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« Les mots sont des fenêtres »
Initiation à la communication non-violente
Une méthode élaborée par Marshall B. Rosenberg

Origine : http://portal.unesco.org/education/fr/ev.php-URL_ID=6925&URL_DO=DO_TOPIC&URL_SECTION=201.html

Cet article a été élaboré à partir d'un interview « Désamorcer la violence » de Anna Lietti au professeur Marshall B. Rosenberg, article publié dans le quotidien suisse LE TEMPS en janvier 2000, ainsi qu’à partir de l’ouvrage de M. B. Rosenberg, Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs), Initiation à la communication non-violente, Syros, Paris, 1999.

Comment gérer les conflits entre enfants, comment transformer la colère en énergie positive et comment aider l’enfant face à ses peurs ?

Le langage joue évidemment un rôle déterminant

M. Rosenberg a défini, avec succès, un mode de communication, d’expression et d’écoute qui nous permet de trouver un contact vrai avec nous-mêmes comme avec autrui, c’est ce qu’il appelle la "Communication non-violente" (CNV). Il utilise le terme de non-violence au sens où l’entendait Gandhi, pour désigner notre état naturel de bienveillance lorsqu’il ne reste plus en nous la moindre trace de violence. Marshall Rosenberg, psychothérapeute américain et élève de Carl Rogers, sillonne le monde depuis trente ans pour diffuser et mettre en pratique cette approche. Résidant à Bâle, en Suisse où se trouve l’antenne européenne du Centre de communication non-violente, il vient de publier son dernier livre en français Les mots sont des fenêtres (ou bien ce sont des murs) aux éditions Jouvence (pour la Suisse, la Belgique et le Canada), Syros en France.

"J’enseignais la CNV à des jeunes habitant dans des quartiers défavorisés. Le premier jour, dès que j’entrai dans la classe, les étudiants arrêtèrent net leurs discussions et firent silence. Je les saluais, mais n’obtins aucune réponse. J’étais très mal à l’aise, mais j’avais peur de le montrer. J’enchaînais donc sur un ton très professionnel : "Nous allons ici étudier un processus de communication dont j’espère qu’il vous aidera à gérer vos rapports familiaux et amicaux."

Je continuais à présenter la CNV, mais personne ne semblait écouter. Une jeune fille fourragea dans son sac, sortit une lime à ongles et se fit les ongles. Les étudiants assis près de la fenêtre collaient le nez au carreau, comme si le spectacle de la rue les passionnait. J’étais abasourdi, mais je compris immédiatement qu’en m’efforçant de cacher mon malaise j’avais en fait contribué à leur donner cette impression.

"Je suis en effet mal à l’aise, avouai-je. Non parce que vous êtes noirs, mais parce que je ne connais personne ici, et j’aurais voulu être accepté en entrant dans la salle." Cet aveu de vulnérabilité leur fit beaucoup d’effet. Ils se mirent à me poser des questions sur moi, à me parler d’eux et à manifester de la curiosité pour la CNV.

Nous constatons, dit-il, une forte augmentation de la violence à l’école, face à laquelle les enseignants sont souvent très seuls. C’est pourquoi il est nécessaire de leur donner des instruments, peut-être au travers de formations à la CNV, pour désamorcer les tensions. Que faire face à deux élèves qui s’entre-déchirent ou lorsqu’un élève répond en insultant son professeur ?

La CNV repose sur une pratique du langage qui renforce notre aptitude à conserver nos qualités de cœur, même dans des conditions éprouvantes. La CNV nous engage à reconsidérer la façon dont nous nous exprimons et dont nous entendons l’autre. Les mots deviennent des réponses réfléchies, émanant d’une prise de conscience de nos perceptions, de nos émotions et de nos désirs. Elle invite à se concentrer, derrière la personne violente, sur l’être humain dont les besoins ne sont pas assouvis. Car lui permettre d’exprimer ses émotions et ses besoins revient, bien souvent, à désamorcer une bombe.

Mon intérêt pour cette forme de communication est parti d’un questionnement, lorsque j’étais enfant, à propos de deux types de sourires : celui de mon oncle s’occupant de ma grand-mère souffrante et incontinente avec compassion, et celui de mes "agresseurs" s’attaquant à l’enfant de la seule famille juive de ma banlieue de Détroit. Et si je suis aujourd’hui, au sein même de mon travail, un témoin de la violence du monde, je reste néanmoins convaincu que ce n’est pas notre nature.

"J’étais dans un camp de réfugiés en Sierra Léone, en Afrique, entouré de centaines d’enfants brisés par la violence et venant de perdre leurs parents. Un des hommes avec qui je travaillais alors raconta que j’appréciais particulièrement un de leur hymne et m’appela comme pour me faire une surprise. "Ces enfants ont quelque chose qu’ils ont envie de vous donner". Je venais de les rencontrer seulement quelques minutes auparavant, effrayés, sanglotant. Mais lorsqu’il leur avait dit que ce serait pour moi un véritable cadeau que de chanter, alors ils commencèrent à me chanter leur hymne. Je ne pouvais croire en cette joie que je pouvais voir sur leur visage. C’était fou. Les gens peuvent encore donner malgré leur état de souffrance et les conditions dans lesquelles ils vivent".

Nous proposons, à travers notre démarche, d’apprendre à répondre par la compassion. Nous appelons le langage que nous enseignons : le "langage girafe" dont le nom officiel est la CNV. J’attribue l’image de la girafe au langage du cœur parce que l’on sait que les girafes possèdent le cœur le plus volumineux de tous les mamifères terrestres. Par opposition, le "langage chacal" symbolise le mode de communication que les personnes utilisent lorsqu’elles sont trop préoccupées par la satisfaction de leurs seuls besoins et motivées par la peur, la honte et la culpabilité. Le langage "girafe", de la compassion revient à questionner l’autre sincèrement par cette formule commune, le "comment ça va ?" et à écouter quels sont ses besoins. Cette question s’adressera aussi à l’« agresseur ».

Une garde de nuit dans un centre d’accueil pour drogués est seule en pleine nuit lorsqu’un homme entre, visiblement drogué, et exige une chambre. La femme lui explique qu’aucune n’est libre et s’apprête à le diriger vers un autre centre lorsqu’il la plaque au sol, un couteau sous la gorge en criant : "Ne me raconte pas d’histoires ! Je sais que tu as une chambre !". Courageusement, la femme entreprend d’appliquer ce qu’elle a appris quelques semaines auparavant dans un séminaire de CNV. "Je n’avais pas d’autres choix ! L’énergie du désespoir aiguise parfois notre sens de la communication !" Elle respire un bon coup et dit : "J’entends que vous êtes très en colère et que vous voulez que je vous donne une chambre." Il continue de hurler, mais quelque chose s’est déjà passé puisqu’il exprime ses sentiments : "Ce n’est pas parce que je suis drogué que je mérite pas le respect ! j’en ai marre que personne ne me respecte ! Mes parents ne me respectent pas mais je vais en avoir du respect !" Le dialogue est sur la bonne voie, mais un "je comprends" apitoyé de la part de la femme ne suffit pas. Elle dit : "En avez-vous assez de ne pas obtenir le respect que vous voulez ?" Et, pendant une bonne demi-heure, elle continue à focaliser son attention sur les sentiments et les besoins de celui qui, déjà, ne lui apparaît plus comme un monstre. Du coup, sa peur s’estompe. Une fois qu’il a fait le plein d’empathie, l’homme se lève, range son couteau et accepte de se diriger vers un autre centre.

Charles Rojzman, psychothérapeute et sociologue français intervenant dans les banlieues sous mandat des villes et du gouvernement, a préfacé l’ouvrage de Rosenberg et nous rappelle :"Lorsque vous êtes policier, enseignant ou travailleur social, dit-il, savoir que la violence est engendrée par le chômage ou la mondialisation vous laisse complètement impuissant. Ce dont vous avez besoin, c’est de comprendre, concrètement, ce qui la déclenche et d’acquérir les instruments qui permettent de l’affronter. La communication non violente n’a rien d’utopique : c’est un outil extrêmement concret et efficace." "Pour moi, le but est bel et bien de changer les institutions, mais il me paraît essentiel, comme Rosenberg nous y invite, de prendre soi-même la responsabilité de ce qui se passe, à son niveau."

En Israël une commission nationale vient d’être créée avec pour mission d’introduire la CNV, via la formation des professeurs, dans toutes les écoles du pays. La CNV est également enseignée dans des écoles en Italie, Etats-Unis, Suisse, Belgique, et plus récemment en France. Rosenberg et ses "formateurs" sont aussi très actifs dans les prisons, entreprises, hôpitaux, et de nombreux autres contextes professionnels et politiques à travers le monde.

Chacun peut être acteur de paix là où il est, conclut un formateur à la CNV. Le secret ? Prendre le temps de s’écouter mutuellement, de se mettre en lien avec l’autre. Cela s’appelle l’empathie. L’empathie est une présence totale à l’autre personne, en laissant de côté toute forme de jugement ainsi que nos propres sentiments (pour les exprimer éventuellement dans un deuxième temps). C’est très différent de la sympathie par laquelle on partage avec les autres notre propre vécu.

La violence verbale vient du fait que nous n’avons pas les mots pour exprimer nos besoins. Au lieu de dire : je suis triste, j’ai besoin de ta considération, on dit : tu n’es qu’un égoïste ! La méthode de la girafe consiste à toujours traduire en termes de sentiments et de besoins l’agressivité de l’enfant (colère générée par une souffrance), afin de décrypter la demande.

Méthodologie en quatre points

1. Observation : Qu’est-ce qui, dans les paroles ou les actes d’autrui, contribue ou non à notre bien-être ? L’important est de parvenir à énoncer ces observations sans y mêler de jugement ou d’évaluation.

2. Sentiments : Qu’est-ce que nous ressentons en présence de ces faits ?

3. Besoins : Précisons les besoins à l’origine de ces sentiments.

4. Demandes concrètes, ce que l’on désire maintenant de la part de l’autre afin que notre vie soit plus agréable.

En focalisant notre attention sur ces quatre points, et en aidant l’autre à suivre la même démarche, nous établissons un courant de communication : je dis ce que j’observe, ressens et désire, et ce que je demande pour mon bien-être. J’entends ce que tu observes, ressens et désires, et ce que tu demandes pour ton bien-être. Il est important de séparer l’observation de l’évaluation. Quand nous mélangeons observation et évaluation, notre interlocuteur risque d’entendre une critique et de résister à ce que nous disons.

La première composante de la CNV consiste donc à séparer observation et évaluation. Il nous est proposé d’observer clairement ce que nous voyons, entendons ou touchons et qui affecte notre bien-être, sans y mêler la moindre évaluation. Nous dirons ainsi plus volontiers : "En vingt matchs, je n’ai pas vu Jacques marquer un seul but" que "Jacques est un mauvais footballeur".

La deuxième composante de la CNV consiste à exprimer nos sentiments. En développant un vocabulaire affectif qui nous permet de décrire clairement et précisément nos émotions, nous pouvons établir plus facilement un lien avec autrui. En disant, par exemple, "je me sens vraiment nul à la guitare", j’évalue ma compétence de guitariste, sans exprimer clairement mes sentiments. En revanche en disant : "Je suis déçu par mes talents de guitariste", j’exprime un sentiment.

La troisième composante de la CNV consiste à identifier les besoins dont découlent nos sentiments. Les actes et les paroles des autres peuvent être des facteurs déclenchants, mais jamais la cause de nos sentiments. Face à un message négatif, nous pouvons choisir de réagir de quatre façons :

1. rejeter la faute sur nous-mêmes

2. rejeter la faute sur les autres

3. identifier nos propres sentiments et besoins

4. Identifier les sentiments et les besoins qui se cachent derrière le message négatif de l’autre.

L’empathie est une façon de comprendre avec respect ce que les autres vivent. Dans la relation à l’autre il n’y a empathie qu’à partir du moment où nous parvenons à écarter tous préjugés et jugements à son égard. Nous avons souvent tendance à donner des conseils, à réconforter, à donner notre avis ou à exposer notre sentiment.

Dans la quatrième composante du processus de CNV, la demande est souvent difficile à formuler. Elle nécessite un travail préalable de clarification de nos besoins et une conscience de ce qui nous rendrait la vie plus belle maintenant. Il s’agit de quelque chose de concret que notre interlocuteur peut faire ou dire dans l’instant présent, alors qu’il est en face de nous.

Et puisqu’il s’agit d’une demande et non d’une exigence, rappellons-nous que nous sommes prêts à entendre quelque réponse que ce soit, même si elle ne va pas dans le sens de notre vœu !

Cette demande permet de construire, de sortir d’un état. C’est la partie créative qui résulte de l’empathie reçue (ou donnée à soi-même).

E-mail : cnvc at compuserve.com

Site web : http://www.cnvc.org