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Dans: Articles/ Enjeux, débats, prospective/ Droits numériques
- Par Cyril Fievet le 18/11/2004
http://www.internetactu.net/index.php?p=5682
A l’occasion de leur adaptation en version française
- officiellement présentée demain - nous avons souhaité
présenter en détail le principe de fonctionnement
des licences Creative Commons (CC), destinées à protéger
les oeuvres numériques sans trop limiter leur diffusion en
ligne.
Le copyright dans tous ses états
Logo Copyright A l’origine, la démarche sous-tendue
par les auteurs de Creative Commons visait à proposer une
alternative juridique sérieuse au copyright américain,
offrant davantage de possibilités et de souplesse.
Le droit d’auteur à l’européenne ou le
copyright anglo-saxon assurent aux détenteurs de droit un
contrôle exclusif et a priori sur la circulation et l’usage
de leurs productions. Ce contrôle s’assortit d’exceptions,
dont la plus importante aux Etats-Unis consiste, selon la doctrine
du fair use ("usage loyal"), à autoriser très
largement la reproduction et la citation à des fins d’enseignement
et de recherche. L’histoire du droit d’auteurs se construit
ainsi dans une constante recherche d’équilibre entre
une protection forte des auteurs (ou de ceux qui détiennent
leurs droits, notamment dans la tradition du copyright) et la recherche
d’un meilleur accès à la culture et la création.
Pourtant, le copyright - et ses extensions récentes - est
jugé par beaucoup d’observateurs, de consommateurs
et d’artistes trop contraignant , et surtout peu adapté
au monde des réseaux et du numérique. Certains se
contentent d’en dénoncer les dérives récentes
- extension de la nature des “oeuvres” protégées
et de la durée de la protection, réduction du champ
des exceptions, aggravation des sanctions… D’autres
considèrent le copyright lui-même comme un système
archaïque qui sclérose la création et l’innovation
plutôt qu’il ne les favorise.
Toutes ces raisons ont donné naissance à un vaste
mouvement, appelé - pour simplifier une longue histoire -
“Copyleft” (matérialisé visuellement par
un “c” à l’envers). Le copyleft s’oppose
au copyright ou vise à le compléter, en proposant
des alternatives juridiques, sous la forme de licences plus souples.
L’encyclopédie libre Wikipedia fournit ainsi cette
définition : “Tandis que le copyright est perçu
par les partisans originels du copyleft comme une manière
de limiter le droit de copier et de redistribuer des copies d’une
oeuvre, une licence copyleft utilise le copyright pour assurer que
toute personne qui reçoit une copie ou une version dérivée
d’une oeuvre peut utiliser, modifier et redistribuer, non
seulement l’oeuvre mais toutes les versions dérivées
de l’oeuvre. Ainsi, d’un point de vue non juridique,
le copyleft est l’opposé du copyright”.
Creative Commons, nouvelle star du copyleft
Logo CopyleftLa démarche originelle, celle du “libre”
(notamment matérialisée par la licence GNU GPL (General
Public Licence), prévoit qu’une oeuvre peut être
copiée, redistribuée et modifiée sans contrainte,
si ce n’est que les copies ou produits dérivés
doivent eux-mêmes demeurer libres : la licence libre se “propage”
avec l’oeuvre, dans ses différentes incarnations et
évolutions.
Très adaptée au contexte du logiciel libre, la licence
GPL l’est moins à d’autres univers tels que la
création artistique, l’information et les ouvrages
de référence, etc. Certains auteurs ou ayant droits
cherchaient notamment un moyen terme entre le copyright ou le droit
d’auteur d’un côté, les licences libres
de l’autre : comment demander au moins à être
cité, comment autoriser la circulation mais pas la modification,
comment autoriser la circulation gratuite mais contrôler la
diffusion commerciale ?
Plusieurs tentatives ont donc émergé pour définir
de nouveaux cadres juridiques, matérialisés par autant
de licences alternatives (cf. Encadré).
Parmi celles-ci, Creative Commons est probablement l’une
des plus connues. Démarré en 2001, le projet a donné
naissance en 2002 à un premier jeu de licences libres, inspirées
de la licence GNU GPL de la Free Software Foundation. La démarche
s’est ensuite rapidement popularisée aux Etats-Unis,
en raison notamment de la personnalité des fondateurs et
des membres du comité directeur de Creative Commons. Parmi
ceux-ci figurent en particulier Lawrence Lessig, professeur de droit
à Stanford (où il a également fondé
le “Center for Internet and Society“) et auteur de plusieurs
ouvrages considérés comme autant de références
par les partisans de la culture libre, Davis Guggenheim, réalisateur
et producteur de films et séries télévisées,
ou encore Joi Ito, chef d’entreprise et investisseur (notamment
dans l’éditeur d’outils de blogging Six Apart).
Le dispositif s’est ensuite enrichi au fil des mois et compte
à ce jour 11 licences. Selon les termes de ces licences et
des différentes combinaisons qu’elles permettent, les
auteurs d’oeuvres multimédia peuvent ainsi choisir
d’en autoriser l’utilisation à des tiers, sous
réserve de citation de l’auteur d’origine, de
restreindre cette utilisation à des fins non commerciales
(ou au contraire d’autoriser même une exploitation commerciale),
ou encore d’interdire aux tiers d’effectuer - sans autorisation
expresse - des modifications de l’oeuvre originale (ou au
contraire d’encourager les modifications). Ces autorisations
et ces restrictions s’expriment dans le cadre général
du copyright ou du droit d’auteur : ce qui est autorisé
l’est donc sans restriction, ce qui ne l’est pas relève
du “droit exclusif” de l’auteur, qui peut donc
délivrer des autorisations limitées et au cas par
cas.
Creative Commons Comics
De nombreux organismes et auteurs ont choisi d’adopter des
licences Creative Commons. C’est par exemple le cas du projet
OpenPhoto, qui recense un millier d’images provenant de quelques
centaines de photographes ayant opté pour une formule plus
souple que le copyright. Magnatune, un label musical d’un
genre nouveau, fédère 170 artistes et propose un catalogue
de plus de 4 000 chansons au format numérique. Toutes ces
oeuvres peuvent être téléchargées gratuitement,
mais aussi partagées et modifiées librement. Seule
une utilisation commerciale des oeuvres nécessite un reversement
financier au label qui les licencie. On peut également citer
l’initiative OpenCourseware du MIT, qui regroupe 900 supports
de formation en accès libre et gratuit, la licence CC utilisée
interdisant simplement leur utilisation commerciale.
Concrètement, qu’il s’agisse d’un artiste,
d’un auteur, d’un éditeur ou d’un simple
blogueur, chacun peu très simplement adopter la licence qui
lui convient. En cochant quelques cases d’un formulaire proposant
les choix disponibles, le bénéficiaire parvient à
la licence donnée. Il peut ensuite apposer, sur une page
web et à proximité de l’oeuvre, un logo Creative
Commons qui renvoie d’une part vers des explications sur la
licence choisie et, d’autre part, intègre des “meta-données”
qui décrivent la nature des autorisations accordées
par l’auteur. En accord avec les principes du web sémantique,
celles-ci sont lisibles par des machines, par exemple un moteur
de recherche, favorisant ainsi l’émergence d’un
web sur lequel il pourrait devenir facile d’identifier et
de localiser des oeuvres partiellement ou totalement libres de droit.
Comme l’expliquent les fondateurs du projet, Creative Commons
établit donc trois niveaux de lecture : “des licences
dont la portée est facile à comprendre (lisibles par
des humains non-juristes), un cadre juridique précis assorti
des mentions légales nécessaires (lisible et utilisables
par des juristes), et des meta-données destinées à
automatiquement identifier et classifier les oeuvres en fonction
des licences qui les protègent (lisibles par des automates
logiciels)”.
La politique du partage
Si l’ambition première des licences Creative Commons
est de fournir un cadre juridique alternatif, la démarche
procède d’une réflexion proprement politique.
La démarche des fondateurs est marquée par la tradition
anglo-saxonne de liberté d’expression et celle du fair
use. L’objectif est de trouver un nouvel équilibre
entre le “contrôle total” et “l’anarchie”
: “l’équilibre, le compromis et la modération
- qui furent naguère les fondements d’un système
de copyright qui mettait sur le même plan l’innovation
et la protection - sont devenus des espèces en danger. Creative
Commons s’attache à leur redonner vie. (…) Un
seul but résume les projets actuels et futurs de Creative
Commons : construire une couche de droits raisonnables et flexibles,
face à des règles par défaut de plus en plus
restictives.” L’innovation et la création, pour
les fondateurs, ont à la fois besoin d’être protégées
et de circuler librement, de se valoriser et de se partager, de
propriété que de “communs”.
Mais les fondateurs de Creative Commons sont parfois dépassés
par leurs adeptes. Dans son ouvrage Free Culture, Lawrence Lessig
définit ainsi sa vision : “ce n’est pas une culture
dépourvue de notion de propriété ; ce n’est
pas une culture dans laquelle les artistes ne sont pas payés.
Une telle culture conduirait à l’anarchie, et non à
la liberté”. En revanche, l’initiative étudiante
“FreeCulture“, qui s’inspire explicitement du
livre éponyme de Lessig, n’en reste pas là dans
son manifeste : “Nous refusons d’accepter un futur basé
sur un féodalisme numérique, dans lequel nous ne posséderions
pas les produits que nous achetons, mais disposerions d’un
usage limité tant que nous nous acquittons d’une redevance.
Nous devons stopper et inverser la tournure radicale des ‘droits
de propriété intellectuelle’, qui menacent d’arriver
à un point où ils conditionnent tous les autres droits
individuels”. Et plus loin : “Nous nous battrons pour
faire comprendre à tout le monde la valeur du bien commun,
tout en évangélisant Linux et le modèle open
source. Nous résisterons à toute législation
répressive qui menace nos libertés individuelles et
étouffe toute innovation. […] Nous serons des participants
actifs d’une culture libre de la connectivité et de
la production, rendue possible comme jamais auparavant par l’internet
et la technologie numérique, et nous nous battrons pour empêcher
ce nouveau potentiel d’être noyauté par un contrôle
institutionnel ou législatif”. Du combat contre l’abus
des droits d’auteur à la remise en question de son
principe même, le pas est vite franchi.
Les ouvrages de Lawrence Lessig sont, comme on l’imagine,
publiés sous licence CC et accessibles gratuitement en ligne.
En France, plusieurs auteurs ont décidé d’en
faire de même, à commencer par Florent Latrive (”Du
bon usage de la piraterie“, Ed. Exils). Le livre est disponible
simultanément en version électronique gratuite sur
le web et en version imprimée et payante. “Si vous
êtes surpris que ce livre soit tout à la fois vendu
en librairie et disponible gratuitement en ligne, voici un texte
pour comprendre”, lit-on sur le site ouvert pour décrire
l’ouvrage, et renvoyant sur un texte de Michel Valensi, directeur
des Editions de l’Eclat. Ce texte défend la thèse
selon laquelle l’évolution des technologies numériques
nous oblige à repenser les supports de diffusion, à
commencer par les livres, qui peuvent exister sous une nouvelle
forme, “le livre shareware”, disponible sur l’internet
dans son intégralité, et surnommé “Lyber".
Mais Michel Valensi poursuit le raisonnement, et imagine “quelques
conséquences immédiates, moins immédiates ou
improbables” de la généralisation des “lybers",
parmi lesquelles “la faillite à plus ou moins long
terme de tous les éditeurs de faux livres”, “l’enrichissement
(en fait : non-appauvrissement) du public et des éditeurs
de qualité”, mais aussi “dans un deuxième
temps”, “la réduction des échanges monétaires
et donc de la masse monétaire nécessaire à
l’équilibre d’une communauté : ‘Appauvrissement
des pays riches’, provoquant, par effet de vases communicants,
un enrichissement relatif des pays pauvres”, se concluant
“enfin et bien plus tard” d’une “révolution
économique sur l’ensemble de la planète aboutissant
à la disparition de l’argent (passage de l’économie
de marché à l’économie du don)”.
Pour sa part, Florent Latrive se veut plus mesuré, mais
souligne néanmoins l’ampleur de la bataille qui s’annonce
: “étendre sans limites l’appropriation privée
de l’immatériel est voué à l’échec
: cette offensive se soldera soit par la dissolution complète
du lien social et la stérilité économique généralisée,
soit par des conflits toujours plus virulents entre les auto-proclamés
propriétaires intellectuels et la gratuité anarchique.
L’obstination absurde de l’industrie musicale face au
développement de la copie numérique annonce bien les
batailles à venir : criminalisation des usages individuels,
affrontements stériles entre le public et les ayants droit,
incertitude juridique et sociale pour tous.” Et de conclure
: “C’est donc l’extension politique de la gratuité
qu’il faut viser, la réaffirmation du primat de l’échange
social sur le commerce et l’organisation civilisée
du non-marchand”.
Reste à voir si le remplacement du © par “CC”
(ou d’autres licences libres et alternatives) saura s’imposer
au-delà de l’univers restreint du logiciel. Les quelques
cinq millions de licences CC (au 10 novembre) qui fleurissent sur
le web sont à la fois, deux ans après le démarrage,
la marque d’un succès, et une goutte d’eau dans
les milliards de pages, chansons, images et textes en circulation.
S’agissant de la France, Mélanie Dulong de Rosnay,
qui a coordonné la transposition du projet au droit français
semble confiante, et annonce elle aussi la sortie d’un livre
“sur - et sous” les licences Creative Commons (“La
Création comme Bien Commun“, Ed. Romillat).
Encadré : Quelques autres licences “libres”
ou alternatives
Hormis Creative Commons, il existe de nombreuses autres licences
proposant des alternatives au copyright ou aux droits d’auteurs
traditionnels, y compris en France.
On peut citer par exemple :
Licence Publique Multimédia - http://www.videontv.org/licence/
Une des toutes premières licences de contenus crée
dès 1998 par Vidéon et destinée à faciliter
les échanges entre les télévisions participatives
de proximité. Le centre de ressources pour les TV de proximité
et les Espaces Cultures Multimédias de Vidéon devrait
se convertir à la Creative Commons au printemps (voir http://www.freescape.eu.org/eclat/3partie/Cornu/cornu.html)
. Licence Art libre - http://artlibre.org/licence.php/lal.html
“Avec cette licence, l’autorisation est donnée
de copier, de diffuser et de transformer librement les oeuvres dans
le respect des droits de l’auteur”
. Licence IANG - http://iang.info/fr/index.php
Une autre licence libre, qui “s’applique à tout
type de création intellectuelle, aussi bien dans le domaine
industriel que littéraire ou artistique” et “permet
à tous les créateurs qui le souhaitent, sans distinction
de spécialité, de garantir la plus grande utilité
sociale à leur production”
. Licences logicielles -
http://opensource.org/licenses/index.php
Une page qui recense plusieurs dizaines de licences libres, certaines
dérivées de GNU.
. Licence CECILL - http://www.cecill.info
Licence française de logiciel libre élaborée
par le CEA, le CNRS et l’INRIA.
Voir également cette liste, présentant des licences
dans tous les domaines, établie par Michaël Thévenet.
Ressources complémentaires :
Explication du fonctionnement de Creative Commons en bandes dessinées
: http://creativecommons.org/learn/licenses/how1
Blog officiel Creative Commons :
http://creativecommons.org/weblog/
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