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La décroissance dans le monde rural.
Clement Homs

Origine : http://www.decroissance.info/La-decroissance-dans-le-monde

Le monde moderne et le ravage de la Terre et de l’humain qu’il produit, doit être appréhendé dans la totalité concrète de sa réalité. Depuis la fin de la seconde guerre mondial, la ruralité est rentrée dans une crise-mutation sans précédent. Ce processus de décomposition-recomposition de l’espace rural est multiple.

Modernisation et mécanisation de l’agriculture par l’intégration de celle-ci à l’économie de marché, mutations foncières (remembrement, concetration, spécialisation), crise de l’identité de l’agriculteur (du paysan vers l’entrepreneur agricole), crise des fonctions de ces territoires, désertification, marginalisation d’espaces ruraux, revitalisation de villages avec la périurbanisation qui débute en 1962.

Si les géographes en viennent en conclure que l’on ne peut s’opposer à la désertification dans le cadre d’une économie de croissance qui nécessairement hiérarchise des territoires économiquement rentables, la décroissance porteuse du projet des « 6 R », ne doit elle pas « oser le désert » et considérer alors celui-ci comme un atout ?

La décroissance pour lutter contre l’idée de l’irréversibilité de ces mutations et la déqualification des espaces ruraux, doit prendre sa place dans le débat engagé sur ces questions trop longtemps monopolisées par l’affrontement entre une idéologie pro-urbaine et une idéologie rurale passéiste.

1. La modernisation et la mécanisation de l’agriculture. (1950-1990)

En décembre 1949, le philosophe Heidegger explique à Brême que « la motorisation de l’agriculture est dans son essence la même chose que la fabrication des cadavres dans les chambres à gaz et les camps d’anéantissement ». En 1951 le ministre Colson proclame lui l’objectif qui sera celui de toutes les politiques françaises et européennes : il y a en France « 1 million d’ agriculteurs en trop », leur destruction sera le signe du Progrès. En 1959, un programme de « vulgarisation agricole » est promulgué pour équiper les agriculteurs en tracteurs. Ainsi en 1965, on atteint 1 000 000 de tracteurs. Le saccage de la Terre par la productivité permise par la technique, débute. La motorisation n’est pourtant pas possible partout. Les pentes fortes par exemple des terrasses méditerranéennes, sont impraticables pour les tracteurs. L’introduction de la motorisation dans l’espace méditerranéen entraîne alors dans les années 1950-1970, l’abandon de ces terres et donc la transformation du paysage agraire. Le bocage breton composé de petites parcelles, interdit également l’introduction de la motorisation. Pourtant un vaste mouvement de remembrement et agrandissement des parcelles par le moyen de la destruction du bocage breton, va permettre l’introduction de la motorisation de l’agriculture et donc l’apparition d’industries agroalimentaires. Pour agrandir les parcelles afin que la motorisation de l’agriculture soit rentable, on arrache alors les haies, on détruit les talus, on comble les chemins creux. Dans ce nouveau paysage agraire, l’ensemble de l’agriculture va enfin pouvoir s’intégrer à l’économie de marché mondialisée. Cependant avec l’aggravation du ruissellement des eaux et l’importance dès lors de l’érosion éolienne, les conséquences naturelles de cette transformation technicisée du paysage agraire breton, sont catastrophiques, sans parler bien entendu de la pollution des sols et des nappes phréatiques par les engrais chimiques.

Cependant à l’aube des années 1960, le monde agricole n’a pas encore totalement basculé dans une agriculture de compétitivité internationale. C’est alors qu’en 1962, l’Europe, avec la P.A.C. (Politique agricole commune) donne le coup de grâce au monde agricole. La carotte que tend la PAC aux paysans pour faire accepter la modernisation, est la promesse que l’accroissement des revenus sera obtenus par des accroissements de productions à prix garantis. Mais pour cela le « Plan européen Mansholt-Vedel » (1968) proclame qu’il y a « 5 millions d’ agriculteurs en trop », leur destruction est l’objectif de la P.A.C, ceux qui ne pourront pas mécaniser leurs outils de production pour accroître la productivité devront disparaître par le jeu de l’endettement.

L’objectif est d’augmenter la production grâce à la croissance de la productivité permise par la technique (augmentation des rendements à l’hectare). Une Europe auto-suffisante alimentairement par une production excédentaire, fera baissée le prix des produits agricoles, et permettra alors de réduire la part de l’alimentation dans les budgets des ménages. Ainsi les ménages, grâce à cette réduction de la part de l’alimentation dans leur budget permise par la PAC, pourront alors s’équiper de l’ensemble des biens de consommation : automobiles, réfrigérateurs, postes télévisions, produits électroménagers... Il faut donc bien comprendre cela : c’est donc l’introduction de la technique dans l’agriculture qui a permis l’apparition de la société de consommation. Le lien de causalité entre ces deux phénomène est de nature politique. C’est un choix que les dirigeants et bureaucrates européens ont fait à la fin de la Seconde guerre mondiale. Ils ont alors décidé de la nature et de la forme du mode de croissance des sociétés occidentales. Ce choix aujourd’hui à l’orée du XXI siècle, apparaît pour la décroissance comme l’agent du saccage de l’homme et de la Terre.

Les effets de la PAC sont l’extension rapide des ravages de la Mort dans le monde agricole. Entre 1963 et 1979 un tiers des exploitations agricoles disparaissent en France. Au même moment ce sont les deux tiers de la population agricole active qui disparaissent dans les pays de la C.E.E. entre 1964 ( 15,2 millions d’agriculteurs) et 1984 ( 5,8 millions agriculteurs ). En France, en mains endroits, le tissu rural agricole est à tel point dévitalisé qu’ il est fait état de « désertification », forme extrême du processus d’ adaptation structurelle, dès les années 1980. La balance commerciale constitue, plus que jamais, l’indicateur des politiques agricoles : de « bonnes » exportations permettent d’accumuler les devises et donc de renforcer les monnaies. La CEE a rempli ses engagements : elle assure alors la sécurité de l’approvisionnement, une large autosuffisance.

Au cours des années soixante et soixante-dix, on voit apparaître la stagnation de la consommation des produits agricoles non transformés et la forte progression des produits alimentaires élaborés dans cette période. Les industries agro-alimentaires ont donc joué un rôle essentiel dans l’industrialisation de l’alimentation des Français et contribué à l’avènement de la société de consommation. En 1975, 1/ 10 de la population active française est dans le secteur primaire, mais l’hémorragie continue et entre 1975 et 2000, l’agriculture perd 50 000 emplois par an.

Cependant l’empire de la mort s’étendant de plus en plus, entre 1980 et 1984 le bloc social qui constituait alors les soutiens de base de la politique agricole de modernisation des années 1960-1970 (Les Jeunes agriculteurs..) fut à son tour touché par la crise. Les incessants progrès de la recherche agronomique (grâce à l’I.N.R.A. : institut national de recherches agronomiques) génèrent des hausses toujours plus rapides de rendement et de productivité, provoquant l’ accumulation de stocks ; De plus l’écart se creuse entre l’accroissement du volume de la production qui oscille entre 1,5 et 2 % par an et la demande intérieure qui progresse plus lentement (+0,5 % par an ). Les experts recommandent alors d’utiliser plus parcimonieusemnt les fonds du FEOGA des fonds européens qui permettent aux agriculteurs qui ont investis dans la mécanisation, de bénéficier de prix garantis. Il n’est donc plus possible de poursuivre dans la voie du premier modèle de politique agricole avec accroissement des revenus obtenus par accroissement du volume à la production et prix garantis. Les militants du M.O.D.E.F. avaient contesté, dès les années 1960, la politique de cogestion au nom de nombreux petits exploitants familiaux qui refusaient de foncer tête baissée, dans la course au progrès technique. Au début des années 1970, les oppositions s’étaient développées au sein même du C.N.J.A. (le principal syndicat d’agriculteurs) lorsque les évènements du début des années 1980 apportèrent la preuve que l’évolution contredisait les espoirs. Le bloc social éclata à l’assaut des critiques de plus en plus violemment formulées par les contestataires. Le syndicaliste de la J.A.C (Jeunesse Agricole Catholique, à laquelle a appartenu José Bové), Bernard Lambert, exprima alors en 1984 le désarroi des paysans après 30 ans de modernisation : « en fait qu’est-ce qu’on a en réalité véhiculé en accroissant la vitesse de la pénétration technique ? Est-ce bien un projet autonome venant de nous ? (...) Qui nous l’a amené, la modernisation ? La JAC ? René Dumont ? Le 3° ou 4° plan ? Ou le 1° ? Non, mais essentiellement l’industrie agroalimentaire, les banques, l’ensemble de l’appareil capitaliste. Il fallait faire produire à très bon prix pour les besoins de la croissance industrielle (... ). La JAC a été le vecteur d’ une industrialisation venant de l’extérieur. »

En 1992, avec la réforme de la PAC, le système des prix garantis, ciment de la première PAC de 1962, cédait la place au système des aides directes. La surproduction étant attribué par les « experts » à la rigidité des mécanismes de subvention, alors que elle était l’objectif même de la PAC, la réponse aux problèmes commerciaux dénoncés par les experts consistait donc à compenser la baisse des prix agricoles (entre 15 et 30 % selon les productions) par le versement au producteur d’une subvention assortie d’encouragement à développer une agriculture extensive par la mise en jachère d’une partie des terres, l’abattage d’une partie du cheptel. Une étape supplémentaire était franchie en direction d’ un libre-échange généralisé. La levée de boucliers fut immédiate dans les campagnes devant la réforme de la PAC. La FNSEA estima que la réforme de la PAC signifiait « le sacrifice de l’ agriculture européenne aux intérêts américains » ; elle condamna un accord qui engendrerait « le développement d’ un côté, d’une production agricole de type industriel ; de l’autre , la paupérisation et la marginalisation du monde paysan ». Mais il est bien tard pour ouvrir les yeux... la technique dans son auto-développement hors norme porte à sa limite, la substitution des processus aveugles déshumanisants aux bienfaits de l’effort et au bonheur de la vie.

La technique a permis une vaste artificialisation du milieu naturel par l’introduction d’engrais chimiques, par une irrigation à outrance, par l’élevage hors-sol, par la culture sous-serre (la production des légumes hors saison), et nous sommes déjà à l’introduction de l’électronique dans l’agriculture, tandis que demain, les biotechnologies avec la transgénèse auront l’agriculture pour vaste champ d’application.

Le monde du productivisme, de la croissance rendu possible par la technique, est le monde de la science seule s’autoproduisant et s’autonormant lui-même en l’absence de toute norme, dans sa parfaite indifférence à tout ce qui n’est pas lui - à la vie du vivant. Les rendements pour les céréales sont passés de 15 quintaux par hectare en 1950 à 76 quintaux par hectare en 2000. Dans l’industrie avicole, une poule vivant dans les années 1940 « produisait » 100 œufs par an, tandis qu’en 2000, une poule pond près de 280 œufs par an.

2. La périurbanisation (1962-2005) et ses migrations alternantes : l’essentiel de l’accroissement du volume des déplacements.

1931 est une date importante en France pour comprendre l’évolution historique de la répartition spatiale de la population sur le territoire. « Gong de l’histoire » car point d’équilibre entre la part de population rurale et la part de population urbaine (50% et 50 %), 1931 est un moment crucial dans le basculement dans la civilisation de la ville, de la consommation, de la concentration capitalistique. En 2003, la population rurale est alors de 27%, tandis que 60 % de la population française se concentre sur 1% du territoire.

L’exode rural a commencé au XIX siècle, en 1831. Entre 1872 et 1931, la population rurale est descendue de 30 % soit 7 500 000 habitants sont allés se masser dans les villes.

En 1962, le milieu vraiment rural concerne entre 15 et 16 millions d’habitants et représente 33-35 % de la population. Cette même année, les géographes observent dans certaines communes rurales, une reprise démographique : c’est le début d’un vaste phénomène de périurbanisation. Un espace est qualifié de « péri urbain » quand 40% de sa population active se déplace chaque jour pour travailler dans la ville voisine. De 1975 à 1982, la population des zones périurbaines croît de 1,7% par an. Entre 1982 et 1990, l’urbanisation et la péri urbanisation concerne 4,8 millions d’habitants, soit près de 600 000 personnes par an viennent se concentrer dans ces espaces. Dans la même période, la population rurale augmente de 0,7% par an, tandis que la population urbaine n’augmente que de 0,4% par an. Cependant la croissance de la population rurale est surtout le fait du péri-urbain. Ainsi si l’on considère seulement les zones périurbaines, la période voit leur population augmenter de 1,3% par an. Entre 1990 et 1995, le rythme des arrivées dans les zones péri urbaines ralentit dans la région parisienne passant de 2,5 % par an à 1,8 % par an. Ce phénomène récent de ralentissement des arrivées péri urbaines se fait voir également sur la façade méditerranéenne et la Haute-Garonne. En 1990 le phénomène de périurbanisation touche 132 000 km2. En 1999 le phénomène s’étend sur 176 000 km2 soit 1/3 du territoire français. Pour montrer la massivité de la concentration urbaine et péri urbaine, on peut constater qu’en 2004, 89 % de la population française vit dans les agglomérations et le péri urbain, 93 % de la population active travaille dans ce même espace tandis que celui-ci produit 95 % du P.I.B. français. .

Plusieurs facteurs expliquent et rendent possibles ce débordement de la ville sur la campagne :

- l’équipement des ménages en automobile dans la période 1970-2000. C’est le premier facteur qui rend techniquement possible la séparation spatiale entre le lieu de vie (dormir...) et le lieu de travail. Grâce à l’automobile cette distance séparant lieu de vie et lieu de travail peut s’accroître indéfiniment. - Le prix du terrain des villages qui n’est pas cher (vendu au prix agricole). - Des équipes municipales de petites communes rurales qui voient dans l’installation de citadins une aubaine pour la fiscalité communale. - Un milieu rural attrayant car doté de représentations positives de la part des citadins : nostalgie fusionnelle des traditions paysannes, paradis rural perdu, faire corps avec la nature...

La péri-urbanisation nécessite la construction de nouvelles infrastructures. Il faut construire des rocades, des voies rapides pour déplacer les migrations alternantes des espaces ruraux résidentiels vers les bassins d’emploi de la ville, dit autrement, passer des bassins de vie vers les bassins d’emploi et cela le matin vers les 8 heures puis le soir vers les 17-18 heures. Dans le cadre de cette mobilité tout azimut, les chenilles processionnaires formées par les cortèges discontinus de voitures, encombrent alors les abords des villes et redéfinissent non seulement la frontière entre l’urbain et le rural mais également sa fonction. Ainsi cette frontière devient l’espace uniforme des « boîtes de carton » que sont les centres commerciaux, hyper et supermarché. Le soir venu, ces temples de la consommation se remplissent de ces migrants alternants rentrant dans leurs villages-dortoirs. Le phénomène de ses complexes où les consommateurs inféodés viennent retirer leur nourriture, est donc intrinsèquement lié au phénomène de péri-urbanisation permis par l’automobile. Il ne faut donc plus critiquer unilatéralement l’usage écologiquement nuisible de la voiture, mais critiquer l’ensemble combiné du monde qu’elle permet. Critiquer donc frontalement, la chaîne complémentaire qui forme le même monde de la « voiture-périurbanisation-zone de boîtes à chaussures ». Les « fausses bonnes solutions » que sont le co-voituage, l’utilisation accrue des transports en commun ou encore le fait de relier par tramway les zones commerciales péri-urbaines aux centre-villes, sont donc des leurres car il faut que la décroissance prenne en compte la globalité des mutations spatiales, morphologiques et architecturales introduites par l’usage de l’automobile. L’automobile a permis de nouvelles mutation, différentiation et hiérarchisation des fonctions de l’espace. La critique écologique de l’usage de l’automobile ne sera pertinente que lorsque l’on critiquera le « monde-de-l’automobile » dans sa globalité, dans le fait qu’il ne fait qu’un.

Le processus de décomposition-recomposition de l’espace rural depuis l’après guerre, réorganise l’espace rural en opposant alors un rural profond en déclin et un rural en progression vers l’urbain. Les zones qualifiées de « rural profond » par l’INSEE, voient la stabilisation de leur population entre 1975 et 1990. Le « rural profond » concerne aujourd’hui 8 000 communes (23% de la totalité des communes) c’est-à-dire 2 millions d’habitants (3,5 % de la population totale). C’est la « France du vide », une diagonale partant du sud-ouest vers le nord-est, qui partage l’espace français. La civilisation urbaine thermo-industrielle attribue alors à cet espace désertique de nouvelles fonctions : il sera un espace récréatif, de loisir et tourisme, l’ « opium urbain » dévolu aux représentations des citadins. Il sera l’espace de l’agri-tourisme ou des résidences secondaires tandis que les derniers agriculteurs seront progressivement transformés en « aménageurs de paysages » préformatés. Le problème de son accessibilité par la voiture lors des week-end, ne pose guère de problème aux citadins, car il rajoute au pittoresque de ce voyage initiatique de rencontre avec dame nature, le charme des « petites routes tortueuses ». Ces « néo-ruraux de passage » assistés dans leur imaginaire par le recours à la qualité de vie de la campagne, sont les figures de l’aliénation contemporaine, de ce recours nécessaire à l’ « opium des urbains ». Ils rénovent des chaumières, retapent des anciens hameaux abandonnés, transforment des biens immatériels comme la culture et l’esthétique en valeur marchande, en ouvrant des gîtes d’étape ou des chambres d’hôtes... Les collectivités publiques encouragent ce nouveau zoning des imaginaires en multipliant dans ces espaces du « rural profond », des parcs naturels nationaux et régionaux, tandis que dans ce monde récréatif, le sport favori des Français, avant même le football, devient... la randonnée . La montagne (comme la haute mer), est sanctuarisée comme un espace de pure liberté, source pour l’imaginaire des urbains des exploits des aventuriers en tout genre, des champions en tout sport. Après la division sociale et sexuée du travail, la division spatiale des activités humaines et de leur imaginaire est inscrite dans la modernité des « assistés mentaux ». L’automobile comme dans le phénomène de péri urbanisation, reste le vecteur rendant possible une telle mutation fonctionnelle des territoires qualifiés de « rural profond ».

Dans un livre intitulé La Barbarie, le philosophe Michel Henry écrit qu’« avec la technique le caractère autonome du développement a cessé d’être une apparence, c’est un mouvement qui n’a aucun rapport avec la vie, qui ne lui demande rien et qui ne lui apporte rien, rien qui lui ressemble en tout cas, qui soit conforme à son essence et à ses vœux. Ce qu’il apporte, ce qu’il lui impose, c’est justement l’autre de la vie, ce sont des procédures et des mécanismes enfouis au cœur de la nature, que la science extirpe de son sein, qu’elle arrache à la Finalité obscure où ils sont enveloppés, pour se livrer à eux-mêmes, à leur abstraction et à leur isolement : c’est alors qu’ils se déchaînent, nouant entre eux des connexions artificielles, s’épaulant l’un l’autre, s’ajoutant l’un à l’autre, selon un ordre hasardeux qui n’est plus celui de la Nature ou de la Vie, qui n’est plus un ordre mais un procès sauvage où toute possibilité nouvelle née d’une rencontre fortuite devient la seule raison d’un développement qui n’en a plus aucune. Libre de tout lien, séparée de toute totalité cohérente et finalisée, la technique fonce en avant, droit devant elle, comme une fusée interplanétaire, sans savoir d’où elle vient, où elle va, ni pourquoi. Dans son extériorité radicale à la vie, à la vie qui se sent et s’éprouve elle-même et puise en elle, dans ce qu’elle éprouve, la loi de son action et de son développement, elle est devenue une transcendance absolue, sans raison et sans lumière, sans visage et sans regard, une transcendance noire », le vaste empire de la Mort, de l’inerte, de la nullité et de l’insignifiant.

sources :

G. Gavinaud-Fontaine, La Révolution rurale dans la France contemporaine XVIII-XX siècle. L’Harmattan, collection alternatives rurales,1996.

le mercredi 31 août 2005
par Clément Homs