Origine : http://www.decroissance.info/Il-faut-aller-vers-un-mode-de-vie
Hervé Kempf : Que pensez-vous du développement durable
?
Paul Ariès : Il répand l’idée qu’il
suffirait de polluer un peu moins pour pouvoir polluer un peu plus
longtemps. Cela ne remet pas en cause la logique qui a conduit à
la situation actuelle.
H.K. : N’est-ce pas l’amorce d’un changement
de trajectoire ?
P. A. : Tout ce qui peut être fait pour modérer la
consommation, notamment énergétique, est excellent.
Là où ça devient dangereux, c’est si
l’on pense que des mesures de cet ordre peuvent suffire à
régler les problèmes. Il se produit alors un effet
rebond : une moindre consommation énergie d’un bien
pousse à l’augmentation de la consommation de ce bien.
Et rien ne change vraiment.
H.K. : Vous défendez la théorie économique
de la décroissance. Qu’est-ce exactement ?
P.A. : Un « mot-obus » qui vise à pulvériser
l’idéologie dominante de la croissance. C’est
un mot qui sert à faire penser, qui indique là où
il faut réfléchir. Pour les objecteurs de croissance,
il est fondamental d’essayer de comprendre la simultanéité
d’une série de grandes crises qui nous affectent :
environnementale, mais aussi sociale, politique, et de la personne
humaine. Même s’il n’y avait pas les questions
de l’épuisement des ressources et du réchauffement
climatique, les autres crises conduiraient à rejeter cette
croissance.
H. K. : Que proposez-vous ?
P.A. : D’arrêter de penser en termes d’une autre
répartition du même gâteau. Ce qu’il faut,
c’est changer la recette. On sait que 20% des humains consomment
80% des ressources, et on sait qu’on ne peut pas généraliser
ce mode de vie. Cela repose fondamentalement la question du politique,
du partage, de la redéfinition d’autres valeurs et
de la transmission de ces valeurs. On connaît les capacités
de charge de la planète : il ne faudrait pas consommer plus
de 500 kilos d’équivalent carbone par personne et par
an, soit 4000 km en voiture par exemple. C’est très
peu. Cela semble vouloir dire qu’il faudrait diviser par douze
le niveau de vie d’un Américain moyen et par quatre
celui d’un Français moyen. Ce n’est pas pensable,
ni socialement n économiquement. Mais on ne peut plus se
situer uniquement en termes de niveau de vie. Il faut penser à
un mode de vie radicalement nouveau. Concrètement, la décroissance
suppose la relocalisation de l’ensemble des activités
de production et de consommation. L’idée de base pourrait
être « Moins de biens, plus de liens ». Cela veut
dire que, nécessairement, il va falloir apprendre à
vivre avec beaucoup moins, à avoir un rapport différent
aux objets, à privilégier le temps lent sur le temps
rapide. Il y a une culture à réinventer.
H. K. : La société est-elle sensible à cette
thématique ?
P.A. : Nous sommes ultra-minoritaires. Mais le terme de décroissance
fonctionne bien auprès des plus jeunes, parce qu’il
permet de basculer sur un nouvel imaginaire. On a besoin de mots
pour pouvoir dire nos révoltes.
Propos recueillis par Hervé Kempf dans Le Monde du jeudi
1er décembre 2005. Paul Ariès est chercheur et professeur,
il enseigne les sciences politiques à l’université
Lyon-II. Il vient de faire paraître Décroissance ou
barbarie aux éditions Golias, 168 p., 15 euros.
le lundi 13 mars 2006
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