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La destruction du système agraire indien en Amérique latine, ou l’histoire écocidaire du « développement ».
Clement Homs

Origine : http://www.decroissance.info/La-destruction-du-systeme-agraire


« La civilisation occidentale s’est entièrement tournée, depuis deux ou trois siècles, vers la mise à la disposition de l’homme de moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l’on adopte ce critère, on fera de la quantité d’énergie disponible par tête d’habitant l’expression du plus ou moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale, sous sa forme nord-américaine, occupera la place de tête, les sociétés européennes venant ensuite, avec à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite indistinctes. Or ces centaines ou même ces milliers de sociétés qu’on appelle ‘‘ insuffisamment développées ’’ et ‘‘ primitives ’’, qui se fondent dans un ensemble confus quand on les envisage sous le rapport que nous venons de citer (et qui n’est guère propre à les qualifier, puisque cette ligne de développement leur manque ou occupe chez elles une place très secondaire), elle se placent aux antipodes les unes des autres ; selon le point de vue choisi, on aboutirait donc à des classements différents. Si le critère retenu avait été le degré d’aptitude à triompher des milieux géographiques les plus hostiles, il n’y a guère de doute que les Eskimos d’une part, les Bédouins de l’autre, emporteraient la palme. L’inde a su, mieux qu’aucune autre civilisation, élaborer un système philosophico-religieux, et la Chine, un genre de vie, capables de réduire les conséquences psychologiques d’un déséquilibre démographique ».

Claude Lévi-Strauss, Race et Histoire.

L’histoire du système agraire indien.

« Contrairement à une opinion aussi répandue qu’inexacte remarquait Pierre Clastres, la plupart des Indiens d’Amérique du Sud - du moins dans ses aires tropicales, là où l’agriculture est possible - étaient des agricultueurs pour qui les fruits de la terre étaient aussi importants que les ressources sauvages de la chasse, de la pêche ou de la collecte. De fait, [et à rebours d’un préjugé propre à l’imaginaire développementiste qui postule que le sédentarisme implique l’agriculture et le nomadisme la chasse et la cueillette], les civilisations de nomades non cultivateurs sont très rares » [1]. Dans l’Amérique pré-colombienne en effet, une agriculture s’est mise en place depuis 2000 av.J.-C. dans laquelle la propriété privée n’existait pas. Le régime juridique de la terre était alors celui des droits collectifs de la communauté villageoise indienne sur sa terre. C’est-à-dire que la terre était en indivision, même si des formes individuelles d’exploitation étaient toujours possibles. Ainsi l’exploitant n’est pas propriétaire mais à chaque fois son usufruitier, il ne peut donc vendre la terre qu’il exploite. De plus, de part cette propriété collective de la terre, de très nombreux droits collectifs d’usage de la terre existaient, impliquant une conception collective et communautaire de la gestion des ressources. Sous ce système juridique communautaire, l’époque pré-colombienne vit alors un développement précoce et original de l’agriculture notamment dans les montagnes andines, et ce dans le cadre plus particulier d’une logique d’usage complémentaire des différents étages écologiques (une « logique d’archipel » pour utiliser le vocabulaire du géographe Murra) de la montagne.

La période coloniale et les indépendances : sous les fourches caudines du « développement ».

Cependant vers la fin de la première moitié du XVIe siècle, les Conquistadores pénétraient pour la première fois au coeur du continent sudaméricain. En expéditions successives, les Indiens massacrants les premières, ils engageaint leurs vaisseaux sur le Rio de la Plata, le Fleuve de l’Argent - ainsi nommé par les Espagnols qui y voyaient le chemin vers le pays des métaux précieux, le Pérou des Incas. Eux-mêmes ne le connaissaient pas encore, mais les Indiens du littoral brésilien, porteurs de hachettes de cuivre et de pectoraux d’argent martelé, leur avaient expliqué que ces objets provenaient de montagnes situées très loin à l’ouest, les Andes où s’était développée de manière très précoce une agriculture de type communautaire très originale. Les Portugais et Espagnols introduisirent ainsi peu à peu pendant la période coloniale (1492-1830), un nouveau régime juridique de la terre en Amérique latine se substituant au système agraire des indiens. Une nouvelle gestion du sol et de ses fruits était en marche, ordonnée autour d’un droit de propriété privée, direct et personnel, véritable condition de possibilité juridique pour transformer une agriculture vivrière attachée à satisfaire des besoins locaux hors des critères de transfert de l’échange, en une agriculture déjà devenue marchande car intégrée à une économie coloniale hors sol attachée à satisfaire des marchés lointains et abstraits. L’économique encore inexistant dans les opérations de production et de consommation de ces sociétés agraires pré-colombiennes, surgit alors dans le prolongement de l’émergence d’une pratique juridique coloniale qui donne progressivement à des opérations pluri-séculaires un sens économique au travers d’une théorie économique qu’elle contribue à supporter et susciter. C’est alors une mise en économie du monde de la production alimentaire indienne qui se met en place, où chacun de ces niveaux a besoin de l’autre pour s’y fonder. Les colonisateurs commencèrent alors à exproprier les communautés indiennes d’une large partie de leurs finages. Et à une conception collective et communautaire de la gestion des ressources (eau, terre...) se substitua partiellement [2] une conception privée de la gestion de ces ressources. La mise en représentations économiques et juridiques des pratiques « vernaculaires » (au sens qu’Illich donne à ce terme) non-économiques dissout alors les fondements de la civilisation pré-colombienne.

Ce premier mouvement de colonisation qui dura près de 400 ans, n’est pas encore bien entendu équipé idéologiquement comme l’a été le dernier mouvement de colonisation des XIXe et XXe siècles qui dans sa conquête impeccable de l’opinion voulait bien faire passer le message essentiel que « loin de sacrifier à l’intérêt national, la colonisation n’était-elle pas une entreprise toute entière tournée vers le “ bien-être matériel et moral des indigènes ” s’inscrivant dans le progrès général de l’humanité ? Il ne pouvait s’agir d’exploitation, mais seulement de partage » [3]. Mais encore pour quelques temps le premier mouvement de la colonisation n’était carrément dans la nudité même de sa pratique que de l’exploitation revendiquée comme telle. L’échange marchand n’est pas la première forme utilisée par la colonisation qui dans un premier temps revient au simple déploiement de la force comme premier mode de transfert direct et unilatéral : la prédation. L’invention de l’économie ne sera que la poursuite de la guerre par d’autres moyens [4].

Ainsi sur un modèle de développement basé sur l’extraversion de l’économie, les colonisateurs espagnols et portugais mirent alors en place de grandes exploitations pour « mettre en valeur » des territoires et fournir les marchés européens en produits alimentaires dé-localisés, c’est-à-dire n’étant plus produits pour des besoins locaux mais pour des besoins métropolitains et européens. Un type particulier d’exploitation agricole vit le jour, le « latifondio », un très grand domaine de plantation en exploitation extensive et implanté sur le littoral de la côte atlantique (en particulier dans le Brésil actuel) pour rester à proximité des ports d’exportation vers les métropoles. La dé-localisation comme développement d’une production qui ne répond plus à la satisfaction des besoins locaux particuliers mais pour un marché abstrait colonisateur, est ainsi au principe même de la commercial society coloniale de cette époque [5]. Car la création d’économies coloniales extraverties concentre et déplace les activités productrices en fonction des calculs de rentabilité des entrepreneurs coloniaux privés. Et pas encore mécanisé ni motorisé, le latifondio va utiliser des effectifs très importants de main d’œuvre. Ce sont alors d’abord des Indiens réduits en esclavage, puis des esclaves noirs arrivés grâce à la traite négrière, qui vont servir de chair à travail, car l’esclavage physique est bel et bien la logique aboutie de la négation du travail vivant, subjectif et donc concret des individus, sous les coups de butoirs des représentations économiques de la valeur. Et cette réduction de la main d’œuvre en esclavage dans le cadre du système agraire latifundiaire, existera par exemple dans les Antilles françaises jusqu’en 1848, et même jusqu’en 1888 pour le Brésil.

Lors des indépendances au début du XIXe siècle dans le sillon de la révolution bolivarienne très marquée par les textes juridiques des « Révolutions Atlantiques » (J. Godechot [6]), les indépendantistes qui n’étaient composés que des couches occidentalisées de la bourgeoisie locales et métisses, ne prirent pas la défense du système agraire indien, mais au contraire le renforcement et l’extension des latifondios. Et ce parce que les révolutions d’indépendance étaient non pas menées par les peuplements indiens, mais par les émigrés blancs et métis qui formaient l’élite du système du latifondios. Les gouvernements des indépendances promulguèrent alors un puissant appareil législatif pour obliger les communautés indiennes à se partager la terre collective. L’objectif était de transformer les indiens en de petits propriétaires-exploitants individuels. La destruction des structures des sociétés paysannes indiennes a alors été un puissant mouvement de fond pendant la période des indépendances. Comme pour le mouvement de décolonisation des années 1950-1970, la décolonisation politique des années 1830 n’était en rien une décolonisation de l’imaginaire. Bien au contraire.

Ces expropriations, puis ce partage des terres collectives entraînèrent au XIXe siècle et au XXe siècle, la mise en place des conditions de possibilité de l’émergence d’un très vaste problème d’inégalités dans l’accès à la terre entre grands propriétaires-exploitants, petits propriétaires-exploitants et l’énorme masse des travailleurs agricoles. Problème toujours très actuel et qui date de cette époque. Voici donc le bébé que laissait aux nations nouvelles indépendantes, le nouveau système de propriété exclusive de la terre inventé par les théoriciens européens de l’économie au XVIIIe siècle (et notamment les physiocrates pour qui la richesse avait sa source dans la terre). Car le partage des terres collectives indiennes a le plus souvent permis aux grands propriétaires des latifondios de concentrer leurs terres en rachetant les petites propriétés des indiens issues du morcellement de la propriété collective. La résolution toujours très actuelle et jamais réellement posée de ces phénomènes d’inégalités d’accès à la terre, sera ce que l’on appelle, à partir des années 1910 (notamment au Mexique) : la question agraire.

Réformes agraires et développementisme.

En 1961, l’Organisation des Etats d’Amérique (O.E.A.) se réunit en sommet à Punta del Este (Uruguay) et va donner une impulsion sans équivalent pour la mise en place des politiques de « développement » comme dit la nouvelle idéologie énoncée pour la première fois par le président américain Truman en janvier 1949, avec pour principe qu’« une plus grosse production est la clé de la prospérité et de la paix ». Un Leimotiv repris en choeur depuis, par l’ensemble des économistes, « développementistes » et autres prêtres à longues et courtes robes de la religion économique. Une nouvelle vision du monde était satellisée, celle du « sous-développement » : « il ne s’agit plus seulement de constater que les choses “ se développent ”, on pourra désormais “ développer ”. Le “ développement ” prendra alors un sens transitif (celui d’une action exercée par un agent sur un autre) correspondant à un principe d’organisation sociale, tandis que le “ sous-développement ” sera considéré comme un état qui existe “ naturellement ”, c’est-à-dire sans cause apparente » [7].

Sous la pression des Etats-Unis et selon les thèses développementistes du C.E.P.A.L. (Commission Economique de l’O.N.U. pour l’Amérique latine), le sommet de l’O.E.A. engage alors dans les années 1960 dans le cadre de cette Grande Marche Royale vers le Progrès, une large vague de réformes agraires qui vont être les pièces angulaires du développement des pays d’Amérique du Sud. Le principe n’est pas du tout la défense du système communautaire de la terre ni de le favoriser. Le principe est seulement de refaire ce qui a déjà été fait (le morcellement de la terre dans le cadre de la propriété exclusive) et qui a conduit à la concentration latifundiaire, les gros rachetant les tout petits. Le schéma de développement espéré est ainsi celui-ci : l’expropriation des latifondios non économiquement performants, entraîne l’accès à la propriété des paysans sans terre, ce qui permettra au final d’en faire des consommateurs pouvant atteindre le « minimum vital », qui n’a pour seul critère international que « la réduction de la vie à une question de calories » [8]. De plus on espère que les personnes expropriées engageront la reconversion de leur capital foncier en capital industriel. La réforme agraire est donc aussi conçue comme relance du processus d’industrialisation. La réforme agraire est alors pour leurs prometteurs un vrai outil de « développement ». En règle générale, malgré des exceptions (le Chili liquide totalement les latifondios improductifs), la réforme agraire est promulguée dans l’ensemble des pays mais elle ne sera pas appliquée.

Cependant à partir des années 1980, voilà que cette stratégie de “ développement ” issue du sommet de l’O.E.A. de 1961, qui n’est que la nouvelle extension du système juridique de la propriété exlusive de la terre théorisé par les physiocrates, n’est plus à l’ordre du jour, elle n’est plus perçue par les développementistes comme la clé du « développement » pour qui les êtres humains ne sont que des objets de gestion (car les politiques de « développement » sont de la politique réduite à l’état de simple administration des individus devenus des choses).
Les mouvements indigénistes et la décroissance.

Au XXe siècle, malgré l’apport très important d’un peuplement africain (par la traite et l’esclavage) et européen (entre 1870-1950), le peuplement indien reste toutefois considérable. Dans l’intérieur des terres, souvent peu accessibles pour les colonisateurs puis les « développementistes », le système de propriété collective indien a très peu été modifié, les communautés indiennes situées dans des régions intérieures difficiles d’accès, connaissent encore aujourd’hui une propriété collective de la terre. Comme nous l’avons dit, le système latifundiaire était une agriculture exportatrice, le système des plantations a donc été développé à proximité des régions littorales ou près des ports d’exportation. Les communautés indiennes sur les plateaux andins (Bolivie, Pérou, etc) gardent donc par exemple une identité culturelle forte, leur conception communautaire de la propriété, mais aussi leur conception communautaire de la justice dégagée de l’appareil judiciaire étatique.

Depuis les années 1930, et plus particulièrement depuis les années 1980, les mouvements indigénistes vont peu à peu prendre conscience de leur culture et de l’importance de la défense de la conception juridique de leur système agraire [9]. Organisés en de puissants mouvements syndicaux, politiques, culturels, ils poussent aujourd’hui leurs gouvernements à mettre en place une nouvelle législation permettant la survie et le rétablissement de la propriété collective des communautés villageoises. Les réformes agraires quand elles sont réclamées par certains mouvements sociaux notamment indigénistes, ne le sont plus sous la forme d’un partage de la propriété sous les termes juridiques planifiés par l’occidentalisme marchand. Ainsi récemment, dans un pays où une centaine de familles contrôlent 25 millions d’hectares de terres arables alors que 2 millions de paysans travaillent sur une surface d’à peine 5 millions d’hectares, le président bolivien Evo Morales a affirmé que sa « révolution agraire » évitera les inconvénients de la réforme agraire de 1953 où la distribution des lopins individualistes dans le cadre de la propriété exclusive de la terre avait abouti à une multiplication de petites propriétés peu viables. La « viabilité » - terme propre à l’économisme occidental -, de ces petites propriétés individuelles où chacun est le compétiteur de son voisin, est bien sûr incapable de garantir une vie décente pour chacun, car seule la socialisation de la gestion de la terre et de ses ressources (mais aussi l’entraide et la coopération) permet à toutes les composantes de la société paysanne de vivre. A rebours de la “ socialisation ” communautaire étatique propre aux collages des philosophies politiques occidentales [10], la coopération communautaire du vivre-ensemble propre à la « philosophie politique “ sauvage ” » (Pierre Clastres [11]), est seule à même de pouvoir faire vivre les personnes collectivement là où elles se trouvent réellement. C’est ainsi que le gouvernement Morales s’est engagé à privilégier l’exploitation communautaire des terres en défendant et promouvant ce qu’il reste du système juridique indien de la terre [12]. Plus largement, l’actuel débat constitutionnel en Bolivie a largement intégré des perspectives « pluriversalistes » (S. Latouche), comme par exemple la reconnaissance de la justice « communautaire » (traditionnelle) des villages indiens en face de celle de l’Etat préfabriqué par les recettes occidentales. Peu à peu, la « colle de l’âme pour que tienne un Etat » [13], pièce d’oeuvre de l’économicisation du monde, est ainsi entrain de perdre de l’adhésion dans les imaginaires colonisés par la mythologie programmée du « développement ». Peu à peu, partout où la saturation écocidaire de la fin forcée du déploiement de l’économie transforme le monde en décor de sa propre maladie, le logocentrisme universaliste laisse toujours plus sa place au lococentrisme pluriversaliste de la vie immédiate sans médiation. Partout, ici, là-bas comme ailleurs, l’odeur pourrie des ruines du « développement » se répand.


[1] Pierre Clastres, Chroniques des Indiens Guayaki. Ce que savent les Aché, chasseurs nomades du Paraguay, Plon, Terre Humaine, 1972, p.91. Un exemple de ces nomades non agriculteurs développé par Clastres dans l’ensemble de ce livre est bien sûr les Guayaki.

[2] Car à rebours d’une idée reçue la colonisation n’a pas tout détruit du système agraire indien, c’est plutôt le libéralisme des années 1990 qui y mettra définitivement fin.

[3] Gilbert Rist, Le développement. Histoire d’une croyance occidentale, Presses de Science Po, 2001 (1991), p. 113.

[4] S. Latouche, L’invention de l’économie, Albin Michel, 2005. Une des formes « proto-économiques » mais qui ne peuvent aucunement être identifiées à de l’économique comme le montre Latouche, est ainsi par exemple cette économie politique de la parenté consistant dans le rapt et l’échange des femmes.

[5] Ainsi le propos de Matthieu Amiech toutefois très sympathique dans « Les Etats-unis avant la grande industrie », Notes et morceaux choisis, n°7, Editions de la Lenteur, p.28, faisant à tort de la dé-localisation le propre de la société industrielle et non de la commercial society, me semble beaucoup trop marqué par une problématique proudhonienne de « la taille » acceptable du déploiement de l’horreur économique, que d’une véritable et nouvelle critique de la valeur qu’avance par exemple Anselm Jappe, dans Les Aventures de la marchandise. Pour une nouvelle critique de la valeur, Denoël, 2003 ; on verra surtout et plus encore, Michel Henry, Marx, tome 2, Gallimard, tel, 1976. En effet il y a dans les présupposés auto-gestionnaires de Amiech, l’idéal carrément avoué d’un retour à la commercial society américaine, c’est-à-dire à une espèce de production simple de marchandise sans plus-value ni capital, où le « travail honnête » du travailleur est glorifié comme créateur de toutes les valeurs. Ce point de vue ne voit pas que même le travail honnête se représente dans la valeur et la valeur se représente dans la valeur d’échange, c’est-à-dire dans l’argent. Comme écrit Latouche, « en naturalisant le travail, c’est toute l’économie qu’on naturalise », in L’invention de l’économie, Albin Michel, 2005, p. 66. La question fondamentale n’est ainsi pas celle de la taille des entreprises, ou du retour au « travail honnête », mais celle des conditions de possibilité même de l’échangeabilité.

[6] Pour apprécier les effets destructeurs des législations de la Révolution française sur le droit communautaire de la terre en France, on peut voir le très intéressant ouvrage de l’historienne Geneviève Gavignaud-Fontaine, La Révolution Rurale dans la France contemporaine XVIIIe-XXe siècle, L’Harmattan, Coll. Alternatives rurales, 1998.

[7] G. Rist, p. cit., p. 122

[8] Wolfang Sachs et Gustavo Esteva, Des ruines du développement, Ecosociété, 1996, p.27. On peut lire aussi le texte de l’Internationale lettriste, « Le minimum de la vie », in G. Debord, Oeuvres Complètes, Gallimard.

[9] C. Homs, « Mouvements indigénistes et décroissance : enjeux, leviers sociaux et ouvertures des possibles »

[10] La communauté nationale fabriquée par les Etats n’étant constituée sur aucun vivre-ensemble vivant, réel et concret car désincarnée du domaine ontologique de la vie immédiate de la « connaissance en première personne » (W. Jankélévitch), est alors comme le remarque le philosophe italien Roberto Esposito, une véritable « communauté de la mort ».

[11] P. Clastres, ibidem, p. 84

[12] cf. Paulo A. Paranagua, « En Bolivie Evo Morales donne le coup d’envoi de sa “ révolution agraire ” », Le Monde, 7 juin 2006.

[13] Pierre Legendre, « Les collages qui font l’Etat », in Miroir d’une nation, Mille et une nuits, 1999, p. 55

20 décembre 2006
par Clément Homs