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Le « coaching » vient au secours des cadres

Origine : http://perso.wanadoo.fr/gamaliel21/03FEVRIER05.htm

Le « coaching » vient au secours des cadres

La Croix du 24/01/2005

Du bon usage de l'entraîneur

Commentaire par Sébastien Maillard

Qu'auraient remporté les Bleus sans Aimé Jacquet ? Plus évident et plus récent encore, qu'aurait gagné l'équipe grecque de football sans l'Allemand Otto Rehhagel ? L'entraîneur amène le sportif à faire le meilleur usage de toutes ses possibilités. Dans l'entreprise, où il est de bon ton de désigner les fonctions sous leur nom anglais, ce « job » s'appelle le « coaching ». Destiné au départ au PDG, mais aujourd'hui plus largement aux cadres, le « coach » aide à ce que le développement personnel rejoigne celui de l'entreprise. Au Québec, où sévit la mode et depuis longtemps le mot de « coach », l'office de la langue française traduit cette pratique par « accompagnement individuel en entreprise ».

C'est aussi une manière plus « soft » (douce) d'exercer son autorité. De même qu'à l'échelle mondiale, on réfléchit moins au rôle des gouvernements qu'à la « gouvernance », voire moins aux dirigeants qu'à la « dirigeance » (sic), en entreprise, on n'encadre plus un subordonné ou une équipe, on les « coache ».

Le « coaching » s'exerce donc pour son développement personnel et sur son entourage. Le cadre est à la fois « coach » au bureau puis « coaché » au cours de séances individuelles par un « coach » professionnel. Un métier qui ne s'improvise pas et qui, en France, tarde encore à s'organiser, à se fédérer alors que s'étend le phénomène. À quand un « coach des coachs » ? Un règlement, ou (plus dans l'air du temps) une charte ?

Phénomène de mode comme naguère les « cercles de qualité » ou installation d'une nouvelle technique de gestion, le « coaching » n'a, en tout cas, pas vocation à tout résoudre dans l'entreprise. En responsabilisant ainsi ses cadres, l'entreprise ne doit pas se déresponsabiliser, elle doit aussi interroger son propre fonctionnement.

L'auto-introspection vaut aussi pour le cadre, qui sait que le « coaching » n'est appelé à durer, et à être financé par son employeur, qu'un moment. Il lui revient de savoir se diriger lui-même. À l'instar du numéro un mondial de tennis, Roger Federer, qui aujourd'hui remporte ses victoires sans entraîneur. Qui d'ailleurs oserait prétendre pouvoir le « coacher » ?

Sébastien Maillard


Le « coaching » propose aux cadres un soutien pour affronter des responsabilités croissantes et améliorer leurs performances dans l'entreprise

Depuis plus de dix ans, Christophe, 47 ans, travaillait en Allemagne. Ses responsabilités internationales lui faisaient passer beaucoup de temps en Asie ou en Amérique du Sud. Pour des raisons familiales, il souhaitait revenir en France. Son groupe allemand accueillit favorablement sa demande et décida de lui confier de hautes responsabilités au sein de la filiale française. Il remplacerait un homme, en poste depuis trente ans, qu'il considère un peu comme son « père spirituel ». Il deviendrait aussi le supérieur d'anciens collègues. Serait-il à la hauteur ? Saurait-il gérer les relations avec la maison mère allemande ? Christophe ressentait le besoin de parler pour se libérer de ce flot de questions.

Un « coaching » est alors la solution qui s'impose à Christophe et à sa direction. Cette méthode d'accompagnement des salariés, importée des États-Unis et de plus en plus prisée par les entreprises en Europe, pourrait lui permettre d'exprimer ses émotions et lui faire reprendre confiance en lui. Sans tarder, le groupe fait appel à Neumann International, un cabinet de conseil en ressources humaines. À l'issue d'un premier rendez-vous entre la direction, Christophe (le « coaché ») et Chantal Berard (la « coach »), les objectifs du coaching sont définis. Christophe doit se préparer à passer d'une dynamique internationale à un contexte d'entreprise plus traditionnel, dans lequel il aura des responsabilités de dirigeant.

Le coaching commence véritablement à la séance suivante. Au cours de ce premier face-à-face, Chantal Berard s'efforce de faire parler le plus possible Christophe pour sonder sa personnalité. « Différents outils, comme des symboles ou des mises en situation, peuvent être utilisés pour aider la personne à s'exprimer, à forcer ses zones de résistance », explique la coach. Si un coaching dure en moyenne six mois, celui de Christophe s'est étiré sur dix-huit mois. Trois ou quatre séances ont, par exemple, été nécessaires pour préparer une première réunion avec un dirigeant allemand. Le coach s'est alors mis à la place du supérieur, un jeu de rôle visant à « dédramatiser » les situations.

En principe, un coaching se fait toujours dans la langue du coaché. « La langue maternelle nous permet de rentrer dans le fond du sujet d'une façon plus fine », explique Caroline Golenko, également coach chez Neumann International, qui juge important que les deux parties partagent la même culture, la même façon de penser. Les comportements peuvent en effet être très différents d'un pays à l'autre. Par exemple, un Allemand démarrera une réunion de façon très directe, en entrant tout de suite dans le vif du sujet. Ce qui ne sera pas le cas d'un Français, qui pourra prendre vingt minutes pour en venir aux faits.

En milieu de coaching, une nouvelle réunion tripartite (direction, coach, coaché) est organisée pour réajuster, si besoin, les objectifs. Ce n'est qu'au cours de l'entretien de conclusion que le coach fera état des difficultés qu'il a rencontrées, de ce qu'il a ressenti et estime avoir amélioré. « La fin d'un coaching, c'est quand le coaché estime ne plus avoir le temps de venir vous voir », explique Chantal Berard.

Le coaching est « un travail pour l'individu au sein d'une entreprise », ajoute-t-elle. Dans cette formule réside toute l'ambiguïté du concept. Travaillant au service marketing d'un grand groupe français depuis un an, Julien, 32 ans, peut en témoigner. Lors de son entretien individuel d'évaluation, le jeune homme se voit proposer un coaching, au moment de remplir la case « formation ». Sa direction est contente de son travail, mais estime qu'il manque d'« autorité naturelle ». Le coaching doit l'aider à prendre de l'assurance, à forcer sa personnalité.

Au début, Julien est enthousiaste. Il trouve même « valorisant » que son groupe lui propose une formation « super chère ». En somme, on investit sur lui ! Au cours des séances, il apprécie de pouvoir se livrer à quelqu'un de neutre, de parler librement de ses angoisses par rapport aux attentes de la hiérarchie... Jusqu'au jour où il découvre que son supérieur a le même coach que lui. Se sentant trahi tout en défendant « l'éthique » de son coach, il interrompt brusquement ses rendez-vous, à trois séances de la fin. Depuis, Julien a été nommé directeur de marketing dans un autre groupe. Si, avec le recul, il n'est pas pleinement satisfait de son coaching, du fait de ce lien trop étroit avec l'entreprise, l'expérience lui a toutefois donné l'envie de faire une psychanalyse pour « mieux comprendre » comment il « fonctionne ».

Pourquoi la psychologie a-t-elle fait une irruption dans les entreprises françaises voici cinq ans ? Les spécialistes attribuent cela à l'individualisation, devenue un leitmotiv dans le management des ressources humaines. Outre les primes ou l'intéressement, les salaires et formations sont de plus en plus individualisées et placées sous le signe de la performance. Par ailleurs, l'économie est devenue beaucoup plus complexe, et les responsabilités sont de plus en plus diluées. Un cadre peut ainsi recevoir des ordres de responsables différents, qui ont des objectifs parfois contradictoires. « Le cadre doit se débrouiller. Même si aucun de ses chefs n'est capable de lui dire comment faire », pointe Dominique Dessors, chercheuse au laboratoire de psychologie du travail du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). En ayant recours au coaching, l'entreprise évite, selon elle, de « se poser des questions sur sa propre organisation ». C'est à l'individu de se remettre en cause. De plus, souligne-t-elle, un cadre, qui ne parviendrait pas à modifier ses comportements après un coaching, risquerait d'être écarté. Obligation de résultat oblige !

AUDE CARASCO


La « foire aux coachs »

Cette jeune profession n'étant pas réglementée en France, n'importe qui peut s'improviser « coach ». Un ancien cadre, par exemple. Pour se distinguer d'éventuels charlatans ou gourous, des « coachs » se sont regroupés au sein de fédérations, dont les membres sont soumis à une charte ou à un code de déontologie.

L'état du « coaching » en France

Selon l'enquête menée auprès de ses adhérents (1) par le syndicat professionnel Syntec Conseil en évolution professionnelle, 85 % des entreprises déclarent avoir une bonne connaissance du « coaching », 57 % l'utilisent de façon occasionnelle et seules 8 % d'entre elles affirment ne jamais y avoir eu recours. Le « coaching » est aujourd'hui considéré, pour 72 % d'entre elles, comme un « investissement à long terme qui bénéficie tant à l'individu qu'à l'entreprise ». Le budget alloué est, dans 59 % des cas, inférieur à 9 150 Euro par personne pour une durée se situant le plus souvent (62 %) entre quatre et huit mois.

(1) 265 DRH ou dirigeants d'entreprises clientes, représentant tous les secteurs d'activité, interrogés en février 2004.

Au travail comme à la ville, les Américains ont leur « coach »

La mode du coaching dépasse depuis quelques années le seul monde de l'entreprise

«Je vais en parler à mon psy » était une phrase à la mode, au moins à New York, il y a quelques années. Il faudrait dire maintenant : « J'ai vu cela avec mon coach. » La mode du « coach » - réservé à l'origine aux PDG - dépasse depuis quelques années le cercle des dirigeants pour atteindre tous les salariés d'une entreprise. Comme le dit Janet Neal, présidente du Productivity Ressource Group, un organisme de coaching établi dans le New Jersey, « les PDG bénéficiant d'un coaching se sont rendu compte que, pour que l'entreprise soit productive, il faut que tout le monde y soit heureux et adhère à sa philosophie, des cadres moyens à la personne qui distribue le courrier ». Mais le phénomène touche maintenant la vie de tous les jours. Comme dans le sport, d'où le mot « coach » est originaire, on peut se faire « coacher » pour améliorer toutes ses performances, qu'il s'agisse de perdre du poids, de gérer des adolescents, de bien vivre sa retraite, de réussir sa vie si l'on est parent isolé, homosexuel, artiste ou écrivain. Le coach est devenu un entraîneur à vivre plus heureux.

Au-delà des PDG, les coachs eux-mêmes ont réalisé qu'il existait un réservoir de clientèle hors de l'entreprise. « Au bout d'un certain temps de travail, mes clients, des PDG et cadres dirigeants, finissaient toujours par me dire : ``D'accord, je peux faire cela dans mon entreprise, mais vous ne connaissez pas ma femme !'' », raconte ainsi Janine Schindler, propriétaire de Jas Coaching and Training, à New York. Pourtant, tous les coachs s'en défendent, leur travail n'a rien à voir avec la psychothérapie, qui explore le passé. Le coaching est dirigé vers l'avenir. « Les gens qui viennent nous voir n'ont pas de problèmes, ils veulent simplement relever un défi, s'améliorer, améliorer leur vie », précise Janine Schindler.

Cette aspiration est particulièrement prégnante dans la société américaine. « Le désir de progresser fait partie de la culture ici », constate Éric Kruger, spécialiste du coaching culturel auprès d'entreprises qui envoient du personnel à l'étranger ou en accueillent aux États-Unis. « Si les Anglais peuvent se contenter de leur tasse de thé au coin du feu, les Américains, de par leur passé d'immigrés, veulent toujours atteindre de nouveaux buts. »

La mode est telle que, selon le magazine Forbes, la profession en plus forte expansion ces dernières années outre-Atlantique était celle du coaching, juste après les hautes technologies. « Nous avions 3 500 adhérents en 1999. Nous en avons 8 000 cette année », confirme Kathy Schramek, directrice des programmes et de l'accréditation à l'International Coaches Federation (ICF), lancée en 1996. Il faut suivre plusieurs centaines d'heures de stages, avoir de la pratique et passer un examen pour être officiellement reconnu par l'ICF en tant que coach.

Mais la demande est telle qu'elle suscite de nouvelles formules. Deux émissions, celle du « Dr. Phil » et « Starting over » (Recommencer), ont ainsi fait leur apparition à la télévision. « Starting over » est digne de la télé-réalité : on enferme, avec des coachs, des femmes dans une maison pour qu'elles trouvent les moyens de changer et de s'améliorer. Séminaires, causeries, ateliers, sont aussi légion aux États-Unis. Sans oublier les cassettes et autres méthodes d'autoamélioration vendues en librairie. « En banalisant l'idée du coaching, ces efforts nous apportent des clients », se félicite Janet Neal. Cette coach travaille en particulier avec les femmes qui veulent équilibrer vie professionnelle et familiale. À raison d'une séance par téléphone de 45 minutes par semaine pendant un à trois mois, elle aide, pour 100 dollars la séance (77 Euro), des femmes à régler des problèmes aussi triviaux que celui de mieux gérer leur temps (un mois suffit), mais aussi des choses plus délicates, comme revenir à la vie active après plusieurs années au foyer. « En fonction de ses désirs et de ses valeurs, y compris religieuses, l'une de mes clientes s'est aperçue que la meilleure solution était de créer sa propre entreprise », raconte Janet Neal. Une solution digne de l'esprit entrepreneur américain.

Irène FRAT


« Les entreprises veulent des salariés autonomes »

Pour la sociologue Valérie Brunel, l'essor du coaching traduit l'évolution vers une société de plus en plus individualiste

Comment expliquez-vous l'engouement actuel pour le « coaching » ?

Valérie Brunel : C'est la rencontre de deux phénomènes. L'un sociétal, qui correspond depuis les années 1960-1970 à la montée de l'individualisme lié à l'affaiblissement des cadres sociaux traditionnels. Les individus désireux de trouver leur place dans la société et invités à construire leur vie et leur carrière sont de plus en plus demandeurs de principes et de techniques qui les guident dans leur choix. L'autre phénomène est économique, il traduit l'évolution des entreprises dans un environnement de plus en plus mouvant, du fait de la mondialisation et de l'accélération du progrès technique. Elles ne demandent plus à leurs salariés d'être dociles et d'obéir mais d'être « autonomes » et de développer leur « savoir être ». L'essor des pratiques de développement personnel et de coaching vient du fait qu'elles répondent simultanément à ces deux demandes : on va vous donner des techniques pour mieux utiliser votre potentiel et le mettre au service de l'entreprise.

- Y a-t-il un danger à faire entrer la psychologie dans les entreprises ?

- La psychologie est depuis longtemps utilisée au service des entreprises. Depuis les années 1930, de nombreuses expériences ont été menées pour tenter de rendre les salariés plus performants au travail et plus motivés. L'engouement actuel traduit notre évolution vers une société de plus en plus libérale et de plus en plus individualiste. Tout individu doit s'adapter à un modèle dominant dans lequel il faut être autonome et responsable, se gérer soi-même, construire sa place. Même les chômeurs sont invités à construire leur projet personnel, à « rebondir ». Or, on peut se demander si c'est une bonne chose pour une société que tout le monde soit adapté ou s'il faut au contraire des gens « inadaptés » pour produire autre chose - par exemple, de la création artistique.

- Quels sont les dangers du « coaching » ?

- Les difficultés rencontrées par un individu peuvent n'être que le symptôme de problèmes liés, par exemple, à l'organisation du travail, aux pratiques de management ou encore à une absence de perspectives professionnelles. Le risque principal est donc de se débarrasser d'un problème en demandant à l'individu de gérer, sur le plan psychologique, ce qui est aussi organisationnel. Le professionnalisme du « coach » consiste à savoir identifier ce qui relève de problématiques psychiques et peut-être même d'une thérapie, et ce qui relève de l'environnement de travail de l'individu. C'est vrai que la profession de coach comme celle de psychothérapeute n'est pas réglementée en France et qu'il peut y avoir des dérives, mais ce n'est pas pour autant qu'il faut stigmatiser l'ensemble du coaching.

- Qu'est-ce qui fait qu'en France il y a encore beaucoup de réticences à l'égard de ce type de techniques ?

- Il y a toujours eu une méfiance à l'égard de la psychologie qui est souvent assimilée à de la manipulation, surtout lorsqu'elle est utilisée par l'entreprise. Ce phénomène existe moins aux États-Unis où l'on considère que l'individu et l'entreprise peuvent se développer de concert. En France, nous avons une vision des rapports sociaux davantage marquée par l'idée que les intérêts de l'entreprise ne sont pas les mêmes que ceux des salariés. Cette réticence est parfois salutaire, car l'approche « humaniste » qui sous-tend les pratiques de développement personnel et incite les gens à avoir des relations « positives » peut être simpliste et nier la réalité des conflits du travail et des rapports de pouvoir dans l'entreprise.

RECUEILLI PAR CÉLINE ROUDEN

(1) Auteur des managers de l'âme. Le développement personnel en entreprise, nouvelle pratique de pouvoir ?, éd. La Découverte, 192 p., 20 Euro