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Origine : http://www.altermonde-levillage.com/spip.php?article7537
Ce 27 novembre 2006 avait lieu au Collège de France une
cérémonie solennelle célébrant Jean-Pierre
Changeux, « philosophe » et spécialiste des neurosciences.
S’enchaînaient des interventions, des films-souvenir
? la gloire de cet acharné du réductionnisme, des
OGM et du fichage génétique, aujourd’hui promu
professeur émérite. A la pause-café, au milieu
de ce gala mondain, et avec l’accord ingénu de l’organisateur,
d’ « anciens élèves » de Jean-Pierre
Changeux ont pris la parole.
Cet « éloge » acide a fait valoir le projet
de Changeux de « psychiatriser la vie » et saluait ensuite
la pluridisciplinarité du « Maître », qui
« fut tour ? tour technocrate, eugéniste, gardien de
zoo, quincaillier et flic. » Le « Herr Professor »
final, ainsi que le slogan « Science, Croissance, Obéissance
» furent salués par des applaudissements enthousiastes,
couvrant l’effarement de quelques uns ? ? commencer par Jean-Pierre
Changeux lui-même.
Si nous pouvons, au mieux, déplorer une grégarité
dramatique, ces applaudissements viennent surtout témoigner
du fascisme intégré de ces docteurs Folamour, ? peine
voilé par la pseudo-neutralité scientifique.
Brisons la dictature ordinaire des experts, ridiculisons les élites.
Une fraction de L’Obscur Groupe Oblomoff.
« L’audace du savoir est sans limites, c’est
l’un des traits les plus attachants de la recherche scientifique
» [1] déclarait Jean-Pierre Changeux au philosophe
Paul Ricoeur. Tout au long de son existence, M. Changeux a donné
corps à cette formule en procédant au dépeçage
systématique de l’esprit humain. L’esprit ! Cet
héritage laborieux de la pensée primitive, Changeux
l’a combattu avec cette audace sans limites qui caractérise
la pensée scientifique : « L’homme n’a
dès lors plus rien à faire de ‘l’esprit’,
il lui suffit d’être un homme neuronal » [2],
disait-il encore à Ricoeur. C’est pour nous, anciens
élèves de Changeux et à ce titre, hommes neuronaux,
un immense honneur de célébrer ici la pensée
de notre maître. Nous tenons à en rappeler, dans cette
vénérable enceinte, les aspects les plus marquants.
Pour Jean-Pierre Changeux, la neurobiologie, aidée des progrès
de la génétique, s’est très tôt
révélée être l’instrument privilégié
de l’utopie : celle d’une humanité entièrement
régie par les lois de la biologie. Derrière l’histoire,
les histoires des hommes, ces fictions et ces mythes qui les déchirent,
il y a la vie de l’espèce, universelle et concrète.
À la tête du Comité Consultatif National d’Éthique,
il a fallu à notre maître un courage ininterrompu pour
défendre les valeurs objectives de l’approche réductionniste.
Pour libérer les cerveaux des idéologies et du subjectivisme
qui les entravent, il lui a fallu combattre sans relâche la
diversité culturelle et historique, source de conflits infinis.
Comme il le déclarait dans L’homme neuronal, «
les représentations culturelles propres à la pensée
mythique » sont encore aujourd’hui bien enracinées
dans nos sociétés : « fondamentalisme, vandalisme
écologiste, médecines douces, homépathie »...
Elles « contredisent le sens commun et les lois de la physique.
Elles pourraient mettre en danger l’espèce »
[3]. À un Michel Foucault affirmant « Il faut défendre
la société », notre maître aurait répliqué
avec brio : Il faut défendre le patrimoine génétique.
« Je ne peux pas rester aveugle, sourd et muet devant la
réalité dramatique qui accable nos sociétés
» [4], affirmait Jean-Pierre Changeux en 1998. Sa position
privilégiée sur « l’agora planétaire
du débat scientifique » [5] lui a permis de faire entendre
une pensée politique résolument progressiste, orientée
vers un partenariat fort avec l’industrie de pointe. Notre
maître a pris sur lui de militer en faveur des applications
technologiques « qui contribuent à combler le fossé
qui sépare la communauté scientifique du reste de
la société » [6], aux côtés notamment
de F. Ewald en faveur des OGM et contre « les nouveaux vandales
» [7]. En matière d’ingénieurie sociale,
reprenant le flambeau de la phrénologie de Gall, il s’est
penché tout particulièrement sur la synergie de la
biologie moléculaire et de l’informatique pour préconiser
la détection « au niveau de la population, des prédispositions
génétiques à des maladies, ou, au niveau de
l’individu, la constitution du « profil génétique
» qui complètera son dossier médical. Peut-on
déjà parler de cyberdocteurs au savoir infiniment
étendu.... ? » [8]
Substituer, pour mieux gérer la société, la
rigueur de l’approche clinique à la versatilité
de la vie politique fut le cœur du travail de Jean-Pierre Changeux.
Une lutte sans relâche contre l’intrusion de la morale,
toujours prompte à refaire surface au sein même du
monde scientifique, et plus fondamentalement, contre la parole elle-même,
si peu adaptée à la communication directe entre les
hommes, « système de codage lourd et encombrant qui
véhicule tant bien que mal le ‘langage de la pensée’
» [9]. Agir directement sur les activités mentales,
fonder une véritable police cybernétique, faire un
sort au problème insoluble de la pluralité humaine,
en un mot psychiatriser la vie, tel fut le projet visionnaire de
notre maître. À cet égard, la démarche
politique de Jean-Pierre Changeux peut être comparée
à celle que Pascal avait donnée pour être celle
des philosophes : « S’ils ont écrit de politique,
c’était comme pour régler un hôpital de
fous ». À nouveau, saluons le grand homme qui parvint
à donner une légitimité politique et institutionnelle
au projet de domination totale du vivant, et qui, dans un esprit
d’ouverture et de pluridisciplinarité, fut tour à
tour technocrate, eugéniste, gardien de zoo, quincailler
et flic.
Herr Professor !
Par le Groupe Oblomoff 21 rue Voltaire, Paris.
[1] La Nature et la règle, entretien avec P. Ricoeur, Odile
Jacob, Paris, 1998, p. 237.
[2] L’Homme neuronal, Fayard, Paris, 1983, p. 228.
[3] Ibid., p. 340.
[4] La Nature et la règle, entretien avec P. Ricoeur, Odile
Jacob, Paris, 1998, p. 303.
[5] Sur le caractère totalement libre et dénué
d’idéologie du débat scientifique mondial, voir
L’Homme de vérité, trad. française, Odile
Jacob, Paris, 2002, pp. 396-397.
[6] Ibid., p. 399.
[7] Cité dans L’Homme de vérité, p.
366. Voir aussi entretien avec La Citoyenneté : « Partir
en guerre contre les OGM, sans discrimination, est une démarche
obscurantiste ».
[8] Ibid., p. 389..
[9] L’Homme neuronal, Fayard, Paris, 1983, p. 218.
Clément HOMS
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