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Texte à retrouver sur la page « Commentaires, critiques
et débats » du site Esprit68 :
http://www.esprit68.org/commentaires.html
http://www.esprit68.org/images/comprendre_comprendre_l%27empire.pdf
Sommaire :
Introduction
Sur l’imposture fondamentale à la base du titre du
livre
La conception d’un peuple « irresponsable » entretenue
par Soral, rend vain le combat contre l’Empire .
La turlutte des classes selon Soral .
Soral ou la haine des contre-pouvoirs
Soral n’a pas fait sauter la banque
Les gages donnés à l’extrême droite
En conclusion
Introduction
Nous voudrions proposer sur la page « Commentaires, critiques
et débats » une nouvelle série d’analyses
consacrée à divers avatars de « la fausse critique
».
Par « fausse critique », nous entendons des critiques
partielles de la domination qui, partant de constats exacts mais
incomplets sur le monde actuel, aboutissent – de bonne ou
de mauvaise foi – à des conclusions erronées.
La fausse critique peut-être comparée au « capitalisme
vert » qui consiste à prétendre polluer moins
pour continuer à polluer plus longtemps. En ce qui la concerne,
la fausse critique affecte de critiquer la domination pour permettre
de dominer davantage ou autrement. Son pouvoir de nuisance est réel,
car elle apporte de fausses solutions aux faux problèmes
qu’elle soulève, parce qu’elle jette la confusion
dans les esprits qu’elle détourne des critiques plus
authentiques, et enfin, parce qu’arc-boutée sur la
petite part de vérité de ses prémices, elle
peut faire passer ceux qui dénoncent ses manques et ses incohérences
pour des suppôts de la domination.
La fausse critique connaît de multiples déclinaisons
que nous sommes tentés de classer en deux catégories
:
- La fausse critique « de bonne foi » qui résulte
souvent d’un manque de conscience politique. Ignorante par
naïveté de ses propres présupposés et
de ses propres conditionnements, cette critique ne porte pas en
ellemême sa propre critique et croit aboutir à l’objectivité
alors qu’elle ne fait que porter une somme de préjugés
ou qu’elle reste prisonnière d’une vision restreinte
de la réalité. Comme exemple de cette fausse critique
« de bonne foi », nous analyserons prochainement le
discours du mouvement « Zeitgeist » et ses illusions
scientistes.
- La fausse critique « de mauvaise foi », vise quant
à elle à discréditer la critique véritable
et à jeter la confusion dans les esprits. Elle est volontairement
« confusionniste ». Ce type de fausse critique est souvent
utilisée par l’extrême droite. C’est avec
elle que nous débuterons nos analyses au travers du livre
d’Alain Soral, Comprendre l’Empire.
Nous jugerons la fausse critique « sur pièces »,
c’est à dire à partir de ses productions littéraires
ou cinématographiques dont nous analyserons les erreurs,
les mensonges et les contradictions. Nous n’irons pas au-delà,
c’est à dire que nous ne nous hasarderons pas à
analyser précisément les conditions de sa production
et son rôle dans le jeu politique en cours.
Nous ne tenterons pas de dévoiler systématiquement
les intentions cachées de la fausse critique, sauf à
titre d’hypothèse, lorsqu’elles permettent d’expliquer
la production d’un discours en lui-même trop incohérent.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, nous voudrions revenir
sur l’utilité plus ou moins avérée de
ce type de travail. Certains soutiendront qu’il vaut mieux
ignorer la fausse critique, ne pas perdre de temps à l’analyser
et à la contester mais plutôt se concentrer sur les
luttes concrètes contre les méfaits du capitalisme
et sur la création d’alternatives à la dictature
marchande.
Il faut pourtant reconnaître que la fausse critique occupe
le terrain, qu’elle embrouille les esprits et qu’elle
entrave les mobilisations.
De la même façon que le JT de TF1 va coloniser l’esprit
du retraité ou de la ménagère de plus de 50
ans, la médiocre prose d’un Soral (ou à un moindre
degré les constats lucides mais prisonniers du sectarisme
scientiste du mouvement Zeitgeist) va coloniser les espaces de cerveaux
disponibles de l’étudiant peu politisé, peu
impliqué dans la vie militante, mais vaguement dégoûté
par la laideur du monde, avide de nouveauté, friand de discours
originaux et spectaculaires, facilement consommables à défaut
d’être assimilables et consistants. On peut donc soutenir
que comme le discours mensonger des médias, la fausse critique
doit être sans relâche présentée pour
ce qu’elle est : un obstacle à la prise de conscience
du plus grand nombre et à la transformation du monde.
Premier chapitre de cette série consacrée à
la fausse critique, Comprendre « Comprendre l’Empire
» sera donc consacré au livre d’Alain Soral paru
en 2011 aux Editions Blanche. Ce choix n’est certes pas motivé
par le sérieux, la qualité ou l’importance de
l’ouvrage. Comme nous le montrerons, ce dernier est parsemé
d’erreurs et d’approximations, de contre-vérités
et de contradictions et son apport théorique est proche de
la nullité.
Pour autant ce livre a semble-t-il rencontré un certain
succès commercial, et ses « idées » ou
plutôt ses harangues confusionnistes ont donc connu une assez
large diffusion.
L’auteur, Alain Soral, peut lui-même se prévaloir
d’une certaine notoriété. Régulièrement
invité sur les plateaux de télévision, il cultive
l’image d’un intellectuel « rebelle » et
« anti-système » pourfendeur de la « pensée
unique » et c’est d’ailleurs sans doute ainsi
qu’il est perçu par de nombreux jeunes gens privés
de repères politiques.
Rappelons qu’Alain Soral, militant du parti communiste dans
les années 90, a rejoint le Front National de 2005 à
2009, tout en fondant son propre mouvement « égalité
et réconciliation » en 2007, association qui entend
promouvoir « la gauche du travail et la droite des valeurs
».
Soral est-il dangereux ? Est-il véritablement « fasciste
» ? D’autres analyses permettent de s’en faire
une idée et nous voudrions tout d’abord vous y renvoyer1.
Comme nous l’avons annoncé, nous jugeons sur cette
page la fausse critique « sur pièces », c’est
à dire en l’occurrence sur le seul texte de «
Comprendre l’empire », sans nous référer
au parcours et aux engagements de Soral ou même à ses
écrits antérieurs sauf lorsqu’ils permettent
d’éclairer certaines notions employées dans
son livre.
Comme nous le verrons, « Comprendre l’Empire »,
s’il mêle dans un improbable patchwork la plupart des
thèmes classiquement agités par la droite extrême,
manque trop de force, de rigueur et de cohérence, pour être
« en lui-même »
1 Voir notamment le livre de Michel Briganti, André Déchot
et Jean- Paul Gautier paru aux Éditions Syllepse en 2011,
La galaxie DIEUDONNÉ, ou l’article intitulé
Le nécessaire bilan de deux décennies «d’antifascisme»
par la Coordination des Groupes Anarchistes de Lyon ou encore, deux
billets du site Article 11 consacrés aux nouveaux habits
de l’extrême droite : : Quand l’extrême
droite mue : petite plongée dans la galaxie des fachos "antisionistes
et anti-impéralistes" et Retour de brun.
véritablement dangereux2. Ce texte est par ailleurs trop
détaché du réel, trop prisonnier de l’idéologie
et de l’interprétation, trop éloigné
de la proposition concrète, pour susciter de quelconques
– mauvaises – actions.
Sa « nocivité » nous semble plutôt résider,
- dans la confusion qu’il introduit partout au sein de la
réflexion et de l’action politique, - dans le discrédit
qu’il porte à la critique véritable :
« Vous êtes contre le FMI et contre la mondialisation
? » demandera le commentateur peu scrupuleux et il pourra
ajouter « comme Alain Soral et Marine Le Pen donc… »3,
2 La paresse intellectuelle de Soral s’apprécie jusque
dans son style qui multiplie les appels aux « soit »,
aux « d’où » pour signifier de vagues égalités
qui ne semblent pas même mériter une phrase avec un
verbe conjugué (par exemple pages 54, 88, 124, 150, 170 ou
pages 191-192 de son livre…).
3 Il ne faut évidemment pas tomber dans le piège
et abandonner des revendications légitimes, sous prétexte
qu’elles sont récupérées et travesties
par les populistes et les fascistes. Ce serait faire un bien trop
grand honneur à leur fausse critique ! A l’inverse
des aboyeurs frontistes, ultralibéraux hier et prétendument
protectionnistes aujourd’hui, il convient d’afficher
des opinions cohérentes sur le long terme, en
- dans sa manie de toujours substituer les faux débats aux
véritables problèmes, l’abstrait au concret,
l’idéologie aux luttes réelles, - dans sa capacité
démobilisatrice – les tombereaux de vaines certitudes
et de calomnies qu’il déverse pouvant sans doute inciter
de nombreux jeunes gens à déposer de douteuses offrandes
dans les urnes, plutôt que de les encourager à descendre
dans la rue et à construire par eux-mêmes un monde
meilleur, - enfin et surtout, dans la fabrique de l’opinion
réactionnaire à laquelle il participe. A cet égard,
Alain Soral offre, non pas du temps de cerveau disponible à
Coca Cola comme Patrick Le Lay, mais prépare les cerveaux
à la réception des mensonges d’une Marine Le
Pen ou de tout autre récupérateur populiste ou proto-fasciste.
Il ne suffit d’ailleurs pas de dénoncer Soral comme
« fasciste ».
A notre époque où la confusion politique et l’ignorance
des
précisant nos positions et en donnant des perspectives concrètes
à nos revendications pour les distinguer des harangues populistes.
Voir à ce sujet quelques préconisations de l’économiste
Frédéric Lordon, dans son article intitulé
« Qui a peur de la démondialisation ».
luttes passées est si savamment entretenue, de semblables
dénonciations ne produisent plus l’effet escompté.
Un étudiant à qui nous faisions remarquer la parenté
du discours de Soral avec les traditionnelles imprécations
fascistes, répondait avec un haussement d’épaule
: « oui, et alors, en quoi est-ce un mal ? ». Face à
l’ignorance généralisée, il faut donc
repartir de zéro et pointer dans le texte les erreurs et
les contradictions des propagateurs de la fausse critique. En l’occurrence,
ce travail est assez peu ragoûtant mais assez simple à
réaliser.
Les impostures de Soral sont si grossières qu’elles
sont relativement faciles à démasquer, de même
qu’il est facile de repérer ses plus fréquents
procédés manipulateurs. Nous ne prétendons
cependant pas à l’exhaustivité, tant les contrevérités
sont abondantes dans son livre – en général
plusieurs à chaque page !
Pour autant, on peut s’interroger sur l’efficacité
de notre démarche qui exige une volonté de comprendre
et une attention portée à l’authenticité
des faits et à la valeur des raisonnements, ce dont ne sont
peut-être plus capables les lecteurs de Soral. Nous avons
constaté à quelles tristes empoignades a conduit la
dénonciation sur Article 11 de quelques dérives confusionnistes
du site Le grand Soir. Nous espérons donc que notre travail
ne suscitera pas de si vaines polémiques et pourra dépasser
le cercle des lecteurs déjà convaincus.
Nous avons voulu mener notre analyse avec sérieux et honnêteté.
Néanmoins, nous ne pouvons nier qu’elle est guidée
par un certain point de vue et par une certaine espérance.
Notre point de vue est anti-capitaliste et anti-autoritaire. Notre
espérance est celle d’une révolution mondiale
qui améliorait les conditions d’existence du plus grand
nombre, tout en le libérant des principaux périls
que font peser sur lui les pouvoirs capitalistes et nationalistes,
associés aux moyens de la techno science industrielle. Cette
révolution, nous la voulons sociale et libertaire. Tous nos
lecteurs ne partageront pas ce point de vue et cette espérance
et ne pourront donc pas accepter toutes nos conclusions. Même
s’ils y donnent un sens différent, tous pourront néanmoins
reconnaître les impostures d’Alain Soral que nous dénonçons
ci-dessous.
Sur l’imposture fondamentale à la base du
titre du Livre
Le livre de Soral s’intitule « Comprendre l’Empire
». Il fait donc référence à la notion
d’« Empire » qui a été théorisée
par d’autres, et notamment par deux auteurs, l’italien
Toni Negri et l’américain Michael Hardt, lesquels ont
écrit le livre « Empire » en 2000. On peut brièvement
rappeler que Negri fut dès les années 60 l’un
des théoriciens de l’opéraïsme italien,
mouvement marxiste, attaché à la notion d’autonomie
ouvrière.
Après avoir purgé une peine de 4 ans de prison en
Italie pour ses liens supposés avec les brigades rouges,
Negri s’est réfugié en France dans les années
80. Il a inspiré un mouvement qualifié de «
négriste », proche de l’altermondialisme, notamment
attaché à la revendication d’un revenu minimum
universel garanti. Ce mouvement s’est développé
en France dans les années 80 et 90, autour de personnalités
comme Yann Moulier-Boutang et au sein de divers collectifs. Son
influence a sans doute décliné après le contre
sommet de Gênes en 2001 et l’action controversée
de certains de ses militants, les « tutti bianchi ».
Aujourd’hui, la revue « Multitudes » et le site
qui y est associé, peuvent être considérés
comme proches du courant de pensée inspiré par Negri.
Il ne s’agit pas de faire ici l’éloge du pavé
souvent indigeste et ambigu d’Antonio Negri et Michael Hart
et de le présenter comme « la vraie » réflexion
sur ce que l’on nomme aujourd’hui « l’Empire
»… Il s’agit plutôt d’indiquer qu’une
réflexion conséquente a déjà été
entreprise à propos de cette notion, réflexion à
laquelle Soral ne fait absolument pas référence.
Soral peut-il l’ignorer, peut-il n’avoir jamais entendu
parler du « négrisme » ou ne s’y être
jamais intéressé ? Cela semble étonnant de
la part d’un homme qui revendique en quatrième de couverture
« cinquante années d’expériences combinant
lectures et engagements ».
Il est vrai que Soral considère, page 13, que « pour
respect pour son lecteur » (!) il évitera dans son
livre la forme « universitaire » et, on peut le supposer,
le trop plein de références qui l’accompagne
habituellement. Cette conception du respect est cependant pour le
moins étonnante lorsqu’elle conduit à occulter
une analyse importante sur le sujet principal du livre. Elle est
d’autant plus étrange que Soral débute son livre
par 7 pages de citations, qui pourraient justement passer pour la
marque d’une forme « savante » ou « universitaire
» (ou plutôt pour le signe d’une insupportable
pédanterie).
Mais revenons plutôt à la genèse occultée
de la notion d’Empire et comparons les définitions
qu’en donnent Soral et Negri.
Il faut attendre la page 72 pour que Soral en propose une première
définition, après avoir dénoncé dans
les paragraphes précédents « la Banque »
et l’oligarchie qui la dirige :
Pilotés de New York, habités d’une idéologie
faite de volonté de puissance, de violence destructrice et
de mépris social puisé à l’Ancien testament,
c’est cette vision du monde et ce processus que nous appelons
: Empire.
L’empire serait donc, selon Soral, une vision du monde (celle
des grands argentiers) et un processus, celui qui conduit –
toujours page 72 – une « oligarchie financière
et mondiale » par « pur parasitisme et pur privilège
octroyé » au nom « de la pseudo-rationalité
économique et de la magie des chiffres » à faire
« de la rente sur le travail humain généralisé
l’exact équivalent, par l’argent et la possession
exclusive du crédit, de ce que furent les nobles vivant sur
le travail agricole des serfs par la possession de la terre, au
nom du privilège de droit divin ».
Soral sous-entend par ailleurs que cette « vision »
est celle des « juifs » ou qu’elle est inspirée
par le judaïsme, puisqu’elle
trouverait sa source dans « l’Ancien Testament »
et dans la « volonté de puissance, de violence destructrice
et de mépris social » que l’on peut y puiser.
Un caricaturiste peu scrupuleux pourrait donc avancer que pour Soral,
l’Empire, ce sont « les banquiers juifs de New-York
».
Pour être juste, dans le chapitre 3 de son livre, Soral précisera,
si l’on peut dire, cette « définition »
un peu sommaire en avançant que l’Empire est également
adossé à différents réseaux de pouvoir,
ainsi page 114 :
Tous ces réseaux de pouvoir, travaillant la main dans la
main pour des raisons d’intérêts financiers et
de solidarité de caste, constituent ce réseau des
réseaux qui est, de fait, la structure combattante de l’Empire.
Comme exemple de ces réseaux, Soral s’attarde principalement
sur le cas de la franc-maçonnerie, même si, après
avoir évoqué les mafias et les communautés
gay ou ethno-confessionnelles, il cite pêle-mêle pages
113 et 114, le groupe Bilderberg et sa commission trilatérale,
un think-tank comme le Conseil des Relations Étrangères,
le club français le Siècle, l’OMC, le FMI, l’ONU,
différents lobbies, dans un inventaire à la Prévert
qui mélange allègrement des institutions internationales,
des groupes de pressions, des organisations légales ou non,
occultes ou pas, des clubs à vocations diverses
et aux capacités d’actions incomparables qui n’ont
en commun que d’être évoqués dans les
diverses théories du complot4 ou d’être habituellement
désignés comme la source des maux de l’occident
par les propagandistes d’extrême droite.
On pourrait donc à nouveau caricaturer l’argumentation
de Soral en prétendant que pour lui, l’Empire, ce sont
principalement les juifs et les francs-maçons.
Comparons cette « définition » de l’Empire
proposée par Soral qui consiste donc en « une vision
» et « un processus » dont la structure combattante
est constituée par un « réseau des
4 Il serait utile de mener une étude fouillée de
la fonction des diverses théories du complot (ce type de
travail est par exemple engagé dans Brave New World, film
catastrophe, à propos des attentats du 11 septembre 2001,
ou dans cet article intitulé « Conspirationnisme :
le boulet de la critique sociale » dans lequel le conspirationnisme
est qualifié de nouveau « socialisme des imbéciles
»). Ce n’est évidemment pas la vocation de notre
texte. Nous remarquerons simplement que les théories du complot
remplissent un rôle identique au discours confusionniste d’un
Soral : passé leur effet de sidération, elles ont
un impact démobilisateur. En exagérant l’ampleur
des complots et des tromperies, elles favorisent paradoxalement
l’acception des injustices (si hier nous avons été
à ce point trompés, alors nous pourrons continuer
à l’être demain). En désignant des boucs
émissaires idéalisés, elles dissuadent par
ailleurs d’oeuvrer pour la transformation des rapports sociaux
qui entretiennent au quotidien les diverses formes de domination.
réseaux » à celle qu’en donne Négri
par exemple dans un article de 2001 écrit pour le Monde Diplomatique
et qui explicite le contenu de son livre « Empire »
:
…Il faudrait être fou pour nier qu’il existe actuellement
un marché global. … …il n’y a pas de marché
global … sans forme d’ordonnancement juridique, …
cet ordre juridique ne peut exister sans un pouvoir qui en garantisse
l’efficacité. … l’ordre juridique du marché
global (que nous appelons « impérial ») ne désigne
pas simplement une nouvelle figure du pouvoir suprême qu’il
tend à organiser : il enregistre aussi des puissances de
vie et d’insubordination, de production et de lutte des classes
qui sont nouvelles.
… Le marché mondial s’unifie politiquement autour
de ce qui, depuis toujours, passe pour des signes de souveraineté
:
les pouvoirs militaire, monétaire, communicationnel, culturel
et linguistique. Le pouvoir militaire tient au fait qu’une
seule autorité possède toute la panoplie de l’armement,
y compris nucléaire ; le pouvoir monétaire tient à
l’existence d’une monnaie hégémonique,
à laquelle le monde diversifié de la finance est tout
entier
subordonné ; le pouvoir communicationnel se traduit par
le triomphe d’un seul modèle culturel, voire à
terme d’une seule langue universelle. Ce dispositif est supranational,
mondial, total : nous l’appelons « empire ».
Pour Negri et Hardt, l’Empire, ce n’est pas seulement
« la Banque » (juive ou pas, new-yorkaise ou non) et
ce n’est pas un simple agrégat de groupes ou de réseaux
(occultes ou non, francs-maçons ou pas) ; ce sont des pouvoirs
militaire, monétaire, communicationnel, culturel, qui garantissent
l’ordre juridique du marché global. Selon eux, l’Empire
désigne donc le capitalisme marchand et tous les pouvoirs
qui garantissent son emprise planétaire.
Comme le suggère le titre de la page 54 « LE SECOND
SAUT DE L’EMPIRE, DE LA CITY À WALL STREET ET DE L’EMPIRE
ANGLAIS À L’IMPÉRIALISME US, SOIT L’ESCROQUERIE
DU DOLLAR » Soral inscrit pour sa part l’Empire dans
la continuité de l’impérialisme américain.
Il semble même parfois le confondre avec lui. Ainsi page 217,
il parle tout simplement de « l’Empire américain
», sans un réel souci de cohérence avec ses
précédentes définitions qui faisaient de l’Empire
une « vision » reposant sur des « réseaux
» transnationaux et non exclusivement américains.
Ce glissement le conduit d’ailleurs à désigner
les opposants à l’Empire non pas comme ceux qui luttent
directement contre les « réseaux occultes transnationaux
» ou contre « la Banque », mais comme tous ceux
qui combattent l’impérialisme américain au premier
rang desquels, se dressent des nations comme la Russie, l’Iran,
le Venezuela…. Soral est tenté d’ajouter la Chine,
mais il se ravise, car la Chine peut selon lui exercer « une
nouvelle domination impériale ». A ce stade, l’Empire
dont parle Soral semble n’avoir aucune spécificité
: Aujourd’hui américain, il pourrait bien demain devenir
chinois, nonobstant l’action des réseaux occultes transnationaux
dont on ne comprend plus dès lors ni la signification ni
la portée.
Negri quant à lui, distingue clairement l’«
Empire » de l’ancien « impérialisme »
et du nouvel empire américain. Dans l’article du monde
diplomatique cité plus haut il explique :
Encore faut-il distinguer cette forme « impériale »
de gouvernement de ce que l’on a appelé pendant des
siècles l’« impérialisme ». Par
ce terme, nous entendons l’expansion de l’Etat-nation
au-delà de ses frontières ; la création de
rapports coloniaux (souvent camouflés derrière le
paravent de la modernisation) aux dépens de peuples jusqu’alors
étrangers au processus eurocentré de la civilisation
capitaliste ; mais aussi l’agressivité étatique,
militaire et économique, culturelle, voire raciste, de nations
fortes à l’égard des nations pauvres.
Dans l’actuelle phase impériale, il n’y a plus
d’impérialisme - ou, quand il subsiste, c’est
un phénomène de transition vers une circulation des
valeurs et des pouvoirs à l’échelle de l’Empire.
De même, il n’y a plus d’Etat-nation : lui échappent
les trois caractéristiques substantielles de la souveraineté
- militaire, politique, culturelle -, absorbées ou remplacées
par les pouvoirs centraux de l’Empire. La subordination des
anciens pays coloniaux aux Etatsnations impérialistes, de
même que la hiérarchie impérialiste des continents
et des nations disparaissent ou dépérissent ainsi
: tout se réorganise en fonction du nouvel horizon unitaire
de l’Empire.
Pourquoi appeler « Empire » (en insistant sur la nouveauté
de la formule juridique que ce terme implique) ce qui pourrait être
considéré simplement comme l’impérialisme
américain de l’après chute du Mur ? Sur ce point,
notre réponse est claire : contrairement à ce que
soutiennent les derniers tenants du nationalisme, l’Empire
n’est pas américain - d’ailleurs, au cours de
leur histoire, les Etats- Unis furent bien moins impérialistes
que les Britanniques, les Français, les Russes ou les Hollandais.
Non, l’Empire est simplement capitaliste : c’est l’ordre
du « capital collectif », cette force qui a gagné
la guerre civile du XXe siècle.
A ce stade, on pourrait prétendre que Soral et Negri ne
parlent pas de la même chose. Tous deux pourtant veulent désigner
par le terme « Empire », l’ordre mondial actuel.
Il faut donc plutôt admettre qu’ils ne décrivent
pas cet ordre de la même façon et qu’ils ne portent
pas sur lui le même jugement. Pour Soral, l’Empire est
la vision conquérante de quelques richissimes parasites qui
s’appuient sur des réseaux plus ou moins occultes (vision
qui à certains passages de son livre semble s’incarner
dans l’impérialisme américain), alors que pour
Negri l’Empire est le capitalisme marchand mondialisé.
Pour Soral l’Empire est d’abord un repoussoir, une
vision transnationale – parfois désignée comme
juive ou américaine, demain peut-être chinoise –
qu’il faut combattre, pour des raisons d’ailleurs plutôt
ambiguës et contestables, comme nous le verrons dans la suite
de cet exposé.
Pour Negri, c’est davantage un état de fait. En bon
dialecticien, Negri veut inclure dans l’Empire les possibilités
de son dépassement, c’est la raison pour laquelle il
estime que l’Empire « enregistre aussi des puissances
de vie et d’insubordination, de production et de lutte des
classes qui sont nouvelles »… ce qui ne va pas non plus
sans quelques ambiguïtés ! Mais nous ne traiterons pas
ici des limites et des impasses du négrisme. On remarquera
simplement que le jugement que l’on porte sur la nature de
l’ordre mondial actuel, conditionne l’idée que
l’on se fait des moyens de s’y opposer.
A cet égard Négri contredit avec 10 ans d’avance
la conclusion du livre de Soral selon laquelle la résistance
à l’Empire passerait par « la révolte
des nations ». Car pour Negri, les états-nations, qu’ils
soient européens, américain, russe, Chinois sont des
constituants de l’Empire. Ils participent pleinement au capitalisme
mondialisé. Comme Negri le remarque dans son article de 2001
:
Se battre contre l’Empire au nom de l’Etat-nation révèle
donc une totale incompréhension de la réalité
du commandement supranational, de sa figure impériale et
de sa nature de classe : c’est une mystification. A l’Empire
du « capital collectif » participent aussi bien les
capitalistes américains que leurs homologues européens,
autant ceux qui construisent leur fortune sur la corruption russe
que ceux du monde arabe, d’Asie ou d’Afrique qui peuvent
se permettre d’envoyer leurs enfants à Harvard et leur
argent à Wall Street.
Et de fait, l’Empire ou l’ordre mondial actuel, qui
est principalement un ordre marchand, semble très bien s’accommoder
de la division en états nation. Comme Soral ne peut évidemment
pas le nier, il doit présenter l’Empire comme une vision
qui n’est pas encore tout à fait réalisée,
mais qui trouverait son achèvement dans une « gouvernance
globale », dans un « gouvernement mondial » encore
à venir. Le pouvoir des « réseaux » qu’il
avait auparavant exagéré pour mieux le dénoncer,
semble alors remisé. Contrairement à ce que Soral
avait précédemment laissé entendre, l’Empire
n’est pas encore là, ou du moins, il n’est pas
complètement là, mais il menace d’advenir si
le gouvernement mondial s’impose. Soral n’explique pas
pourquoi ce gouvernement mondial serait obligatoirement l’instrument
des réseaux dont il a voulu dénoncer le parasitisme
financier, plutôt que la synthèse de la voix des nations.
Il n’envisage pas non plus qu’il puisse s’opposer
à l’impérialisme américain. Mais ce n’est
là qu’une insuffisance secondaire tant la définition
qu’il propose de l’Empire est inconsistante.
Soral ne s’oppose finalement pas à l’Empire
qu’il n’a pas su définir, pas plus qu’il
ne dénonce les méfaits du capitalisme. Il se contente
plutôt de vilipender pêle-mêle et de manière
abstraite l’argent juif, la franc-maçonnerie, l’impérialisme
américain et le cosmopolitisme.
On comprend donc mieux l’étrange « respect »
de Soral à l’égard de son lecteur, qui consiste
surtout à ne pas faire état des précédentes
réflexions sur l’Empire, notamment quand elles présentent
l’inconvénient d’être plus claires, plus
complètes et plus rigoureuses que les siennes et surtout
lorsqu’elles contredisent la thèse principale de son
livre comme c’est le cas de l’approche de Negri et de
Hardt.
La thèse principale développée par Soral –
les nations contre l’empire – ayant donc été
par avance contredite, que reste-t-il à son livre ? Une somme
d’approximations et de contrevérités assez fastidieuses
à dénoncer, mais pourtant révélatrices
d’un certain « courant de pensée » et d’une
certaine vision du monde, certes incohérente et irréaliste,
mais susceptible néanmoins de fausser les jugements et de
détourner l’attention des vrais problèmes. Cette
vision n’a en soit aucun intérêt. Son seul caractère
remarquable est qu’elle parvient à se concilier avec
tous les poncifs classiques de l’extrême droite française,
même ceux qui semblent à priori incompatibles. C’est
peut-être là qu’il faut lui reconnaître
son étrange cohérence, dans un espace purement idéologique
et complètement déconnecté de la réalité
: Le discours de Soral semble apte à satisfaire n’importe
quel sympathisant ou militant d’extrême droite, qu’il
soit monarchiste, national-socialiste, catholique intégriste
ou néo-paganiste, grand bourgeois BCBG ou bonehead buveur
de bière, tout en étant capable de séduire
et de tromper le lecteur non politisé et peu rigoureux. Ce
n’est pourtant qu’une synthèse, parmi d’autres
possibles, des absurdités constituant le fond de commerce
de l’extrême droite, synthèse qui vise aussi
sans doute à prendre le pas sur d’autres discours concurrents
comme celui des « identitaires ».
Essayons donc de mieux caractériser cette synthèse
en analysant dans le détail les thèmes abordés
dans les différents chapitres. Une remarque générale
tout d’abord : le livre de Soral se signale par son absence
totale de méthode et de rigueur. Il ressemble davantage à
une compilation d’opinions diverses, d’impressions éparses,
de vagues imprécations, qu’à une réflexion
menée sur le long cours. Soral mélange allègrement
les différents niveaux d’analyse et les différents
points de vue. Son premier chapitre débute à partir
du contexte historique français, mais le deuxième
évoque les « sociétés primitives »
; en quelques lignes le lecteur revient en France, puis est transporté
dans une « chrétienté » aux vagues contours
historiques et géographiques, un peu plus tard dans la Grèce
antique puis dans les sociétés « indo-européennes
» avant d’être placé devant le théâtre
des relations internationales contemporaines.
On ne sait donc pas si le livre d’Alain Soral traite des
manifestations actuelles de « l’Empire » du point
de vue français ou du point de vue mondial, s’il tente
une généalogie – française ou occidentale
? – de sa constitution, s’il analyse son mode de fonctionnement,
s’il énumère les moyens de le combattre ou d’empêcher
sa venue – car comme nous l’avons vu, selon les chapitres,
l’Empire est tantôt déjà là ou
tantôt encore à venir et à conjurer. En réalité
le livre de Soral ne fait rien de tout cela… La notion d’Empire
qu’il a si mal définie n’est qu’un prétexte
pour désigner des ennemis et pour donner une nouvelle signification
à des évènements historiques. Soral se montre
beaucoup plus motivé par la réécriture du passé
que par la construction de l’avenir, il est plus pressé
de désigner des coupables que d’analyser les dysfonctionnements
de la société.
La conception d’un peuple « irresponsable »
entretenue par Soral, rend vain le combat contre l’Empire
Pour illustrer cette inclinaison, on peut revenir sur le premier
chapitre « Dieu et la raison », dans lequel Soral veut
partir de la révolution française. Le rapport avec
l’Empire ne parait pas direct et Soral ne détaillera
pas la logique de son cheminement intellectuel. On peut tout au
plus supposer qu’il veut suggérer que dans la révolution
française se joue quelque chose qui prépare en France
la venue de l’Empire. Mais ailleurs, ce pourrait être
« l’Italie des Borgia, l’Angleterre de Cromwell
» (page 17), et Soral ne nous dira pas si au regard de la
constitution de l’Empire – qui est tout de même
une réalité transnationale – la révolution
française est plus ou moins importante que ce qui s’est
joué en Espagne, en Italie, en Hollande, en Angleterre ou
en Amérique.
Ce « quelque chose de notre modernité » qui
donc en l’occurrence se joue en France, serait la victoire
de la raison bourgeoise, confondue parfois avec le rationalisme,
sur l’ancien régime et plus particulièrement
sur le catholicisme.
Il ne faut pas chercher trop de rigueur dans cet argumentaire qui
conduit Soral à opposer « Dieu et la Raison »
et qui oublie – par exemple – que les principaux philosophes
« rationalistes » – Descartes, Spinoza, Leibniz…
– étaient théistes. Mais peu importe…
On remarque que Soral s’emploie surtout à donner une
vision assombrie de la révolution française, dont
il minimise les apports humanistes et émancipateurs. Pour
ce faire, il insiste notamment sur deux points :
- Pour lui l’humanisme, les droits de l’homme, ne sont
pas une invention de la révolution française, mais
étaient déjà à l’oeuvre dans «
le catholicisme d’état » - Pour lui la révolution
française n’a pas été souhaitée
par le peuple mais seulement par la fraction bourgeoise du tiers-état
et au final, la révolution a surtout conduit au triomphe
des puissances de l’argent desquelles surgira finalement l’Empire.
Revenons sur ces deux points. Comme le laisse présager son
titre de la page 20 : « LE CATHOLICISME D ‘ÉTAT
OU NOS ANCIENS DROITS DE L’HOMME : TRVE DE DIEU, DÉFENSE
DE LA VEUVE ET DE L’ORPHELIN, GUERRE JUSTE » Soral évoque
: « Cet effort d’adoucissement de la violence intrinsèque
au pouvoir de l’église » qui aurait limité
« les affrontements entre princes chrétiens, s’efforçant
d’orienter leur ferveur guerrière à l’extérieur
de l’espace européen ».
Évidemment il s’abstient de mentionner la croisade
contre les Albigeois, et le mot du légat du pape Arnaud Amaury
devant Béziers en 1209 « Tuez les tous, dieu reconnaîtra
les siens ». Il n’évoque pas davantage le massacre
des « Vaudois » du Luberon ou le massacre de la Saint
Barthélemy, les tortures de l’inquisition ou encore
le jugement qui condamna en 1766 – soit deux décennies
avant la révolution – le chevalier de la Barre à
avoir les poings et la langue coupés avant d’être
décapité et brûlé, pour n’avoir
pas salué une procession religieuse. On pourrait donc soutenir,
en s’appuyant sur des exemples précis, qu’au
contraire de ce que prétend Soral, l’église
catholique a favorisé l’augmentation de la violence
au sein même de l’espace européen, sans même
évoquer le fait qu’elle a contribué à
exporter cette violence sur les autres continents, avec les croisades
puis avec l’anéantissement des civilisations précolombiennes
au nom de la révélation du christ (rappelons par exemple
que c’est l'évêque Diego de Landa qui ordonna
la destruction des codex Mayas en 1562). Mais Soral semble confondre
l’idéologie chrétienne, qui fait effectivement
référence à la non-violence et qui préfigure
en cela l’humanisme laïque, et le pouvoir de l’église
catholique ou du « catholicisme d’état »
qui, comme tout pouvoir, a affirmé son autorité par
une suite d’actes violents. L’idéologie chrétienne
a d’ailleurs pu paradoxalement favoriser l’emprise violente
des dominants en convainquant les dominés de ne pas se rebeller
et de « tendre la joue » à leurs oppresseurs.
Le second point significatif exposé dans le premier chapitre
– la révolution française n’a pas été
voulue par « le peuple » mais seulement par les «
bourgeois » – préfigure un thème qui sera
repris tout au long du livre. Ce thème va au-delà
d’une interprétation de la révolution française
comme une révolution bourgeoise annonçant le triomphe
du capitalisme – interprétation en fin de compte assez
classique et notamment soutenue par la tradition marxiste. Car chez
Soral il s’agit davantage un refus d’accorder une quelconque
volonté révolutionnaire au « peuple »,
à « la masse » et même une quelconque conscience
politique. Soral nous décrit ainsi une paysannerie «
fidèle au roi, soumise à Dieu et en rien révolutionnaire
» (pages 24-25). Pour lui les révolutionnaires sont
les bourgeois, « Une fraction de classe qui n’est plus
du peuple depuis longtemps » (page 25). Soral mésestime
évidemment la portée des jacqueries et des diverses
révoltes populaires avant la révolution française.
A ce sujet, nous renverrons le lecteur curieux au numéro
28 du magazine Offensive Libertaire et à son dossier sur
les révoltes populaires de l’an Mil à 1789 (avec
notamment un beau texte sur les « bêcheux »).
Nous renverrons également au dossier publié sur Infokiosques.net
et intitulé « VAUCANSON OU LE PROTOTYPE DE L’INGENIEUR
» qui traite des premières révoltes des ouvriers
tisserands sous l’ancien régime. Soral ne peut évidemment
ignorer les premières grandes révoltes ouvrières
du 19ième siècle, celles des canuts en France et des
luddites en Angleterre. Mais il veut alors les associer page 37
à un « conservatisme de gauche » ! Pourtant lorsque
les canuts se rendent maîtres de la ville de Lyon en novembre
1831, il paraît plus juste de parler d’une action «
révolutionnaire » que d’une action « conservatrice
».
Mais Soral s’emploie à dépeindre l’image
d’un peuple conservateur, bon catholique qui serait l’anti-thèse
d’une bourgeoisie anti-cléricale et révolutionnaire.
Il s’autorise ainsi une grossière falsification historique,
page 89 lorsqu’à l’appui de cette « thèse
» il évoque la Commune de Paris, martyrisée
par Adolphe Thiers, le représentant, selon lui, de cette
bourgeoisie anti-cléricale honnie ! Pourtant, ce sont bien
les communards, c’est-à-dire selon Soral « le
tiers-état populaire », « le vrai peuple »,
« soumis à Dieu » qui ont exécuté
les otages religieux, dont l’archevêque de Paris Georges
Darboy, durant la Semaine sanglante. Et de leur côté,
les « versaillais » de Thiers se présentaient
comme les défenseurs des valeurs bourgeoises et chrétiennes5.
Remarquons enfin que s’il est légitime de pointer
les limites de la révolution française, une analyse
équilibrée doit également rendre compte de
ses avancés. Certes, les « droits bourgeois »
de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen
ne garantissent pas l’égalité réelle.
Ils constituent cependant une première garantie contre l’arbitraire
du pouvoir, au même titre que d’autres textes –
l'Habeas corpus anglais ou les diverses déclarations des
droits anglaises ou américaines.
Sous « l’ancien régime », dont Soral nous
brosse une description plutôt complaisante, ces garanties
n’existaient pas.
La liberté d’expression, la liberté religieuse
n’étaient pas reconnues. Le pouvoir pouvait sans jugement
emprisonner quiconque, le soumettre à la torture et le faire
disparaître. Si Soral peut aujourd’hui publier son livre
sans être menacé d’emprisonnement, de torture
et de mort, c’est aussi parce que les principes des «
déclarations bourgeoises » sont globalement admis en
France (bien que parfois dangereusement remis en cause, par exemple
lors des 5 Page 154, il évoquera encore un « peuple
finalement peu impliqué » dans les révolutions…
Les fantômes des barricadiers de 1848 et de 1871 apprécieront
!
34 interpellations, des gardes à vue6 et des détentions
provisoires abusives). Et dans d’autres pays du monde, en
Tunisie, en Égypte, en Iran, en Syrie, les peuples –
« toujours soumis » d’après Soral –
se soulèvent en masse non seulement pour leurs droits sociaux,
mais également pour que ces principes soient respectés.
Même si, dès la page 23, Soral avait affirmé
« que jamais changement ne fut désiré par le
peuple », il faut attendre la page 101, pour qu’il nous
fasse réellement comprendre dans quelle estime il tient ce
« peuple » qu’il veut opposer aux bourgeois qui
le manipulent :
Ainsi, et contrairement aux idées reçues, en politique
le plus grand nombre est un handicap, et si tous les pouvoirs se
réclament du peuple, jamais de mémoire d’homme,
aucun pouvoir ne lui échut.
et page 102 :
… il est intéressant de remarquer que de tous temps
sous tous les régimes : Égypte pharaonique, démocratie
grecque, brahmanisme hindou, monarchie catholique…
6 Lire à ce sujet le témoignage des militants du
Cercle Culturel Libertaire sur les agissements de la police lilloise.
une oligarchie d’à peine 1% de la population a toujours
commandé à la masse des 99% restants ; comme une meute
de loup dominant un troupeau de moutons.
Évidemment, lorsque Soral emploie l’expression «
de tous temps », il oublie les sociétés primitives
qu’il plaçait à la base de sa réflexion
du chapitre 2. Il laisse de côté les sociétés
« sans état », celles-là même qui
ont été décrites par dans le livre «
La société contre l’état », par
l’anthropologue Pierre Clastres dont Soral ose évoquer
le nom page 40.
Soral ne veut pas non plus prendre en compte les moments de notre
modernité ou suite à une révolte contre le
pouvoir, « le peuple » a – au moins partiellement
et provisoirement – reconquis son autonomie et sa liberté
: ouvriers et paysans ukrainiens de la Makhnovchtchina, ouvriers
de la ville de Kronstadt, ouvriers et paysans espagnols en 1936,
ou plus récemment jeunesse tunisienne de la « révolution
dégage » en 2011… Ou bien, lorsque Soral évoque
rapidement quelques-unes de ces expériences, page 98 par
exemple, dans un paragraphe plutôt confus intitulé
« Prolétariat contre aristocratie ouvrière »,
c’est, non pas pour présenter leur contenu positif,
mais pour montrer comment elles ont été combattues
par « des professionnels du socialisme, souvent cosmopolites,
rarement issus du prolétariat » qui auraient «
en partie » imposé « une lutte classe contre
classe » dont « le résultat pratique »
aurait été « de maintenir le monde ouvrier dans
le cadre bourgeois du salariat et d’entraîner «
travail à la chaîne, taylorisme, fordisme » !
Dans cette réécriture assez délirante de l’histoire,
les cadences infernales semblent imposées non pas par les
capitalistes mais par les « professionnels du socialisme »
! Le procédé est comparable à celui qui consisterait
à prétendre, par exemple, « qu’à
cause de Freud, les garçons sont amoureux de leur mère
». Page suivante, on apprendra que ces « leaders socialistes
– intellectuels et syndicalistes » ont forgé
le clivage entre la gauche et la droite politique et qu’ils
sont « passés peu à peu, au cours de la seconde
moitié du XIXe siècle, sous la domination exclusive
de la gauche révolutionnaire marxiste internationaliste (ancêtre
du PC) et de la gauche réformiste maçonnique (ancêtre
du PS). » On notera au passage que Soral s’obstine à
faire du parti socialiste français un parti de francs-maçons
alors que ses trois plus importantes figures historiques –
Jean Jaurès, Léon Blum et François Mitterrand
– ne l’ont jamais été.
Mais là n’est pas le plus important. L’essentiel
est de comprendre la manipulation de Soral qui, partant du fait
que les révolutions et les révoltes authentiques sont
le plus souvent trahies ou récupérées, veut
faire des traîtres et des 37 récupérateurs les
seuls révolutionnaires et du peuple insurgé une victime,
entraînée malgré elle dans la lutte des classes
! Il est vrai que Soral nous avait déjà averti que,
ce peuple, comparable à « un troupeau de moutons »,
dominé par « une meute de loups », « jamais
de mémoire d’homme, aucun pouvoir ne lui échut.
» En somme pour Soral, il n’est de révolution
que bourgeoise !
Mais la révolution n’est pas le monopole de la bourgeoisie.
Elle est la contestation de l’ordre existant quel qu’il
soit. Si l’on admet que la bourgeoisie, lorsqu’elle
s’oppose à l’ancien régime est révolutionnaire,
il faut bien admettre que le « prolétariat »,
lorsqu’il s’oppose au nouvel ordre bourgeois poursuit
lui aussi sa propre révolution, sans être obligatoirement
manipulé par des « professionnels du socialisme »
issus de la bourgeoisie… Mais Soral se méfie du «
prolétariat », « sorti de la tête de l’intellectuel
» page 122 ou « fantasmé et manipulé par
les abstractions d’agitateurs cosmopolites » page 124.
Même s’il consent à employer le terme, il lui
préfère le mot peuple, ce peuple qualifié de
« toujours patriote » de « fidèle à
sa nation face à la trahison de ces élites cosmopolites
» page 125, car comme l’indique le titre de cette même
page « Il n’y a d’international que le capital
».
On remarquera cependant que le « peuple » de Soral
n’est pas moins « fantasmé » que le prolétariat
de Georg Lukas. Ainsi lorsque Soral évoque page 118 :
La solidarité ethno-culturelle, celle par exemple de tous
les sujets de sa majesté dans le royaume de France, primant,
en dernière instance et malgré les tensions, sur les
antagonismes de classes comme sur la solidarité de classe.
,il oublie de préciser que cette « solidarité
» a été acquise par la force et encore, assez
tardivement. Ce que l’on considère aujourd’hui
comme la France était divisée entre l’Occitanie,
la civilisation « provençale », et les régions
de langue d’oïl. La croisade contre les Albigeois, au-delà
de son caractère religieux, révèle d’ailleurs
pour partie cette fracture. La lutte entre le duché de Bretagne
et le royaume de France n’a cessé qu’avec le
mariage d’Anne de Bretagne en 1491. La révolte des
chouans et la création de l’Association bretonne en
17917,
7 D’après Wikipédia : « L’Association
bretonne est fondée par Armand Tuffin de La Rouërie,
royaliste libéral et franc-maçon, héros de
la Guerre d'indépendance des États-Unis. La Rouërie
rallia la contre-révolution suite à la suppression
des lois et coutumes particulières de la Bretagne.
Le but de cette organisation était le retour des libertés
bretonnes ainsi que le maintien de la monarchie. »
dans lesquels Soral ne veut voir page 19 qu’une volonté
conservatrice, sont aussi la marque d’un refus de l’assimilation
française. De même la Franche-Comté n’est
devenue française qu’en 1678 et la Savoie en 1860.
Et les paysans de ces deux régions – catholique ou
protestants – furent pareillement massacrés en masse
par les troupes du bon roi « soleil » Louis XIV, qui,
à cette occasion mit à mal « la solidarité
ethnoculturelle » évoquée par Soral.
La notion de « peuple » – français ou
autre – peut paraître aussi artificielle que celle de
« prolétariat ». Et si l’on veut prétendre
que le « peuple est toujours patriote », il faut aussi
reconnaître que ce sont les mensonges nationalistes qui l’ont
conduit à mourir en masse à Verdun ou ailleurs, pour
le bénéfice des marchands de canons « cosmopolites
».
Le prolétariat est quant à lui classiquement défini
comme la classe qui n’a que sa force de travail à louer
pour survivre. Mais il est aussi et surtout la classe qui prend
conscience de cet état de fait (aujourd’hui nous définirions
plus largement le prolétariat comme tous les êtres
humains qui ont conscience de l’état essentiel de dépossession
auquel les soumet la dictature marchande8). Le peuple au contraire
ignore sa servitude, il est 8 Voir sur Esprit68 « Réflexion
sur les perspectives ouvertes par une contestation organisée
à l’occasion des sommets du G8/G20 de 2011 en la masse
inconscience, manipulable, soumis aux mensonges nationalistes propagés
par ses maîtres, et comme dit Soral « jamais de mémoire
d’homme, aucun pouvoir ne lui échut ». Et de
fait, lorsque le peuple s’oppose à ses maîtres
et reconquière les moyens de mener librement sa vie, il devient
le prolétariat… naturellement internationaliste ! Car
puisqu’ « Il n’y a d’international que le
capital » ce n’est qu’uni internationalement que
le peuple devenu prolétariat pourra triompher du capital.
La dernière phrase de Marx et Engels dans Le Manifeste du
parti communiste rend compte de cette évidence : «
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ».
Pour Soral, lorsque le peuple devient révolutionnaire, c’est
qu’il est manipulé par des leaders cosmopolites, mais
lorsqu’il succombe aux illusions nationalistes, au mythe des
« ancêtres gaulois » par exemple, cela serait
la marque de sa nature profonde… qui est pourtant bien difficile
à déterminer si l’on en juge par la manière
dont il se recompose en fonction des soubresauts de l’histoire.
Mais pour être tout à fait juste, le peuple de Soral
n’est pas seulement défini par sa solidarité
« ethno-culturelle », car page 124, on doit le définir
encore :
France », Extension/précision 1 : La notion de prolétariat
aujourd’hui pour une discussion plus détaillée.
…face à l’exploitation et au parasitisme des
classes supérieures – noblesse puis bourgeoisie à
l’intérieur du Tiers-États – comme le
monde du travail et de la production ; soit cette classe des laboratores
assumant et assurant – selon la terminologie freudienne –
le « principe de réalité » : paysans,
artisans, commerçants, ouvriers, petits entrepreneurs…
auxquels, il faut agréger encore les petits fonctionnaires
utiles et les artistes exprimant cette sensibilité.
Peuple que l’on peut définir aussi en termes de classes,
comme l’addition du prolétariat et de la classe moyenne.
Soral s’emploie donc à célébrer «
le peuple du travail », comme le suggère le slogan
même de son mouvement « égalité et réconciliation
», qui entend réunir « la droite des valeurs
» et « la gauche du travail ».
Nous reviendrons un peu plus loin sur « l’alliance
du travail » qu’il aimerait voir se nouer entre le «
prolétariat » et la « classe moyenne »
(en fait les petits patrons) et qui joue sur l’ambivalence
du mot « travail ». Soral utilisera d’une manière
particulièrement malhonnête cette ambivalence page
222, lorsqu’il voudra faire croire qu’un patron de PME
est « du côté du travail » avec ses ouvriers
contre l’actionnaire du MEDEF, le gauchiste oisif et le Rmiste,
qui eux seraient donc, selon son étrange distribution, «
du côté du Capital ». Evidemment, le travail
des ouvriers, rémunéré par un salaire, ne peut
être comparé au « travail » du patron (ou
plus exactement aux droits que lui confèrent la propriété
de son entreprise) rémunéré par le bénéfice.
Les premiers ont intérêt à ce que leurs salaires
augmentent, à l’inverse du patron – petit ou
grand – qui souhaitera maximiser son profit et minimiser ses
charges salariales. La malhonnêteté de Soral, atteint
ici de nouveaux sommets.
Plus généralement Soral oublie de souligner que dans
nos sociétés marchandes, le travail est majoritairement
un travail salarié, soumis à l’extorsion de
la plus value. Son utilité sociale n’est par ailleurs
pas garantie, puisqu’il sert d’abord à générer
des profits. Et ainsi, à notre époque, des millions
de « travailleurs » ne peuvent subvenir à leurs
besoins qu’à l’issue de transports épuisants,
en employant la plus grande partie de leur vie à produire
des biens et des services inutiles, destructeurs et polluants. En
France comme ailleurs, les travailleurs de l’armement produisent
les biens qui serviront à tuer et à détruire,
les travailleurs de l’industrie automobile produisent les
biens qui serviront à gaspiller nos ressources et à
nous étouffer, les travailleurs des industries nucléaire,
chimique et agroalimentaire s’emploient à fabriquer
nos futurs cancers, qui seront peut-être soignés par
les produits de l’industrie pharmaceutique, et toute cette
production devra encore être imposée par l’industrie
de la publicité dont on regrettera la
délocalisation, en pensant qu’il vaut mieux se faire
harceler au téléphone par des travailleurs nationaux.
Dans le même temps, des besoins essentiels ne seront pas couverts
dans le domaine du logement, des infrastructures, de l’accès
aux soins, de l’enseignement, en France et plus encore dans
d’autres pays.
Car ce « peuple du travail » vanté par Soral,
pour qui travaille-til majoritairement ? Pour le marché mondialisé,
pour le capitalisme ! Finalement, le travail, la production, l’économie,
la croissance, nourrissent principalement… l’Empire.
En tant que « travailleurs » comme en tant que «
patriotes », les membres du « peuple du travail »
garantissent la pérennité de l’Empire tout autant
que les classes supérieures « parasites ».
Ainsi, les illusions imposées par la classe dominante, au
premier rang desquelles se dressent le nationalisme et le travail,
sont pour Soral l’horizon indépassable du peuple.
Mais finalement, ce peuple, qu’a-t-il à perdre avec
l’Empire ? Soral n’énumère pas précisément
les raisons que nous avons de combattre l’Empire, mais il
écrit page 114 :
Un Empire travaillant au Nouvel ordre mondial, soit à l’abolition
de la démocratie et au pouvoir bancaire intégral –
forme achevée du Capital – sur le dos du travail, des
nations et des peuples…
Soral est ici presque comique. Il vient de nous expliquer «
… que de tous temps, sous tous les régimes …
une oligarchie d’à peine 1% de la population a toujours
commandé à la masse des 99% restants ; comme une meute
de loups dominants un troupeau de moutons. » qu’au peuple
« jamais de mémoire d’homme, aucun pouvoir ne
lui échut. », et il nous parle de « l’abolition
de la démocratie »… qui selon lui n’a jamais
existé9 !
Dès lors, que le pouvoir revienne à la Banque, à
l’impérialisme américain ou chinois, ou même
aux différentes oligarchies nationales, en quoi cela peut-il
bien importer au « peuple » ? 9 Soral critiquera plus
précisément la « démocratie parlementaire
et de marché » à partir des pages 147-148. Cette
critique, parfois juste, se disqualifie par ses amalgames et ses
simplifications conspirationnistes comme lorsque Soral dénonce
la « Démocratie parlementaire où une assemblée
de professionnels de la politique, formés et encadrés
par la maçonnerie, stipendiés ou tenu en respect par
l’Argent, joue devant le peuple le spectacle du débat
démocratique ». Quoi qu’il en soit Soral s’emploie
à dénoncer une illusion démocratique qui semble
pré-exister à l’Empire, mais qui en tout cas
n’est pas incompatible avec lui puisqu’il affirme page
148 : « …qui fait de la démocratie, à
y regarder de plus près, le régime politique le plus
à même de permettre la domination de l’argent…
» On peut donc douter que l’Empire travaille «
à l’abolition de la démocratie ». Mais
Soral n’en est plus à une contradiction près…
En fait, Soral n’a jamais tenté d’analyser en
quoi l’Empire était concrètement nuisible pour
le plus grand nombre et comment il était possible d’obtenir
une amélioration généralisée et durable
des conditions d’existence. C’est évidemment
par là qu’il aurait fallu commencer, plutôt que
de s’aventurer à déterminer ce que sont véritablement
le peuple et le prolétariat et ce que furent les rôles
de l’église, de la bourgeoisie ou de la noblesse d’ancien
régime.
C’est ce travail de clarification des buts à atteindre
que nous avons tenté sur ce site à l’occasion
de l’opposition concrète à ce que nous considérons
comme l’une des manifestations de l’Empire, à
savoir la tenue des sommets du G8 et du G20. Dans ce texte, nous
avancions notamment :
L’amélioration généralisée des
conditions d’existences impose au contraire d’unifier
les luttes menées sur tous les continents, dans une contestation
des dictats de l’économie capitaliste mondialisée,
puisque c’est cette économie qui est aujourd’hui
à l’origine :
- de la mauvaise couverture des besoins les plus fondamentaux pour
une part très importante de la population mondiale, - du
saccage écologique et du pillage des ressources, - de la
destruction généralisée des services publics,
- de l’augmentation de la durée et de la pénibilité
du travail, du recul des droits sociaux, - de l’accroissement
des inégalités entre les êtres humains, aboutissant,
d’une part, à des concentrations irrationnelles et
dangereuses de richesses et de pouvoirs, d’autre part à
la frustration, au désespoir, et à la colère
de la masse des plus déshérités, enfin à
la violence qui s’ensuit et à la généralisation
des contraintes sécuritaires indispensables à la sauvegarde
de cet ordre inégalitaire.
La turlutte des classes selon Soral
Considérant que les accès révolutionnaires
sont causés par de méchants agitateurs qui trompent
le peuple, Soral va présenter une conception plutôt
ambiguë et même contradictoire de la lutte des classes.
Tantôt il fera mine de regretter l’abandon de cette
lutte par une gauche corrompue qui ne se consacre plus qu’à
la défense des minorités et à la défense
du pouvoir d’achat et tantôt il en appellera à
une réconciliation nationale entre les classes.
Dans une manifestation spectaculaire de mauvaise foi, Soral, à
l’appui de sa thèse, revient page 127 sur l’opposition
entre :
- d’un côté, le socialisme libertaire des Bakounine
et Proudhon - de l’autre le socialisme dit « scientifique
» du tandem Marx – Engels.
Et il semble vouloir faire des deux premiers, des amis «
du vrai peuple » prônant page 130, « une société
de petits patrons, petits propriétaires », opposés
page 133 aux :
Révolutionnaires professionnels le plus souvent issus de
la bourgeoisie cosmopolite : agitateurs stipendiés,
dialecticiens fumeux mettant en scène un sois-disant combat
unitaire du travailleur contre le bourgeois, où le grand
bourgeois spéculateur apatride et petit bourgeois entrepreneur
enraciné sont systématiquement confondus.
Mais Soral oublie de préciser que Bakounine et Marx étaient
tous deux membres de la première Internationale et que ce
qui les oppose, ce n’est pas le fait que l’un était
le partisan d’un peuple patriote, et que l’autre était
un bourgeois juif cosmopolite, mais que l’un était
« libertaire » – c’est-à-dire partisan
de l’abolition de l’état – et l’autre
« autoritaire » – c’està- dire, dans
ce contexte, partisan de la conquête – au moins provisoire
– de l’état par le prolétariat. Bakounine
peut lui aussi être considéré comme un «
révolutionnaire professionnel » et son courant au sein
de la première internationale, sous l’influence de
la « section jurassienne » a évolué vers
le « communisme libertaire » qui ne prône absolument
pas une société « de petits patrons et de petits
propriétaires », mais plutôt l’abolition
de la propriété privée et de l’état.
Pour dissiper les confusions que les élucubrations de la
page 133 entretiennent sur les « trotskistes », on peut
rappeler qu’après la division au sein de la première
Internationale entre le courant « libertaire » et le
courant « autoritaire », c’est-à-dire entre
la tendance bakouninienne et la tendance marxiste, le mouvement
communiste a connu une nouvelle division au sein de la tendance
« autoritaire » alors exprimée dans le léninisme,
entre la tendance « bureaucratique », incarnée
par Staline et favorable à la construction du socialisme
dans un seul pays, et la tendance incarnée par Trotski, favorable
à la révolution permanente et mondiale.
Les trotskistes n’ont évidemment rien à voir
avec le « libéralisme-libertaire » de la page
134. Cette notion, forgée à l’origine par le
sociologue marxiste Michel Clouscard est le résultat d’une
manipulation confusionniste plus ancienne de Soral10, comme on l’explique
sur Wikipédia ; elle est en tous les cas incompatible avec
l’austérité le plus souvent affichée
des militants trotskistes. Mais dans le contexte de la page 134,
Soral fait peut-être référence au courant «
libertarien » qu’il veut rapprocher des « néo-conservateurs
» américains. Bref, il nous compose là une bien
indigeste salade.
10 Soral évoquera à plusieurs reprises dans son livre,
ce « libéralismelibertaire », en s’efforçant
de faire croire que cette notion qu’il a lui-même détournée
renverrait à autre chose que ses délires confusionnistes.
Par exemple page 223 le « fameux libéralisme-libertaire
», qui n’est « fameux » que pour Alain Soral,
ou page 197, cette chimère qui serait « ouvertement
revendiquée, depuis les années 1990, par l’agent
impérial multicartes Cohn-Bendit. »
Soral insiste plusieurs fois11 sur « l’alliance du
travail » (page 135) qui doit selon lui se nouer entre «
le prolétariat » (même si l’on ne sait
plus ce qu’il entend précisément par là)
et la classe moyenne, « constituée, elle, des artisans,
commerçants et petits patrons… » (page 136).
Soral emploie l’expression « classe moyenne »
dans un sens inhabituel, puisqu’il désigne principalement
par là les petits entrepreneurs et non pas les « employés
», ce qui trouble la compréhension de son exposé.
Ce type d’alliance entre la classe ouvrière et la
classe moyenne – qui au sens où l’entend Soral
tend plutôt vers la petite bourgeoisie – est traditionnellement
recherchée par le fascisme12. Dans le contexte d’une
sociale démocratie marchande « à la française
», elle est pourtant à bien des égards «
contre-nature » puisque ces deux « classes » nourrissent
des intérêts contradictoires, notamment dans leur rapport
à l’état. Les petits patrons, les artisans,
les commerçants, seront naturellement incités à
réclamer une diminution des prélèvements fiscaux
et sociaux qui alimentent les diverses prestations sociales, alors
que les ouvriers
11 Page 124, page 130 et pages 135 et suivantes.
12 On trouve des éléments intéressants à
ce sujet dans l’article de wikipédia consacré
au fascisme.
réclameront au contraire une extension et une augmentation
de ces prestations pour favoriser une meilleure redistribution sociale.
Les salariés dans leur ensemble seront plutôt favorables
à un encadrement du droit du travail et les petits entrepreneurs
à sa libéralisation.
Enfin, les « petits patrons », les artisans et les
commerçants, seront presque toujours opposés aux moyens
de la lutte ouvrière, aux grèves et aux blocages qui
entravent leur activité.
L’alliance préconisée par Soral, ne peut donc
être qu’artificiellement scellée dans les urnes,
dans l’adhésion à un candidat populiste qui
trompera l’une des deux parties, ou plus vraisemblablement
les deux13.
13 On a vu plus haut comment Soral, pour vanter son « alliance
du travail », suggérerait page 222 qu’un patron
de PME est du côté du «Travail » avec ses
ouvriers, contre l’actionnaire du MEDEF, le gauchiste oisif
et le Rmiste, ces derniers étant, toujours selon Soral, du
côté du « Capital ». Comme nous l’avons
souligné, le travail des ouvriers, rémunéré
par un salaire, ne peut être comparé au « travail
» du patron (ou plus exactement aux droits que lui donnent
la propriété de son entreprise) rémunéré
par le bénéfice. Les premiers ont intérêt
à ce que leurs salaires augmentent, à l’inverse
du patron – petit ou grand – qui souhaitera maximiser
son profit et minimiser ses charges. Les antagonismes de classe
sont à cet égard bien réels.
Tout n’est pas faux dans les analyses du chapitre 4 qui
traitent « DES CLASSES ET DES LUTTES », comme par exemple
les remarques des pages 130 et 131 sur la parenté entre le
capitalisme occidental productiviste et le collectivisme d’état
soviétique ou, page 135, sur la transformation des forces
de gauche et la malheureuse évolution des revendications
vers « un combat pour le pouvoir d’achat ». Mais,
sans même tenir compte des catégories trop ambiguës
employées par Soral, ces quelques analyses acceptables perdent
tout leur sens dans la perspective de l’impossible «
alliance du travail » entre le prolétariat et la «
classe moyenne » des petits entrepreneurs.
L’illusion d’une possible alliance, ou plutôt
d’une possible pacification entre les classes sociales, par
une hausse généralisée des standards de vie,
a certes été entretenue pendant « les 30 glorieuses
», durant ce que Soral nomme page 176 « LE CONSENSUS
LIBÉRAL-SOCIAL D’APRÈS GUERRE ISSU DU CONSEIL
NATIONAL DE LA RÉSISTANCE (1945-1973) » et qui est
tout simplement le consensus social-démocrate. Mais il ne
faut pas oublier que l’efficacité de ce consensus reposait
sur la position dominante de la France dans le monde et sur son
exploitation coloniale ou néo-coloniale qui fournissait les
matières premières à bas prix.
Lorsque de nouveaux états capitalistes ont voulu conquérir
leurs propres marchés et lorsque les firmes utilisées
pour exploiter le tiers-monde ont pris leur autonomie, le compromis
social-démocrate est devenu de moins en moins tenable. Ainsi,
la destruction de la classe moyenne (rappelons que Soral désigne
principalement par cette expression la classe des petits entrepreneurs)
décrite page 142 comme « un projet impérial
», n’est qu’une des conséquences de la
tendance naturelle à la concentration du capital dans la
société marchande.
Soral ou la haine des contre-pouvoirs
Puisque que Soral considère le peuple est toujours soumis
à l’ordre établi et que le pouvoir échoit
toujours à d’autres que lui, il est logique qu’il
insiste dans son chapitre 3, page 75, sur « LES IDÉES,
LES GRANDS HOMMES, LES RÉSEAUX », censés guider
ou influencer ce peuple.
Il débute son analyse par de nouvelles allusions, anachroniques
et confuses aux « sociétés primitives »,
attribue au « chamanisme » des notions de « Loi
» ou de « monothéisme » qui lui sont totalement
étrangères, puis évoque au pas de course les
sociétés indo-européennes et la démocratie
grecque pour parvenir quelques pages plus tard au libéralisme
bourgeois. Le lecteur, étourdi par ces révélations
virtuoses sur la destiné de l’humanité, se voit
alors asséner quelques nouvelles pensées profondes
sur les idées – libéralisme, socialisme, fascisme,
droite et gauche – qui, peutêtre, mènent le monde,
élucubrations dont il serait fastidieux de détailler
toutes les contradictions et toutes les absurdités. Soral
en vient enfin aux « grands hommes », qui avec la constitution
de l’Empire, ne sont plus des combattants de l’idée
ou des combattants militaires comme Robespierre ou Napoléon,
mais sont en passe de devenir de simples employés de banque.
Peu importe pourrait-on dire puisque Soral nous apprend que le grand
homme n’est rien sans son réseau. Soral se lance alors
dans un exposé assez comique dans lequel il semble découvrir
que l’action humaine s’effectue au sein d’un réseau
de relations sociales, ce qui a pratiquement autant d’intérêt
que de prétendre que la natation se pratique en milieu aquatique.
Au final, Soral veut nous faire comprendre que les nouveaux réseaux
marchands ont remplacé les réseaux de l’ancien
régime et que ce n’est pas bien, car comme on l’a
vu plus haut, ces réseaux sont « la structure combattante
» de l’Empire. Mais Soral n’en vient pas encore
à la franc-maçonnerie et autre groupe Bilderberg,
chers aux conspirationnistes, il veut auparavant attirer notre attention
sur les lobbies et les communautés dont il parle en termes
peu flatteurs. Ainsi page 100 :
…la légitime revendication de non-persécution
s’est muée en agressivité anti-hétérosexuelle
et anti-famille, sous forme d’un « lobby gay »
Pages 160 et 161, il critiquera non seulement l’anti-racisme,
mais aussi l’anti-fascisme, accusés – on ne sait
pas trop pourquoi, peut-être parce qu’ils dénoncent
les mensonges nationalistes ? – de faire le jeu du mondialisme
marchand, assimilé pour cette occasion à l’Empire.
Page 159, il parlera de « l’imbécillité
féministe ». Page 188, dans la même veine, il
vilipendera pêle-mêle « le jeunisme, le féminisme,
la "rigueur économique", le métissage et
l’antiracisme » qui auraient « travaillé
au corps » le peuple, pour le faire « renoncer à
la France » et adhérer au traité de Maastricht
(Soral n’envisage pas, par exemple, que des féministes
aient pu faire campagne contre le traité de Maastricht et
qu’elles se soient opposées à la rigueur économique).
Page 164, il dénoncera les « cassages de gueules par
les milices communautaires couvertes par l’État »
(lesquelles ?) et évoquera dans ce même paragraphe
les morts selon lui suspectes de Coluche et de Bérégovoy,
suggérant un lien avec la violence physique inhérente
à la prétendue démocratie et notamment mise
en oeuvre par les communautés (mais sont ce les mêmes
féministes-gays-anti-racistes qui ont assassiné et
l’humoriste et l’ancien premier ministre ?). Il nous
semble pourtant qu’en matière d’agressivité
et de violence physique, les ratonnades d’homosexuels par
des hétéros auto-proclamés, sont plus fréquentes
que les ratonnades d’hétéros organisées
par des militants homos.
Le lien de ces minorités organisées en groupe de
pression, avec le pouvoir de l’Empire ne paraît pourtant
pas évidemment.
D’autant que de nombreux groupements féministes et
anti57 racistes se déclarent également ouvertement
anti-capitaliste14.
Quant aux minorités organisées qui ne se déclarent
pas anticapitaliste, il est hasardeux de les comparer aux réseaux
qui sont censés, selon Soral, organiser le pouvoir bancaire
et le pouvoir politique. Dès lors, l’argumentation
de Soral paraît incompréhensible, sauf si l’on
admet que ses tendances réactionnaires lui rendent odieux
tout contre-pouvoir, et insupportable toute contestation de la norme
sociale, et de la figure de l’homme blanc, hétéro-sexuel,
comme seul détenteur de l’autorité. Cette explication
paraît assez plausible si l’on veut rendre compte de
l’incroyable manipulation à laquelle se livre Soral
page 101. Avec le premier paragraphe déjà cité
plus haut :
Ainsi, et contrairement aux idées reçues, en politique
le plus grand nombre est un handicap, et si tous les pouvoirs se
réclament du peuple, jamais de mémoire d’homme,
aucun pouvoir ne lui échut.
Et son complément :
Implacable constat, dont il découle que les organisations
autoproclamées prétendant défendre les minorités
contre
14 Contrairement à ce que sous-entend Soral, le féminisme
ne se réduit pas à Caroline Fourest et l’anti-racisme
à Harlem-Désir.
l’oppression de la majorité abstraite – en
réalité impuissante et inexistante – ne sont
que des officines émanant de minorités agissantes
travaillant, elles, à la domination.
Le raisonnement de Soral semble le suivant :
1) Le peuple n’a jamais eu le pouvoir. Ceux qui possèdent
le pouvoir se réclament du peuple, mais ne le représente
pas vraiment.
2) Changeons le mot peuple par le mot majorité. Puisque
le peuple n’a pas le pouvoir, c’est donc que la majorité
n’a pas le pouvoir.
3) Puisque la majorité n’a pas le pouvoir, c’est
donc que le pouvoir revient à ceux qui prétendent
défendre les minorités.
4) Ceux qui ont confisqué le pouvoir du peuple sont donc
ceux qui prétendent défendre les minorités.
5) Ceux qui prétendent défendre les minorités
confisquent donc le pouvoir au peuple.
On remarquera qu’un nouveau sophisme est nécessaire
à chaque étape de cette « démonstration
» et qui tend potentiellement à transformer en oppresseur
toute minorité opprimée. En suivant ce "raisonnement",
on pourrait facilement démontrer que les Tibétains
persécutés oppriment le peuple chinois, et on pourrait
prouver plus facilement encore, que les enfants de Gazas sont les
tyrans du peuple israélien. Face à ces absurdités
il faut simplement rappeler que ce n’est pas en tant qu’ils
sont juifs ou noirs ou féministes ou homosexuels, que les
puissants actuellement nous dominent, mais en tant qu’ils
sont capitalistes et plus généralement en tant qu’ils
se sont indûment accaparés des richesses et des pouvoirs.
Enfin, page 202 Soral parachève sa « démonstration
» en faisant mine d’opposer le droit des minorités
aux droits sociaux :
C’est encore au nom des « droits de l’homme »
qu’on détruit, à l’intérieur des
Nations et des peuples, les solidarités sociales traditionnelles
en substituant aux acquis sociaux, notamment ceux des ouvriers et
des classes moyennes, les droits sociétaux des pseudominorités
opprimées, en réalité minorités agissantes
:
droits des féministes, droits des gays, droits des jeunes
ou des blacks (word culture)… Comme s’il fallait choisir
entre les deux ! Comme si la sauvegarde des acquis sociaux impliquait
le racisme, l’homophobie ou l’asservissement des femmes
!
60 Nous passerons enfin très rapidement sur l’analyse
frauduleuse que Soral fait du mouvement de mai 68, qu’il accuse
d’être « au service de l’Empire15 »
(page 177 et suivantes). Page 178, il nous explique un peu confusément
que mai 68 a été organisé (par les américains
?) pour déstabiliser de Gaulle qui s’opposait à
l’Empire (nous reviendrons plus tard sur la façon dont
Soral conçoit cette « opposition »). Mais tout
au long du livre, mai 68 est plutôt présenté
comme ayant contribué à la « destruction du
sens moral » (page 168) à la disqualification de cette
« droite des valeurs » tenue par Soral en si haute estime,
qui auparavant assurait la cohésion nationale, et comme ayant
ouvert la voie à « la culture anglo-américaine
» (page 179) et aux dérives consuméristes. Soral
confond évidemment le mouvement de libération des
moeurs et d’émancipations sexuelle, culturelle et sociale,
dont on ne peut que se réjouir, et la récupération
commerciale qui a pu en être faite. En dénonçant
cette dernière Soral tente de justifier son discours réactionnaire
sur les pds, les féministes, les anti-racistes, et en
15 Nous avons vu que Soral définissait initialement l’Empire
comme « une vision » et « un processus »
s’appuyant sur « des réseaux », mais qu’il
l’associait simplement parfois à l’ « empire
américain ». Ici, il semble nous dire « L’Empire
c’est tout ce qui suit mai 68 » après nous avoir
suggéré que c’est aussi « le pouvoir donné
aux homos, aux nanas, aux jeunes aux blacks et aux beurres »…
appeler à la restauration de l’ordre moral. Pourtant,
Soral, auteur d’une Sociologie du dragueur, qui cultive l’image
d’un jouisseur aristocratique, semble lui-même plus
proche des pulsions hédonistes soixante-huitardes que de
la morale rigoriste.
Soral n’a pas fait sauter la banque
En revenant sur le chapitre 2 « DIEU, LA RAISON ET LA BANQUE
», nous touchons à la petite portion de vérité
présente dans l’analyse de Soral, qui ne saurait cependant
justifier les absurdités plus générales de
sa fausse-critique.
On y trouve une dénonciation du pouvoir bancaire et du mécanisme
de création monétaire. Ce type de critique a déjà
été menée par d’autres, d’une manière
plus claire et plus détaillée, notamment par Claude
Grignon dans ses films sur « l’Argent dette »,
à voir sur Esprit68, et par les films du mouvement Zeitgeist
sur lesquels nous reviendrons dans la suite de cette série
consacré aux avatars de la fausse-critique.
La dénonciation de « l’Argent-dette »,
et de l’autonomie du pouvoir bancaire vis-à-vis du
pouvoir politique est souvent l’apanage de la fausse critique
ou de la critique partielle « de bonne foi » qui s’arrête
aux problèmes monétaires, sans prendre en compte les
autres composantes du capitalisme et les autres aspects de la domination,
dans une société qui est à la fois marchande,
spectaculaire, technologique et industrielle.
Cette critique est nécessaire, mais la manière dont
elle est le plus souvent menée, peut laisser croire que si
le processus de création monétaire était plus
transparent et mieux contrôlé, alors tous les défauts
du capitalisme seraient anéantis.
Soral ne dépasse pas le cadre de cette critique partielle,
dont il offre en outre une médiocre et peu crédible
version, puisqu’il pollue son exposé par ses digressions
historiques arbitraires et par ses invectives. Ainsi, pour nous
expliquer la banque à sa façon, Soral, page 40, effectue
un détour de quelques lignes sur les sociétés
primitives (la France de la Révolution ne semble plus l’intéresser),
au cours duquel il jette en pâture les noms de Marcel Mauss
et de Pierre Clastres, avant d’opposer les valeurs de l’argent
à celle de la noblesse et de l’église.
Après s’être livré à de confuses
et laborieuses explications sur les liens complexes entre les pouvoirs
de la noblesse, de l’église et de la bourgeoisie, Soral
explique comment le pouvoir bancaire s’est peu à peu
émancipé du contrôle des états. Son exagération
du pouvoir bancaire occulte confine au ridicule, lorsqu’il
affirme à la page 67 :
C’est cette même opposition à la Banque qui vaudra
aussi, sans doute, au général de Gaulle son éviction
du pouvoir en 1969. Lui qui, voyant le coup de 1971 venir, avait
pris la tête des non-alignés pour exiger de l’Amérique
qu’elle rembourse en or, comme les accords internationaux
le prévoyaient encore, leurs stocks de dollars.
On sait pourtant que De Gaulle a quitté le pouvoir suite
à l’échec du référendum dont il
était lui-même l’instigateur…
Le même ridicule entache le travail de réécriture
du sens de l’histoire, engagé par Soral avec un manque
de rigueur et d’à propos consternant, comme lorsque,
sans crier gare, à compter de la page 67, il compare la chrétienté
et le régime soviétique16, et que, page 69, il veut
faire du communisme un avatar de l’idéologie judéo-chrétienne
(Soral oublie alors le « communisme primitif » évoqué
lors de ces précédents détours dans les sociétés
« primitives », qui n’a évidemment rien
de judéo-chrétien). Plus loin, il voudra montrer comment
la Banque, avec un grand « B » a tué «
Dieu » avec un grand « D » (« La Banque
m’a tuER » semble s’écrier Soral !).
Toutes ces absurdités, ces simplifications abusives et ces
idéalisations naïves, dissimulent la faiblesse de l’analyse.
Ainsi 16 Soral ose même évoquer la « finalité
chrétienne du communisme » !
Et pourquoi pas l’inverse, puisque le « communisme primitif
» est bien antérieur à la chrétienté
? En fait, comme d’habitude, Soral confond tout, et en l’occurrence
le communisme (ou le christianisme) en tant qu’idéologie,
en tant que parti ou institution et enfin en tant que pratique.
Des apparatchiks peuvent ainsi se prétendre communistes
sans pratiquer le communisme, puisqu’ils concentrent les richesses
et les pouvoirs, des moines peuvent pratiquer le communisme, sans
se revendiquer communistes, ce qui pourrait s’apparenter au
reniement de leur foi, des kibboutzim peuvent enfin se revendiquer
de l’idéologie communiste tout en pratiquant le communisme,
sans pour autant être membre du parti communiste d’Union
Soviétique.
page 60, Soral évoque « les seuls intérêts
perçus par la FED », qui s’élèvent
annuellement « à 2500 milliards de dollars »,
« Soit 50 fois la fortune de Bill Gates » et qui constitueraient
selon lui :
Une super fortune que se partage le cartel des douze banquiers internationaux
cachés derrière la FED, sui laisse loin derrière
tous les autres compétiteurs, Sultan du Bahreïn, Reine
d’Angleterre… ce que se garde bien de révéler
le magazine Forbes !
Soral oublie de préciser que les milliards de la FED ne «
profitent » pas seulement à une douzaine de banquiers
(en fait, il s’agit des douze banques régionales auxquelles
doivent adhérer les banques commerciales aux Etats-Unis),
mais qu’ils font partis du dispositif général
qui alimente la croissance et la consommation américaine
et qui permet également au consommateur américain
de profiter de son pavillon, de ses automobiles, de ses écrans
plats souvent fabriqués à des milliers de kilomètres
des Etats-Unis par une main d’oeuvre surexploitée.
Le système monétaire est l’un des moyens de
l’exploitation capitalisme au même titre que le système
boursier. Ils font partie, pour reprendre la citation de Negri évoquée
plus haut, de l’ensemble de ces pouvoirs « militaire,
monétaire, communicationnel, culturel et linguistique »
autour desquels s’unifie le marché mondial.
Dénoncer le pouvoir bancaire ne doit pas conduire à
mésestimer ces autres pouvoirs et donc à méconnaître
les autres aspects de la domination. C’est pourtant ce à
quoi aboutit le discours de Soral qui occulte l’emprise des
multinationales et du complexe militaro-industriel, qui ne dit pratiquement
rien des pouvoirs policiers, militaires et religieux concourant
eux aussi au maintien de l’ordre planétaire, qui oublie
enfin l’ordre juridique autorisant la marchandisation globale
du monde et de nos vies par l’extension du droit de propriété
privé, non seulement aux biens matériels, mais aussi
aux savoirs et bientôt au corps humain17.
17 Ainsi, lorsque Soral évoque page 74 le possible écroulement
du « système de domination », il ne vise en définitive
que la domination bancaire et oublie que la domination est également
patriarcale, scientiste, technocratique, policière, étatique,
capitaliste… A cet égard, Soral, page 64 et 65, suggère
une fausse opposition entre le capitalisme « entrepreneurial
et industriel » et le capitalisme « de pure spéculation
» (dont l’un serait décrit par Max Weber et l’autre
par Karl Marx, ce qui est complètement idiot). Mais ces «
deux capitalismes » se nourrissent dans les faits l’un
et l’autre : les grandes entreprises industrielles sont cotées
en bourse et bénéficient des facilités de l’argent
dette, quant aux profits bancaires et boursiers, ils sont réinvestis
dans l’exploitation planétaire techno-industrielle.
Un capitalisme seulement « entrepreneurial et
Ce n’est pas un hasard si Marx débute Le Capital par
une analyse de la marchandise et qu’il n’en vient qu’ensuite
à la monnaie. Car l’Empire se caractérise d’abord
par le règne mondialisé de la marchandise, par cette
« immense accumulation de marchandises18 » planétaire,
qui réclame l’aiguillon de la dette et les facilités
du crédit généralisé.
L’impossible retour à l’étalon or, ou
la nationalisation des banques n’implique pas la disparition
du capitalisme, pas plus qu’elle ne s’oppose obligatoirement
à la marchandisation croissante du monde et de nos vies.
La critique qui assimile « l’argent dette » à
de la fausse monnaie oublie que la monnaie est toujours «
fausse », même lorsqu’elle est basée sur
l’or, cette « relique barbare » selon Keynes19.
Une « vraie » industriel » n’interdirait
d’ailleurs pas la surexploitation des salariés, la
concentration irrationnelle de richesses et de pouvoirs, la destruction
de la nature, la dépossession et l’asservissement généralisé.
18 Selon la première phrase du Capital, « La richesse
des sociétés dans lesquelles règne le mode
de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation
de marchandises » parodiée par Debord, « Toute
la vie des sociétés dans lesquelles règnent
les conditions modernes de production s’annonce comme une
immense accumulation de spectacles. »
19 N’en déplaise à Soral, lorsque De Gaulle
préconisait un retour à l’étalon or,
il ne luttait pas « contre l’Empire », mais souhaitait
monnaie pourrait, à la rigueur, être adossée
sur l’énergie ou sur la surface planétaire totale,
mais elle réclamerait un abandon du capitalisme marchand
et de la « croissance » économique20.
simplement revenir à un mode de gestion impérial
plus ancien, dans lequel la centralité des pouvoirs aurait
glissé des Etats-Unis vers l’Europe.
20 Il est prévu de rouvrir un dossier sur Esprit68 à
propos de cette notion d’Équivalent Universel Énergie
ou d’Équivalent Surface Universel pour en analyser
les potentialités mais aussi les risques, les limites et
les ambiguïtés.
Les gages donnés à l’extrême
droite
Soral va enfin adresser quelques clins d’oeil appuyés
aux militants d’extrême droite, tout en se démarquant
de ces concurrents, « les identitaires ».
Pour se faire, il respectera quelques fondamentaux : Vichy, Pétain,
l’Algérie française… Car si l’extrême
droite évolue, si elle transforme les objets de ses détestations,
elle conserve cependant un certain nombre de repères idéologiques.
Il ne faut ainsi pas trop s’étonner des hommages récemment
rendus par Marine Le Pen au général de Gaulle, traditionnellement
considéré par l’extrême droite comme le
traître qui a bradé l’Algérie française.
De ce point de vue, Soral est sur la même ligne que Marine.
Il veut bien reconnaître le grand homme d’état,
mais rappellera que de Gaulle a par deux fois pactisé avec
l’Empire, avant d’être démis pour «
insoumission » (et non à cause du référendum
perdu comme nous le rappelions plus haut). Ainsi page 177 :
Une rupture qui commence par l’éviction de de Gaulle
pour son insoumission à l’Empire ; à cette oligarchie
mondialiste avec laquelle il avait pourtant pactisé deux
fois : en 1940, en rejoignant le camp des alliés contre Pétain
; puis en 1958, en achevant de liquider l’Empire français
dans l’affaire algérienne.
Quand donc de Gaulle a-t-il « pactisé avec l’Empire
» ? « en achevant de liquider l’Empire français
dans l’affaire algérienne » et « en rejoignant
le camp des alliés contre Pétain ». Ainsi donc,
pour Soral, non seulement l’Empire français semble
bizarrement « anti-impérial », mais surtout s’engager
en 1940 contre le régime collaborationniste, revient à
faire le jeu de l’Empire cosmopolite honni… Gloups !
Fallait-il alors également souhaiter la victoire de l’Allemagne
nazie ? Peut-être, car Soral, dans la grande tradition des
propagandistes d’extrêmes droite, s’applique également
à échanger les rôles des victimes et des bourreaux.
Ainsi page 203 :
Une sentence de « crime contre l’humanité »
qui permet de chasser celui qui en est accusé hors de l’humanité
:
peuple allemand et japonais après guerre, peuple palestinien
aujourd’hui, iraniens demain, militants et électeurs
du Front national en France depuis quarante ans… Tous ravalés
au rang de sous-hommes et ne bénéficiant plus, pour
eux-mêmes, de ces fameux « droits de l’homme »…
La culpabilisation excessive n’est évidemment pas une
bonne chose, mais pour ce qui concerne la deuxième guerre
mondiale il faut évidemment rappeler que ceux qui furent
« ravalés au rang de sous-hommes » et «
chassé(s) de l’humanité », ce furent d’abord
les victimes de la politique d’extermination du régime
nazi et des crimes de guerres perpétrés par les armées
allemandes et japonaises.
De même, nous n’avons pas pu trouver d’exemples
d’électeurs du Front National abusivement retenus et
torturés par la police française, voir éventuellement
exécutés parce qu’ils avouaient avoir voté
pour le parti frontiste21. Il ne nous semble pas non plus que des
lois ou des règlements aient été promulgués
pour déchoir de leurs droits ces fameux électeurs
du Front National et pour les ravaler « au rang de sous-hommes
»… Il faut plutôt reconnaître qu’en
France, un jeune homme « issu de l’immigration »
a davantage de chance d’être arbitrairement détenu
en garde-à-vue qu’un « Français de souche
» électeur du Front National. Par contre dans les états
pour lesquels Soral semble montrer une certaine sympathie –
en l’occurrence l’Iran – les droits fondamentaux
des opposants (mais aussi des femmes et des homosexuels) sont effectivement
niés, et ils y sont fréquemment emprisonnés
arbitrairement, torturés et assassinés.
21 Par contre, le 17 octobre 1961, la police française,
alors sous les ordres du préfet de police Maurice Papon,
a bien assassiné des dizaines de manifestants algériens.
Dans la même veine, Soral affirmera page 198 Libéralisme
sécuritaire : soit un régime libéral envers
la bourgeoisie mondialiste et tout ce qui favorise l’affaiblissement
de la Nation, mais un régime sécuritaire, non pas
envers les délinquants ou les clandestins, qui posent problème
au peuple, mais envers les salariés et la classe moyenne
qui pourraient avoir envie de se révolter contre l’élite
mondialiste.
Et page 221 Et si pour les gauchistes, Sarkozy est un homme de
droite, parce que sécuritaire – ce qui est une publicité
qu’il ne mérite pas, son sécuritarisme ne s’appliquant
qu’à la petite bourgeoisie blanche des automobilistes
Pourtant ce sont bien les « clandestins » que l’on
entasse dans les centres de détentions ou qui subissent les
harcèlements de la police à Calais ou ailleurs. En
réalité le « sécuritarisme » s’applique
prioritairement aux étrangers en général, aux
Roms en particulier, aux pauvres, aux non blancs, et non pas à
« la petite bourgeoisie blanche » qui a toutes les chances
d’échapper à la brutalité policière.
Mais ne mélangeons pas les torchons et les serviettes, pour
Soral, les concurrents « identitaires22 », sont à
mettre dans le même sac que les « islamoracailles ».
Ainsi page 235 :
Les seconds, voyous apatrides, désormais ultra-violents,
cultivant la haine du Blanc et qui sont effectivement, sauf pour
le facteur de Neuilly toujours fan, de son Montmartre bobo, du ringard
Joey Starr – ce que tous les observateurs lucides en disent,
que ce soient les démographes intègres, la police
débordée, le petit peuple, toutes ethnies confondues,
et même les « identitaires », qui sont, côté
gaulois, leur exact pendant : ces « islamoracailles »
à mettrent rapidement hors d’état de nuire,
avec, pourquoi pas, déchéance d’une nationalité
française qu’ils haïssent et billet gratuit vers
ces paradis islamiques qu’ils idéalisent : Kosovo,
Tchétchénie, Arabie saoudite… Ajoutons enfin
que Soral pimentera son exposé de quelques éclats
d’anti-intellectualisme et d’antiparlementarisme, dans
la plus pure tradition des ligues réactionnaires. Ainsi page
108 :
Pas même Pierre Bourdieu – pourtant médaille
d’or du CNRS (sic) – et qui malgré des milliers
d’enfonçage de
22 Lire à cet égard les analyses de l’article
de la CGA de Lyon : Le nécessaire bilan de deux décennies
«d’antifascisme».
portes ouvertes sur la « domination », n’a jamais
pendu une ligne sur le sujet ; (à savoir les francs-maçons)
raison pour laquelle, sans doute, malgré l’indigence
de son oeuvre, il finit professeur titulaire de la chaire de Sociologie
au Collège de France… Ou page 147, lorsqu’il
évoque les « démocrates et républicains
bedonnants ».
La définition fluctuante que Soral donne de l’Empire
(parfois « une vision et un processus », s’appuyant
sur « des réseaux », parfois l’impérialisme
américain ou encore le péril moral et communautaire
issu de mai 68) prend alors une singulière cohérence…
L’Empire c’est ce que n’aime pas ses petits copains
d’extrême droite, c’est-à-dire pêle-mêle,
les juifs, les francs-maçons, les opposants au maréchal
Pétain, les gauchistes, les gouines, les pds, les féministes,
les intellectuels, les parlementaires… Chez Soral comme chez
tous les propagandistes d’extrême droite, la domination
est personnalisée à outrance, elle est affublé
de caractéristiques grotesques (les élus ventripotents)
ou effrayantes (le satanisme occulte de la page 112) selon la technique
du bouc-émissaire. Cette personnalisation a pour but d’occulter
les mécanismes sociaux réels qui sont à la
base de la domination. Elle empêche également la prise
de conscience du fait que le capitalisme, l’Empire ou plus
largement la domination est en chacun de nous et que c’est
également en chacun de nous qu’il faut la combattre.
En conclusion
Tout au long de son livre Soral s’attache à occulter
ou à nier les problèmes réels. Il n’essaye
pas de détailler quels aspects de l’existence sont
insatisfaisants dans notre société et comment il serait
possible de les améliorer. Il ne dénonce pas les inégalités
énormes produites par le système capitaliste et ne
suggère pas de les détruire. Il ne veut pas réfléchir
à la manière de satisfaire les besoins les plus fondamentaux
pour le plus grand nombre. Il n’évoque pas non plus
les désastres écologiques, énergétiques
et sanitaires liés à la recherche effrénée
de profits et de pouvoirs – marées noires, pollutions
chimiques ou nucléaires, épuisement des ressources,
contaminations des aliments – et ne veut raisonner qu’en
termes d’idéologie.
Ainsi pages 206 et 207, il s’emploie à démontrer
que les préoccupations écologiques ne sont qu’un
moyen pour l’oligarchie mondialiste d’affermir sa domination.
L’écologie est présentée page 206 comme
une « Ancienne idéologie conservatrice des années
1920-1930 passée par une phase de récupération
gauchiste à partir des années 1970 ».
Soral oublie qu’en moins d’un an, le monde a connu
trois catastrophes écologiques majeures – la marée
noire de Louisiane en avril 2010, la pollution par les boues chimiques
en Hongrie suite à l’accident de l'usine d’aluminium
d'Ajka en octobre 2010 et enfin l’accident nucléaire
à la centrale de Fukushima en mars 2011. Ces trois catastrophes
laisseront des traces durables et influenceront les destinés
de millions, voire de milliards d’êtres humains. Elles
résultent directement du mode actuel d’exploitation
capitaliste. Si l’Empire marchand administré par les
nations et les firmes doit être combattu, c’est d’abord
parce qu’il génère de tels désastres.
Contrairement à ce que soutient Soral, tant que le capitalisme
ne sera pas anéanti, le seul moyen de prévenir ces
catastrophes, qui vont à présent se multiplier, est
de renforcer la gouvernance mondiale, en la soumettant aux intérêts
du plus grand nombre, pour contraindre les nations et les firmes23.
Soral ne nous a pas indiqué pourquoi combattre l’Empire,
il ne nous a pas expliqué ce que nous pouvions attendre de
ce combat, il est donc normal qu’il ne nous dise pas comment
le mener.
23 Voir à nouveau l’article de l’économiste
Frédéric Lordon « Qui a peur de la démondialisation
? », dans lequel deux formes de ce que l’on appelle
« mondialisation » sont clairement distinguées,
la mondialisation comme gestion supranationale rendue nécessaire
par la portée des externalités (dérèglements
climatiques, périls nucléaires, destruction des ressources,
etc…) et la « mondialisation néolibérale
» , c’est à dire la libéralisation des
marchés. Ces deux « mondialisations » sont évidemment
opposées mais la fausse critique s’emploie à
les confondre.
Soral ne présente en effet aucun programme, aucune mesure
concrète24, mais plutôt une injonction générale
à ne pas se révolter, à attendre, à
demeurer isolé, à laisser faire « les grands
hommes » (en réalité les récupérateurs
populistes) qui régleront les problèmes.
Soral nous décrit un monde où Fukushima ne survient
pas, un monde où le printemps arabe est impossible. Son discours
est foncièrement déconnecté du réel
et ces effets hypnotiques détournent des vrais problèmes…
A tous ceux qu’il aura malheureusement charmé :
Réveillez-vous !
24 Sauf peut-être, celle qui consisterait, comme nous l’avons
vu, à retirer la nationalité aux « islamoracailles
». Avec ça, l’Empire peut trembler !
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