Origine : http://www.abri.org/antidelation/article903.html
Il faut « COM-MU-NI-QUER » ! . Véritable leitmotiv
de tout ce qui compte, ou plutôt croit compter, en politique.
Le « déficit de communication », comme ils disent,
est en passe de remplacer le « désaccord » ou la
« divergence »
Si l’« on n’est pas d’accord » avec
un décision officielle, c’est que forcément
« on a été mal informé », ou que
l’« on a mal compris » ou que l’«
on nous a mal expliqué ». Ce qui veut dire qu’en
aucun cas on n’envisage une quelconque divergence.
LA RAISON DU PLUS FORT...
Il est un fait acquis et sur lequel il est inutile, voire indécent,
pour le système marchand, de revenir, c’est que la
raison est une et se doit d’être partagée par
toutes et tous. La vérité, c’est bien connu,
est la chose la mieux partagée au monde....
C’est probablement un des aspects les plus dangereux du système
qui est souligné ici : cette volonté « totalisante
» et même « totalitaire » de la certitude
de la vérité. et du bon droit (voir l’article
« LE TOTALITARISME MARCHAND »). « Comment se pourrait-il
que le système ai tord tellement il est évident qu’il
a raison dans ses principes ? »... ainsi peut se résumer
la problématique posée. Notons qu’il n’innove
pas en la matière... l’Eglise a largement usé
et abusé de ce procédé... la « vérité
» était, il est vrai, d’une autre nature.
Une fois acquise cette certitude il ne reste plus qu’à
convaincre, à faire comprendre à des gens qui «
forcément n’ont pas compris »... pas qui ne sont
pas d’accord, mais qui n’ont pas compris comment cela
doit se passer, comment cela doit être. Il faut donc être
avec eux pédagogues... leur montrer ce qu’ils n’ont
pas vu.... Et que « ça peut arriver à tout le
monde »... et que l’« on est là pour leur
expliquer »...
Une telle conception établi un rapport hiérarchique
particulièrement pervers qui infantilise l’autre, le
met et le reconnaît en situation d’infériorité,
qui fonde la divergence sur un simple malentendu, une incompréhension....
sous entendu, c’est l’opposant qui a « mal entendu
»... qui n’a pas ou mal compris... il n’est pas
pensable qu’il ne change pas d’avis et, n’adopte
une vision « juste » des choses... « On va se
donner le temps de lui expliquer »... Le système a
raison parce qu’il ne peut pas avoir tord... et pourquoi ne
peut-il pas avoir tord ? Simplement parce qu’il est et qu’il
n’y a pas d’autre réalité en dehors de
lui. CQFD. Les « experts »,... les fameux « experts
», nous le confirment.
UNE NOUVELLE FORME DE « DEMOCRATIE »
L’ère de la communication inaugure une nouvelle
ère de « démocratie ».
Le conflit change de nature. « Etre en conflit » n’a
plus le sens d’autrefois. Par exemple il n’y a plus
de « conflit d’intérêt », à
fortiori de conflit entre les catégories sociales, les classes
sociales...d’ailleurs la « lutte des classes »
n’est-elle pas morte ? On est « engagé sur le
même bateau » Il suffit simplement d’échange,
de se concerter... et pour cela quoi de mieux que la communication.
Qu’il y ait des riches et des pauvres n’est pas le problème,
l’essentiel étant que tous soient informés de
la situation de chacun. « Nous avons communiqué sur
les situations respectives... conclusion : il n’y a plus de
problème... les choses sont claires entre nous »...
Ben voyons.
Tout conflit potentiel est un malentendu regrettable, voire l’expression
de la mauvaise foi de celle ou celui qui ne veut pas entendre raison.
L’opposant alors relève de la psychiatrie s’il
n’arrive pas à comprendre, de la répression
s’il est de mauvaise fois.
Le Pouvoir change même de nature, du moins en apparence.
Un pouvoir qui communique est forcément un pouvoir démocratique,
proche des gens, qui n’a rien à cacher, qui«
joue le jeu de la démocratie » « qui joue le
jeu de la transparence ». Que peut-on reprocher à un
pouvoir qui communique... ou du moins qui dit qu’il communique.
S’il communique c’est « qu’il n’a
rien à cacher », « n’a aucune arrière
pensée »... Ben voyons
Communiquer devient une fin en soi, un instrument de gouvernement
et de gestion, une manière de dire « l’important
ce n’est pas le problème et sa solution » mais
le fait de dire « on sait qu’il existe, on le dit et
donc on ne peut que nous faire confiance ». La communication
devient le support d’un discours politique vide, qui n’a
de sens que dans la forme qu’il prend et que par la manière
dont cette forme agit sur l’opinion publique. La communication
devient la mise en forme spectaculaire d’une pensée
éteinte. Peu importe ce qui est dit, l’important c’est
que l’« on sache que l’on a dit »... Il
suffit d’analyser le vide du discours politique.
La communication devient alors une vaste entreprise de manipulation.
Elle devient aussi le support de la désinformation.
COMMUNICATION ET MANIPULATION
On comprend dès lors que la communication devienne un élément
essentiel de gouvernance.... Surtout pour un système, le
système marchand, qui n’a plus rien à proposer,
à négocier et qui est entré en décadence
(voir l’article « DECADENCE »).
La communication est entrain de faire de l’information une
arme de démobilisation à l’égard des
contestataires du système. En effet, concrétiser un
rapport de force par un conflit, c’est rompre la communication,
l’échange avec la partie adverse... or ça c’est
mal.
Celle ou celui qui refuse la communication, ou met en doute son
pouvoir déclaré « apaisant » et «
régulateur » est forcément un provocateur, un
personnage de mauvaise foi.
Dès lors, la communication sert à s’adresser
non plus à l’autre partie mais aux autres, aux tiers,
aux spectateurs que l’on prend à témoins, aux
« usagers pris en otage par les grévistes ».«
aux gens de bonne volonté qui souhaitent dialoguer »
« à celles et ceux qui ne se laissent pas emporter
par la passion »...
Le communicateur retombe toujours sur ses pieds... il a toujours
quelqu’un à qui s’adresser... à délivrer
un message qui « prouve sa bonne volonté », même,
et surtout s’il n’a rien à dire d’essentiel,
même et surtout si ce qu’il va dire est faux. La communication
tient lieu de moyen d’existence politique On existe non plus
par l’information que l’on délivre, par la praxis
mais par l’image que l’on donne de soi. La communication
devient un instrument de séduction. La mystification est
complète.
La communication est d’autant plus importante que l’on
n’a rien à dire, rien à proposer. Communiquer
permet de ne jamais répondre à la question posée,
au problème ou au conflit présent... tout en donnant
l’impression d’être attentif. On communique, on
dialogue, on maintien l’échange... pendant ce temps
le problème demeure... Et si l’on a un peu de chance,
la communication permet de faire dévier la question initiale.
On « joue la montre », au point d’exaspérer
son interlocuteur qui rompt la communication... ce qui lui est immédiatement
reproché et la question vient sur son « manque d’esprit
démocratique », « manque d’esprit de concertation
», « il cède à ses tendances belliqueuses
»,....
La communication arrête le temps, permet d’établir
un espèce de consensus mou, ou les positions sont en demi
teinte et peuvent donner l’illusion de la convergence voire
de l’accord. Au point souvent que lorsque l’accord est
conclu il est immédiatement entaché de suspicion,
de mésentente : « Ce n’est pas cela que l’on
voulait dire », « Ca a été mal interprété
», ’« C’est sorti de son contexte »...
La communication devient ce dont pouvait s’attendre, une
non communication. Qui donne l’impression de l’écoute
et de l’ouverture d’esprit... une pure manipulation.
OUTILS DE LA COMMUNICATION, OUTILS DU POUVOIR
Détenir les moyens de la communication ou tout au moins
les contrôler est devenu un élément essentiel
de la gouvernance. Tout homme ou femme politique travaille ses techniques
de communication, a son conseiller en communication. L’apparence
prime sur l’essence... car l’importance n’est
pas l’idée mais la manière de la faire passer,
voire de donner l’illusion que l’on en a... des idées.
Ce n’est pas nouveau... tout pouvoir a procédé
ainsi. Ce qui marque aujourd’hui c’est la puissance
de ces moyens sans commune mesure avec ceux du passé.
De plus, et c’est un élément essentiel, les
moyens de communication sont devenus de véritables industries,
autrement dit des parties du système marchand lui-même.
La communication est devenue une activité lucrative, mise
au service de la valorisation du capital qui s’y investi (aspect
économique) et mis au service de la justification de celui-ci
(aspect idéologique). Une entreprise de communication est
une entreprise comme une autre... il faut que l’activité
rapporte, et ce, si j’ose dire, à n’importe quel
prix. Ainsi, « service de communication », « chargés
de communication », sont devenus des outils indispensables
de la gouvernance et de la gestion.
La communication se vend et s’achète. Ce n’est
plus un mode de relation c’est une marchandise qui comme toute
marchandise a son prix et sa valeur d’usage, cette dernière
étant adaptée aux besoins de celui qui l’achète.
On a d’autant plus les moyens de communiquer que l’on
peux se les payer. Celui qui communique le plus, à défaut
de mieux, n’est pas celui qui a à dire, c’est
celui qui peut payer. Or celui qui détient la richesse aujourd’hui
c’est celui qui a intérêt à défendre
le système... on voit tout de suite ce que peut devenir la
communication entre ses mains.
Cette « société de communication » que
l’on nous vante tant, comme l’on nous avait vanté
la « société de consommation » ne transcende
pas les rapports sociaux ou ne « modernise pas la démocratie
» comme l’on voudrait nous le faire croire. Elle ne
permet pas plus de rapprochement entre les individus, plus de reconnaissance
et de solidarité. Au contraire elle participe à la
manipulation de l’information au conditionnement et à
l’asservissement. C’est en se ressaisissant de l’outil
de l’information que l’on pourra le mettre au service
de relations solidaires et humaines. Le système marchand
a fait de la communication un instrument supplémentaire de
domination et de sa propre reproduction.
Patrick MIGNARD
dimanche 20 mars 2005
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