sur plusieurs fronts, l’auteur tente d’établir
sa protection tant en amont, contre les « mécènes
» qui s’emparent juridiquement et/ou commercialement
de son œuvre, qu’en aval, contre les autres auteurs qu’il
accuse de plagiat ou de pillage. Certains auteurs/artistes, dans
ce débat, manifestent l’ambivalence ambiante, due à
la difficulté de se repérer dans un débat somme
toute très complexe. Une attitude assez récurrente
consiste, dans les domaines de l’image, de l’écriture
ou de la musique, à revendiquer alternativement la pratique
de l’appropriation (légitimée par la notion
de bien collectif), puis celle de la protection contre cette dernière,
c’est-à-dire l’application d’un copyright
sur l’œuvre réalisée (devenant ainsi un
bien individuel et propriétaire). L’auteur entretient
avec les sociétés de protection de droits (d’auteur)
des rapports également ambivalents, de conflit et de connivence,
qui semblent pratiquement naturels dans un contexte où s’affrontent
des valeurs aussi contradictoires, et où les engagements
sont fonction d’intérêts particuliers, eux-mêmes
contradictoires.
Il est donc nécessaire de redéfinir la notion d’intérêt
public. La légitimité de l’appropriation artistique
est fondée globalement sur cette notion, dont on observe
cependant que son imprécision représente tous les
dangers inhérents à l’ingérence économique
des marchés de l’industrie culturelle. L’intérêt
public est une notion corvéable à merci, que chacun
détourne à sa manière et selon ses intérêts
propres. D’autres notions aussi d’ailleurs qui, dans
leur passage du philosophique au juridique, se sont fait également
« déplumer » : ainsi de l’auteur et de
l’œuvre, dans ce rapport juridique qu’ils entretiennent
à l’originalité. Adorno définissait l’œuvre
d’art en tant que résistance à son assimilation
au culturel. Beaucoup des tentatives de résistance ici décrites
font face aux pressions juridiques des valeurs marchandes de l’industrie
culturelle. « Copyright/Copywrong » est donc, on le
voit, au cœur d’une bataille qui comporte plusieurs fronts...
Jeremy Rifkin notait déjà, en 1995, l’importance
financière prodigieuse que représentait la propriété
intellectuelle dans une société passée d’une
production industrielle à une production essentiellement
axée sur la culture et le savoir. La dématérialisation
de la production, la généralisation des services,
le développement de l’économie « high
tech » par le moyen du « reengineering » - soit,
d’après Rifkin, la troisième révolution
industrielle, « l’âge de l’accès
» - génèrent une élite de travailleurs
du savoir, de la culture et des idées dont les compétences
abstraites sont au centre de l’économie mondiale. «
Monopoliser la connaissance et les idées est devenu une garantie
de succès contre la concurrence et de positionnement sur
le marché » . « Aujourd’hui, parmi les
ingrédients qui concourent à la production, l’énergie,
les ressources minérales et le travail perdent de leur importance
au profit de l’information, des communications et de la propriété
intellectuelle » C’est dans ce contexte élargi
que se situent les enjeux de la propriété intellectuelle,
la question du statut de l’auteur, et la légitimité
de la notion d’appropriation : ils ne témoignent pas
seulement de problématiques esthétiques et philosophiques
spécialisées, mais aussi de métamorphoses dans
l’économie et les relations sociales qu’il serait
utile d’observer de plus près. Le présent document
se propose, à travers les différentes interventions
rapportées, de saisir quelques uns des aspects de cette complexité.
Christiane Carlut
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