Message Internet
Date : 19 Novembre 2003
[multitudes-infos] FSE - Point de vue du MFPF et du Cadac à
la participation de Tariq Ramadan
- Fatimah Lalem membre du bureau du Mouvement français pour
le planning familial (MFPF)
- Chalah Chafiq-Beski sociologue
- Maya Surduts présidente du Cadac (Confédération
des associations pour le droit à l'avortement et à
la contraception)
A travers un langage moderniste, Tariq Ramadan prône la stratégie
promulguée par différentes tendances islamistes. Ces
dernières se rejoignent sur la nécessité du
contrôle de la sexualité des femmes pour préserver
l'ordre divin.
Ce texte résume un certain nombre de réflexions portant
sur la participation de Tariq Ramadan au Forum social européen.
Les interrogations qui vont suivre se réfèrent aux
valeurs dont se réclame le FSE. En effet, le Forum social
européen se veut être, notamment, un lieu d'échanges
et de débats pour lutter contre les inégalités
économiques et sociales. Nous supposons par conséquent
que le combat pour les libertés et les droits des femmes
fait partie des causes défendues par ce forum.
Or il nous semble que la présence de Tariq Ramadan, invité
à intervenir en séance plénière, entre
en contradiction avec ces valeurs.
La vision défendue par Tariq Ramadan repose essentiellement
sur la promotion d'une identité communautaire fondée
sur la religion. Pour lui, l'islam propose des moyens aux individus
musulmans pour se construire "une personnalité de l'intérieur"
leur permettant de "s'adapter à un environnement spécifique".
Cette adaptation, selon lui, implique que la société
française accepte certaines spécificités telles
que le voile. Pour lui, le port du voile par la femme musulmane
s'inscrit dans ce processus de construction d'une personnalité
de l'intérieur pour fonder une identité sociale solide.
Le voile étant "une manifestation de la soumission à
Dieu" serait "l'élément d'une libération
de la femme, dès lors qu'elle ne soumet pas son être
à l'imagerie masculine, jamais totalement innocente".
Ce voile-rempart permettrait à la femme musulmane d'accéder
à un statut de citoyenne "participant pleinement à
la vie sociale" tout en préservant sa pudeur.
Dans cette vision, la citoyenneté des femmes est conditionnée
par la gestion de leur sexualité dans le cadre défini
par les normes religieuses. Au travers d'un langage moderniste Tariq
Ramadan prône tout simplement la stratégie promulguée
par différentes tendances islamistes. En effet, elles se
rejoignent sur la nécessité du contrôle de la
sexualité des femmes pour préserver l'ordre divin.
Or cet ordre, traduit clairement par les règles et lois religieuses,
inscrit les inégalités entre les deux sexes. Les islamistes
dits "éclairés" justifient cette inégalité
par l'éloge d'une harmonie des sexes reposant sur leur complémentarité.
D'où la prééminence de la notion d'équité
comme alternative à l'égalité hommes-femmes,
valeur critiquée comme étant le fruit de la "culture
occidentale".
Ce discours instrumentalise les concepts de la lutte contre les
injustices et les discriminations au profit de la diffusion de l'islam
politique comme une alternative anti-impérialiste et anticolonialiste.
Tenant compte de l'évolution irréversible de la condition
des femmes par l'accès à l'éducation, au travail
rémunéré et à l'espace public, il tente
de la canaliser. Le voile se présente dans ce contexte comme
le passage obligé à une citoyenneté communautariste.
Il opère en même temps une nette distinction entre
"la femme musulmane pudique" et les autres non voilées,
qui seront d'emblée identifiées comme des femmes non
pudiques et par extension non dignes de respect. Au mieux, elles
seront désignées comme des brebis égarées,
qui par mimétisme finiront par intégrer leur identité
"authentique".
Il n'est pas très difficile de mesurer l'impact de cette
logique dans la vie quotidienne de centaines de milliers de jeunes
filles et femmes non voilées (majoritaires en France). Le
développement de ce type de discours, favorisé par
l'image positive d'idéologues comme Tariq Ramadan, ne fait
que renforcer la pression directe et indirecte qui s'exerce sur
elles. Elles se verront, de plus en plus, assignées à
une sorte de résidence communautaire. Où est la place,
dans ce type de citoyenneté, pour les droits de la personne
humaine ?
De la même manière, Tariq Ramadan essaye de convaincre
de la force de l'islam pour ramener dans le droit chemin les jeunes
"musulmans" souffrant d'une "crise identitaire".
L'identité culturelle, réduite à l'identité
cultuelle, serait le rempart contre les phénomènes
de violence et de délinquance. Ces faits sociaux qui témoignent
de l'absence d'une politique forte de lutte contre les inégalités,
contre les discriminations et contre le racisme doivent être
combattus par l'éducation et la prévention. Alors
que Tariq Ramadan les renvoie, en dernière analyse, à
l'absence d'une foi et de lois érigeant le croyant dans le
chemin licite. Il propose donc un retour vers la religion pour remédier
à des maux sociaux et politiques.
Cette pseudo-solution semble exercer un réel attrait sur
certaines instances politiques à la recherche de remèdes
face aux déficits de l'intégration. Il en va apparemment
de même pour certains militants du mouvement altermondialiste.
Tariq Ramadan se positionne donc, aux yeux de beaucoup, comme le
Médiateur par excellence pour la "communauté
musulmane".
Ne convient-il pas de rappeler qu'en France une communauté
musulmane portant un projet sociopolitique commun n'existe pas ?
Les idéologues comme Tariq Ramadan tentent en fait de la
créer dans l'opinion publique pour développer ensuite
les stratégies de sa mise en œuvre. Nous sommes donc
bel et bien face à une configuration de l'islam politique
qui se drape en défenseur de la dignité des personnes
discriminées pour avancer ses revendications.
Par ce détour, toute position critique à l'égard
de ce type de projet se voit accusée d'islamophobie. A ce
titre, les féministes qui revendiquent des droits universels
pour les femmes seront repérées également comme
islamophobes. Pire, nous assistons à un amalgame savamment
dosé entre les positionnements racistes et discriminatoires
et la défense des droits fondamentaux de la personne humaine,
sacrifiés sur l'autel des valeurs sacrées. On aboutit
par cette confusion à un jeu de culpabilisation-victimisation
faisant obstacle au débat démocratique.
Ces réflexions nous amènent à interroger les
altermondialistes sur l'enjeu que représente la participation
de Tariq Ramadan au FSE. De manière consciente ou non, cette
initiative ne contribue-t-elle pas à légitimer l'islam
politique ? N'ignore-t-elle pas les valeurs de liberté et
d'égalité des citoyens et des citoyennes, au profit
de la mobilisation de forces se revendiquant comme les défenseurs
des discriminés ? N'ouvre-t-elle pas la voie à une
hiérarchisation des discriminations passant certaines sous
silence, comme par exemple celles relevant du sexisme ?
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