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Origine : http://www.politis.fr/article1293.html
La Confédération nationale du Travail (CNT) connaît
un renouveau, dû notamment à la désaffection
pour les grandes centrales. Rencontre avec les membres de ce syndicat
qui revendique l’autogestion et l’action directe.
Un chat noir au poil hérissé, qui fait le gros dos
en signe de colère... Dans les manifestations du mois de
mars, on a vu flotter le célèbre drapeau noir et rouge
de la Confédération nationale du travail (CNT). On
a pu remarquer aussi le nombre important de manifestants dans ses
rangs, et notamment de jeunes. Un renouveau sensible, qui réjouit
les anciens du mouvement et donne du poids à leurs arguments.
« Si personne ne travaille à ta place, personne ne
décide à ta place. » Ce slogan résume
le fonctionnement de la CNT pour Étienne Dechamps, militant
depuis 1968 du syndicat révolutionnaire. Pas de hiérarchie,
« chaque adhérent a le même pouvoir ».
Autogestion et démocratie directe sont ses préceptes.
L’assemblée générale est souveraine.
« Elle est une forme de contrôle de chacun sur chacun,
les individus ne peuvent pas travailler pour le patron »,
traduit Fabrice Noël, secrétaire régional d’Île-de-France.
« Tout est sujet à débat, y compris des sujets
qui, peut-être, ne le méritent pas », analyse
Étienne. Chaque décision est prise par consensus.
« Et ça rend dur le militantisme ! Mais ce qui peut
tuer la CNT, c’est de devenir monolithique. »
Être adhérent à la CNT n’est pas de tout
repos. Réunions, réflexions, actions, autant d’activités
réalisées en dehors des horaires de travail. La CNT
se passe de permanents, par refus de professionnaliser le syndicalisme
et de se couper de la base. Chaque adhérent apporte sa pierre.
Le syndicat forme ceux qui ne sont pas habitués à
militer. La CNT sert aussi à « rendre chaque individu
plus autonome », se réjouit Paco Munoz, retraité
et adhérent depuis quatre décennies, après
une enfance baignée dans l’anarcho-syndicalisme espagnol
: ses parents étaient des opposants à Franco. «
La finalité, c’est l’amélioration des
conditions matérielles et morales, mais aussi de créer
des espaces d’émancipation. »
Paradoxalement, le danger pour l’avenir de la CNT serait un
développement trop rapide. Cela compliquerait son fonctionnement
démocratique. Avec 4 000 militants, la confédération
reste groupusculaire. Mais elle l’est de moins en moins. «
Plus on est nombreux, plus le consensus est difficile à atteindre,
plus il est difficile d’être démocratique, car
le nombre d’intermédiaires augmente », déplore
Étienne.
Pourtant, la CNT pourrait attirer de plus en plus de militants,
divorcés des centrales syndicales classiques. « Dans
les dix ans à venir, il va y avoir une recomposition du syndicalisme
de lutte dans laquelle la CNT pourrait jouer un rôle »,
prédit Emmanuel Coral, 46ans, ancien de la CFDT. Ils sont
beaucoup, comme Emmanuel, à critiquer « ces conglomérats
de notables corrompus ». Les appareils ont professionnalisé
des syndicalistes qui prêchent plus pour leur condition que
pour celle de leurs adhérents. Lorsque Emmanuel a été
licencié, il s’est senti abandonné par son syndicat,
la CFDT. « Je ne les intéressais plus car je n’étais
plus dans une entreprise, j’étais un chômeur.
Or, la CFDT est peu impliquée dans le combat des chômeurs.
»
Le secrétaire confédéral de la CNT, Jean-François
Grez, a ressenti la même chose en 1988 lors des grèves
des PTT. Edmond Maire, secrétaire général de
la CFDT, avait traité les membres de la CNT de « moutons
noirs ».
Éric Derennes est à la CNT depuis janvier 2002. Militant
politique depuis longtemps, il s’est rapproché un temps
de la CFTC. Mais, au moment d’adhérer, il a ressenti
un milieu hostile, peu ouvert aux nouveaux venus : « J’avais
l’impression de déranger. »
Tous ont trouvé à la CNT un espace de liberté,
ouvert, où les militants se rencontrent souvent (du fait
de l’absence de hiérarchie), antiautoritaire et surtout
indépendant des partis comme des organisations quelles qu’elles
soient. La Fédération anarchiste tente bien de les
récupérer de temps à autre, mais la CNT ne
se définit pas comme anarchiste. Seulement révolutionnaire,
accueillant des libertaires. « Ceux-ci ne constituent pas
une majorité », précise Jean-François
Grez, pour contrer ce cliché de syndicat anarchiste qui colle
à la CNT depuis des années.
La confusion remonte à l’histoire même de la
CNT. Héritière de la CGT révolutionnaire française
et de l’anarcho-syndicalisme de la CNT espagnole du début
du XXe siècle, la confédération abrite les
deux tendances depuis sa création en 1946 et a « servi
de couverture juridique à l’organisation espagnole
», explique Étienne Dechamps. Or, du côté
espagnol, la Fédération anarchiste ibérique
(FAI) a exercé un contrôle politique de l’organisation
syndicale, et « le syndicalisme espagnol s’est ainsi
affirmé en inventant le projet de société communiste
libertaire », explique-t-on sur le site Internet de la CNT.
Par ses positions radicales (refus des comités d’entreprises,
des délégués du personnel et de la cogestion)
au sortir de la guerre, la CNT a alimenté cette image anarchiste.
Quasiment défunte dans les années 1960, malgré
un petit sursaut en 1968, la CNT frôle la disparition en 1974.
Son état plus que groupusculaire nourrit aussi le cliché.
Sa réapparition à la fin des années 1970 n’y
mettra pas un terme. D’autant plus qu’un autre cliché
est associé à celui d’un syndicalisme anarchiste
: la CNT est vue comme une machine violente. Les militants, comme
Étienne Dechamps, s’insurgent contre cette idée
reçue. « Où est la violence lorsque 2 000 à
3 000 personnes meurent chaque année au travail ? »
Pour Éric Derennes, « la CNT n’est pas violente,
elle génère la violence car elle a d’autres
idées que les grandes centrales syndicales. La distribution
de tracts, le collage d’affiches peuvent être perçus
comme des activités violentes par les autres syndicats car
cela trouble leur inactivité. Mais cela n’est pas une
violence physique. » Il reconnaît cependant que, lors
des manifestations, le service d’ordre peut faire peur. Certains
militants en jouent d’ailleurs dans leurs rapports avec les
patrons. « En six ans à la CNT, je ne me suis jamais
battu, soutient Fabrice Noël. Mais certains patrons pensent
qu’il faut faire attention à nous car nous sommes violents.
Nous les laissons dans cette idée », poursuit-il avec
malice.
Le principe de l’action directe (occupations de locaux, tracts,
etc.) revendiqué par la CNT n’embellit pas le portrait.
L’action dans les entreprises est décidée par
les salariés eux-mêmes, en assemblée générale.
Le syndicat ne leur impose pas de ligne de conduite. Il assure seulement
la cohérence entre les actions, sans préjuger de la
forme de l’action. « Nous revendiquons par exemple le
sabotage », lance Étienne Dechamps...
Le renouveau de la confédération doit beaucoup à
la jeunesse. Depuis les premières batailles universitaires
en 1986, mais surtout en 1995 et dans les années 2000, de
nombreux étudiants ont rejoint la CNT. Celle-ci a d’ailleurs
encouragé la création de sections universitaires,
les lycées restant moins concernés. « Espace
de liberté, discours radical, rôle formateur »
: autant d’explications possibles à ces adhésions,
selon Étienne Dechamps.
Peut-être aussi la recherche d’un idéal révolutionnaire.
Car, si elle refuse les adjectifs « anarchiste » et
« violent », la CNT revendique celui de « révolutionnaire
». Sans attendre le grand soir, les militants parlent plutôt
de « transformer la société pour que chacun
puisse participer, que chacun soit acteur de sa propre vie »,
précise Fabrice Noël. « La révolution,
ce n’est pas imposer un autre système, c’est
travailler avec tous les éléments du groupe et prendre
une décision ensemble », théorise Éric
Derennes.
Prendre une décision ensemble, mais sans collaborer avec
le patronat. La CNT rejette la cogestion et a refusé pendant
longtemps de participer aux élections de délégués
du personnel. Les comités d’entreprises sont une institution
trop compromise. Sauf cas exceptionnels, elle préfère
rester en dehors. Ce débat lui a valu une scission avec la
CNT-AIT (qui se revendique de l’Association internationale
des travailleurs), organisation encore plus groupusculaire que la
CNT (dite CNT Vignolles car domiciliée 33, rue des Vignolles
à Paris).
La compromission avec le patronat, c’est ce que reproche la
CNT aux autres syndicats, qui le lui rendent bien en la rejetant.
Aucune relation n’est possible avec les hiérarchies
des grandes centrales. Si intersyndicales il y a parfois, c’est
le fait des adhérents de la base. « Cela repose souvent
sur quelques personnes », explique Éric Derennes. «
Mais cela se passe bien sur le terrain. » Sauf lorsqu’il
s’agit de représentativité. Car la CNT n’est
pas reconnue par l’État, dans les négociations,
comme les « grands » syndicats CFDT, CGT, FO et autres.
Les altercations sont permanentes. La CNT est bien souvent «
exclue des tables de négociations pour la préparation
des cortèges », indique Étienne Dechamps. En
2001, elle avait même eu l’interdiction de défiler
pour le 1er Mai.
« Ce serait évidemment plus commode si la CNT avait la
représentativité, explique Jean-François Grez.
Mais cela m’étonnerait qu’on nous la donne. Il
faudrait aller jusque devant les instances européennes, comme
SUD l’a fait. Car le patronat est contre. » Un dossier
avait été monté à la fin des années
1990. Mais il est resté en suspens. L’essentiel pour
la CNT est ailleurs : dans les luttes quotidiennes des travailleurs.
La représentativité attendra.
Confédération nationale du travail, 33, rue des Vignolles,
75020 Paris.
Tél. : 0 810 000 367.
http://www.cnt-f.org
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