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Sujet : [infozone_l] Comment (se) manifester dans la rue ?
Source : A - I n f o s
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* (fr) Comment (se) manifester dans la rue ?
From Worker <a-infos-fr@ainfos.ca>
Date Sat, 13 Dec 2003 19:03:32 +0100 (CET)
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A G E N C E D E P R E S S E A - I N F O S
http://www.ainfos.ca/
http://ainfos.ca/index24.html
Avis : Le comité de rédaction du Monde libertaire, auquel
j’ai proposé ce texte, n’a pas jugé opportun
de le publier. Cette décision met un terme à la collaboration
entamée en février dernier avec l’hebdomadaire
de la Fédération anarchiste, dans lequel j’ai
publié sept articles. Je tiens l’examen public et contradictoire
des divergences pour une condition du progrès des idées
et de la théorie révolutionnaires ; c’est de surcroît
une exigence morale. Toute activité militante qui prétend
en faire l’économie est mensongère et participe
d’une confusion qu’elle devrait contribuer à dissiper.
C. G., Paris, le 12 décembre 2003
Lors de la manifestation du FSE, le 15 novembre dernier, le cortège
libertaire s’est trouvé bloqué, dès son
arrivée place de la République, derrière une
délégation PS composée de nervis et de quelques
apparatchiks de second rang. Le face-à-cul a duré plusieurs
heures, avant que le cortège s’ébranle et jusqu’à
la disparition du PS dans la toute dernière portion du parcours.
Des manifestants ont d’abord lancé des fruits, des yaourts
et quelques pétards-fusées, ce qui tenait plus du monôme
que de l’intifada. Puis, en chemin, ce sont des canettes qui
ont volé. Environ deux cent personnes, dont certaines avaient
été expulsées par le service d’ordre du
cortège libertaire, et dont la plupart n’avaient ni les
moyens ni peut-être l’envie d’un affrontement, ont
ensuite défilé entre le cortège libertaire et
le groupe PS. Ce dernier a pu charger à plusieurs reprises
et blesser impunément au moins une demi douzaine de jeunes
manifestants, dont l’un sérieusement (fractures multiples).
Il me paraît indispensable de revenir sur ces événements
pour tenter d’en tirer quelques leçons politiques et
tactiques.
Le communiqué publié le lendemain par la CNT (Vignoles),
seul texte d’organisation à ma connaissance [1], exprimait
à trois reprises le regret que le cortège libertaire
ait dû défiler coupé du reste de la manifestation.
Il me semble que c’était plutôt le fait d’être
coincés derrière le PS qui était dommageable,
et j’ajouterai honteux.
Or, il est bon de rappeler, pour les absent(e)s, que nous étions
au moins trois fois plus nombreux que les « manifestants »
PS ! Je ne veux pas dire par là qu’un affrontement physique
aurait tourné à notre avantage ; cela n’est pas
certain. D’ailleurs, même jeune et en bonne santé,
je n’ai jamais partagé le fétichisme de la «
baston » que l’on trouvait chez beaucoup d’«
autonomes [2] » de la fin des années 70 ; j’en
ai au contraire dénoncé les impasses [3].
Cependant, ce 15 novembre, notre supériorité numérique
ouvrait la possibilité de partir, par les trottoirs, vers un
autre point du cortège général, quitte à
s’y insérer sans autorisation. Cette démarche,
d’une non-violence active aurait eu l’avantage de créer
une dynamique collective. On peut penser qu’elle aurait entraîné
la plus grande partie de ceux et celles qui ont finalement défilé
devant lui (libre aux autres de rester en arrière pour harceler
le PS). Parler, comme le fait le communiqué CNT, de «
manifestants masqués » donne une image incomplète
de la situation.
Bien peu de gens l’étaient. Je donne cette précision
non pour stigmatiser le port d’un foulard (je remonte le mien
devant les caméras et en cas de gazage) mais pour indiquer
la nature de la population libertaire hors-cortège, parmi laquelle
on trouvait, outre l’auteur de ces lignes et un raton laveur,
divers encartés énervés, des militants étrangers,
et beaucoup de jeunes qui, peut-être faut-il le préciser,
n’étaient pas nés à l’époque
de l’« autonomie ».
La CNT assure « pouvoir comprendre » l’hostilité
dont ces manifestants faisaient montre à l’égard
du PS. C’est le moins ! Si l’on se situe, comme elle tient
à le rappeler justement, sur le terrain de la lutte de classes,
alors les partis qui ont participé ou participent à
la gestion et à la modernisation capitaliste sont évidemment
des ennemis qu’il est légitime de combattre, y compris
en les chassant des cortèges. Lorsque c’est impossible,
du fait d’un rapport de force défavorable, il faut au
moins éviter de paraître, en les suivant, admettre la
légitimité de leur présence. Voilà qui
me semblerait politiquement « contre-productif ».
Or, c’est le qualificatif que retient la CNT à propos
des incidents qui ont émaillé la manifestation.
Nous voilà d’accord sur un terme, mais qu’en est-il
de son contenu ? Que cherche-t-on à produire en manifestant
? Pour ce qui concerne ce que la presse bourgeoise a retenu des incident
— critère d’appréciation dont la valeur
reste à débattre — je me reporte au titre du Monde
(18 nov. 03) : « La délégation du PS a défilé
sous une pluie de canettes de bière et d’insultes ».
Un autre article du même numéro souligne que le PS peine
à imposer sa légitimité dans les mouvements sociaux.
Que les anarchistes — en tant que « révélateurs
» — soient associés à ces conclusions me
convient parfaitement. Par contre, il serait navrant de laisser s’installer
dans la tête de jeunes militant(e)s l’idée que
construire une organisation [4] et plus généralement
un mouvement libertaire entraîne mécaniquement certains
renoncements, voire la nécessité d’assumer des
tâches de maintien de l’ordre, comme l’on constamment
fait les diverses organisations marxistes-léninistes dans les
années 70. Les militants de la LCR qui protégeaient,
encore récemment, ici une banque, là une caserne, ne
se transformaient pas par magie noire en amis des banquiers ou en
supporteurs de l’armée.
Cependant, et quelqu’aient été leurs motivations,
ils se mettaient dans la situation concrète de jouer les flics,
y compris en jouant très classiquement de la matraque, contre
des manifestants attaquant des cibles légitimes. On m’objectera
que nous n’en sommes pas là. C’est vrai et c’est
tant mieux, mais il est préférable, je pense, de prévenir
les problèmes par la réflexion et la confrontation théorique
plutôt que d’attendre qu’un incident grave les rende
impossibles à poser. Il ne manque d’ailleurs pas de signes
annonciateurs fâcheux. J’ai moi-même vu, lors d’une
manifestation du printemps dernier, des militants CNT mettre entre
la manifestation et le Mac’do du carrefour des Gobelins une
rangée de SO, d’ailleurs toute symbolique (personne n’ayant
eu l’idée de démonter ce Mac’do à
ce moment). La police s’était, semble-t-il, mise en tête
que les anarchistes s’en prendraient à la chaîne
de « restaurants ». Il avait donc été jugé
pertinent d’afficher la détermination inverse…
On voit que l’attitude prise dans la rue recoupe des questions
politiques dont on ne peut faire l’économie, en se jugeant
par essence (libertaire) à l’abri des dérives
autoritaires et des bavures. Ce ne sont pas les idées qui déterminent
les réactions individuelles dans les situations de tension,
ce sont les situations concrètes elles-mêmes [5]. Mieux
vaut donc éviter de se mettre dans certaines situations, dans
certains rôles, dont il sera peut-être impossible de se
tirer honorablement.
Démocratie directe et travaux pratiques À plusieurs
reprises, des membres différents du SO libertaire ont justifié
leur attitude en recourant au même vocabulaire politique.
« Nous, on n’est pas un groupuscule, on pratique la démocratie
directe » dit l’un à un manifestant qu’il
expulse du cortège. « J’ai un mandat impératif
», dit un autre qui veut pousser un de mes amis sur le trottoir.
Ces références aux modalités de la démocratie
directe laissent songeurs. D’abord parce que dans le cas d’espèce,
si démocratie il y a eu, elle n’a concerné que
les militants des organisations, et certainement quelques militants
de chacune d’elles. S’il est normal qu’une organisation
détermine sa propre position, la prétention à
l’imposer à tous ceux/celles qui rejoignent les cortèges
libertaires par sympathie politique est exorbitante (non, avoir déposé
à la préfecture la demande d’autorisation d’une
manifestation ne me paraît pas un argument pour imposer tel
comportement à tous les libertaires présents).
Lorsque des décisions sont à prendre dans la rue, pourquoi
ne pas considérer l’ensemble des manifestants comme une
assemblée générale souveraine ? La question devrait
plutôt être posée ainsi : comment peut-on faire
autrement, quand on prétend adopter la démocratie directe
comme principe d’organisation ? Il me semble que nous gagnerions
à considérer les manifestations, non pas comme des mises
en scène stéréotypées (plus ou moins formatées
pour TF 1, incarnation supposée de l’« opinion
»), mais comme des ateliers de travaux pratiques. Ceux-ci pourraient
avoir pour thèmes quelques principes dynamiques : démocratie
directe de masse, et non de chapelle ; non-violence active et collective,
chaque fois qu’elle est réalisable ; n’oublions
pas non plus que l’on peut ridiculiser un adversaire sans violence
physique (la liste demeure ouverte aux sugestions).
Et puis manifestons-nous sans complexe, et lorsque nous sommes les
plus nombreux — ce qui n’est pas rare désormais
— prenons toute notre place, surtout si c’est la première
! Je serais fâché que nous paraissions donner raison
à ce manifestant, plus désabusé qu’agressif,
qui disait le 15 novembre :
« Maintenant les anars, c’est gros bras devant et moutons
derrière » !
Claude Guillon
[1] C’est de ce texte que sont extraits les passages que je
cite. Seule la CNT a commenté l’événement,
elle seule dispose d’un SO [on me dit que la FA aussi ; j’en
prends acte. Constater l’absence d’un SO permanent n’était
pas, dans mon esprit, une critique], sa visibilité dans la
rue est sans comparaison avec celle des autres groupes ; c’est
pourquoi il sera davantage question d’elle ici.
[2] Le vocable « autonome » ou plus familièrement
« toto » vient facilement à certaines lèvres
pour stigmatiser des manifestants offensifs ou réfractaires
aux consignes des SO. C’est commettre un anachronisme et dévaloriser
un adjectif très honorable.
[3] On trouvera dans Pièces à conviction (Noésis,
2001) deux textes, portant l’un sur la période de l’autonomie
et l’autre sur les manifestations de la jeunesse en 1990.
[4] Je laisse ici de côté le débat sur la nature
exacte de la CNT Vignoles : syndicat-parti, organisation anarcho-syndicaliste,
syndicat « radical » ? [5] Exemple : ayant accepté
de porter un uniforme, pris dans une embuscade, j'en viens pour sauver
ma peau à tirer sur un ennemi avec lequel je souhaitais fraterniser.
Paru sur ******* ******* ****** Agence de Presse A-Infos ****** I
et sur la liste I N F O Z O N E .
http://listes.samizdat.net/wws/info/infozone_l
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