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Origine http://infokiosques.net/spip.php?article=267
Pourquoi il n’y a plus de gorilles dans le Grésivaudan
Le téléphone portable, gadget de destruction massive
On croyait tout savoir sur les nuisances du téléphone
portable. On était loin du compte. A l’échelle
planétaire (trafic de déchets électroniques,
massacres de populations et d’espèces menacées...),
nationale (surveillance électronique, destruction de paysages,
bombardement publicitaire...), locale (destruction du Grésivaudan,
pollution, pillage des ressources et des fonds publics...) et individuelle
(addiction au gadget, effet "bulle", autisme social...),
découvrons le fléau universel qu’est le portable.
"Compte tenu du très fort développement prévisible
du Centre de Recherche en Nanotechnologies de la zone d’activité
des Fontaines et de la Zone Industrielle de Crolles, soutenu localement
et nationalement, il est indispensable de compléter de façon
urgente sa desserte, pour assurer son accessibilité."1
On sait que pour devenir une agglomération de "statut
international", une "Silicon Valley à la française",
et bientôt un "Pôle de compétitivité",
la cuvette grenobloise a sacrifié depuis un siècle
ses paysages, son environnement, la santé de ses habitants,
la démocratie locale et le contrôle de sa vie.2 Livrée
au techno-gratin, la ville se consume dans la R&D et la course
à la Croissance, dont le dernier avatar sont ces nanotechnologies
qui imposent aujourd’hui une nouvelle bretelle d’autoroute.
Il faut bien transporter jusqu’à Crolles les produits
chimiques stockés à Lancey, sur l’autre rive
de l’Isère, et les employés de l’Alliance,
contraints de se loger jusqu’à Albertville. Rien que
de très conforme au projet de "continuité urbaine
de Genève à Valence" prévu par le Schéma
directeur pour 2020. On ne fait pas de mégapole sans bretelles
d’autoroute, et ce semi-échangeur de Bernin en préfigure
bien d’autres, et de plus imposants.
Rappel : Crolles II, ce sont des investissements colossaux (2,8
milliards d’euros dont 543 M Euros d’aides publiques),
la destruction des terres agricoles du Grésivaudan, le transport
et le stockage de produits hautement toxiques, les bouchons sur
l’autoroute, la guerre économique contre Chinois et
Américains, le pillage des ressources en eau, les contrôles
d’identité à l’entrée de l’Alliance,
la soumission des chercheurs du CEA aux exigences des industriels
STMicroelectronics, Philips et Freescale Semiconductors, la visite
régulière des autorités - Chirac, Sarkozy,
Devedjian, etc. LA fierté du techno-gratin.
Pour quoi faire ? Des téléphones portables.
*** "Allo, c’est moi. J’suis dans le bus. J’arrive.
A tout de suite." ***
Ne souriez pas. Si vous trouvez dérisoire le résultat
de ces sacrifices, gaspillages et destructions, c’est que
vous n’entendez rien à la réalité économique.
Le téléphone portable, c’est une innovation,
et comme l’a expliqué Michel Destot, maire de Grenoble,
avec l’innovation "apparaît le développement
des activités économiques qui génère
lui-même des emplois pour l’ensemble de nos concitoyens.
Il y a là une véritable mine d’or, prenons-en
conscience."3
Le téléphone portable génère bien d’autres
choses que des emplois et de l’or. Non seulement il accélère
la destruction de la planète, mais il contribue à
la technification totale du monde. Des effets dont jamais les chercheurs
du CEA-Léti, sous-traitant de Nokia, ne parlent dans leurs
réunions mensuelles à la Fnac, ce débitant
de téléphones prétendument "agitateur
d’idées".
I
Il n’y a plus de gorilles au numéro demandé
Le téléphone portable est un concentré de
nuisances. D’abord à cause de sa puce. Eric D. Williams,
chercheur à l’université des Nations Unies à
Tokyo, a mesuré les éléments nécessaires
à la fabrication d’une puce de 2 grammes. Résultat
: 1,7 kg d’énergie fossile, 1 m3 d’azote, 72
g de produits chimiques et 32 l. d’eau. Par comparaison, il
faut 1,5 tonne d’énergie fossile pour construire une
voiture de 750 kg. Soit un ratio de 2 pour 1, alors qu’il
est de 630 pour 1 pour la puce.4
A Crolles, l’usine à puces de l’Alliance STMicroelectronics/Freescale/Philips
engloutit 700 m3 d’eau par heure, et soumet les pouvoirs publics
à ses exigences : 150 000 € d’amende par heure
à payer à l’entreprise en cas de défaillance
dans la fourniture d’eau, et obligation de doubler prochainement
les conduites d’adduction. Si l’Alliance a choisi le
Grésivaudan, c’est aussi pour piller ses ressources
en eau pure - y compris en période de sécheresse et
de canicule. Crolles II, site Seveso, consomme des produits toxiques
comme la phosphine (hydrogène phosphoré), le thilane
ou l’arsine (hydrogène et arsenic) : "des gaz
de combats", se vantait un salarié de ST lors d’une
visite publique. Les produits chimiques sont stockés à
des kilomètres du site, notamment à Lancey, et circulent
chaque jour dans des camions qui traversent l’agglomération.
Officiellement, en 2002 l’Alliance a rejeté dans l’atmosphère
9 tonnes de NOx, 10270 tonnes de CO2, 40 tonnes de COV5. C’est
déjà énorme. Mais un salarié de l’usine
confie, sans vouloir en dire plus, que la teneur en produits polluants
des rejets dans l’atmosphère serait faussée
par l’utilisation de gaz pulsés. Comment le vérifier
? La direction ne communique pas sur les chiffres.
Ce n’est pas tout. Autour de sa puce, votre téléphone
a besoin de coltan, un minerai résistant à la chaleur.
Celui-ci est extrait notamment en République Démocratique
du Congo. Comme les diamants, le coltan a été au centre
d’une guerre pour le contrôle des ressources qui a tué
plus de trois millions de personnes dans sept pays. Au Congo, de
nombreux enfants sont retirés de l’école pour
aller travailler dans les mines de coltan. Le minerai est acheté
aux rebelles congolais et à des compagnies minières
hors-la-loi par trois sociétés : Cabot Inc. aux Etats-Unis,
HC Starc en Allemagne, et Nigncxia en Chine. Ces sociétés
transforment le minerai en une poudre qu’elles vendent à
Nokia, Motorola, Ericsson, Sony, Siemens et Samsung.6 Les mines
de coltan sont situées sur le territoire des derniers gorilles
des plaines, qui sont la cible des mineurs. Au rythme du saccage
actuel, les spécialistes estiment à 10 ou 15 ans maximum
l’espérance de survie de l’espèce.7
Chaque fois que vous passez un coup de fil sur votre portable,
vous jouez avec la santé des habitants du Grésivaudan,
avec la vie des Congolais et celle des derniers grands singes de
la planète.
*** "Allo ? Ouais, je suis à la boulangerie. Une baguette.
Non, je parlais à la dame. Quoi ? A moins le quart, OK."
***
Téléphone jetable
"Force est de constater que les Smartphones ont considérablement
évolué. L’Orange SPV originel ? Démodé
! Le P800 de Sony Ericsson ? Presque ringard ! Les derniers appareils
du genre accueillent volontiers les cartes Flash 64 Mo et embarquent
des slots SD qui vous permettront de porter la mémoire totale
à 1 Go." 8 Au-delà du jargon hystérique
typique des amateurs de gadgets électroniques, on aura compris
l’essentiel : dans leur monde, le danger c’est la ringardise.
Il faut changer son téléphone portable ou son "assistant
personnel" aussi souvent que l’exigent la mode, le "progrès"
et les fabricants. "En moyenne les Japonais changent de mobile
tous les douze à dix-mois", indique Yoshimi Ogawa9,
patronne d’Index Corporation, société japonaise
qui vend du "contenu" pour portables, et qui a acheté
le club de foot grenoblois.
Changer de téléphone signifie jeter son téléphone.
Depuis le lancement de ce gadget sur le marché, 500 millions
d’exemplaires ont déjà été jetés,
grossissant les montagnes de déchets électroniques
et électriques (DEEE). Rien qu’en France, nous en produisions
25 kg par personne en 2001, et ce chiffre doit doubler d’ici
2013. "Or, ces déchets sont loin d’être
anodins. Ils concentrent un mélange complexe de matières
et de composants particulièrement toxiques. Métaux
lourds, cadmium, mercure, et plomb en grande quantité : 40
% du plomb trouvé dans les décharges provient de l’électronique
de consommation. Les rebuts électroniques et électriques
sont pour l’essentiel incinérés avec les déchets
ménagers et provoquent ainsi d’importantes émissions
de dioxines. Ces substances, ennemies de longue date de l’air,
des sols et des nappes phréatiques, menacent également
la santé des êtres vivants. Quelques mois suffisent
pour qu’un téléphone mobile dernier cri et un
ordinateur ultra-performant se métamorphosent en bombes à
retardement pour l’environnement." 10
Aux apôtres du "recyclage" censé résoudre
le problème, précisons la fin de l’histoire
: "Plus de la moitié des ordinateurs "recyclés"
(NDR : aux Etats-Unis) sont en réalité expédiés
en Chine, où des travailleurs médiocrement payés
récupèrent les parties jugées intéressantes
des appareils (voir www.ban.org). Mais cela se traduit par une sérieuse
pollution, en raison des quantités importantes de plastique
et de métaux lourds entrant dans la composition des ordinateurs.
Les pièces inutiles sont brûlées, provoquant
des émanations toxiques, ou abandonnées dans des décharges
où l’eau de ruissellement entraîne les polluants
dans les nappes phréatiques. Non loin de Hong Kong, dans
la ville de Guiyu, spécialisée dans ce "recyclage"
particulier, les enquêteurs ont constaté que l’eau
n’était plus potable et devait être acheminée
par citernes de villes voisines, tandis que les maladies se multiplieraient
du fait de la pollution de l’air." 11
Plus près de nous, à Bourg-Fidèle (Ardennes),
l’usine Métal Blanc a été jugée
en février 2005 pour la contamination par le plomb et le
cadmium du sol, de l’air et de l’eau, avec des conséquences
sur la santé d’une quarantaine de personnes (salariés
et enfants voisins essentiellement)12. L’activité de
cette usine ? Le recyclage. On voit que les nuisances sont aussi
durables que le développement des industries qui les provoquent.
*** "C’est M. Busy, je serai un peu en retard à
notre rendez-vous, installez-vous, j’arrive." ***
Grillades de cerveau
"Rentabilité oblige, les téléphones mobiles
ont été mis sur le marché sans que des études
préalables de nuisance aient été faites. Autrement
dit, les utilisateurs sont les cobayes d’une expérience
planétaire dont on ignore encore, faute de recul suffisant,
les conséquences sur la santé." Depuis ce constat
de Science et Vie en avril 1999, scientifiques, industriels et gouvernements
jouent au ping-pong avec les enquêtes sur la santé
des porteurs de mobiles. L’Organisation mondiale de la santé
a lancé une étude en 1996, dont on attend les résultats
pour 2005 : oui ou non les portables et les antennes-relais sont-ils
un danger pour la santé ? "Les champs électromagnétiques
générés par les antennes des téléphones
portables provoquent indirectement des ruptures dans les brins d’ADN
de cellules humaines et animales. Ils vont même jusqu’à
perturber la synthèse de certaines protéines. Tels
sont deux des résultats marquants de l’étude
européenne Reflex, dévoilée le 8 décembre
dernier par la fondation allemande Verum, basée à
Munich. Financée par l’Union européenne ainsi
que par les gouvernements suisse et finlandais, elle a mobilisé
douze laboratoires pendant quatre ans. (...) Le Pr. Franz Adlkofer,
coordinateur du projet et directeur exécutif de la fondation
Verum, assène d’ailleurs que l’étude démontre
l’existence "d’un mécanisme physiopathologique
qui pourrait être à la base du développement
de désordres fonctionnels ou de maladies chroniques chez
l’animal et chez l’homme". (...) les impacts biologiques
observés sur les cellules sont apparus pour des doses d’énergie
(...) inférieures au seuil de 2 W/kg actuellement recommandé
par la Commission internationale de protection contre les rayonnements
non ionisants et repris par la législation française."
13 "(...) ces ondes électromagnétiques atteignent,
à 2 cm de profondeur, la région la plus superficielle
-mais aussi la plus sensible- du cerveau : le cortex, ou écorce
cérébrale (...), provoquant une élévation
de la température du tissu cérébral. "Au
niveau du cortex, cette augmentation est d’environ 1°C",
explique Luc Vershaeve, de l’équipe d’Anne-Marie
Maes, au Vlaamse Instelling voor Technologish Onderzoek, à
Mol (Belgique). Tout se passe exactement comme dans un four à
micro-ondes, sauf qu’ici c’est le centre névralgique
du corps humain qui subit un échauffement. "Si l’on
téléphone régulièrement et pendant de
longues périodes il n’est pas impossible que l’effet
thermique finisse par léser l’ADN cellulaire et provoquer
des tumeurs cancéreuses" précise Luc Verschaeve"
14
Les ondes nuisibles pour la vérité
Pourquoi les cobayes humains ne sont-ils pas informés ?
Parce que le lobby de la téléphonie mobile ne laisse
rien passer, verrouille les résultats négatifs, enfume
les autorités sanitaires, attaque en diffamation les citoyens
qui expriment leurs inquiétudes 15. "D’une façon
générale, tous les résultats mettant en cause
la téléphonie mobile sont systématiquement
rejetés par les fabricants de portables. Le Dr Henry Lai
qui travaillait sous contrat avec Wireless Technology Research (WTR)
une société sous la tutelle de fabricants de téléphones
mobiles, s’est vu refuser la publication de ses travaux parce
qu’ils démentaient le credo des fabricants. (...) "Ils
me demandaient d’interpréter différemment mes
résultats afin de les rendre plus favorables à la
téléphonie mobile", s’insurge le chercheur.
La même mésaventure est arrivée au biologiste
américain Ross Adey, qui effectuait une étude pour
le compte de Motorola (...). Comme le fabricant refusait d’admettre
ses conclusions, à savoir l’effet nocif des ondes électromagnétiques
sur des animaux de laboratoire, il a préféré
arrêter sa collaboration scientifique. "Tout se passe
comme autrefois avec les fabricants de cigarettes, qui refusait
de révéler toutes les études montrant les dangers
du tabac" proteste Henry Lai." 16
En France, quatre chercheurs du Comité scientifique sur
les champs électromagnétiques ont publié en
février 2004 leur livre blanc des incidences de la téléphonie
mobile et des antennes relais sur votre santé : "Votre
GSM, votre santé : on vous ment !" 17. Ces scientifiques,
en pointe dans le domaine, avaient été écartés
du groupe d’experts consultés par l’AFSSE (Agence
française de sécurité sanitaire de l’environnement)
en 2003. Leur livre résume ce que les autorités françaises
n’ont pas voulu entendre : "Cette publication a été
rendue nécessaire en raison des nombreux troubles observés
chez les riverains des stations-relais de téléphonie
mobile (dont l’installation en France a été
particulièrement anarchique) et chez les utilisateurs de
téléphones portables. Sont passés en revue
les travaux scientifiques mondiaux relatifs à l’exposition
des êtres vivants aux ondes de la téléphonie
mobile. On peut y constater des effets particulièrement nocifs
sur le système nerveux et le métabolisme cellulaire.
Les publications officielles françaises, destinées
à permettre le développement technologique sans entrave,
y sont examinées et critiquées. Les études
épidémiologiques menées un peu partout dans
le monde révèlent clairement l’étiologie
des nombreux malaises ressentis par les utilisateurs de téléphones
portables et les riverains d’antennes relais (insomnies, troubles
cardiaques, hypertension, céphalées...) ainsi que
l’existence possible d’un lien entre cette exposition
et des pathologies lourdes telles des maladies neurodégénératives,
certaines formes de cancer..." 18
Rendons hommage aux rares scientifiques capables de résister,
quand les représentants de la téléphonie mobile,
eux, évoquent des "symptômes subjectifs"19
chez leurs clients qui se plaignent. Les opérateurs, eux,
ont été entendus par l’AFSSE lors de la consultation
de 2003, affirmant à cette occasion : "Depuis quelques
mois, nous assistons à un véritable marché
de la peur qui rend malades les personnes fragiles. Ces dernières
dorment mal ou ont mal à la tête à force d’être
inquiétées par des discours alarmistes." 20
*** "J’entends rien ! T’es où ? Hein ?"
***
II Le triomphe du conformisme
Fin 2004 l’Autorité de régulation des télécommunications
recensait 44,55 millions de possesseurs de téléphones
portables en France, soit un taux de pénétration de
74 %.21 "Deux adolescents sur trois entre 12 et 17 ans en possèdent
un. Ils sont 91 % entre 18 et 24 ans. Si l’on excepte les
personnes âgées et les enfants en bas âge, le
marché arrive aux limites de la saturation." 22 Pourquoi
excepter les enfants en bas âge ? "Rose (pour les filles),
bleu (pour les garçons), deux oreilles et, à la place
du nez, un gros bouton pour choisir parmi cinq numéros pré-enregistrés
: papa, maman, la nounou... BabyMo, "premier téléphone
portable entièrement conçu pour l’enfant"
cible les 4-10 ans et ne coûte que 1 €... si vous souscrivez
pour votre bambin un forfait de deux heures par mois sur une durée
d’un an chez Bouygues, Orange ou SFR."23. "Ces nouvelles
générations sont préparées à
un monde où les nouvelles technologies seront omniprésentes",
explique au Monde 2 Régis Bigot, directeur adjoint du département
"Conditions de vie et aspirations des Français"
au CREDOC.
Harcèlement publicitaire, appareils à 1 fr. puis
1 €, disparition des cabines téléphoniques, coût
exorbitant des appels depuis un fixe vers un mobile et pression
sociale ont fait du téléphone portable la technologie
au développement le plus rapide de l’histoire. Plus
que tous ses prédécesseurs, ce gadget pousse au mimétisme
et au conformisme si chers aux marketeurs. "Ne pas céder
au portable, c’est ne pas avoir peur d’exister par nous-mêmes,
affirme Françoise, 35 ans, libraire dans le Sud-Ouest. J’ai
fini par céder à la pression de mon entourage. Ce
qui les gênait dans mon attitude, c’était le
refus de m’aligner sur le comportement dominant." 24
Faites le test. Dites à vos collègues que vous n’avez
pas de portable. Hors les exceptions qui chuchotent : "Tu as
bien raison, j’aimerais en faire autant", la majorité
s’esclaffe : "T’es contre le progrès ? Tu
t’éclaires à la bougie ?" ou s’inquiète
: "Mais comment tu fais ?"
Si trois Français sur quatre se demandent comment ils ont
fait pour se passer de portable jusqu’ici, c’est grâce
au bourrage de crâne du marketing et des sociologues des "usages"
qui, au "laboratoire d’idées" IDEAs Lab de
Minatec par exemple, vendent leur méthode aux marchands de
gadgets.25
Une méthode efficace, et brevetée : la "Conception
Assistée par l’Usage" ("design smart process")
a été inventée par un Grenoblois, sociologue
et anthropologue de l’innovation au CNRS, Philippe Mallein.
En 1999 il a créé sa société, Ad Valor,
pour vendre sa méthode. "Celle-ci identifie les usages
des technologies avant même la conception de nouveaux produits.
Objectif : créer de véritables nouveaux produits,
avec de véritables nouveaux usages, et ne pas seulement s’adapter
à ce que le marché semble demander." 26 C’est
bien ce qu’il nous semblait. Le "marché"
(nous) n’a jamais demandé de téléphone
portable. Mais grâce à Mallein, de nouveaux "usages"
(besoins en novlangue), ont été créés.
Il faut voir le sourire glorieux de Michel Ida, patron d’IDEA’s
Lab, quand, dans ses conférences sur les "objets intelligents",
il demande au public : "qui a un téléphone portable
?" Il faut entendre le cynisme de Denis Marsacq, du laboratoire
"Sources d’énergie miniatures" du CEA-Grenoble,
sous-traitant de Nokia dans la recherche sur les mini-piles à
combustible pour portables, lâchant lors d’une conférence
à la Fnac : "Bien sûr ces piles coûteront
plus cher que le rechargement d’un téléphone
sur une prise électrique, mais nous ciblons les adolescents,
qui sont immatures et moins rationnels, et nous pensons qu’ils
accrocheront au "sans fil" total."
Souvenons-nous : ne pas seulement s’adapter à ce que
le marché semble demander. C’est ainsi que vos collègues
s’esclaffent. Et Mallein, le sociologue jaune, de qualifier
les drogués de gadgets de "pionniers", et les réfractaires
de "conformistes". Orwell nous l’avait bien dit
: "La Guerre c’est la Paix - La Liberté c’est
l’Esclavage - L’Ignorance c’est la Force".
De même que dans 1984 l’histoire est réécrite
chaque jour, on ne saura bientôt plus qu’il existait
un temps où l’on ne s’appelait pas pour se dire
qu’on arrivait. Comme on ne sait plus aujourd’hui qu’il
a existé un temps où l’on ne s’appelait
pas du tout. Où l’on frappait à la porte des
gens pour leur parler.
*** "Vi1 2m1 c tro top" ***
Leur soumission hypnotique au marketing conduit les consommateurs
à négliger l’essentiel : "Recul sensible
des dépenses de nourriture, progrès spectaculaires
des achats de loisirs, notamment dans la haute technologie... En
quelques années, les habitudes de consommation des Français
ont profondément changé (...) Pour continuer à
acheter les produits qui les font rêver (...) ils rognent
ostensiblement sur les produits alimentaires de marque vendus par
la grande distribution et prennent le chemin des magasins de proximité
à bas prix, les fameux hard discounters."27 Un choix
cohérent, puisque les hard discounters regorgent de produits
à base d’OGM28 : quand on est "techno" on
l’est jusqu’à sa sauce barbecue.
En rognant sur leur alimentation, les Français ont permis
aux opérateurs de téléphonie mobile d’engranger
16,7 milliards d’euros en 2002, soit l’équivalent
du chiffre d’affaire de la construction aéronautique
et spatiale.29 Le constructeur Nokia a réalisé un
chiffre d’affaire global de 29,26 milliards d’euros
en 2004 30, et estime que 630 millions de téléphones
seront vendus dans le monde en 2005, toutes marques confondues.
Sans parler des "services" annexes : en France en 2004
le chargement de sonneries musicales a rapporté 8,5 M€
aux sites de téléchargement payant, qui tablent sur
un marché de 160 à 200 M€ par an 31. Index Corporation
réalisait en 2003 un chiffre d’affaires de 150 M€’
en vendant ses "contenus" pour téléphones
mobiles : sonneries, fonds d’écran, jeux, horoscopes,
strip teases, etc.
Soin palliatif
Si ce marché est si porteur, c’est que le rouleau-compresseur
marketing a su capter ce qui, dans ce monde high tech et dévoué
à la guerre économique, avait été détruit
: les rapports sociaux. Il est typique du système de nous
vendre, à coup d’innovations, des remèdes aux
maux causés par les innovations précédentes.
Vous ne parlez plus à vos voisins à cause de la télévision
? Téléphonez-leur !
D’après les opérateurs de téléphonie
mobile, le portable serait un objet qui "valorise" ("il
véhicule nos signes extérieurs de richesse ou d’originalité"),
"rassure" ("tout se passe comme si ce petit objet
(...) protégeait d’un monde potentiellement hostile"),
"renforce les liens" ("il sert à appeler des
personnes que l’on voit tout le temps et qui habitent près
de chez soi, et ce, pour des conversations courtes et répétées"),
voire "permet de se déclarer".32
Les opérateurs ont compris le bénéfice qu’ils
pouvaient tirer d’individus dévalorisés, angoissés,
incapables de communiquer ou de supporter l’inconnu. Leur
argument de vente dessine en négatif la société
techno-marchande qui crée ces individus. Pourquoi aurions-nous
besoin d’une médiation électronique pour communiquer
si ce n’est pour nous adapter à un monde qui atomise
chacun de nous et morcelle nos vies ? Rappel : dans un pays où
trois habitants sur quatre sont équipés de l’appareil-qui-renforce-les-liens,
15 000 personnes sont mortes dans l’indifférence générale
en trois semaines de canicule. Sans doute ne faisaient-elles pas
partie des personnes "qu’on voit tout le temps",
et à qui il est urgent de téléphoner pour prévenir
qu’on sera en retard.
Supposé renforcer les liens avec les proches, le portable
permet à coup sûr d’éviter le contact
avec des inconnus. Voyez ces urbains égarés, accrochés
à leur portable pour se faire guider à distance plutôt
que de demander leur chemin à des gens. Ou ces zombies en
transit rivés à leurs SMS, certains d’éviter
ainsi le regard de leurs voisins de bus. "Selon Béatrice
Fracchiolla, sociologue et chercheuse en pointe sur les nouvelles
technologies, son usage immodéré (NDR : du portable)
sert à combler les temps de déplacements quotidiens
qui sont souvent source d’angoisse. "Ce temps passé
en transit dans des sortes de "non-lieux" successifs,
au milieu d’une foule anonyme, entraîne une perte d’identité",
écrit-elle dans la revue Esprit critique, fondée en
1999. (...) La sociologue voit dans le portable (...) autant de
tentatives de reconquête par l’humain d’espaces
urbains chaotiques. Des moyens d’être mobile, comme
autant de "palliatifs au rapport de voisinage qui diminue au
fur et à mesure que les villes s’agrandissent et s’étendent,
que leurs frontières deviennent de plus en plus délétères.""
33 *** "Mais chérie puisque je te dis que je suis à
Angoulême ! Bon, je te rappelle." ***
La prothèse crée le handicap
Comme la prothèse qui remplace un membre, le téléphone
est supposé réparer artificiellement les dégâts
de ce monde-là, qui fait de nous les rouages de la machine
à produire et à consommer en masse, à faire
la queue au supermarché, au multiplexe, au télésiège,
au péage d’autoroute. Sans doute les opérateurs
ont-ils raison d’attribuer le succès du portable à
la crainte "d’un monde potentiellement hostile"
et sans doute ont-ils quelque intérêt à renforcer
un peu plus cette hostilité du milieu, à chaque lancement
d’un nouveau service ou d’une nouvelle norme de communication
sans fil.
Puis, la prothèse se substituant au membre, les machines
nous privent de l’usage de nos facultés. Depuis la
voiture, les citadins ne savent plus marcher pour les trajets les
plus minimes (plus de la moitié des déplacements en
voiture concernent des trajets de moins de 3 km), et, se plaignant
de l’"épidémie" d’obésité
qui les frappe, de la pollution, des morts sur la route, des guerres
pour le pétrole, etc., ne songent même plus à
retomber sur leurs pieds. Ils ont oublié comment on vivait
sans voiture, et cet oubli est une amputation. La prothèse
s’est faite handicap. Observons les utilisateurs de téléphones
mobiles : devenus incapables de se repérer dans l’espace
et d’être à l’heure à un rendez-vous
(parce qu’ils croient pouvoir être partout à
la fois ?), incapables même d’imaginer comment faire
pour retrouver quelqu’un quelque part sans portable, ils ont
en outre perdu la faculté de vivre le présent. Amputés
de leur présence au monde, ils s’envoient des SMS pendant
que le train traverse des paysages inconnus.
Non seulement le téléguidage rend le territoire virtuel,
mais le bavardage incessant au portable transforme la vie en son
commentaire - partagé malgré eux par les voisins du
bavard bruyant. Une extraction de la réalité qui culmine
avec les fonctions appareil-photo et caméra désormais
intégrées à tous les téléphones.
L’important n’étant plus ce que l’on est
en train de vivre, mais les images qu’on en tire. Même
les chanteurs pop s’émeuvent de ces forêts de
portables tendus à bout de bras par des spectateurs pressés
de les mettre en boîte. "Tout ce qui était directement
vécu s’est éloigné dans une représentation."
*** "Devine d’où je t’appelle ?" ***
Le portable s’avère l’inverse de ce qu’il
prétend être - un outil de communication. Depuis combien
de temps n’avez-vous pas eu une conversation non interrompue
par une sonnerie ? Conditionnés, nous trouvons ça
normal, mais faisons un pas de côté : regardons-nous,
la bouche ouverte, stoppés par le réflexe pavlovien
de nos interlocuteurs plus pressés de répondre au
coup de sonnette que de nous laisser finir notre phrase. On en est
là. L’histoire retiendra peut-être que la civilisation
occidentale du XXIe siècle fut celle des "brouilleurs
de portables" installés dans les salles de spectacle
et de cinéma pour remplacer la faculté d’attention
aux autres. Le progrès, sans doute.
Enchaînés par le sans-fil
Devenus accros à ce gadget comme les fumeurs à leur
tabac, les bébés à leur tétine (comme
celle-ci on porte son portable autour du cou) et les déprimés
à leurs anxiolytiques, les propriétaires de portables
passent leur temps à vérifier qu’ils n’ont
pas oublié leur téléphone, que celui-ci est
bien chargé, qu’ils n’ont pas reçu de
nouveaux messages, etc., et ajoutent à l’hostilité
perçue du monde un motif d’angoisse supplémentaire
: le risque de se faire voler leur appareil (la hausse des chiffres
de la délinquance doit beaucoup aux vols de portables). "On
déclare d’ailleurs retourner plus volontiers chez soi
pour récupérer son portable plutôt que ses papiers
en cas d’oubli." 34 Voilà le sans-fil sous son
vrai jour de fil à la patte supplémentaire. Voilà
l’autonomie de l’individu un peu plus cabossée
par une prothèse techno qui dispense de trouver en soi les
ressources pour se démêler des aléas du quotidien.
Voilà achevée la couverture totale du territoire,
jusqu’aux sommets de montagnes, devenus des squares où
il n’y a qu’à sonner pour être secouru
en hélico. Voilà enfin effacée la frontière
entre vie privée et vie publique, mêlées dans
la même obsession du contact permanent. Les entreprises ont
bien compris l’intérêt de ce boulet aux pieds
de leurs employés. Désormais joignables tout le temps,
ceux-ci n’ont plus d’excuses pour ne pas se consacrer
entièrement à leur tâche. Voyages en train,
embouteillages, files d’attente, pauses : tout ce temps doit
être rentabilisé en gardant le contact avec le bureau.
Vitesse, rentabilité, flexibilité, le portable est
l’outil idéal du business : les entreprises le considèrent
comme le deuxième moyen de communication facteur de productivité.35
Une récente publicité rappelle ce que nous avons
perdu, sur fond de paysage sauvage : "Allez où votre
portable ne passe pas." Pour nous fourguer... un 4x4. Le téléphone
mobile n’est pas seulement un gadget polluant : il façonne
le monde, "révolutionne notre quotidien" comme
disent les chercheurs et les industriels, sans que jamais nous ne
l’ayons choisi. Et ce techno-totalitarisme s’impose
à tous, gogos et réfractaires, qu’on le veuille
ou non. Contrairement aux niaiseries lâchées par les
employés du CEA, nous n’avons pas le choix d’avoir
un portable ou pas, si nous voulons encore faire partie de la société.
A un postulant pour un job de manutentionnaire, la responsable d’une
agence d’intérim grenobloise : "Vous n’avez
pas de portable ? Mais ça va pas être possible !"
*** "Allo, j’suis dans le rayon, là. Je prends
quoi comme café, en poudre ou en grain ?" ***
III Filez droit, vous êtes tracés
Derrière le joujou high tech se cache un super-traceur d’individus,
exact opposé de la liberté promise par les vendeurs
de portables et du "nomadisme" frelaté vanté
par le faisan Attali. Quelle est cette liberté qui nous attache
à une laisse électronique, à un objet dont
la présence dans notre poche suffit à nous localiser
partout ? En France 35 000 antennes-relais maillent le territoire
et enregistrent les signaux émis par les GSM, tandis que
les factures détaillées des opérateurs reconstituent
l’intégralité de nos appels. Preuve de la fiabilité
du système : "Le portable en dit tant sur la localisation
et les fréquentations des suspects qu’il est devenu
un outil indispensable pour la police (...) Qu’il s’agisse
de déterminer un emploi du temps, un itinéraire ou
un réseau de relations, l’étude des appels téléphoniques
fixes et mobiles est devenue "un recours quasi systématique",
selon un magistrat." 36 Pas besoin d’être un criminel
pour être cyber-fliqué. Les journalistes de l’Equipe
l’ont compris quand une juge s’intéressant à
leurs sources - que la loi leur permet de protéger - a fait
appel à la technologie. "Tout ce que vous allez dire
au téléphone pourra être retenu contre vous.
Tel est le message que la Justice vient de délivrer à
la presse (...). Il suffit que la police le demande pour que les
opérateurs fournissent la liste des appels reçus et
envoyés pendant une période donnée. Si les
textes (NDR : législatifs) permettent aux journalistes de
garder le silence, rien n’empêche de faire parler la
technologie à leur place. C’est ce qu’on appelle
une avancée pour la liberté de la presse." 37
Les lycéens qui ont manifesté contre la loi Fillon
au printemps dernier ont aussi fait les frais de leurs portables,
mis sur écoute très facilement. "Le réseau
GSM est précieux pour les micros espions. Il suffit d’une
puce téléphonique - la carte SIM - et d’un peu
de technique pour permettre à un micro espion de fonctionner
sur le réseau du portable. Les enquêteurs peuvent donc
l’écouter en toute légalité en composant
un simple numéro téléphonique et profiter ainsi
d’une meilleure couverture qu’un micro classique."
38
L’intégration de la géolocalisation (GPS) dans
les portables permet désormais le suivi de tous par tous.
L’opérateur japonais NTTDoCoMo a créé
le premier téléphone espion, avec un service de localisation
des porteurs depuis un ordinateur ou un autre portable. "Idéal
pour repérer les membres de la famille tels que les enfants
ou les personnes âgées", vend NTT. Idéal
aussi pour le harcèlement publicitaire : une boutique peut
repérer des passants à proximité et leur envoyer
une offre sur leur téléphone, avec le plan du quartier.
La société française Watisit propose ainsi
un système d’"hyperlocalisation", Wherisit,
"permettant d’orienter par SMS les cibles vers les distributeurs
les plus proches." "S’appuyant sur l’omniprésence
du téléphone mobile dans notre quotidien, Watisit
renforce l’attractivité des supports de communication
et facilite les réactions d’intérêt des
personnes touchées par les campagnes." 39
La traçabilité du cheptel humain est un des marchés
d’avenir pour l’industrie électronique. Puces,
RFID (système d’identification à distance par
radio-fréquence), implants sous-cutanés, données
biométriques : la technologie permet de nous suivre, nous
identifier, nous ficher, nous contrôler. Il faut juste nous
faire accepter cette nouvelle condition d’hommes soumis. Le
téléphone portable et ses gadgets ludiques sont parfaits
pour ça. Ils nous conditionnent à l’idée
d’être tracés, et nous préparent à
la domestication totale. Les industriels qui ne s’embarrassent
pas de fioritures l’ont expliqué dans un programme
d’action publié en 2004 par le GIXEL (Groupement des
industries de l’interconnexion, des composants et des sous-ensembles
électroniques) : "La sécurité est très
souvent vécue dans nos sociétés démocratiques
comme une atteinte aux libertés individuelles. Il faut donc
faire accepter par la population les technologies utilisées
et parmi celles-ci la biométrie, la vidéosurveillance
et les contrôles. Plusieurs méthodes devront être
développées par les pouvoirs publics et les industriels
pour faire accepter la biométrie. Elles devront être
accompagnées d’un effort de convivialité par
une reconnaissance de la personne et par l’apport de fonctionnalités
attrayantes : • Éducation dès l’école
maternelle, les enfants utilisent cette technologie pour rentrer
dans l’école, en sortir, déjeuner à la
cantine, et les parents ou leurs représentants s’identifieront
pour aller chercher les enfants. • Introduction dans des biens
de consommation, de confort ou des jeux : téléphone
portable, ordinateur, voiture, domotique, jeux vidéo •
Développer les services « cardless » à
la banque, au supermarché, dans les transports, pour l’accès
Internet..." 40
Vous avez gobé le portable ? Vous avalerez les contrôles
biométriques. Si nous voulons vraiment préserver ce
qui reste de notre environnement, nous affranchir de la marchandise,
briser les paillasses de ce monde-laboratoire, résister au
techno-contrôle : refusons le téléphone portable.
http://www.piecesetmaindoeuvre.com
Grenoble, 8 juin 2005
PMO
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