Message Internet Date: 15 Janvier 2003
Subject: [zpajol] Le point de vue de Claris sur le PLSI
CLARIS, "Pour clarifier le débat public sur l'insécurité",
est un groupe pluridisciplinaire de chercheurs.
Extrait de leur manifeste : "Face à cette situation, il
nous semble important et urgent que des chercheurs et des praticiens
mettent en commun leurs compétences pour contribuer à
clarifier le débat, en exerçant une vigilance critique
sur les discours qui alimentent le débat public, en diffusant
des connaissances précises et en orientant la réflexion
vers l'analyse des contextes qui favorisent l'apparition et le développement
des diverses formes de délinquance. C'est en ce sens que notre
groupe - qui espère fédérer largement - interviendra
régulièrement dans le débat public, par le biais
notamment d'un bulletin d'information et d'un site Internet."
Le site de Claris
<http://laurent.mucchielli.free.fr/Claris.htm>
Libération du mardi 14 janvier 2003
La loi sur la sécurité intérieure: enjeux idéologiques
et effets pratiques
La sécurité était "une question de volonté
politique", avait dit le candidat Chirac. Il faut maintenant passer
au "temps de l'action", annonça le président
réélu. Le projet de loi d'orientation et de programmation
pour la sécurité intérieure est présenté
en nouvelle lecture aux députés de l'Assemblée
Nationale du 14 au 22 janvier. Ce projet a déjà fait beaucoup
parler de lui. De par son orientation générale et certaines
de ses dispositions, il a suscité nombre de critiques de la part
d'organisations professionnelles (syndicats de magistrats, d'avocats,
d'éducateurs, mais aussi désormais de policiers et d'enseignants)
et d'associations pour le respect des droits de l'homme et la lutte
contre les discriminations. Aujourd'hui, le débat public est
en effet confisqué, comme piégé. Les questions
de fond sont évacuées systématiquement au profit
d'évidences martelées et intériorisées plus
ou moins par chacun. L'argument d'autorité mille fois répété
est sensé emporter toute objection : la "sécurité
est la préoccupation majeure des Français". Dès
lors toute discussion critique est d'avance neutralisée: elle
ne peut être que le fait de "privilégiés",
acteurs de la vie politique ou observateurs loin des réalités
vécues. Les sondages sont convoqués pour mettre à
jour une fracture culturelle entre les "élites" et
le"peuple". La rhétorique est ancienne. Dans ce contexte,
la critique sociale est bien muette. La gauche politique est inaudible.
Les intellectuels ont manifestement d'autres choses à faire (et
certains sont sans doute ravis). Essayons pourtant d'y voir un peu clair,
de mettre entre parenthèses les émotions et de défendre
le droit (on devrait dire le devoir) de l'argumentation.
La loi sur la sécurité intérieure reprend les thèmes
de la campagne électorale, avec une argumentation qui surprend
toutefois, s'agissant de bâtir les lois de la République
et non plus de gagner des élections. L'exposé des motifs
entérine en effet une série de lieux communs dont le fondement
est douteux. Ainsi, il est posé d'emblée une "augmentation
exponentielle de la délinquance que les chiffres illustrent de
manière éloquente". Or, il s'agit des seules statistiques
de la police dont on connaît les limites informatives ainsi que
les étranges variations en fonction des contextes politiques.
Cette délinquance est présentée ensuite comme étant
désormais caractérisée par des violences interpersonnelles
"qui prennent de plus en plus la forme de violences gratuites,
voire de violences d'humiliation". De quoi s'agit-il? Sur quoi
se fonde t-on? Le texte se garde bien de la dire. Il affirme ensuite
que l'augmentation des statistiques en zones (plutôt rurales)
de gendarmerie s'explique par le fait que "de nouvelles catégories
de la population ont basculé dans la délinquance".
On aimerait savoir lesquelles! Veut-on dire que la délinquance
vient aux agriculteurs? Puis le texte précise que"dans ce
contexte [de développement du trafic de drogues], la nocivité
de toutes les drogues doit être reconnue et la dépénalisation
de l'usage de certains produits stupéfiants doit être rejetée".
Or, on ne voit pas le rapport logique entre les trois affirmations:
le développement des trafics peut être un constat local,
la nocivité équivalente de toutes les drogues est une
pétition de principe démentie comme telle par les scientifiques
(voir le rapport Roques) et le rejet de toute discussion sur la réglementation
du cannabis est une prise de position politique qui singularise la France
par rapport à la quasi totalité de ses voisins européens.
Le comble est atteint avec le paragraphe suivant qui procède
à ce savant calcul: "lorsqu'on indique que les faits constatés
ont globalement progressé de 13,92% entre 1998 et 2001, cela
signifie qu'il y a eu 487267 victimes supplémentaires, soit plus
que la population de la ville de Lyon". La précision de
ces chiffres est impressionnante!
Un problème se pose toutefois. S'agissant de l'ensemble des faits
délictueux enregistrés, ce raisonnement comptabilise comme
des victimes non seulement les personnes volées, cambriolées
ou agressées, mais aussi les joints qui ont été
grillés par leurs fumeurs, les murs qui ont été
l'objet de graffitis, les voitures qui ont été l'objet
de dégradations diverses, les formulaires administratifs qui
ont été l'objet de fausses déclarations,etc. Il
s'agit en réalité d'une présentation volontairement
catastrophiste de la réalité, accrue encore par l'évocation
finale de "la mendicité agressive, les regroupements dans
les parties communes des immeubles et l'envahissement des propriétés
privées par des gens du voyage". Cette argumentation n'est
pas véritablement sérieuse, ce qui ne doit pas surprendre.
Son but n'est pas de décrire le réel mais de justifier
une ligne politique choisie d'avance, qui se caractérise par
des mesures répressives à tous les échelons, grâce
notamment à une extension continue des pouvoirs de police au
détriment du contrôle judiciaire et de certaines libertés
publiques. C'est l'influence de l'idéologie de la "tolérance
zéro" venue d'Amérique, qui renouvèle opportunément
les traditions d'ordre et de restauration (de l'État, de l'autorité,
de la discipline, etc.) chère à certaines familles intellectuelles
de droite (voir le travail classique du politologue René Rémond,
Les droites en France).
Il n'est pas besoin d'être particulièrement clairvoyant
pour annoncer les effets probables d'une telle politique. D'autant que
l'expérience d'une décennie de mise en œuvre de la
tolérance zéro à New York livre aujourd'hui ses
premiers résultats. Certes, la présence policière
si elle s'inscrit dans la durée va rassurer. Riverains et commerçants
seront soulagés de moins voir s'afficher la prostitution sur
leurs trottoirs. Les parisiens seront moins gênés dans
le métro par la présence des miséreux qui osent
faire la manche pour glaner de quoi survivre, parfois accompagnés
de chiens qui sont leurs compagnons. Les maires pourront s'appuyer davantage
sur la pression policière pour négocier avec les gens
du voyage et continuer à appliquer très imparfaitement
la loi portant obligation de leur réserver des aires aménagées.
Sur un autre registre, les jeunes des quartiers de relégation
réfléchiront peut-être à deux fois avant
d'insulter un policier lors d'un contrôle, même si ce contrôle
est lui-même insultant (par exemple lorsque c'est le troisième
de la journée, quasiment au même endroit, et que la raison
d'être principale de ce contrôle tient à la couleur
de peau du contrôlé…).
Enfin, on pourra exhiber devant les caméras de télévision
qui n'attendent que ça les nouveaux flash-balls et les opérations
coup-de-poing menées ici et là, notamment dans le cadre
des GIR (Groupements d'Intervention Régionaux), pour s'attaquer
aux "nouvelles mafias" qui contrôleraient les "zones
de non droit" et y développeraient de vastes trafics de
drogue.
Pour autant, cette politique va t-elle faire significativement baisser
la délinquance en France? Il est permis d'en douter. Les résultats
des premières opérations des GIR semblent indiquer que
les prétendues "mafias contrôlant des quartiers entiers"
sont en réalité sinon bien rares du moins malaisées
à débusquer, et que les résultats de ces grandes
descentes de police sont assez maigres. Mais leur but est-il véritablement
la lutte contre le crime organisé? Des policiers ont eux-mêmes
déclaré l'été dernier que ces opérations
ne visaient pas à démanteler véritablement des
économies souterraines mais à "montrer que nous sommes
à nouveau là, et que nous n'acceptons pas de zones de
non-droit" (Voir Libération et Le Monde des 17 et 18 juillet
2002).
Vis-à-vis des médias, c'est encore la politique-spectacle.
Mais allons plus loin: quand bien même on arrêterait réellement
vingt membres d'une organisation délinquante, si l'on ne fait
qu'un travail policier dans ces quartiers, qu'est-ce qui empêchera
que vingt autres prennent leur place dans les mois suivants? On touche
ici au fond du problème. Le gouvernement a choisi de traiter
les symptômes, surtout les plus visibles. Il est plus sourd que
jamais à l'analyse des problèmes sociaux dont ces symptômes
sont les révélateurs. Quid des problèmes familiaux?
Quid des problèmes à l'école? Quid du déficit
d'encadrement éducatif et psychologique dans la quasi totalité
des structures publiques? Quid des problèmes d'enclavement urbain?
Quid de la discrimination à l'embauche et ailleurs? Quid de la
précarité du travail? La politique de réduction
de la délinquance questionne fondamentalement tous ces domaines
de l'action gouvernementale. Or on voit bien comment le ministère
de l'Intérieur capte sur lui toute l'attention et toute l'interprétation
d'un problème de société. Il prend ainsi le risque
d'y épuiser ses fonctionnaires et d'y échouer comme d'autres
avant lui.
En attendant, une chose est sûre et se mesure un peu plus chaque
jour. Cette politique de traitement spectaculaire des symptômes
repose fondamentalement sur le durcissement des contrôles de police,
elle a donc pour effet immédiat l'augmentation de l'arbitraire,
des rumeurs et des erreurs (voir le pseudo terroriste de Roissy), ainsi
que des violences et des bavures policières. Il en va ainsi en
tout temps et en tout lieux. Lorsque l'on donne un sentiment de toute-puissance
et d'absence de contrôle à ceux qui détiennent le
monopole de l'usage légitime de la violence, et qu'on leur impose
en même temps une obligation accrue de résultats, on suscite
fatalement un certain nombre de dérives individuelles et collectives.
Les témoignages qui affluent tous les jours, de particuliers
et d'associations, commencent à éveiller un peu les consciences.
Loin de pacifier la société française, il y a donc
fort à parier que la politique actuelle ne fera qu'envenimer
ses conflits.
CLARIS (Marie Bastianelli, Maryse Esterle-Hedibel, Michel Kokoreff,
Laurent Mucchielli, Marwan Mohammed et Françoise Tétard)
Pour contacter Claris : claris.groupe@free.fr
http://www.laurent-mucchielli.org
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ZPAJOL liste sur les mouvements de sans papiers
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Le site de Claris <http://laurent.mucchielli.free.fr/Claris.htm>