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Origine : http://www.altermonde-levillage.com/spip.php?article7540
Suite à la très large diffusion de l’Appel de
Raspail, le Parti pour la décroissance a diffusé sur
son site internet (1) ce communiqué émanant de l’Institut
d’études économiques et sociales pour la décroissance
soutenable (IEESDS) (2) et du journal La Décroissance :
Citation :
La décroissance, pas la barbarie !
Un « Comité pour la désindustrialisation dumonde
» a occupé « entre l’aube du 21 mars 2006
et le milieu de la nuit suivante » le Centre d’étude
des modes d’industrialisation à l’école
des hautes études en sciences sociales, boulevard Raspail,
à Paris. Ce comité a produit un communiqué
le vendredi 24 mars 2006 intitulé l’Appel de Raspail
au nom de la décroissance dont nous tenons à dénoncer
le caractère ultralibéral présenté sous
le masque du libertarisme : « Nous pensons qu’un mouvement
social conséquent doit se donner pour but d’aider l’économie
à s’effondrer. [...] un rejet résolu de l’état
et de ses représentants, qui seront presque toujours des
obstacles à nos projets d’autonomie. [...] Que la crise
s’aggrave ! » Or, « Entre le riche et le pauvre,
entre le maître et le serviteur, c’est la liberté
qui opprime et la loi qui affranchit » Henri Lacordaire. Une
décroissance démocratique, équitable et humaniste
passe d’abord par le souci des plus faibles. La loi et l’état
existent pour les garantir. La décroissance ne doit pas servir
à légitimer les discours de précarisation ou
de chaos social, bien au contraire. Pire encore, parmi le saccage
d’un bien collectif commis à cette occasion, un slogan
« Mort à la démocratie » a même
été inscrit sur un mur (voir l’image ici ou
là-bas). Le journal La Décroissance, l’Institut
d’études économiques et sociales pour la décroissance
soutenable expriment leur plus profond dégoût devant
ces actes et ces propos.
Ce communiqué a suscité de vifs débats parmi
les « décroissants ». En témoignent notamment
les discussions sur le forum électronique de decroissance.info,
un site créé et animé par des personnes totalement
indépendantes de La Décroissance. Dans un texte intitulé
« Controverse sur le communiqué “ la décroissance,
pas la barbarie ! ” » (3), Jacques Hardeau démonte
point par point la rhétorique insidieuse de ce communiqué
qui vise à confondre et amalgamer toute critique de l’état
et de la démocratie représentative à l’ultralibéralisme,
voire à une certaine forme de fascisme (4). Il rappelle également
à quel point l’état-Nation et le capitalisme
sont indissociables dans leur quête de puissance et que s’en
remettre au premier pour contrer le second est une illusion qui
sert avant tout à ne pas se poser « la question politique
du pouvoir et la question sociale du rapport à l’autorité
».
Ce texte et ces vives réactions ont amené les auteurs
du communiqué à... faire disparaître celui-ci
de leur site internet . à la place, on trouve un autre communiqué
intitulé « Decroissance.info, site nauséabond
», qui pointe d’un doigt vengeur et sans trop de nuances
quelques échanges au contenu douteux et au ton insultant
ou particulièrement agressif qui ont eu lieu sur ce site.
Ces forums électroniques sont coutumiers de ce genre d’échanges
d’invectives : en évitant à chacun d’avoir
à assumer directement les conséquences de ses écrits,
la médiation de la machinerie abolit les règles de
politesse et toutes les limites de la bienséance. Mais il
est piquant de voir ces messieurs faire la morale aux autres pour
tenter de discréditer ceux qui les critiquent (le site <
decroissance.info > publie par ailleurs de nombreux textes d’analyses
et de débats qui sont souvent bien meilleurs que ceux publiés
par La Décroissance) et faire oublier au passage leurs propres
frasques en la matière.
Car les lecteurs du journal La Décroissance n’auront
pas connaissance de ces communiqués, de ces controverses
et de ces débats, puisque rien de tout cela n’y sera
mentionné. à la place, dans le n°32 de juin-juillet-août
2006, ils auront droit à une autocritique de Paul Ariès,
auteur du livre Décroissance ou barbarie, avouant que «
les Objecteurs de croissance auraient dû prendre une part
plus importante au sein du mouvement anti-CPE » au nom de
la « solidarité » avec les étudiants et
les lycéens en lutte contre « l’arbitraire légalisé
au nom du fric ». En effet, le communiqué de La Décroissance
était quelque peu décalé par rapport à
cette actualité... Car comme l’écrit J. Hardeau
en conclusion de son texte :
Citation :
« Il faut saluer l’immense talent, la colossale habileté
politique des auteurs du communiqué : alors que depuis maintenant
deux mois la jeunesse de toute la France est mobilisée contre
des lois qui « légitiment la précarisation »,
contre un gouvernement indifférent au « chaos social
» qu’il engendre avec une telle politique et qui foule
aux pieds les règles les plus élémentaires
de la démocratie parlementaire, ces messieurs ne trouvent
rien de mieux à faire qu’étaler leur mesquinerie
de petits propriétaires d’une idée mal dégrossie,
qu’exprimer leur allégeance à l’état
et à la Loi et à se montrer plus soucieux des dégradations
commises à un bien dit « public » (en réalité,
une propriété de l’état, ce qui est tout
autre chose aujourd’hui qu’un « bien collectif
») que du saccage des existences que préparent ces
lois scélérates inspirées par une Commission
européenne tout entière acquise au culte de «
la concurrence libre et non faussée ». Voilà
donc des prises de positions courageuses, ouvrant des perspectives
d’avenir propre à susciter l’enthousiasme de
la jeunesse pour l’idée de décroissance... »
Il faut reconnaître que La Décroissance a su mettre
sur la place publique et en quelque sorte populariser, à
l’aide de quelques thèmes simples et d’images
frappantes (la déplétion du pétrole, notamment),
l’idée, évidente et de bon sens mais complètement
occultée depuis plus de trente ans, qu’une croissance
économique infinie est impossible dans un monde aux ressources
finies. Beaucoup de personnes qui, sans avoir de culture politique
ou de connaissance de la critique sociale, sentent confusément
qu’il y a quelque chose de pourri au royaume de la marchandise
en ont fait une sorte de marque de reconnaissance, sans toujours
adhérer aux idées (ou à l’absence d’idées)
exprimées dans ce journal. Surtout, ce que nous avons pu
observer et qui est le plus important, c’est qu’un nom
Ð la décroissance Ð a été donné
au sentiment que « cela ne va pas pouvoir durer comme ça
», à la conscience diffuse du désastre écologique
et social, et à la volonté confuse et très
désarmée de réagir là-contre. Il n’est
pas ici question d’une idéologie nouvelle, car comme
C. Tarral le remarque d’emblée, « la décroissance
est un concept “ auberge espagnole ” » [1]] où
chacun met ce qu’il a envie d’y trouver, et en ce sens
il s’agit d’un mouvement infrapolitique où tout
un tas de gens se cherchent, se rencontrent, discutent et s’égarent
aussi (le « Bêtisier de la décroissance »
pourrait aisément occuper des pages), tout simplement du
fait de l’impuissance et de la dépossession qui nous
accablent tous face à la monstruosité du système
industriel dans lequel nous vivons. Bref, pour beaucoup c’est
un point de départ comme un autre pour une rencontre avec
la critique sociale et qui, comme on dit, « mène à
tout à condition d’en sortir » (5)...
Le seul problème est qu’un certain nombre de personnes
sont bien décidées à ne pas en sortir et principalement
les chefs de rayon de la petite boutique que constitue maintenant
le journal La Décroissance. Ils ont, semble-t-il, du mal
à admettre que le fonds, ce « concept » pour
le moins flou, déjà ne leur appartient plus. Mais
au moins sont-ils encore propriétaires des murs, à
savoir le journal lui-même et sa ligne éditoriale.
à partir de là, ils semblent bien décidés
à imposer leurs pauvres idées Ð c’est compréhensible,
il faut bien rentabiliser l’investissement militant dans un
créneau qui s’avère en fin de compte aussi porteur.
MM. Vincent Cheynet et Bruno Clémentin, qui décidément
aiment bien les institutions, ont en effet multiplié le nombre
de « structures » autour d’eux : ils ont créé
le parti écolo de Lyon pour se présenter aux élections
municipales ; ils sont les fondateurs de l’association Casseurs
de Pub et de son journal qui ont permis à M. Cheynet, qui
avait travaillé longtemps dans la pub, de se reconvertir
dans l’anti-pub ; de l’IEESDS, qui donne à M.
Clémentin des titres ronflants ; du journal La Décroissance
qui constitue leur tribune ; enfin, ce sont eux qui ont également
créé, sans demander rien à personne, le Parti
pour la décroissance (PPLD) « suite aux états
généraux de la décroissance équitable
qui se sont déroulés le 15 octobre 2005 à Lyon
». En effet, il s’agit d’un coup de force, car
simultanément avait lieu, dans le milieu de la décroissance
et lors de ces états généraux, un débat
sur l’opportunité de se présenter à des
élections, duquel aucune position précise ne s’était
dégagée.
Mais les chefs, eux, avaient déjà tranché
la question. En première page du n°27 (juin-juillet 2005)
de La Décroissance on pouvait lire l’accroche «
Faire de la politique » et, en pages intérieures :
« La politique est considérée avec mépris
par beaucoup de militants. Pourtant se présenter aux élections
est un acte simple, intéressant et nécessaire pour
faire vivre notre démocratie. » Dans cet esprit, P.
Ariès a rédigé un appel pour susciter des candidats
décroissants pour les élections présidentielles
et législatives de 2007 (6).Dans ce même article (p.
6), M. Cheynet feint d’ignorer les arguments de la critique
de la démocratie représentative qui lui ont pourtant
été opposés : étant visiblement incapable
d’imaginer « l’engagement collectif » et
« l’édification d’un cadre commun »
autrement qu’à travers la participation aux élections
et aux institutions étatiques, il qualifie de « faux-rebelles
», d’« ultra-individualistes » et de «
lâches » ceux qui ont l’impudence de ne pas concevoir
cet engagement de la même manière que lui... Cette
ligne et ces méthodes de discussions ne seront pas démenties
par la suite : ceux qui critiquent l’état dans une
perspective libertaire seront caricaturés de manière
calomnieuse dans presque chaque numéro suivant de La Décroissance.
On comprend donc que la priorité donnée dans le journal
aux « gestes quotidiens qui vont sauver la planète
», au détriment des luttes et des opposition au développement
de la machinerie marchande et industrielle (4/5 de page sur «
La décroissance chez les riches » contre 1/5 de page
sur « L’opposition au TGV dans le Val de Susa »
dans le n°30 de février 2006) n’est pas fortuite
: comme dans n’importe quel parti politique, en cantonnant
les « masses » dans une activité de militantisme
et de propagande, les chefs escomptent en tirer profit d’abord
en termes de publicité et d’influence sur la scène
politicienne et médiatique.
Lors des émeutes dans les banlieues en novembre 2005, le
PPLD s’est fendu d’un communiqué où l’on
peut lire notamment : « Par ailleurs, nous ne pouvons que
constater la totale irresponsabilité de tous les représentants
politiques qui appellent à la démission du ministre
de l’Intérieur au plus fort de la crise. Le temps viendra
de chercher les responsabilités, mais la priorité
est aujourd’hui à l’arrêt de violence et
à la restauration de la sécurité publique,
ce qui ne peut pas se faire en délégitimant l’autorité.
» Autrement dit, en attendant de comprendre quelque chose
à la société dans laquelle ils vivent, ces
humanistes volent au secours de l’autorité de l’état
et de son si sympathique ministre de l’Intérieur, de
la police avec son matériel anti-émeutes, de la justice
expéditive des tribunaux en comparution immédiate,
des prisons surpeuplées et de l’état d’urgence
à répétition Ð sans parler de choses bientôt
banales comme la vidéosurveillance, la carte d’identité
électronique et le passeport biométrique.
J. Hardeau commente en ces termes la diffusion du communiqué
du PPLD sur l’Appel de Raspail : « Ce parti politique
qui se réclame de la démocratie et dont on ne sait
qui le dirige ni comment (7) (c’est probablement un moyen
pour « écarter les tentations carriéristes »
comme il est dit dans la présentation disponible sur son
site internet) verra son assemblée constituante, qui déterminera
enfin ses statuts et son organisation, siéger le 8 avril
2006 à Dijon. » Finalement, ces irréductibles
démocrates ont dû, après six mois de direction
autocratique et opaque, sous la pression de leur base, céder
la place à des porte-parole et des dirigeants élus
démocratiquement par les adhérents du PPLD.
Une vraie révolution à La Décroissance !
Ces « Objecteurs de croissance », si distraits selon
M. Ariès lors des mouvements sociaux ont donc au contraire
montré les limites très étroites de leur humanisme.
Pleins de respects pour l’Homme, avec un grand H, c’est-à-dire
une abstraction et un absolu qui n’existe nulle part, ils
traitent durement et avec mépris les hommes, les êtres
humains concrets et réels qu’ils ont autour d’eux.
La bouche pleine de majuscules, lorqu’ils parlent de République,
de Démocratie, de Liberté, Égalité,
etc. ils sont en réalité, comme n’importe quel
politichien, des roquets qui en appellent à l’Ordre,
à l’Autorité et à la Loi au premier mouvement
social, usent de l’amalgame, de la calomnie et de manipulations
pour tenter d’étouffer la moindre contestation de leurs
pauvres idées.
Bertrand Louart - septembre 2006.
[1] Catherine Tarral, [« François Partant et la décroissance
»->
http://www.decroissance.info/La-decroissance-et-Francois
1. < www.partipourladecroissance.net
>
2. < www.decroissance.org
>
3. Disponible sur le site < decroissance.info > ou sur demande
à Notes & Morceaux choisis [html, 46 Ko ; pdf, 158 Ko].
4. Pas plus que l’Appel de Raspail n’a été
écrit « au nom de la décroissance » (ce
terme n’y est à aucun moment employé), rien
ne permet d’amalgamer, comme tente de le faire le communiqué,
les auteurs de l’Appel de Raspail aux auteurs de l’inscription
« mort à la démocratie » à l’EHESS.
J. Hardeau note à ce propos : « L’occupation
de l’EHESS a semble-t-il rassemblé différents
groupes et divers individus d’origine politique et de motivations
très variées. Des dégradations ont été
commises, c’est regrettable, mais ce n’était
pas le but de l’occupation qui était d’ouvrir
un espace public où puissent avoir lieu des activités
politiques. Un slogan « Mort à la démocratie
» a été tagué par un imbécile
sur un mur, parmi d’innombrables autres. Il a été
repris avec insistance par la télévision et les journaux
dans le but de discréditer cette occupation. » Mais
il faut reconnaître que, pour des gens qui conçoivent
« l’activité politique » uniquement à
travers les élections, l’occupation de bâtiments
publics n’a pas lieu d’être : c’est un insupportable
trouble de l’ordre public.
5. Nous reviendrons probablement sur cette analyse de manière
plus détaillée dans une prochaine édition de
Quelques éléments d’une critique de la société
industrielle.
6. Cf. <
www.appel-2007.org >
7. Rien ne l’indiquait alors de manière claire et explicite.
(NdE.)
Clément HOMS
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