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Origine : http://www.decroissance.info/Le-droit-de-propriete
Penchons-nous donc sur cette propriété intellectuelle,
« victime tellement digne de compassion qu’on voit d’un
même mouvement se lamenter sur elle Bouygues le bétonneur,
et la Société des Gens de Lettres, le doux rocker
Francis Cabrel et Lagardère le marchand de canons »
[1]
L’artiste français Bénabar, très engagé
auprès du Grand Capital et de sa marchandisation de l’art.
« Le livre est une marchandise écrit ainsi Sagot-Duvauroux,
mais le texte lui-même en est-il une ? » Dans l’expression
“J’ai écrit un livre” (ou “j’ai
écrit une chanson”, etc.), l’énoncé
semble en effet limpide. Mais « il ne l’est pas. Il
concentre en une trop rapide expression - écrire un livre
- trois processus tout à fait hétérogènes.
D’abord la production d’un texte, travail [vivant] de
l’esprit dont l’écrit n’est pas la forme
obligée, qui peut aussi s’effectuer par l’oral,
qui pour une part préexiste dans le secret de la pensée.
Ensuite l’écriture. Elle fait bifurquer le texte vers
un de ses modes de communication et le conforme peu ou prou à
ce qui sera reconnu comme du style écrit. Enfin, le texte
qui s’est incarné sous la forme d’un écrit
pourra être édité dans un livre, opération
industrielle et commerciale qui l’ouvre à la circulation
marchande et à la rencontre des lecteurs ».
Dans une telle situation, quels sont alors les « droits des
auteurs » et quels sont les « droits du public »
? C’est-à-dire, à qui appartiennent les droits
d’usage (intégrité, copie « illicite »
par frappe ou par scanner, citations, etc.) de toute production
de pensée ? Cette question est aujourd’hui un vaste
débat (philosophique notamment) qui renaît dans la
société pour ce qui est par exemple de la musique
ou du cinéma, et notamment au travers de la question de la
mutation numérique du support de l’écrit ou
de la vidéo grâce à l’internet.
Mais cette question ne peut être véritablement résolue
si l’on ne s’attaque pas philosophiquement aux questions
plus fondamentales que sont : qu’est-ce qu’écrire
? qu’est-ce que l’art ? qu’appelle-t-on “
penser ” ? quel est l’être des productions littéraire
et artistique ? Et c’est à ces questions que la décroissance
amène à penser.
La propriété intellectuelle fruit de l’ontologie
capitaliste.
Il existe deux traditions philosophiques qui conçoivent
la propriété intellectuelle et qui régentent
l’ordre de l’imaginaire juridique dominant au niveau
de la planète :
- Une conception française, qui s’inscrit dans la
tradition de John Locke (le fondateur du libéralisme politique)
pour qui le droit de propriété de l’auteur sur
son œuvre est considéré comme un « droit
naturel » dont dispose chaque homme sur le travail de son
esprit. Ce droit d’auteur est un droit de propriété
exclusif. Ce « droit naturel » est un droit moral qui
confère à l’auteur un contrôle sur les
usages futurs de son texte ou de son ouvrage : intégrité,
divulgation, copie, repentir... Les économistes libéraux,
dont la figure la plus emblématique est l’ultra-libéral
Frédéric Bastiat adoptent cette position de propriété
perpétuelle de l’auteur. Le système juridique
français dès la Révolution française
(1791 et 1793) adopte ce droit moral de l’auteur. L’ordre
juridique de la propriété intellectuelle en France
est désormais celui-ci. L’auteur détient, par
son droit de propriété exclusif, des droits moraux
sur les usages qui sont faits de sa production intellectuelle. Et
cette conception française du droit de propriété
intellectuelle est exactement cette « autorisation préalable
» de l’auteur qu’il faudrait détenir pour
pouvoir mettre en ligne un texte sur decroissance.info...
- La conception américaine du copyright : elle est issue
d’une conception utilitariste des droits de propriétés,
qui soumet ces droits à leur utilité sociale et économique.
La propriété tire sa légitimité de son
efficacité économique. En 1909, le Congrès
américain vote la loi du copyright qui valide cette conception
de la propriété intellectuelle.
Gratuité et bien du public : la non-propriété
intellectuelle dans une société de décroissance.
Mais (et heureusement), il existe une troisième tradition
philosophique qui a cherché à penser ce qu’est
la propriété intellectuelle. C’est une tradition
maudite, qui n’a jamais réussi à s’instituer
dans aucun des pays sur la planète. Cette tradition, c’est
la tradition philosophique qui oppose au droit d’auteur, le
droit du public à la connaissance. Elle est marquée
notamment par trois auteurs : Proudhon, Victor Hugo et le socialiste
révolutionnaire Louis Blanc.
Pierre-Joseph Proudhon.
En 1863, après avoir publié le célèbre
ouvrage Qu’est-ce que la propriété ?, Proudhon
prend position sur la propriété intellectuelle dans
un ouvrage intitulé Les Majorats Littéraires. Proudhon
refuse de choisir entre l’une et l’autre conception
présentée ci-dessus, et adopte une position très
prudente : la propriété « n’est encore
pour nous qu’un fait d’empirisme [il s’oppose
à l’essentialisme des deux conceptions précédentes].
Ce que nous savons, c’est que la profondeur de son institution
nous échappe. Elle constitue le plus grand problème
des sciences sociales, problème d’autant plus difficile
qu’elle semble reposer uniquement sur un principe condamné
par l’Evangile, l’égoïsme » [2]. Proudhon,
contre les économistes libéraux et les philosophes
du libéralisme politique des deux précédentes
conceptions de la propriété intellectuelle, se met
ainsi à contester l’existence d’un droit de propriété
de l’auteur sur son œuvre. Et Proudhon, intelligemment,
pose alors la question que personne ne pose : qu’appelle-t-on
penser ? Qu’est-ce que la production de l’esprit ? Il
met là en cause l’essentialisme du « droit naturel
» que véhicule la conception française de la
propriété intellectuelle, cette sanctuarisation de
l’auteur.
A l’instar de toute production, dit-il, le produit littéraire
(et artistique d’ailleurs) est le résultat d’un
fonds, (le monde intellectuel, l’esprit humain...) et d’un
travail. L’écrivain puise dans le fonds des idées
et, grâce à son travail, fait un produit. L’écrivain
est donc un producteur, et la création un produit. Tant que
ce producteur de texte n’a pas vendu ou rendu public son livre
ou son texte, il en est incontestablement propriétaire, en
tout cas de sa forme.
Mais lorsqu’il le rend public ou le vend, que devient cette
propriété ? Par la publication et la vente, l’auteur
perd la propriété de son œuvre et les droits
moraux d’usage sur celle-ci, répond Proudhon. Par la
publication ou la vente, l’œuvre tombe dans le domaine
public dès lors que l’auteur décide de rendre
public son produit. Proudhon justifie ce transfert du droit de l’auteur
vers le droit du public, par le fait que l’auteur pour produire
son ouvrage, a puisé gratuitement dans le fonds public des
idées. L’auteur s’acquitte alors de sa dette
en ajoutant à son tour gratuitement sa contribution à
ce fonds, par « la mise au pot commun des idées et
des phrases » [3]. Dès la publication, la société
devient alors propriétaire du contenu et détient donc
les droits moraux qui y sont attachés. Il n’y a pas
spoliation mais simplement transfert. Et Proudhon prend bien soin
de souligner que sa position conforte et ne fragilise pas la propriété
comme institution.
Novlangue et confusionnisme.
Car le langage est un bien commun, un « espace commun où
nous parvenons à nous entendre, à nous comprendre,
à débrouiller nos relations, à transmettre
notre humanité, à la construire ensemble » [4].
La privatisation du langage, c’est-à-dire l’enfermement
de l’innovation culturelle dans l’enclos de la forme-valeur
comme condition de l’échangeabilité suivant
le principe de l’équivalence des termes de l’échange
(le langage devient donc une marchandise comme une autre puisque
sous la forme-valeur tout y est équivalent pour y être
échangé), a pour conséquence envisageable un
désastre anthropologique. L’usage du langage, sa fiabilité,
a cessé d’indiquer la route de l’affrontement
de la vérité contre l’erreur et le mensonge.
Désormais en effet, « les énormes concentrations
capitalistes qui cornaquent l’innovation culturelle, évaluent
ce produit comme elles évaluent les autres, à l’aune
de leur critère unique : la capacité à générer
un taux de profit suffisant pour se financer sur le marché
des capitaux ». Dans ce « glissement global du critère
endogène de la vérité au critère exogène
du profit » [5], la relation au langage est désormais
non plus “ de quoi ça me parle ”, mais “
qu’est-ce que ça me rapporte ” comme plus-value.
Le « Titanic anthropologique » entraîné
par l’effondrement du langage devenu marchandise sous les
coups de butoirs des représentations de l’économie
inventée [6] sont multiples. George Orwell est un des premiers
à étudier le nouveau langage marchandisé et
« lignifié », qu’il appelle « le
Novlangue » dans la société Oceanienne de 1984.
Sa forme dans le langage politique est alors la « langue de
bois » que la police médiatique de la pensée
s’évertue (inlassablement tous les soirs à 20h...)
de reprendre « pour rendre le mensonge vraisemblable et pour
donner une apparence de solidité à ce qui n’est
que du vent » [7]. Ce concept de « Novlangue »
forgé par Orwell pour la société océanienne
de 1984, est l’équivalent de la « LTI »
pour la société nazie (Victor Klemperer). C’est-à-dire
un langage marchandisé et lignifié opérant
par essorage sémantique, scotomisation et mutilitation de
la réalité. Ainsi le mot « social » ne
veut plus rien dire ; le sort réservé aux termes de
« populisme » ou de « gratuité »
[8] par les prêtres à longues et courtes robes de l’église
économique est également un bon exemple), par euphémisme,
par impulsion (comme la langue de la publicité). Mais l’objectif
principal de cet effondrement du langage dans la propgande n’est
pas celui de convaincre. « Le but de la propagande est de
produire le découragement des esprits, de persuader chacun
de son impuissance à rétablir la vérité
autour de soi et de l’inutilité de toute tentative
de s’opposer à la diffusion du mensonge. Le but de
la propagande est d’obtenir des individus qu’ils renoncent
à la contredire, qu’ils n’y songent même
plus » [9].
Les étoiles filantes de l’abolition de la propriété
intellectuelle.
En 1878, Victor Hugo adopte la position de Proudhon sur la propriété
intellectuelle. En effet, « avant la publication, écrit-il,
l’auteur a un droit incontestable et illimité. Mais
dès que l’œuvre est publiée, l’auteur
n’en est plus le maître. C’est alors l’autre
personnage qui s’en empare. Appelez-le du nom que vous voudrez
: esprit humain, domaine public, société. C’est
ce personnage-là qui dit : “je suis là, je prends
cette œuvre, j’en fais ce que je crois devoir en faire,
moi, esprit humain ; Je la possède, elle est à moi
désormais” ».
Avec Proudhon et contre la propriété intellectuelle,
Victor Hugo.
Dans cette tradition philosophique de Gauche, l’auteur apparaît
comme un agent de l’éveil du public et de l’accroissement
des connaissances. La pensée produit des biens in-susceptibles
de propriété privée et affectés à
l’usage de tous. Elle fait partie du « domaine public
» des biens communs à l’humanité dès
sa publication, car comme le dit si justement Proudhon, elle a puisé
pour exister, dans ce fonds public d’idées. Proudhon
propose alors une conception plus sociale du droit d’auteur,
opposée à l’idéalisme du droit privé
qui fonde l’ordre juridique français. Et dans une phrase
célèbre il écrit « la propriété
intellectuelle fait plus que porter atteinte au domaine public ;
elle fraude le public de la part qui lui revient dans la production
de toute idée et de toute forme ». Bref comme l’a
écrit l’économiste Daniel Cohen en 2001 dans
une tribune du journal Le Monde qui a fait grand bruit : «
La propriété intellectuelle, c’est le vol !
». Une formule proudhonienne que développa également
le socialiste et républicain de la première moitié
du XIXe siècle, Louis Blanc : « reconnaître au
profit de l’individu, un droit de propriété
littéraire écrit-il, ce n’est pas seulement
nuire à la société, c’est la voler »
(1850). Dans cette tradition de Gauche qui remonte à Proudhon,
ce sont là les partisans farouches de la diffusion du savoir,
de la circulation des œuvres, de la défense du «
domaine public » contre l’extension de l’ordre
imaginaire du juridisme qui marchandise le savoir pour mieux l’intégrer
au capitalisme. Ce juridisme de la supposée « propriété
intellectuelle » (et des droits moraux relatifs à l’auteur
qui vont avec) est comme tout juridisme, une « mise en scène
objectivante [...] et la nécessaire “logicisation”
du donné sociétal » où « le juridique
tente de régir un espace-temps qui pacifie la sociabilité,
le droit est son langage formel, affecté par les impératifs
de rationalisation propres à l’Occident ». [10].
Le Front populaire en 1936 a essayé d’imposer à
l’ordre juridique régnant la conception de la tradition
philosophique de gauche, c’était le projet de loi du
ministre Jean Zay, qui replaçait au centre du débat
les droits du public et qui jetait les bases d’un nouveau
contrat social entre l’auteur et la société,
à travers la notion de domanialité publique. Mais
contre tous les lobbies des éditeurs, les économistes
libéraux, et les organisations corporatistes du monde littéraire
et artistique, le projet de loi de Zay échouera. Depuis lors
et jusqu’à aujourd’hui, l’Ordre juridique
de l’économie capitaliste règne en France et
sur le monde sans aucun partage possible, avec l’assentiment
des acteurs de la vie artistique et littéraire dont certains
osent encore se dire « de Gauche ».
La décroissance de la propriété intellectuelle.
La morale qu’il faut dénoncer comme étant ce
que Proudhon appelle la « morale de l’égoïsme
bourgeois », c’est la morale des droits d’usage
de l’auteur sur son texte ou sur sa création artistique,
qui « contribue à cristalliser une idéologie
de l’œuvre et du génie » (Sagot-Duvauroux).
Et cette morale, c’est-à-dire cette « politesse
» qu’il faudrait avoir envers l’auteur (intégrité,
copie « illicite » par frappe ou par scanner, citations,
...), est à la source de l’idée de propriété
individuelle. Le fondement de la marchandisation de la pensée
ou de l’art, c’est cette morale des droits d’usage
de l’auteur, cette division du travail de la subjectivité
radicale. « Dès que l’œuvre d’art
devient marchandise, écrit Brecht, on ne peut plus lui appliquer
la notion d’œuvre d’art » [11]. La vie ne
peut pas être réifiée, c’est-à-dire
abstraite (au sens d’extraction en une forme marchande) et
dès lors échangée grâce à des
abstractions qui la compte et la mesure sans devenir une «
Sur-vie » perpétuelle et permanente ; la vie qui nous
consume dans le feu invisible de son brasier, est sans cesse indicible,
inénarrable, non-dicible car inobjectivable. Prétendre
l’objectiver en une chose, la mettre là devant le regard
(c’est-à-dire la choséifier), c’est déjà
son meurtre, un perpétuel vol à l’étalage.
La décolonisation de l’imaginaire radical passe par
la mise à nu de la morale de la propriété intellectuelle,
et ceci ne peut se faire que grâce à l’imposition
d’un nouvel imaginaire, celui de la gratuité, du partage,
du don, de la réciprocité, du domaine public et des
biens communs. Ces nouveaux rapports sociaux sont radicalement subversifs
si l’on y réfléchit bien. Ainsi l’on doit
échanger différemment les productions de la vie subjective
entre nous (art, musique, textes, etc.), grâce à de
nouveaux rapports sociaux qui mettent à l’écart
l’abstraction et instituent l’immédiation de
ce qu’Alain Caillé [12] appelle la « socialité
primaire » (la sphère des relations de personne à
personne) ou ce que la phénoménologie appellerait
la « communauté intersubjective ».
La richesse de l’inhumanité marchande (qui n’est
qu’une réduction de ce qu’est la véritable
richesse humaine) produite par les industries culturelles au sens
large - arts et culture, information et communication - représentent
4 milliards de dollars par an. « Les mains qui retiennent
ce tas d’or écrit Sagot-Duvauroux, craignent de le
voir filer entre leurs doigts comme sable fin. Elles désignent
leur ennemi redoutable : le rêve de la gratuité. Mais
comme elles connaissent d’avance la difficulté qu’elles
auront à provoquer la compassion, elles appellent à
la rescousse “les artistes et les techniciens” qui veulent
continuer à “vivre de leur travail” ».
Nous laisserons-nous encore intimider par tous ceux qui n’ont
pour seule pensée que de beugler « C’est à
moi ! » et qui n’ont que pour seul horizon de dépassement,
« vouloir vivre de leur travail » aliéné
où leurs vies sont sans cesse atrophiées dans leur
forme marchande ? Nous laisserons-nous intimider encore longtemps
par l’imaginaire colonisateur de la propriété
intellectuelle et de ses deux conceptions philosophiques (française
et américaine) qui chaque jour légitiment l’ordre
du capitalisme dominant, écrasent l’humain-e et ravagent
la Terre ? Réveillons-nous et continuons à penser
et jouir sans temps morts et sans entraves ! Face aux enclos dressés
pour protéger les gisements de plus-value capitalistes, quelle
liberté plus radicale que celle de la gratuité ?
Ce texte produit peut être reproduit, imité, partiellement
cité ou carrément pillé, sans la moindre indication
d’origine.
Bibliographie indicative (pour aller beaucoup plus loin) :
- L’ouvrage de Jean-Louis Sagot-Duvauroux, De la grat uité,
(réédité en 2006) qui est entièrement
gratuit et disponible en ligne
http://www.lyber-eclat.net/lyber/sagot1/gratuite.html
- Bernard Charbonneau, La propriété, c’est l’envol
(ouvrage non publié).
[1] Jean-Louis, Sagot-Duvauroux, De la Gratuité, éd.
de L’Eclat, 2006 (réédition).
[2] Les citations de Proudhon et Hugo sont tirées des deux
articles de Anne Latournerie « Droits d’auteur, droit
du public : une approche historique » et de Dominique Sagot-Duvauroux,
« La propriété intellectuelle, c’est le
vol ! Le débat sur le droit d’auteur au milieu du XIXe
siècle », parus dans L’Economie politique n°22,
avril 2004 avec un dossier sur « Droits d’auteur : vieilles
querelles et nouveaux enjeux »
[3] Jean-Louis Sagot-Duvauroux, De la Gratuité, éd.
de l’Eclat.
[4] Sagot-Duvauroux, op.cit.
[5] Sagot-Duvauroux, op. cit. rajoute également : «
Le critère du taux de profit comme nouvelle boussole dans
la production du langage, surtout quand il est redoublé par
le système publicitaire, ne détruit pas seulement
la vérité. Il tue aussi le mensonge. Il nous dit :
vérité ou mensonge, là n’est pas l’important.
Le débat se joue à la roulette et l’important,
c’est la mise ».
[6] serge latouche, L’invention de l’économie,
Albin Michel, 2005.
[7] G. Orwell, Politics and the english language, 1946, dans The
Collected Essays, Journalism and letters of George Orwell, Penguin
Books (volume 4, 1970). Cité par Jean-Claude Michéa,
Orwell, Anarchiste Tory, Climats, 2000, p. 40
[8] A propos du faux débat sur l’apparition des supposés
« gratuits » dans la presse de fourrage donnés
dans les gares de métros et autres tramway des grandes villes,
Sagot-Duvauroux les qualifie de « supercheries prises pour
du bon pain ». « Le marché capitaliste est en
train de réussir son OPA paradoxale sur les mots gratuit
et gratuité ».
[9] George Orwell devant ses calomniateurs. Quelques observations,
Ivréa/ Encyclopédie des Nuisances, 1997
[10] Patrick Tacussel, L’attraction sociale. La dynamique
de l’Imaginaire dans la société monocéphale,
Librairie des Méridiens, 1984, p. 21
[11] Brecht rajoute : « aussi devons-nous alors, avec prudence
et précaution, mais sans crainte, renoncer à la notion
d’œuvre d’art, si nous voulons conserver sa fonction
à la chose même que nous entendons désigner
», in Bertolt Brecht, “Der DreigroschenprozeB”,
Versuche 8-10, fasc. 3, Berlin, Kiepenheurer, 1931, p. 301 sq. Rapporté
par Walter Benjamin dans L’Œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique, Allia,
2006, p. p. 30-31.
[12] A. Caillé, Splendeurs et Misères des sciences
sociales, Droz, 1986
le vendredi 13 avril 2007
par Clément Homs
Merci d’avoir placé ce thème central dans le
forum !
7 mai 2007, par Gégé
Voilà un thème qui est donc bien moins accessoire
qu’il n’y parait. Il révèle le choix d’une
société d’êtres humains - choix qui leur
est devenu insu, ce qui ne veut bien sûr absolument pas dire
neutre. Je voulais juste ajouter que la conception de gauche (Proudhon,
Hugo...) d’un droit d’auteur caduc dès la publicité
(droit d’auteur inaliénable illimité du ressort
d’une pensée singulière avant publicité
> domanialité publique après publicité)
est très proche de la manière d’élaborer
leur pensée de deux grands psychiatres psychanalystes : Jacques
Lacan et Jean Oury.
Ce dernier, que je suis régulièrement dans ses séminaires
(et qui est à mes yeux un des trop rares psychiatres digne
de ce nom), effectue ses séminaires toujours de manière
improvisée, laissant cheminer sa pensée sous nos yeux,
en n’arrêtant pas d’emprunter à une foule
d’auteurs (ou d’hommes et de femmes si l’on préfère)
un concept par ci, une notion par là, qu’il nous livre
telle qu’il le/la comprend ; et c’est ainsi qu’il
élabore, lui, sa pensée singulière. Ca a l’air
tout con et bien banal de dire ça... Et pourtant lui, il
le fait réellement, nous livrant au fil du temps ses interrogations,
ses contradictions, ses impasses, ses erreurs... En un mot ; une
telle conception du droit de propriété intellectuelle
est un formidable outil d’évitement de tout dogmatisme.
Et la majorité des "grands" professeurs, "penseurs"
et autres "intellectuels" versent, hélas !, par
trop dans cet écueil péremptoire et disons-le, totalitaire
: "Untel a dit ça, c’est moi qui vous le dit",
"le concept x est légitimement celui de M.Y et pas de
M.Z", "Si Untel était encore vivant, il dirait
ceci ou cela, croyez-moi", "j’ai inventé
la notion x, vous n’avez rien à m’apprendre",
"je sais de quoi je parle"...
Là-dessus, je citerai juste une phrase célèbre
de Lacan : "le sujet, lui, il ne sait justement pas ce qu’il
dit". Une pensée, si elle est toujours singulière,
ne peut s’élaborer et cheminer seule. C’est d’une
grande subtilité que de pouvoir imaginer une pensée
à la fois singulière et collective. Et pourtant, cela
semble une piste plus qu’intéressante de réflexion.
Pour finir, j’ajouterai que Heidegger parle non pas de "la
pensée", mais du penser (verbe infinitif substantivé)
en parlant du "Wegcharacter des Denkens" ("le caractère
cheminant - et continu donc - du penser). Autrement dit, d’employer
cette expression du penser invite à éviter l’écueil
de chosifier "la pensée", et de "la"
livrer en pâture au monde des objets échangeables et
négociables en monnaie sonnante et trébuchante...
CQFD
Par ailleurs, je suis parfaitement d’accord avec la mention
finale de l’article ; à la réserve près
que je ne trouve pas génial de revendiquer comme une victoire
de ne pas mentionner une source à laquelle on se réfère
explicitement. Le combat se situe sur le versant de la liberté
et du penser, pas nécessairement sur celui de la méconnaissance
volontairement orchestrée par la dissimulation des sources
et références qui nous ont éventuellement inspiré.
Enfin, un immense merci à Clément pour la qualité,
la clarté, et la pertinence de son article. En ce 7 mai 2007,
cela fait du bien de voir qu’il y a encore quelques gens qui,
eux, n’ont pas renoncé à penser et à
s’atteler à construire un meilleur à venir,
y compris sur le plan "intellectuel", envers et contre
toute l’aveugle connerie ambiante, qui mènera à
la botte un peuple dépité qui avant de voter avait
déjà déposé les vraies armes de la réflexion
et de la critique constructives.
Longue vie aux ami(e)s de la décroissance !
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