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Origine :
http://www.decroissance.info/1975-un-tournant-Le-mal-etre-du
1975 : un tournant ? Le mal-être du bien-être et l’apparition
du pluralisme religieux
En France par exemple, cette date correspond très clairement
pour les historiens à un tournant intellectuel et spirituel.
En 1974, Soljenitsyne à publié l’Archipel du
Goulag et en 1975 la crise du marxisme se fait sentir dans les milieux
intellectuels, avec par exemple l’apparition des autoproclamés
« Nouveaux philosophes » (A. Glucksmann, B.-H. Lévy...).
C’est aussi comme le note l’historien Gérard
Cholvy, une date où apparaît en rafale un certain nombre
de livres où il est de nouveau question de Dieu (journalistes
et écrivains : Georges Suffert, Le Cadavre de Dieu bouge
encore ; André Frossard, Dieu existe , Je l’ ai rencontré
; Maurice Clavel, Dieu est Dieu, nom de Dieu ; Olivier Clément,
L’Autre Soleil) Il y a donc à cette date un revirement
de certains intellectuels jusqu’à aujourd’hui,
où par exemple , plusieurs d’entre eux attachent au
christianisme une valeur fondamentale (R. Debray, L. Ferry, M. Gauchet...).
Pour G. Cholvy encore, à partir de 1975 , on sent le danger
du label « scientifique » , accordé abusivement
aux sciences humaines, cela est mieux perçu. Les religions
n’ont plus le monopole du fanatisme , le scientisme en est
aussi une variété. Des thèmes occultés
durant deux décennies ressurgissent : le respect de la nature
et de ses rythmes, ce qui concerne aussi la personne, ses droits,
sa dignité ; la mort et la réflexion sur la finitude
. Le passé est valorisé à nouveau surtout par
les citadins (jusqu’à aujourd’hui avec les phénomènes
de commémoration tous azimut, de « muséification
» du territoire).
Cette année 1975 marque également L’essor d’une
religiosité parallèle : Le réveil du religieux
participe aujourd’hui de la quête d’un ailleurs.
La première vague de religiosité s’alimente
au terreau du christianisme. Aux communautés anciennement
implantées en France - mennonites (3000) du pays de Montbéliard,
baptistes (20 000), quakers, darbystes (22 000), salutistes (4000)
- se sont ajoutés, venant des Etats-Unis, l’adventisme
(de advent : retour du Christ) du 7ème jour (samedi) : austère
en morale, versant la dîme, ses 8000 fidèles , ouverts
à l’œcuménisme, sont très soucieux
de la liberté religieuse et d’évangélisation
directe ; les 15 000 mormons dont les jeunes participent à
l’évangélisation pendant 18 mois ; les pentecôtistes
apparus au Havre en 1929 ( 70 000 membres). A partir de 1950 les
pentecôtistes ont évangélisé 50 000 gitans
qui forment L’Eglise évangélique tsigane. Parmi
les nouvelles religions d’origine chrétienne, les Témoins
de Jéhovah sont les plus actifs (200 000 membres dont 92
000 proclamateurs.) son recrutement touche aussi les classes moyennes.
La seconde vague de religiosité qui touche la France à
partir de 1975 est venue d’Orient après 1968 en partie
par le relais américain : la secte Moon (1000), les Enfants
de Dieu arrivés en 1972 ; L’Eglise de scientologie
(30 000) alliant spiritualité et haute technologie ; la méditation
transcendantale (pratique de relaxation) avec 200 professeurs en
France. Il faut ajouter les nouvelles « Sagesses » d’Occident,
tel le mouvement initiatique des Rose-Croix (5000), le Graal, la
Nouvelle Acropole (2000) ; des mouvements orientaux , guérisseurs
ou culturels, d’autres qui se réclament de l’occulte
. Les mouvements de cette deuxième vague s’attachent
davantage à la réalisation individuelle qu’à
l’action collective. Il se diffuserait 1 000 000 de livres
dans les librairies ésotériques (1/6 des livres religieux).
Tout un monde de religions parallèles voisines : réincarnation,
yoga, astrologie,parapsychologie, maîtres orientaux, soucoupes
volantes ou médecines douces. En 1980, Marilyn Fergusson
a donné le coup d’envoi du New Age, le Nouvel Age,
avec les Enfants du Verseau (nouveau souffle au spiritisme). Si
la " nouvelle religiosité " reste extrêmement
minoritaire avec les 300 groupes et les 600 000 adeptes recensés
par Jean Vernette, elle repose néanmoins sur une base beaucoup
plus large . En effet, beaucoup mieux que les "sectes"
contraignantes et les grandes Eglises, elle répond à
une quête diffuse de religion alternative, non structurée,
individualisée, dans laquelle on s’engage en restant
libre de choisir dans chaque religion les aspects les plus attirants.
C’est l’apparition d’un « marché
» du religieux. Autre tournant significatif en 1975 on commence
à parler des sectes : juin 1975, Le Monde met en garde contre
la secte Moon ; 1975 est l’année aussi où le
Lotus d’Or (mandarom) s’installe à Castellane.
On voit apparaître également un autre groupe d’influence
extrême orientale « Hare-Crishna ».
Ce tournant qui semble se produire ici en France dans le domaine
intellectuel et spirituel, a engagé aujourd’hui l’air
du temps de notre bien-pensant « sens commun ». Montée
en France de la nouvelle catégorie des « non-croyants
», religiosité diffuse, supermarché du religieux
et autre « métaphysique de la subjectivité »
sont devenus notre horizon commun face au vide de la marchandise,
phénomènes que l’on relie bien souvent dans
une complémentarité.
Mais ce flux religieux daté de 1975, peut-être mis
en relation intelligente avec un indicateur alternatif élaboré
par des économistes américain en réaction à
l’omniprésent P.I.B qui est relativisé par ces
chercheurs. Ce nouvel indicateur - l’Indice de Bien Etre Soutenable
- qui semble bien plus intéressant (même si l’on
doit pouvoir mieux faire), oppose la croissance de la valeur (que
calculerait le P.I.B.) à la croissance de la richesse. Cet
indice de Bien Etre soutenable soustrait au P.I.B. les coûts
écologiques et sociaux que sa production engendre (car dans
le calcul du P.I.B. est pris en compte des éléments
immoraux comme les destructions, explosions, attentats...). Ainsi
une part de la croissance économique ne set qu’à
compenser ses effets catastrophiques, comme des pertes de bien-être
liés aux dégâts sociaux et environnementaux.
Des comparaisons du P.I.B. et de l’Indice de Bien Être
soutenable dans la société américaine de 1950
à 2000 ont été faites. Les résultats
viennent confirmer le tournant de 1975. Ainsi alors que l’indice
de P.I.B. par habitant explose (entre 1950 et 2000) de façon
exponentielle, l’Indice de Bien Etre soutenable dégringole
brusquement à partir du milieu des années 1970. Mieux,
le bimestriel La décroissance (n°1) nous apprend que
deux chercheurs suédois (Jackson et Stymne) obtiennent les
mêmes résultats pour cinq autres pays (Allemagne, Royaume-Uni,
Autriche, Pays-Bas, Suède). Plus de P.I.B. égale moins
de bien-être ! Cette crise du bien-être estimée
par cet indicateur alternatif a-t-elle quelques liens avec l’essor
de la religiosité parallèle, la montée des
sectes, un revival pour la vie à la campagne et pour la protection
de la nature ? Tout pourrait porter à le croire avec de plus
amples confirmations. Tout se passe comme si les humains - personnalités
ou/et collectivités - accablés par la pesanteur des
nécessités, trouvaient quelque chose comme la corde
d’un message, d’une annonce, d’une « révélation
», d’un évangile. Cette corde, tantôt ils
la jugent venue d’ailleurs et tantôt ils l’estiment
sortie d’eux-mêmes. Peu importe. Dans l’un et
l’autre cas c’est une corde qu’ils lancent dans
le vide, dans les nuages, dans le ciel. Ce sont des résistances
civiles mais collaboratrices - car non transformatrices ni révolutionnaires
- dont parle si clairement Edgar Morin.
Là encore le fondateur de la bio-économie, N.Georgescu-Roegen
a raison de différencier clairement dans les indicateurs
économiques, les « concepts arithmomorphiques »
des « concepts dialectiques » qui eux, sont essentiellement
qualitatifs. Confirmant les remarques de cet économiste atypique,
cette simple comparaison entre le reflux religieux observé
par les historiens à partir de 1975 et l’indice du
Bien Être soutenable, devrait nous porter à considérer
de plus près une réflexion critique sur les indicateurs
économiques qui, trop souvent au service des puissants, orientent
les politiques publiques vers une destruction totale de la nature
et de l’affectivité humaine.
le dimanche 29 mai 2005
par Clément Homs
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