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Citizen Data
par Philippe di Folco
Où il est question d'une certaine mainmise par les entreprises
de communication multinationales sur l'ensemble des bases de données
existantes et à venir, qu'elles soient composées de textes, d'images
ou de sons. Où il signifiera bientôt pour chacun de se définir quant
à une éthique que l'on adaptera en cas de conflit entre ceux qui
détiennent les capitaux pour immobiliser les flux informationnels
et ceux qui consciemment ou non les alimentent en données stratégiques.
Où l'individu se retrouvera enfin atomisé comme il se doit et transformé
en bétail à consommer en attendant de finir consumé dans la marmite
du Grand Recyclage.
Qu'est-ce qu'une donnée stratégique ?
Un exemple : nos modes de consommation intéressent les grandes
surfaces et les distributeurs (17% de la richesse nationale en 1999)
qui tentent de les capter, de les bloquer via des filtres électroniques,
des sondages, etc. Soit l'on choisit de se retirer du processus
de statistisation de nos écarts et de nos moyennes personnels en
nous interdisant l'usage de la carte bancaire (c'est possible, demandons
aux interdits bancaires, aux SDF et autres auto-endettés avec la
complicité de leur banque) évitant ainsi d'emprunter les circuits
traceurs électroniques ; soit nous utilisez "à contre courant"
l'outil de paiment électronique en brisant radicalement nos habitudes
(retirer du cash deux fois par mois et tout régler en liquide :
un véritable luxe de liberté qui présuppose le désendettement !)
-- dans les deux cas, nous polluons les statistiques des organismes
de contrôle, de tri, de classification du monde puisque, 1/5 du
monde où nous vivons appartient à la Distribution des biens marchands.
Comment lutter, quelques principes de base
La première règle est d'ordre psychologique : la paranoïa
est notre alliée. Oui, nous aurions tort de ne voir là qu'une passade
de quelques financiers bon enfants à la recherche de liquidités
ou de faciles ressources documentaires. Non, malade nous ne sommes
pas : simplement le monde est plus simple qu'ils ne veulent
bien le laisser paraître. En surface, les grilles d'accès au monde
réel se ferment les unes après les autres. Demain les portails électroniques
du net, aujourd'hui les bases de données, les bibliothèques de prêt,
l'enseignement de qualité, le prix des livres, l'esprit de corps
des universitaires et des ingénieurs et le lobbying exclusif qui
en découle - nous avons raison de vous révolter pour réclamer plus
d'accès libres aux savoirs, moins de mouroirs solitaires. La limite
consiste en notre propre capacité-volonté à puiser dans ces savoirs-matières
à devenir plus forts pour lutter contre notre réification.
La deuxième règle passe par le secret : nous sommes un corps
vivant et pensant et donc à ce titre, l'un des piliers naturels
de l'ordre documentaire. Apprenons la furtivité, la ruse, l'échappatoire
et l'art du mystère. En aucun cas, l'on ne peut nous forcer à nous
dévoiler. Le secret est le sel de l'anecdote et l'anecdote détruit
l'ennui lié à la contingence, fruit d'une société consummériste
apauvrie. L'anecdote prélude aux mythes nouveaux. Ne laissons pas
les multinationales peupler nos mythes à notre place, les remplir
d'objets sans histoire, d'objets clean, d'objets lisses, d'objets
d'objets. Un monde de marque sans remarque. Des logos mais sans
le Logos.
La troisième règle consiste en un parasitage systématique de la
contingence : cet exercice est hautement difficile et exige
de nous une discipline de fer journalière. Dès lors, réfléchissons
à tous nos actes quotidiens, listons-les, et munissons-nous pour
ce faire d'un carnet de notes. Calculons nos propres algorithmes
et inventons des routines simples à tendance brownienne qui ne tolèreront
aucune échappée vers les "médiateurs" : ceux qui cherchent
à nous représenter, nous itérer, vous réifier sontceux qui, bien
souvent, nous proposent leur aide.
Quatrièmement, élaborons notre infra-réseau : stockons de
l'information comme d'autres du sucre ou de l'e-cash mais sur des
disques isolés, loin des circuits du type cable ou satellitaire.
Méfions-nous même du cuivre télécom. Les piles sont nos amies. Les
lettres postales sont lentes mais sûres.
Cinquièmement, notre logique de guerre émerge. Mais elle aura
besoin de s'affiner au contact des autres membres de notre condition
de résistant à l'affadissement documentaire généralisé. Souvenons-nous
qu'une base de donnée contrôlée par un réseau se défend au même
titre qu'une base militaire. Connaître l'ennemi - en tant qu'initiateur/renforceur/isolateur
de base - utiliser ses armes, parasiter ses sources et ses canaux
de distribution : certes, mais au-delà des règles clauzewitziennes
basiques, sachons-nous taire. Notre silence, notre mépris le rendra
fou. L'englobera.
De l'intranquilité
La net-galaxie n'est pas "cool" : à l'intérieur, nous assistons
à l'émergence et à la stratification de nouvelles zones lumpen-prolétarisées.
Axe économique nord-sud (info-riches/info-pauvres) mais apparition
aussi d'un quart-monde au sein même des pays suréquipés (faux riches
d'infos). Ramollir les fibres optiques, jeter de l'huile sur le
feu électrique, débrancher, ne pas parler, se méfier sont des attitutes
anti-cool bienvenues. "Etre cool" appartient au registre discursif
néo-libertarien. Il ne peut être, en aucun cas, celui des exploités
documentaires. La rancune, le ressentiment n'ont que peu à voir
avec cet état de fait qui consiste tout simplement aujourd'hui à
réclamer son dû à des sociétés qui pompent sans vergogne l'ensemble
des sources informatiques de la planète, les plombent et les cloîtrent.
La libération des bases de données pour tous et la non-transformation
du monde en base de données exploitables doivent être le double
objectif, le reste est tromperie sur la marchandise.
De la morale
La sphère privée doit rester privée. Qui vous oblige à vous dévoiler
face aux caméras, face aux yeux du monde ? Qui vous oblige
à remplir trente feuilles de questionnaires sur vos besoins alimentaires ?
Personne sinon l'illusion que vous être seul au monde, que vous
avez besoin d'une religion. L'altruisme qui vous guide à l'instant
de dire "oui" au sondeur-violeur est un acte criminel. Quelque soit
vos pratiques privées, le foyer, votre tête, votre corps, sont des
espaces libres et irréductibles. Les nouvelles technologies doivent
épargner ces univers. Vous devez lutter pour une écologie de la
psyché et du foyer. L'égoécologie, que cette hygiène soustend, implique
deux principes : l'excitation provoquée par l'offre documentaire
pauvre, pornographique, commerciale ou autre, prendra fin à partir
du moment où vous saurez dire non. Enfin, cette logique de guerre
et la paranoïa idoine, qui sont constitutives de la liberté.
La seule façon d'échapper aux stuctures panoptiques du monde virtuel
et documentaire : en sortir et se situer dans l'infra-observation
silencieuse, les ressorts ectoplasmiques se dissoudront alors dans
l'agôn perpétuel d'une génération d'humains adultes, connaisseurs
et libres.
Magic Box
De quelques principes simples sur ce qui attend l'ensemble des
objets et corps passés, présents et à venir, représentés ou non,
et des méthodes pour éviter le contrôle par quelques-uns sur l'ensemble
des informations contenues et déductibles de ces mêmes objets et
corps.
1969, baby !
Nous avons énoncé un certain nombre de règles, désigné les pratiques
de certaines communautés vulgaires appelées "multinationales" qui
tentent de sérier et de conserver pour leurs usages mercantilistes
univoques les formes de représentation du monde tel qu'il est. L'un
des buts inavoués serait de transformer le monde actuel en un monde
virtuel, accessible uniquement via des porte-réseaux et uniquement
au moyen d'unités de paiement. Car nul n'ignore plus maintenant
que le but ultime de ce système économique est d'organiser le monde
à partir d'une boîte - appelons-la "magic box" en hommage à Lewis
Carroll - reliée aux bases de données de l'univers. La mise en boîte
du monde et sa commercialisation sont effectives depuis le 21 juillet
1969. En vertu du principe d'épuisement généralisé du monde et de
sa transformation en un immense supermarché, la lune fut appelée
lune et son exploration confèra à l'homme sur icelle un droit d'exploitation
illimité. La différence majeure entre la situation marchande de
1969 et maintenant est que le lapin d'Alice fait semblant d'avoir
du temps-libre, que la potion permettant l'exploration du monde
du miroir s'appelle dans 75% des cas "Lexomil", et que l'érotisme
virtuel remplace désormais le toucher. S'il est trop tard pour empêcher
la fabrication des Magic Box, point s'en faut d'en limiter et détourner
l'usage au profit de la possibilité de lui dire non.
Il se peut que cette Magic Box fût tout simplement notre cerveau.
Les fabricants de paradis
Ces sociétés de contrôle des données du monde se nomment Vivendi,
Lagardère, LVMH, Générale des Eaux, ATT, Microsoft, Bertelsmann,
AOL-Time-Warner, etc. et par extension, tout individu qui se rendrait
complice de l'une de ces entités.
Ces portes ne sont pas celles du Paradis. Le Paradis étant en
soi une porte devant laquelle je peux demeurer sans jamais oser
passer au-delà, l'on comprendra que ces sociétés promettent sans
jamais tenir, montrent sans jamais consoler, excitent sans jamais
indiquer à nos désirs exacerbables à l'infini la porte de sortie.
La "magic box" voit le jour mais l'on se doit d'en écrire la préhistoire
éthique.
Actions de résistance et de défiance
Nul ne peut vous obliger à dire la vérité. Souvenons-nous de la
deuxième règle : le secret, garant de l'essence du quotidien.
La scannérisation, procédé qui consiste à analyser molécule par
molécule toute structure et à en proposer une représentation transparente,
ne peut être imposée à un individu contre son gré. Pour l'instant.
Scannériser à distance, furtivement, sous le couvert de la sécurité,
arrive déjà. Cela fonctionne grâce au courant électrique. De même
que le monde pourraît être envahi de scanners intelligents, de même
le citoyen averti saura débrancher. Ne pas jouer le jeu de l'audité.
Se fermer les yeux et les oreilles quand l'agent lui demandera "pour
son bien" de les lui ouvrir. Réduire à rien leur chance de nous
transformer en données. Pour passer à travers le faisceau du scanner,
il suffit d'être incomputable et d'emprunter des chemins de traverses :
la dérive, la bifurcation, la spontanéïté comme autant de sentiments
citoyens imprévisibles pour les contempteurs de la Base de Données
générale du Monde (BDDGM).
Exemple d'objets et d'actes facilitant la scannérisation de l'être :
la carte de crédit et ses différentes pratiques/lectures (les "relevés"
de nos déplacements financiers, sorte de psychogéographynancière
dont se sont emparés les distributeurs violant les principe de protection
des données privées) ; la carte verte "vitale" (nous verrons
qu'un Etat fut-il républicain et français peut être tenté par l'exclusion
d'une partie de la population qu'il jugerait indigne d'être couverte) ;
la carte d'identité électronique (ici, la réalité dépasse la SF :
mais les auteurs de SF ne sont-ils pas devenus les seuls vrais prophètes
qui comptent ? Relisons Le Meilleur des Mondes d'Aldous Huxley
et rions jaune...) ; la prise de sang (notre ADN nous appartient
mais où va tout ce sang donné gratuitement, ces placentas, ces organes
prélevés chaque jour en milieu hospitalier ?) ; les rayons
X, l'infra rouge, la scanner dans les lieux publics (les "sas" se
multiplient : "Attentif, ensemble", car nous sommes tous de
dangereux terroristes tant que nos pratiques n'auront pas été totalement
circonscrites ou rendues prévisibles) ; les micros d'écoute,
les caméras de surveillance reliées à des enregisteurs vidéo (même
si des panneaux nous préviennent de leur présence, cette normalisation
consistant bien en un recul de la liberté de se déplacer hors champs,
sans témoin, sans être en représentation) ; le téléphone portable
et son ami le Wap (limitons les options, résumons-les à nos amis
proches : le télétravail permet de liquider la question de
la plus-value en la maintenant à distance) ; la télévision
interactive (la push TV est la porte ouverte au chewing gum des
yeux) ; les "cookies" offerts pour chaque visite de site internet
(on peut encore leur dire non mais combien le savent ?) ;
tout type de sondage (même si c'est parfois payé) ad libitum.
Bientôt chaque élément du monde tel qu'il est sera représenté
par une image électronique propriétaire, elle-même produit par un
système privé et fermé. C'est déjà le cas pour des sociétés comme
Corbis (Microsoft) qui numérise plus de dix millions "d'objets".
Le spectre va des couleurs de l'arc-en-ciel à la clef ADN de chacun.
La défiance / le retrait
"Est-il encore temps d'arrêter ?", telle est la question
que l'Honnête homme se pose aujourd'hui à chaque fois qu'il fait
usage des nouveaux instruments de domination du désir que sont les
NTIC (Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication).
La scannérisation du monde géographique s'achève : des fosses
marines jusqu'aux moindres millimètres de désert, le Nautile et
le procédé SPOT terminent de porter les surfaces d'ombres en pleine
lumière. Si seulement cette lumière abreuvait l'ensemble des citoyens !
Non pas, elle gît entreposée, entre deux surfaces numérisées, sous
clefs. Réserver l'accès à la représentation du monde permet le commerce
de celle-ci et donc l'accumulation du capital servant à constituer
des empires propriétaires de Bases de Données (BDD).
Une véritable révolution de portée universelle parce qu'ayant
la liberté de tous pour principe, consisterait à briser ces usages.
Est-ce LA révolution ? N'est-il pas vrai que la révolution
en ce cas précis se doit d'être permanente ?
"LA REVOLUTION TOUT LE TEMPS POUR QUE LE TEMPS NE DEVIENNE PAS
UNE MARCHANDISE ET NOUS DES SPECTRES !"
Ce genre de cri doit bien avoir cent cinquante ans : Marx
n'écrit pas autre chose dans les Gründrisse (1857). Mais
nul n'est prophète en son temps. Pourtant nul ne doit s'interdire
de donner aux autres à voir ce qu'il croit juste de voir.
L'Univers masqué par une couche logicielle
Les multinationales ont les moyens d'aller vite et bien pour accumuler
des données sur le monde, sur l'univers et d'en réserver tous les
accès. Pas de probème d'espace-mémoire, de petites mains ouvrières
qui saisissent ces données et les transportent dans des espaces
relationnels. Les moyens techniques mis en oeuvre pour vérouiller
l'information correspondent à une couche logiciel enrôbant le monde.
Aucune fenêtre ouverte sur le monde tel qu'il est, aucune issue
n'est présente sinon ces portails donnant accès à une surreprésentation/interprétation
et non à l'essence du monde.
Nous parlions de l'Univers. "Tel qu'il est" ne peut se voir, s'écrire.
Nous supposons : un ensemble de molécules, de cristallisations,
de formes. Toutes les formes. Le monde en tant qu'ensemble de molécules
constituées implique un ensemble de données que l'homme peut aujourd'hui
interprêter et ranger/classer en bases. Des cabinets de curiosités
à Britannica-on-line en passant par Pankoucke et Bescherelles, Bouvard
et Pécuchet, le beau souci qui essaye de nommer, inventorier, classer,
comprendre la Nature ! Aujourd'hui la Nature réelle n'existe
plus. Même les enfants ne cherchent plus l'herbe ou la mer vraies.
L'espace numérisé permet d'installer entre moi et le monde une couche
logicielle de plus en plus épaisse et vérouillée.
La représentation de l'ensemble des BDD
Qui dit base implique stratégie, protection, militarisation des
environnements, accès réservés : autant de tropes indésirables.
Car la liberté est l'espace universel : "ce qui est donné".
Inventorier consiste à nommer le monde. Les inventaires et ceux
qui les pratiquent feraient bien de réfléchir à leur situation et
à leur condition : nommer ce qui n'existe pas, enfermer sous
code les données des corps et des choses dans des bases, recevoir
en échange de l'argent issu d'une économie virtuelle qui les condamne
au silence, à l'abnégation, à une complicité pour détournement de
données réellement libres.
Donc : 1/ Puisque l'ensemble du monde tel qu'il se conçoit
est quantifiable : l'homme est libre de ranger/ordonner ces
quantités en bases de données ; 2/ Nul être humain ne peut
s'arroger le droit à fermer l'accès à l'une de ces bases, l'une
de ces données. 3/ Mais l'individu est aussi libre de ne pas transformer
le monde en BDD.
Il suffit d'un seul individu et d'un seul pour détourner une BDD
à son profit, en outils stratégiques de guerre par exemple. L'individu
peut créer maintenant sa BDD avec des outils informatiques documentaires
simplississimes et adopter une logique de guerre pour résister à
l'achat, au rachat, à l'absorption, à l'étouffement ou aux OPA de
la médiocratie sur l'esprit. Nul ne peut garantir l'usage neutralisant
des données du monde transformées en BDD, en revanche, il suffit
néanmoins d'un seul individu et d'un seul pour dire NON au principe
de transformatisation : la dataïfication succède à la réïfication,
mais elle échoue sur le refus d'un seul individu : sa non participation
suffit à briser l'élan.
"Je ne préfère mieux pas" permet aux "corps donnés" d'objurer
cette métamorphose du monde en séries strange.
Exemple de bases constituées :
la liste des humains vivants sur la Terre
la liste de leur séquence ADN
leurs habitudes de consommation heure par heure
la liste des malades contaminés par le virus de type HIV
la liste des entreprises ayant participé aux différents génocides
durant le XXe siècle
le répertoire de l'ensemble des objets imprimés depuis Gutenberg
L'analyse et le décryptage des molécules constituants les éléments
du monde permet d'en dresser les cartes géographiques, écologiques
et génétiques.
Exemples d'abus : le trou dans la couche d'ozone
le réchauffement planétaire
la disparition des espèces sauvages végétales et animales
vivantes
la disparition des tribus humaines nomades
la transformation abusive des minéraux et corps naturels et
les déchets en résultant
l'élimination des communautés plaçant la spiritualité au dessus
des valeurs normatives.
Faut-il libérer certaines bases et comment ?
Le monde est une immense base de données mais non une marchandise.
En libérant certaines bases de données l'on condamnerait le système
marchand actuel à disparaître en renversant le rapport rare/cher.
Certaines de ces bases doivent être rendues aux citoyens, devenir
elles-mêmes citoyennes. Rendues au citoyens, si l'on veut, par le
biais du réseau. La valeur d'usage importe peu ici : l'usage,
s'il n'en est pas citoyen, condamne à l'exès, aux pressions, à l'oppression
voire à la terreur. De ça nous ne voulons.
Mais les Etats ne sont plus les garants des abus et des détournements
opérés à partir de ces bases. L'éducation se fait complice des dérives
mercantilistes du monde en BDD. Par définition, les Etats se voulurent
longtemps garants d'une portion de l'univers telle que le peuple
lui octroyait un principe d'autorité et d'unité afin de l'aider
à mieux répartir les richesses induites dans ce territoire. Les
lois antitrusts frappant certaines multinationales ne suffiront
pas à briser l'élan transformateur du monde en BDD générale.
Cependant, sous peine de devenir simple consommateur aveugle,
le citoyen se doit de récupérer par tous les moyens l'accès aux
données du monde, car celui-ci a été volé, ce vol établi permet
de spolier tous les habitants présents et à venir par la seule volonté
de quelques-uns mais avec notre complicité.
"Par tous les moyens", car tous les moyens furent utilisés par
les communautés industrielles pour exercer cette spoliation :
nous entendons même en retour exercer une certaine forme de radicalité.
A savoir : le hacking, le parasitage, les manifestations, les
menaces de grève citoyenne (Jour de non-consommation, puis semaine,
mois...). Les accusés parleront de "terrorisme". Les complices que
nous sommes signeront de tels actes car s'associer à ces actions
mettra un terme à notre mise en esclavage volontaire.
Le possible de cette radicalité, son possible seulement, pour
un seul homme et un seul, fait de lui un citoyen libéré des données :
un exercice de liberté inaliénable, un don gratuit fait à soi, l'essence
même de ce que certains appellent l'amour, si ce mot possède encore
un sens politique et non uniquement spectaculaire. Nous y reviendrons
(v. III).
Il s'agit bien d'un paradoxe libérateur : le but n'est pas
un total libre accès à toutes les données mais l'abandon du principe
même de BDD. En libérant totalement ces données prisonnières d'un
système économique marchand l'on peut objecter que ceux (hormis
les multinationales avançant masquées) qui disposent d'instruments
capables de stocker et de gérer ces mêmes données, s'empresseront
de les détourner, à des fins publicitaires (dont une portion ridicule
de la population mondiale profite, les publicitaires ressemblent
par leur arrogance aux fermiers généraux de l'ancien régime). Il
s'agit donc de veiller à proscrire le principe même de transformation
en BDD. Pour les bases existantes, doit se poser d'urgence le principe
de traçabilité :
d'où vient cette information ?
qui me la délivre ?
quel usage vais-je en faire (où la déposer ?)
que va-t-elle devenir ?
Pas de trace
Afin que nul consortium, nul entreprise transnationale n'en vienne
à utiliser les BDD pour sculpter mes désirs aux seules fins de me
revendre des objets épuisants, je ne dois pas laisser d'empreinte.
Dès que l'on rentre en contact avec un autre système, le principe
de contamination officie. Un simple regard suffit. Un souffle. Une
molécule. L'individu devient un champ de données exploitables. Le
but, on le connait : peaufiner la "magic box" qui saura lutter
contre l'ennui, maladie des civilisations de loisirs, des civilisations
en général.
Car l'ennui n'existe pas sauf en publicité : inventé par
celle-ci pour forger maladroitement des postures iniques, transmises
à l'individu passif, l'on ne s'ennuiera qu'en stoppant le jeu de
la révolution permanente.
Devenir un citoyen adulte, rusé, intègre et libre face aux producteurs
de camelotes mondialisantes et démoralisantes, ennuyeuses et coûteuses,
doit devenir le corpus général duquel se nourrit notre nouveau système
de vie.
Nous devons tout faire pour empêcher par exemple l'utilisation
des corps dans un devenir cannibale de l'homme : mon corps
est à moi, mes productions corporelles aussi, mes membres, mes organes,
mon ADN itou. Mon corps n'est pas une usine à jouir mais un espace
de jeux et de séduction. Mon ADN n'est pas manipulable impunément.
Je me lève et je me tire de côté afin d'échapper aux classifications
et aux typologies, aux numéros et aux rangs d'oignons. Je ne veux
pas pleurer : l'eau est gratuite, le soleil est gratuit, se
déplacer est gratuit.
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La totalité de cet essai a été publié aux éditions Sens et Tonka
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