Ce livre nous parle de la colonisation française en Algérie.
J’ai eu du mal à le lire. Ce n’était pas
les concepts qui étaient compliqués ou les raisonnements
difficiles à suivre, mais le sujet même : il était
souvent question de massacres et des méthodes guerrières
employées. Les horreurs décrites m’ont révolté
et mis très mal à l’aise.
Olivier Le Cour Grand Maison commence par expliquer les discours
employés à l’époque pour justifier la
colonisation de l’Algérie. La question de la lutte
avec l’Angleterre, qui était en train de constituer
son empire, était un des premiers arguments. C’était
un argument externe. Il s’agissait de la grandeur de la France
et de sa place dans le monde. D’autre part, c’était
un moyen de trouver de nouvelles ressources face à la décadence.
C’était donc aussi un argument interne. Pour le pays
en jeu, l’Algérie, il s’agissait de justifier
la colonisation par la nature des Arabes. Illes sont défini/es
comme une race inférieure. Le premier élément
évoqué est celui de la paresse. Illes ne savent pas
développer leur pays. Ensuite, il est question de leur sexualité,
de polygamie, d’homosexualité masculine et féminine.
Toutes choses considérées comme des mœurs hors
norme. Il s’agit d’un processus de bestialisation. L’Arabe
est une bête féroce, un être inférieur
aux mœurs arriérées.
La colonisation est une biopolitique qui gère les populations,
soit on réussit à les faire travailler comme dans
l’exemple des noirs réduits en esclavage, soit on les
extermine comme les indiens. La notion de progrès, le développement
de la science et des sciences humaines permet de classer les groupes
humains en supérieurs et en inférieurs selon leur
degré de développement. Il y a des couples conceptuels
qui fonctionne toujours en faveur des dominants : Lumières
/ obscurantisme, tempérance / violence, élévation
/ dégradation, noble / méprisable, progrès
/ stagnation. Dès cette époque, le début du
XX° siècle, il y a un une sorte de choc des civilisations.
Bien sur, l’Europe est supérieure et les peuples moins
développés sont inférieurs. La conséquence
de ces argumentations est de dire que tout est permis contre ceux
qui menacent notre civilisation et nos projets de développement
qui sont des projets de conquête, puisque les limites de l’Europe
sont atteintes.
La colonisation est une guerre de race, un combat entre une race
supérieure et une race inférieure. Il est admis et
théorisé que cette guerre a des nécessités
propres, ses moyens se situent hors du champ de la guerre conventionnelle
pratiquée dans notre continent. Un droit de la guerre s’était
constitué au fil du temps en Europe. La notion de champ de
bataille concerne en Algérie tout le territoire. Il n’y
a plus de différence à faire entre les soldats et
les civiles/es. Les biens, les habitations ne bénéficient
d’aucune protection. Il n’y a pas de prisonniers, dont
il faut prendre soin. Les nécessités de la guerre
de conquête font que ses méthodes sont hors du droit
de la guerre. Il faut anéantir les Arabes, détruire
l’économie qui soutient les combattants. La militarisation
de la région est une évidence. Il faut faire mourir,
exterminer, donc pratiquer un ethnocide, qui sera nommé plus
tard génocide. La notion d’espace vital met deux peuples
en concurrence, mais les français disposent d’une force
armée nettement supérieure, d’une capacité
de gérer les populations que n’ont pas les Arabes.
C’est une biopolitique qui veut “ faire vivre ”
une population : Les colons français, et “ faire mourir
” les Arabes. Ces êtres inférieurs ont une “
vie sans valeur ”.
La guerre coloniale est une guerre d’extermination. Quand
un village est attaqué et que la population se réfugie
dans des grottes, alors il est courant que les militaires fassent
une enfumade. Ceci consiste à bloquer les issues des grottes
et d’allumer des feux, qui produisent beaucoup de fumée
à une ou des entrées des ces grottes. Des milliers
d’algériens et algériennes ont péri de
cette manière. Ces enfumades ne sont pas des actions isolées
et faisant suite à une initiative spontanée, au contraire
elles sont planifiées et organisées.
Les razzias sont des expéditions organisées en vue
de détruire l’économie vitale. Voler le grain
et saccager les silos est un objectif assumé ouvertement.
Incendier les maisons et les étables est une pratique banale.
Le but est ouvertement de ruiner, de chasser les habitants/es, de
terroriser en s’attaquant aux ressources de la population
arabe ou kabyle. Les expulsions de masse suivent ces razzias. Ensuite,
les militaires français utilisent la famine. Ces méthodes
seront reprises dans les années 1950, 1960.
Les tortures sont systématiques. Elles concernent aussi
bien les personnes combattantes que les autres. Il n’est pas
besoin d’avoir fait quoi que ce soit, l’Arabe est suspect
à priori. Les mutilations sont conçues comme des instruments
de terreur pour bien montrer la force et la brutalité à
la population. Les profanations sont pratiquées pour montrer
que, morts ou vivants, rien n’échappe à la domination
française. Ces exactions favorisent le départ de populations,
ce qui libère des terres pour les colons. C’est suite
à un scandale dans des journaux que la vente des restes humains
(les os) est connue, elle ne s’arrête pas pour autant.
La violence coloniale est permanente, les militaires qui mettent
en œuvre ces horreurs ne sont pas inquiétés,
au contraire tout ceci est justifié comme faisant partie
des “ cruelles nécessités de la guerre ”.
Les déplacements de populations font mourir des milliers
de personnes. Les viols sont massifs, c’est ouvertement connu
et toléré, de très nombreuses femmes sont faites
prisonnières et ensuite vendues. C’est une guerre totale
hors de la guerre conventionnelle. Ceci ne se passe pas dans les
Balkans avec l’armée et les miliciens serbes ou croates,
mais dans une colonie française avec une armée républicaine
issue de la révolution de 1789. C’est bien une guerre
contre les civil/es. Il faut exterminer l’ennemi insaisissable,
réduire le nombre d’habitants/tes. Pour contrôler
la population, les autorités instituent un livret de voyage,
qui ressemble au livret ouvrier, ou au livret des Tziganes. Si bien
que les arabes et kabyles ne bénéficient pas d’une
liberté fondamentale : celle de se déplacer librement.
L’État colonial est un état d’exception
permanent. Il obéit au “ pouvoir du sabre ”.
L’internement administratif sans jugement est la mise en œuvre
de l’arbitraire. Quand on est arrêté, on ne sait
pas pourquoi, on ne peut pas se défendre, on ne sait pas
quand on sortira, et souvent on les proches ne savent pas où
on est détenu. Des milliers de personnes sont concernées.
La répression permanente s’exerce souvent à
partir de ce qu’on est, pas à partir de ce qu’on
a fait, on est arabe ou Kabyle, cela suffit à être
présumé/e coupable.
Une autre méthode employée lors de la colonisation
est la responsabilité collective. Les punitions collectives,
les prises d’otages permettent de punir tout un groupe réputé
dangereux a priori. Ce moyen est soit une punition, soit une réparation.
C’est une culpabilité sans faute ni responsabilité.
Ce dispositif a été utilisé lors de la colonisation
de l’Algérie, puis pendant ce que l’histoire
officielle française appelle la guerre d’Algérie.
C’est une pratique ensuite utilisée par les nazis contre
les juifs, elle a permis à Pinochet de réprimer le
peuple chilien, c’est encore valable par Israël contre
les Palestiniens : destructions des maisons, ou des champs d’olivier,
encerclement, bouclage, mur de la honte et checks point, etc.
Le séquestre est une spoliation légale. Elle permet
de s’approprier les terres facilement. Le séquestre
n’est pas réalisé suite à une mesure
de justice. Il peut aller jusqu’à la confiscation.
Ce moyen sera utilisé ultérieurement contre les Juifs.
L’internement administratif, le séquestre, les punitions
collectives sont incompatibles avec les principes de 1789. La puissance
coloniale est une puissance qui n’est limitée et contrôle
par rien, elles est hors du droit démocratique.
La régime politique de la colonisation est dominé
par les militaires, c’est une dictature d’un type particulier.
Il n’y a pas de tyran, mais une hiérarchie militaire
installée par une république. Il n’existe pas
de démocratie pour les Arabes, les arrestations sans mandat
judiciaire, les détention sans recours, la censure des journaux
montrent que nous sommes ici dans un état de guerre permanent
qui fonctionne hors du droit pénal et civil de la métropole.
Les pouvoirs exorbitants de l’administration coloniale est
justifiée par l’urgence. Les habitants du pays ont
un statut juridique inférieur qui n’est fondé
sur rien. Pour contrôler et administrer la population locale
des bureaux arabes sont mis en place sur tout le territoire. Il
existe des droits pour les colons et la force brutale contre les
Arabes, la race vaincue.
Pour donner une assise légale au colonialisme, les autorités
française ont créé le code de l’indigénat.
C’est un texte qui rassemble tous les règlements et
mesures concernant les indigènes vivant en Algérie.
C’est un objet juridique monstrueuxdisent les juristes. Il
est le petit frère du Code Noir (dont ne parle pas Olivier
Le Cour Grandmaison), qui régentait la vie des esclaves noirs
dans les possessions française.
La colonisation française en Algérie produit l’assujettissement
des Arabes et des Kabyles. Sur le plan juridique, ce sont des textes
qui légalisent la ségrégation, les discriminations.
C’est un séparatisme contre l’universel, dont
sont si fier les français/ses. De fait, il produit une situation
identique aux méthodes anglaises, qui elles assument ouvertement
le séparatisme.
Olivier Le Cour Grand Maison cite Conrad qui décrit la réalité
coloniale dans sa nouvelle “ Au cœur des ténèbres
”. Cet ouvrage relate les méthodes coloniales et détruit
les grands mythes employés pour justifier l’expansion
coloniale. Il montre l’appétit de richesses et de pouvoir
des occidentaux. Pour lui, c’est une littérature du
désenchantement radicale et brutal. Il conseille à
tout le monde de le lire.
Olivier Le Cour Grand Maison revient sur les mesures anti-juives
mises en œuvre par le régime de Pétain. Les juifs
traités comme des colonisés, des indigènes
sous Vichy avec des mesures conçues et appliquées,
entre autres, par des colonialistes racistes.
Son dernier chapitre porte sur les rapports entre ce qu’il
nomme “ la coloniale ” qui s’oppose à “
la sociale ”. Ce dernier terme concerne les barbares qui vivent
en France, c’est à dire les pauvres, qui, de plus en
plus souvent, se révoltent. Pour les partisans de la gestion
du système, il vaut mieux avoir des colons plutôt que
des émeutes. Les autorités cherchent à envoyer
la “ sociale ” au Sud. Par contre, si cela est nécessaire
les méthodes coloniales sont importées au Nord pour
réprimer la “ sociale ” lorsqu’elle se
révolte.
Que nous reste-t-il de l’histoire contenue dans ce livre
?
* Un racisme d’État pensé et mis en œuvre
par la patrie des droits de l’homme.
* Des méthodes qui seront employées lors de la “
guerre d’Algérie ” (1950 –1962, entre autre
par Mitterrand).
* Des procédés testés en Algérie et
exportés pour la colonisation en Indochine, en Kanaky, en
Afrique noire.
* Les camps qui resteront familiers aux autorités françaises
: pour enfermer les républicains/aines espagnol/es, les tziganes,
puis les communistes, les juifs et maintenant les étrangers/ères
en situation irrégulière.
* Des dispositifs utilisées plus tard par les nazis, qui
y ajouteront la mort industrielle.
* Partout où sévit le colonialisme, on trouve les
mêmes façons de faire : aux Usa contre les Indiens,
au Chili avec Pinochet, en Indonésie au Timor, en Israël
contre les Palestiniens, etc.
* Le traitement séparés des étrangers/ères,
l’internement administratif sans jugement nommé aujourd’hui
“ rétention ”, est une procédure héritée
du colonialisme.
* Un droit à part pour les immigrés/es : pas de droit
de vote, ce ne sont pas des citoyens ! Souvenons-nous que les parents
de Zidane n’ont pas le droit de vote. La nationalité
sous condition pour les jeunes étrangers/ères né/es
en France.
* Les représentations encore à l’œuvre
: “ la guerre d’Algérie n’est pas finie,
” les “ jeunes ” des cités seraient des
barbares à traiter comme tel. Les dispositifs et les idées
des forces de police sont racistes et brutales. Ces pratiques sont
dénoncées par plusieurs rapports récents :
Amnesty International, le Mrap, le Comité de Déontologie
de la police. Les policiers opèrent comme face à une
race inférieure, ils n’ont pas à justifier ce
comportement, la hiérarchie et la justice les couvrent. La
peine de mort existe de fait. D’ailleurs, les termes employés
le confirme : sauvageons, bandes barbares, racailles, “ nettoyer
au karcher ”, etc.
* On retrouve à nouveau Papon en 1961 à Paris, où
il est maître d’œuvre de la répression contre
les Algériens avec des ordres coloniaux “ pas de prisonniers
! ”, la torture systématique, les arrestations arbitraires,
l’internement sans jugement, etc. L’opacité face
aux contrôles démocratiques.
* Monsieur de Tocqueville apparaît ici sous un jour peu glorieux.
Le défenseur de la démocratie, si souvent cité
comme une grande figure morale, se révèle ici un fervent
colonialiste, qui approuve les méthodes de l’armée
et qui veut réformer ce qui concerne les colons seulement.
* Une image de la France, pays des droits de l’homme, totalement
déconfite. L’écart entre les mots et les actes
ne peut pas être plus large. Avec ce livre le colonialisme
français et son cortège d’horreurs ne plus être
occulté.
* Une mise en garde contre la notion “ d’urgence ”
employée pour justifier des mesures d’exception.
Philippe Coutant, CNT Interco 44, le 18 Août 2005
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