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Origine : http://www.cemea.asso.fr/html/con_apprendre.html
Il faut tout d'abord souligner que le concept même d'apprentissage,
dans son opposition au couple de notions "enseignement / réception
passive", est apparu, dans le champ de la pédagogie
à partir des thèses de l'Éducation nouvelle.
En effet, apprendre est un acte posé, opéré
par le sujet-apprenant. Or la "révolution copernicienne"
tentée par l'Éducation nouvelle consiste bien à
centrer toute action éducative sur le sujet-apprenant, qu'il
soit enfant, adolescent ou adulte. Centrer l'éducation (voire
le système éducatif - comme le veut la loi d'orientation
de 1989, dont on n'a pas assez dit qu'elle consacrait en loi ce
principe de l'Éducation nouvelle) sur l'enfant, sur le jeune
en situation d'apprendre et de se construire, est le projet de l'Éducation
nouvelle. Apprendre est un acte. Remplaçant la réception
passive des théories ou des concepts forgés par les
autres, l'agir et le faire constituent le ressort des méthodes
d'éducation active que prône l'Éducation nouvelle.
L'importance particulière de la main dans tout acte d'apprendre
a été de façon magistrale, soulignée
par Tony Lainé. Mais, auparavant, Piaget et Wallon, les fondateurs
de la psychologie de l'enfant, et, d'une certaine manière
de la psychologie cognitive dont on fait si grand cas aujourd'hui,
avaient démontré, expériences cliniques à
l'appui, que l'intelligence du monde physique, que la compréhension
d'une situation et sa conceptualisation puisent leur dynamique dans
des actions à la fois motrices et mentales, vécues
par les enfants dès leur plus jeune âge. Et c'est incontestablement
en s'appuyant sur les oeuvres de ces deux grands psychologues que
l'Éducation nouvelle a pu éclairer scientifiquement
ce qui aurait pu ne rester qu'une intuition : c'est en agissant
que l'on apprend. Il n'est pas étonnant, dès lors,
que les CEMÉA, pour ne prendre que leur exemple, aient déployé
cette idée surtout dans le champ des activitésmanuelles.
On peut se reporter aux nombreux articles écrits par Robert
Lelarge où, très visiblement, le fait d'agir, de faire
un objet, de le concevoir, de le fabriquer, de savoir mesurer, de
démontrer, de "géométriser", de connaître
les matériaux et les outils utilisés, transforment
le concept même d'objet.
Autre trait connexe à l'agir et au faire : le mouvement,
la motricité sont présents en tout acte et, qui plus
est, peuvent devenir objet ou finalité d'apprentissages.
On apprend à courir vers un autre, à lancer une balle
dans une cible... en courant... mais pas n'importe comment..., en
lançant... mais pas n'importe comment ; courir, lancer, nager,
sauter s'apprennent pour s'ajuster à une situation et à
un but de façon intelligente, où l'adaptation du geste
au milieu environnant se réalise progressivement par essais
successifs. Nous touchons là à une autre caractéristique
de l'Éducation nouvelle : l'expérimentation. C'est
en expérimentant un geste, une hypothèse, en "s'essayant",
avec des conduites d'essais et d'erreurs comprises, que l'on apprend.
Pour apprendre, il ne suffit pas de lire et d'accumuler le savoir
et l'expérience des autres... En physique, en géographie,
dans toutes les sciences, il faut chercher, émettre des hypothèses
explicatives, mettre à l'épreuve ses idées
pour apprendre vraiment. Et écrire vraiment (écrire
"pour de bon", disent les enfants) c'est aussi expérimenter
des idées, des images, le stylo à la main, pour les
mettre à l'épreuve de la lecture des autres...
L'Éducation nouvelle insiste constamment sur l'importance
des groupes de pairs pour apprendre (comme l'indique Roger Cousinet
dans le Travail Libre en groupes). Apprendre en discutant, en s'opposant,
en cherchant ensemble la solution la plus juste à un problème,
c'est là le trait essentiel d'une pédagogie interactive
- dont Françoise Platone dit fort justement qu'elle trouve
sa source ou ses antécédents dans les méthodes
actives - ou encore d'une pédagogie fondée sur l'activité
et l'action. Apprendre ensemble, dans le dialogue qui oblige à
l'abstraction, à la conceptualisation, et non dans l'isolement
ou l'égocentrisme poursuivi au-delà de l'âge
auquel il est omniprésent, tel est l'un des choix majeurs
de l'Éducation nouvelle. Éducation et socialisation
vont de pair, au coeur des apprentissages. Mais une telle vie sociale
et intellectuelle ne prive nullement l'expérience de son
aspect personnel. Centrée sur la personne, fondée
sur le respect de la personnalité se construisant, l'Éducation
nouvelle invite à tout moment, à la personnalisation
de l'expérience, à la personnalisation de l'apprentissage.
Ahmed, Gaëtan, Edwige, Fatima n'apprennent pas de façon
identique. Cette individualisation ou, pour mieux dire, cette personnalisation
des apprentissages, est la hantise des pédagogues car les
pratiques de différenciation des apprentissages restent difficiles.
Difficiles mais toujours espérées et tentées
pour que, grâce à un apprentissage, l'appropriation
du savoir soit bien réelle, pour que l'acte d'apprendre soit
l'acte personnel d'un sujet caractérisé simultanément
par des traits affectifs, intellectuels et culturels.
L'expérience personnelle joue constamment dans les apprentissages,
jusque et y compris les plus abstraits, les plus conceptuels. Cela,
l'Éducation nouvelle, qui se veut globale parce que toute
personne est une globalité, l'a toujours mis en avant ; si
elle se méfie des apprentissages trop collectifs ou trop
intellectualistes qui refuseraient l'originalité et la spécificité
de chaque être humain. C'est aussi parce que la personne est
un tout que le désir d'apprendre, présent en chacun
à sa manière propre, est appelé par l'Éducation
nouvelle comme ressort, motivation de l'apprentissage. L'intérêt
pour un objet, une lecture, une pièce de théâtre,
une musique, un paysage, un problème historique est la manifestation
du désir de comprendre et d'apprendre. C'est la raison pour
laquelle Claparède fait de l'intérêt la dynamique
même de l'apprentissage et que, selon lui, la relation entre
le sujet apprenant et le réel physique et social n'est vivante
et efficace que si cette relation avec tel ou tel savoir sur le
monde est bien assurée dès le départ. Sans
cet intérêt - sans motivation, dit-on aujourd'hui -
l'attention est de courte durée, la tension intellectuelle
se délite et l'apprentissage ne se fait pas. La relation
entre le sujet et l'objet à comprendre n'est pas innée.
Il appartient à l'éducateur de favoriser l'émergence
et la genèse de cet intérêt, garant de l'avenir
d'un apprentissage.
Comment faciliter cette émergence sans imposer un "intérêt
pour" ce qui est proprement impossible ? "Faire naître
les intérêts", "motiver" sont des actes
éducatifs pleins d'embûches et d'incertitudes.
Afin de répondre à cette question, ou de proposer
une solution à ce problème, j'ai tenté de promouvoir,
à l'instar de Sartre, mais surtout dans la ligne de l'Éducation
nouvelle, la notion de situation : situation inductrice d'apprentissages,
situation pédagogique, comme l'on voudra. Mais il faut alors
rappeler sans cesse la signification exacte de cette formule "situation
d'apprentissage". Celle-ci implique que l'enseignant, l'animateur
ou l'éducateur inventent et mettent en place une situation
matérielle précise, dans un lieu déterminé,
une salle de classe, une prairie..., et ne laissent pas les apprenants
attendre que viennent à leur esprit, comme par magie, le
désir d'apprendre ou l'intérêt pour telle ou
telle "chose". Non, les objets d'intérêt
sont présents, les problèmes pour comprendre tel ou
tel phénomène physique, social, biologique, géographique
ou littéraire ont une face visible, palpable, sur laquelle
vont opérer la perception, l'observation, l'intelligence.
De cette relation ou de ce tissu de relations, présents dans
la situation, vont naître des intérêts, qui seront
exprimés, "parlés" avec les autres apprenants.
Les études de milieux désignées aujourd'hui,
de façon bien plus vague, par les termes d'"éducation
à l'environnement" constituent des situations typiques
à partir desquelles se forgent les intérêts
pour les phénomènes humains et géologiques
inscrits dans les paysages ; des apprentissages précis et
rigoureux, qu'ils soient de l'ordre de la géographie, de
la biologie, de l'histoire, de l'économie ou de la géologie
vont ainsi s'effectuer...
En créant des situations d'apprentissage susceptibles de
faire émerger des intérêts, les tenants de l'Éducation
nouvelle dépassent l'opposition entre apprentissages systématiques
et apprentissages occasionnels. Des apprentissages réglés,
ordonnés, approfondis qui prennent leur sens et gardent durablement
leur signification et leur intérêt se mettent en place
dans la pensée de l'apprenant à partir du problème
ou des questions se dégageant de la situation. L'opposition
occasionnel/systématique est alors dépassée.
On devrait plutôt parler d'apprentissage méthodique,
ce à quoi ne se refuse nullement l'Éducation nouvelle.
Intérêt, situation, expérience personnelle,
expérimentation, action, activité, agir et faire sont
des concepts,clés de l'Éducation nouvelle, qui fonctionnent
au sein de tout véritable apprentissage et en sont les vecteurs.
Sinon, le risque est grand de vider le terme "apprendre"
de son sens vivant et dynamique, et de voir se fondre dans un tout
teinté de passivité l'apprentissage et l'enseignement.
Extrait des Chemins de l'apprentisage, CEMÉA, Ed. RETZ
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