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LE CLITORIS, CE CHER INCONNU
Vanina Ocl


Origine : http://oclibertaire.free.fr/ca138.html
http://oclibertaire.free.fr/ca138-f.html#AnchorD
Repris par le site
http://endehors.org/news/4957.shtml

Parler du clitoris dans un journal — comme dans n'importe quel lieu dépassant le cadre de « l'intimité », où le sujet est sans doute déjà assez peu fréquent – est toujours susceptible de susciter une réaction de surprise, sinon de rejet, et ce même si le journal en question est estampillé révolutionnaire…

Quiconque veut réellement changer les rapports actuels entre les sexes doit donc s'interroger sur le sens de cette réaction négative. Car pourquoi la seule mention du clitoris étonne-t-elle, choque-t-elle ou dérange-t-elle, sinon parce que son existence même est officiellement ignorée et officieusement censurée ? Pourquoi une “ omission ” à une aussi grande échelle, sinon parce que la sexualité féminine est à la fois taboue et méconnue aujourd'hui comme hier ? Et pourquoi en est-il ainsi, sinon parce que le système politique en place a intérêt à ce qu'elle le soit, qu'il met tout en œuvre pour y parvenir… et y réussit si bien que la pensée patriarcale est intégrée, portée jusque dans les rangs de personnes persuadées de la combattre ? La séparation public-privé demeure en effet très forte partout dans la société, l'idée que “ le privé est politique ” étant rarement prise en compte (et souvent de façon très théorique), et le discours du pouvoir est prégnant dans tous les milieux au point d'en devenir… invisible.

La domination masculine se manifeste pourtant, et bien évidemment, sur le terrain de la sexualité plus encore qu'ailleurs dans le système patriarcal : elle est à la base des normes imposées aux deux sexes, avec l'obligation des rapports hétérosexuels — en vue du plaisir masculin et/ou de la reproduction —, ainsi que des comportements, attendus actif chez les hommes et passif chez les femmes.

Deux moyens sont utilisés pour assigner celles-ci au rôle exigé d'elles : la censure et la propagande idéologique. Ce sont donc à eux deux qu'il convient de s'attaquer — comme à tous les autres instruments d'oppression et d'aliénation — par un important travail, d'une part d'information, d'autre part de dénonciation des pressions exercées sur les filles dès leur naissance, à travers la valorisation d'une féminité synonyme de passivité.
Revendiquer pour — ou avec — les femmes leur droit à une sexualité libre, par l'expression de désirs que traduit sur le plan physiologique l'excitation d'une organe appelé clitoris, est en fait carrément subversif. Car si cet organe est nié depuis des siècles, c'est bien parce qu'il permet aux femmes de rechercher et d'atteindre la jouissance, autrement dit d'avoir une sexualité active qui est à l'inverse du comportement autorisé. Pour empêcher cette contestation des rôles sociaux imposés, une véritable propagande est assénée en tous temps et tous lieux afin de masquer la réalité sexuelle féminine : on fait croire aux deux sexes que les femmes possèdent seulement des organes reproducteurs et n'ont pas de désirs (du moins les “ filles bien ”, pas les “ chiennes en chaleur ”) ; que c'est aux hommes d'être le sujet de l'acte sexuel (sans être bien sûr pour autant appelés “ chiens en rut ”…) et aux femmes d'être son objet, etc. Et on enterre la sexualité féminine sous un tombereau de pseudo-vérités médicales et/ou scientifiques et de règles morales qui ont comme seul objectif le maintien de l'ordre établi.

Pour toutes ces raisons, l'émission dont il va être question ci-après mérite d'être saluée… et ce genre d'initiatives visant à briser le tabou multiplié.

Vanina


Le clitoris est la seule partie du corps dont l'unique fonction est de procurer le plaisir.

C'est ce qui le rend tellement extraordinaire. Il est très étrange de penser que les femmes imaginent leur sexualité plus inhibée que celle des hommes, alors que le clitoris réagit à peu près comme le pénis : il se redresse comme une érection. ” “ On dit souvent aux filles : “ Non, tu n'as pas de pénis. ” C'est intéressant de constater l'absence même de mention du clitoris. Au mieux, on leur dit qu'elles possèdent un vagin. En fait, ça renforce l'idée freudienne que les filles sont envieuses… mais ça crée toujours un problème à quelqu'un qu'on lui dise : “ Non, tu n'as pas ceci ou cela… ” comme s'il lui manquait quelque chose. ” “ Peu à peu, on voit progresser la connaissance sur le sexe de l'homme, mais la femme reste la grande inconnue. Il est très important d'essayer de démystifier toutes ces histoires qu'on dit sur la frigidité et que les femmes sachent qu'elles sont toutes capables d'avoir des orgasmes… ”

La première partie du Thema1 qui a été consacré par Arte à la mi-janvier 2004 au “ Sexe des femmes ” est suffisamment intéressante et enrichissante (une fois n'est pas coutume en matière télévisuelle) pour qu'on en diffuse le contenu. Les déclarations précédentes et suivantes émanent de femmes — Françaises, Allemandes, Anglaises, Américaines, Hollandaises… écrivaines, scientifiques, éducatrices… — ayant sans doute participé aux mouvements de femmes des années 70 ; le corps de l'article est quant à lui un résumé de leurs expériences personnelles ou de leur investissement militant. Le message qu'elles essaient de faire passer, avec en général conviction et chaleur, intelligence et clarté d'analyse, est très simple : les femmes peuvent avoir du plaisir dans l'acte sexuel car elles sont pourvues d'un organe leur permettant d'en obtenir… mais encore faut-il qu'elles en aient la conscience et le désir, et qu'elles en fassent elles-mêmes la recherche, avec ou sans partenaires.

Anatomie :
Clitoris et pénis viennent des mêmes tissus et ont une structure de base très semblable à l'état de fœtus. Le clitoris est un “ organe très mignon, de forme très belle ”, au tissu extrêmement sensible. Avec plus de terminaisons nerveuses que n'importe quel autre organe (4 000 de chaque côté et 8 000 convergeant vers son extrémité, quand le pénis en a entre 4 000 et 6 000 en tout) et une taille bien plus grande qu'on ne l'imagine (8 centimètres, pour l'essentiel à l'intérieur du corps féminin), il se raidit avec l'afflux de sang à la façon d'une érection pénienne, mais permet d'avoir plusieurs orgasmes à la suite.

Histoire : Jusqu'ici, le clitoris n'a guère été étudié par les scientifiques, et sa description peu détaillée, quand elle existe, contient bien des inexactitudes. Il reste donc beaucoup à faire en matière d'anatomie féminine. En 1559, un anatomiste italien, Rinaldo Colombo, avait décrit le clitoris avec passion, comme un organe “ si joli, et tellement utile ! ” ; mais son travail a disparu, alors que ceux sur les organes reproducteurs présentés par son patron Vessalius sont restés. En 1855, l'Allemand Georges Cobelt a publié d'excellents dessins sur le clitoris, puis des illustrations assez fantaisistes ont commencé à paraître sur lui dans les livres d'anatomie. En 1900, il figure dans la bible des chirurgiens anglais Anatomy, mais en 1948 il en disparaît, et plus aucune mention n'en est faite, alors qu'il existe tout un chapitre sur l'érection masculine…

Sciences :
Le clitoris n'a pas toujours été ignoré dans l'acte sexuel. Ainsi, Hippocrate pensait que les femmes aussi possédaient du sperme et devaient, pour une bonne fertilité, avoir un orgasme en produisant ; il leur fallait donc du plaisir, et le clitoris servait à leur en donner. Au Moyen Age, malgré la profonde “ méfiance ” de l'Eglise vis-à-vis du plaisir charnel, les médecins préconisaient des traitements inattendus, genre enduire d'huile parfumée un doigt et frotter avec la vulve, dans un mouvement circulaire. Des auteurs comme Boccace parlent d'un appétit des femmes pour le sexe qui serait bien supérieur à celui des hommes. Mais, en 1875, le scientifique belge Edouard Van Beneden décrit les mécanismes de la reproduction, et exit le clitoris puisqu'il ne sert pas à cette fonction… Quant à Sigmund Freud, il admet l'importance de l'orgasme, mais déclare l'orgasme clitoridien infantile : une vraie femme doit pouvoir transférer ses orgasmes du clitoris vers le vagin, sinon elle est “ immature ” et sexuellement handicapée.

“ D'après des enquêtes menées en Angleterre, seules 30 % des femmes ont un orgasme au cours d'une pénétration vaginale. Et, même là, le clitoris joue un rôle parce que le vagin seul ne permet pas cet orgasme : il contient très peu de nerfs et ses parois sont donc relativement insensibles (c'est heureux, car sinon les accouchements seraient encore plus douloureux) ; mais, en pressant vers le haut et vers le bas, on commence à ressentir quelque chose, en particulier autour du clitoris (sans qu'il soit possible de localiser vraiment un quelconque point G)… ” Aussi, les images couramment servies par les médias et le cinéma sur le sexe sont très loin de refléter la réalité de l'excitation sexuelle chez les femmes, en même temps qu'elles traduisent un total désintérêt pour les activités susceptibles de provoquer l'orgasme chez elles — la préoccupation dominante étant comme ailleurs dans la société le plaisir des hommes plutôt que des femmes.

Morale :
Le clitoris a été victime d'une discrimination certaine au cours des siècles, car la morale est souvent venue troubler l'“ objectivité ” des savants. “ Dans la tradition chrétienne, les plaisirs de la chair sentent le soufre et les femmes y sont particulièrement disposées : “ La nature a déposé dans leurs parties intimes une bête, ou un organe que les hommes ne possèdent pas ”, estime l'auteur et médecin de la Renaissance Rabelais. A l'époque de la chasse aux sorcières, un grand clitoris est souvent pris pour la marque du diable. Et si la science balaie bêtes et démons, c'est pour les remplacer par maladies et déviances : au XIXe siècle, le lesbianisme et la nymphomanie sont considérés ainsi. Quant à la masturbation, elle provoque jaunisse, cécité, voire mort prématurée. ” Les médecins sont persuadés que l'excitation sexuelle détruit l'équilibre mental des femmes. Soucieux de trouver une origine à ces maux, ils jettent le blâme sur le clitoris. En 1865, le Dr Bakerbrown, président de la British Medical Society, soupçonne le clitoris d'être responsable de l'hystérie, de l'épilepsie et d'autres formes de folie. Le traitement qu'il préconise est redoutablement efficace : retrait du clitoris pour soulager la “ nervosité ”. Contesté par ses pairs, il démissionne, mais ses méthodes perdurent et des centaines de femmes sont ainsi mutilées jusqu'en 1920.

Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, des centaines de petites filles naissent avec un clitoris hypertrophié suite à des problèmes hormonaux, et des médecins en préconisent aujourd'hui encore l'ablation partielle — une excision évidemment réalisée de façon très discrète. La clitoridectomie pour mise en conformité avec le modèle dominant, ici comme ailleurs, crée douleurs et stress ; elle pèse lourdement sur une vie entière, les relations avec les hommes et les rapports sexuels.

Education sexuelle :
“ Les filles ont de fortes pulsions sexuelles, et ne sont pas seulement poussées à l'acte sexuel par leurs petits amis ” — des expériences réalisées par des femmes en laboratoire à l'université d'Amsterdam le prouvent. “ Mais elles ont tendance à penser qu'elles sont des salopes si elles agissent ainsi, et sous la pression de leur entourage qu'elles subissent elles ont tendance à se croire anormales ” — un type de comportement qui paraît très constant. “ Comment faire pour que les filles acceptent leur sexualité sans exagérer ni se mettre à coucher à droite et à gauche, sans faire des choses dangereuses ? On se heurte toujours à l'idée que si on enseigne la sexualité, les jeunes vont se précipiter pour la mettre en pratique. mais toutes les études réalisées montrent que plus ils en savent à propos du sexe et de leur corps, et plus cela les incite à communiquer leurs désirs et à dire non aux rapports sexuels dont ils n'ont pas envie. S'ils ont confiance et qu'ils prennent leur vie en charge, ils diront non tant qu'ils ne sont pas prêts. Le sexe est partout, rien ne sert de le nier : il faut plutôt aborder le plaisir sans tabous, les questions de la masturbation, de l'avortement, de l'homosexualité… du clitoris et du corps en général. ”

Finalité de la sexualité :
“ On en parle toujours comme s'il s'agissait avant tout d'être enceinte et d'avoir des bébés. ” Une étude réalisée il y a trois ans montre que sur les 15 principaux manuels d'éducation sexuelle anglais existants, 10 ne mentionnent ni le clitoris ni l'orgasme féminin ; d'où la nécessité d'organiser une information sur le plaisir sexuel des femmes aussi. “ On surestime trop souvent la force des filles, mais leur pouvoir est mince comme du papier, et en dessous on trouve toujours le même niveau d'impuissance et la même incapacité à assumer leurs décisions et leurs besoins. On devrait insuffler le féminisme dans la vie des filles, ainsi que l'idée qu'elles ont des droits — le droit de faire des choix et celui de refuser de se comporter et d'être comme ce qu'on attend d'elles ; celui de situer leur propre désir au centre de leur vie, avant leurs responsabilités vis-à-vis des autres ; elles ont besoin d'affirmer un peu plus leur droit au plaisir. ”

Activité sexuelle :
“ L'aventure physique en matière de sexualité féminine a véritablement commencé avec Master et Johnson dans les années 60. Ces deux sexologues américains ont observé sur un grand nombre de femmes que leur activité sexuelle se décomposait en phases identiques à celles des animaux, avec excitation, plateau, orgasme et résolution, et ils ont cherché les mécanismes du cerveau et du reste du corps mis en jeu lors de ces phases. Il y a un afflux de sang immédiat avec stimulus sexuel, le centre de commande se situant dans la moelle épinière, et l'acceptation des perceptions par le cerveau étant nécessaire pour qu'il y ait rapport avec le sexe. ” L'apprentissage aux orgasmes est nécessaire : l'expérience montre que n'importe quelle femme peut avoir un orgasme, et très vite, mais elle doit apprendre ; c'est pourquoi “ il existe une thérapie d'initiation à la masturbation aux Pays-Bas. Tous les corps ont besoin d'orgasmes : nous sommes des créatures sexuées, c'est pour cela que nous existons. Le plaisir sexué représente une part considérable de notre vie humaine. Je ne crois pas que nous devons penser : “ Nous sommes saturés de sexe. ” Oui, c'est ridicule la manière dont on nous le jette partout à la face. Mais, encore une fois, nous sommes profondément des êtres sexués. Le sexe est une partie de ce qui fait de nous ce que nous sommes. ”

Médicalisation :
“ Le Viagra a lancé une recherche en matière pharmacologique qui intéresse les femmes aussi. Mais s'il y a avec lui augmentation de l'afflux de sang dans le vagin, les femmes ne sont pas plus excitées sexuellement. ” 43 % des Américaines ont paraît-il un dysfonctionnement sexuel, cependant le Viagra ne s'attaque pas au véritable problème : les problèmes relationnels entre les partenaires et le manque de stimulation sexuelle pour les femmes. “ Il n'est pas un aphrodisiaque. Un médicament ne peut pas régler une insatisfaction dans la vie sexuelle : il faut se poser la question de savoir si on apprécie sa vie avec ses partenaires avant de se poser celle de l'intensité de l'orgasme à avoir. Autrefois, seules les causes psychologiques étaient prises en compte, aujourd'hui on considère les causes physiques. Mais en fait, il existe de nombreuses causes aux problèmes sexuels, et il faut les prendre toutes en compte. La recherche médicale commence à s'y intéresser. Seulement, l'industrie pharmaceutique ne finance que des tests cliniques sur des réactions à tel ou tel médicament. Le sexe est un sujet délicat sur le plan politique, et si difficile sur le plan de notre histoire que la recherche en ce domaine n'intéresse pas. Pourtant, la sexualité ne se réduit pas à une substance libérée par un nerf… Aujourd'hui, le déficit de connaissances est tel en la matière que militer contre la médicalisation ne va aboutir qu'à menacer l'embryon de recherche existant dessus. ”

Relations avec les partenaires :
“ Les problèmes relationnels entre partenaires sont fondamentaux, même lorsque l'orgasme fonctionne : il importe à une femme de se sentir aimée, d'être en sécurité, de savoir qu'on s'intéresse à elle en tant que personne… La sexualité naît de la relation entre deux personnes : elle se construit peu à peu, au quotidien. ” Les femmes qui ont le plus d'orgasmes sont celles qui se prennent en charge, qui sont à l'initiative pour avoir du plaisir, car “ si on laisse aux hommes cette initiative, on ne s'amusera jamais autant qu'on pourrait le faire ”.

(Retranscription et mise en forme par V.)


1. La deuxième partie — Le Long Chemin contre l'excision — montre notamment comment, pour obtenir l'abandon de cette pratique dans des villages du Mali, des militantes d'une ONG jouent de l'Argument Recevable auprès des anciens et anciennes, gardiens de la tradition et… détenteurs de l'autorité : les risques encourus, lors de l'accouchement, par les bébés quand l'excision a provoqué des malformations chez la mère (!). La dernière partie — Filmer le désir : voyage à travers le cinéma de femmes — tente, à travers des interviews de femmes cinéastes, de réfléchir aux modes et aux effets de la représentation du corps féminin sur le désir chez des femmes, comparé à celui exprimé par des hommes.