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Le 18 Février 2004, j'ai reçu un mail libellé
ainsi :
"Bonjour
Votre adresse E-mail sur un site Internet me permet d'envisager
que vous êtes sensibilisé par le problème du
chômage et/ou de la protection de l'environnement.
Je me présente ; je suis militant dans plusieurs associations
qui luttent contre le chômage et pour la protection de l'environnement,
mais ce n'est pas en leurs noms que j'exprime les idées ci-dessous.
Ma démarche consiste à faire partager certaines
idées avec le maximum de personnes (particuliers, associations,
partis, syndicats...) pour les faire évoluer et présenter
une solution novatrice pour que nos modes de production s’orientent
progressivement vers une économie, non plus au service des
puissances financières, mais au service de la satisfaction
de nos besoins, une économie plus respectueuse des Droits
de l’Homme, une économie plus équilibrée
entre le Nord et le Sud, mais surtout une économie plus respectueuse
de l'environnement.
Un résumé de l'analyse a été publié
à l'une des adresses suivantes :
http://www.monde-solidaire.org/article.php3?id_article=987
http://www.verts-brest.infini.fr/Brest-ouVert/IMG/analyse_chomage_resume.rtf
et le texte complet se trouve à l'une des adresses
suivantes :
http://www.monde-solidaire.org/IMG/pdf/analyse_chomage.pdf
http://www.ac-versailles.fr/PEDAGOGI/ses/vie-ses/hodebas/kruissel.html
..../ ....
Patric Kruissel "
J'ai choisi de publier ce document parce qu'il analyse de façon
rationnelle et classique le chômage. Le résultat est,
de ce point de vue, pertinent. Ma démarche est un peu différente,
parce que je pense que le chômage ne peut pas être séparé
du fonctionnement du capitalisme contemporain et de la lutte de classe
que les capitalistes mènent par toutes sortes de moyens pour
gagner toujours plus d'argent, pour maintenir et accroître leur
domination. De mon point de vue, le débat porte donc sur la
possibilité d'une économie non capitaliste et des moyens
pour y arriver.
Ph. C. Nantes le 18 Février 2004
Voici donc le texte in extenso
Imaginer une autre société
Par Patric Kruissel
Le désastre du chômage massif, avec la multiplication des
emplois précaires, l'aggravation des inégalités, l'instabilité croissante
des familles, menace la cohésion même de la société. Il remet en
cause les systèmes de protection sociale construits en fonction
du plein emploi, du travail à plein temps et de la famille stable.
Définition du chômage
1.Le chômage au sens du BIT Etre sans travail, être disponible pour travailler, et avoir
fait des démarches en vue de trouver un emploi.
2.Le chômage frictionnel Le chômage frictionnel est dû aux demandeurs d' emploi, qui
pendant une courte période, sont sans travail après avoir quitté
leur ancien emploi. Le chômage frictionnel est inférieur à 2 %
de la population active. Pour cette raison, on considère qu' un
taux de chômage inférieur à 2 % correspond à une économie de
plein emploi.
3.Le chômage conjoncturel
Le chômage conjoncturel résulte d' un ralentissement économique
temporaire. Il résulte d'oscillations temporaires de l'activité
économique.
4.Le chômage saisonnier
L' activité économique est cadencée par l' offre et la demande
de consommation, qui varie sensiblement suivant la période de l'
année. De même le marché du travail est rythmé par l' arrivée entre
juillet et septembre d' une classe d' âge. Pour ces raisons, les
statistiques du chômage sont données en valeurs corrigées des variations
saisonnières.
5.Le chômage structurel
Le chômage structurel désigne la situation dans laquelle les
travailleurs ne peuvent occuper les postes disponibles parce qu'
ils n' ont pas les compétences voulues, n' habitent pas là où les
postes sont offerts ou ne sont pas prêts à travailler au salaire
offert sur le marché.
Conséquences du chômage.
1.Perte de revenus
L' une des conséquences importantes du chômage sur l' individu,
surtout lorsque celui-ci se prolonge dans le temps, est l' exclusion
financière liée à la perte de revenu (perte du 13ème
mois, restaurant d' entreprise, avantages en nature). La perte moyenne
du revenu d' un ménage touché par le chômage représente 25 %.
En prenant comme seuil de pauvreté la demi-médiane du revenu par unité de
consommation, la pauvreté touche 12 % de la population française.
Outre l' inégalité économique qui est la principale source de discrimination,
le chômage génère une incontestable inégalité sociale et culturelle.
2.Exclusions
L' exclusion est sans conteste l' un des termes le plus
couramment utilisés pour stigmatiser les dysfonctionnements d' une
société qui serait devenue une fabrique à exclus.
La difficulté à définir l' exclusion comme la pauvreté et la précarité
tient à son caractère multidimensionnel. Elle peut être sociale,
politique, économique ou tout à la fois. On est exclu du logement,
de l' accès à l' emploi par exemple. L' exclusion introduit de surcroît
l' idée d' une rupture dans un continuum protégé par des droits
ou, du moins, des garanties sociales minimales. De plus, elle a
une dimension dynamique par le cumul de plusieurs exclusions (travail,
revenu, logement, santé...) et par l' impossibilité ou l' incapacité
pendant une période plus ou moins longue de « bénéficier,
des droits attachés à la situation sociale et à l' histoire de l'
individu concerné ».
3.Endettement
Alors que l' on refuse l' accession au logement pour les travailleurs
précaires, et les chômeurs (on ne prête qu' aux riches !),
les ménages concernés sont souvent sollicités par des prêts à la
consommation, avec des taux de remboursement beaucoup plus élevés.
Ces prêts génèrent des profits conséquents pour les organismes financiers,
qui sont pour l' occasion moins regardants quant à la capacité des
clients à honorer leur dette. Certaines personnes au chômage ont
les pires difficultés à refréner une frénésie d' achats qui peut
être analysée comme un signe d' existence palliatif.
Les commissions de surendettement font d' ailleurs du chômage
l' une des causes principales du non-remboursement des emprunts
contractés par les ménages. L' interruption de remboursement rend
exigible la totalité des sommes empruntées et entraîne, dans ses
conséquences ultimes, le déclenchement des procédures de recouvrement
: rappel, intervention des huissiers de justice, saisies diverses.
4.Perte de statut social
Selon l'organisme Option 45, "Il s'agit notamment de perte
de statut social, de remise en question, de baisse d'estime de soi,
de dévalorisation, de problèmes de santé physiques et mentaux "><.
5.Sentiment d' inutilité Robert
Holcman écrit « le soupçon
de paresse ou d' incompétence lié à l' absence d' activité professionnelle
n' a pas encore totalement disparu, en dépit de la généralisation
et de la massification du chômage. Qu' il s' agisse d' une fin de
contrat ou d' un licenciement (collectif, économique ou individuel),
la suspicion pèse encore sur les personnes licenciées ; il leur
est souvent attribué une part de responsabilité dans ce qui leur
arrive, puisque certains de leurs collègues n' ont pas subi le même
sort ».
6.Perte de logement L' acquisition
du logement est exclue pour les chômeurs, à cause d' un revenu trop
faible et du manque de stabilité dans le temps de ce revenu. Pour
ceux qui ont eu la chance d' obtenir un prêt au moment d' un emploi
stable, une période de chômage est souvent fatale à la régularité
des remboursements. La revente du logement, dans des conditions
financières désastreuses, fait que l' effort financier fait par
le ménage pendant de longues années est souvent réduit à néant par
cette situation économique imprévue.
7.Conséquences sur l' éducation des enfants La perte
de revenu, liée au chômage, a nécessairement des répercussions sur
l' éducation des enfants, dans plusieurs domaines, à savoir l' alimentation, l'
habillement, le confort et l' espace habitable, la prévoyance de
la santé, le soutien scolaire, l' offre de loisirs, le sport, la
culture, les vacances…
8.Perte de lien social
L' exclusion
du marché du travail s' accompagne très souvent d' une tendance
au retrait ou à l' isolement vis-à-vis de la famille, mais aussi
des amis et des voisins. Sachant que la situation financière n'
est pas assurée, les personnes au chômage refusent les invitations
et les sorties proposées, parce qu' ils ne peuvent garantir la réciprocité.
Alors que la population concernée bénéficie d' un espace temps qui
fait souvent défaut aux personnes qui travaillent, on s' aperçoit
que le chômeur ne profite pas de ce loisir pour tisser des liens
sociaux et se renferme, au contraire, dans un isolement relationnel.
9.Perte du lien familial
Ne pas
avoir d' activité rémunérée est un frein à la constitution d' une
famille. Les plus jeunes, confrontés à la difficulté à trouver un
premier emploi, restent plus longtemps au domicile familial et prolongent,
pour une part de plus en plus importante, leur scolarité. Leur entrée
dans un cycle de vie autonome est alors retardée. Entre 1975 et
1995, le taux de scolarité des 20-24 ans a été multiplié par 3,
ce qui faire dire aux auteurs du rapport Guaino, que l' allongement de
la durée des études est dicté de plus en plus par la crainte d'
aborder le marché du travail, que le choix de la formation correspond
moins à un projet professionnel précis et aux besoins de l' économie.
Même s'il vaut toujours mieux être diplômés que ne pas l' être,
le diplôme est de moins en moins une garantie d' accès à l' emploi.
Les conséquences
du chômage se font aussi sentir lorsque le couple est déjà constitué.
La persistance de l' inactivité et même l' instabilité de l' emploi
rendent le couple plus fragile. Les chômeurs sont deux fois plus
nombreux à vivre dans une famille monoparentale. Le nombre de personnes
en instabilité conjugale augmente de 64 % si l' un des conjoints
est au chômage. Un chômeur a 2,3 fois
plus de chances de divorcer qu' une personne n' ayant jamais connu
le chômage.
10.Maladies
Les
maux dont souffrent les chômeurs le plus fréquemment sont différents
de ceux des actifs. Alors que les personnes occupées déclarent souvent
souffrir d'arthrose, de rhumatismes ou de fatigue intense liés à
l' emploi qu' ils occupent, les chômeurs se plaignent d' asthme
mais surtout de dépressions et de symptômes de mal-être (nervosité,
anxiété, angoisse, céphalées, insomnies, vertiges...). Ainsi, lors
d' une interrogation liée à l' étude des conditions de vie réalisée
par l' INSEE en 1987, 72% des individus déclaraient avoir connu
des moments dépressifs d' au moins deux semaines alors qu' ils étaient
au chômage, les rendant inquiets, pour 38% d' entre eux, sur leurs
aptitudes à occuper un travail.
11.Suicides
Louis
Chauvel , observe un lien entre
suicide et chômage et plus précisément entre suicide et crise économique.
A l'image des liens entre le taux de chômage des 15-24 ans et le
taux de suicide de l'ensemble de la population masculine, d'autres
éléments semblent indiquer que le chômage est l'un des facteurs
saillants associés aux suicides ou aux tentatives de suicide. Ainsi,
en France, les hommes inactifs de 45 à 50 ans sont structurellement
des victimes privilégiées du suicide. De même, les catégories socioprofessionnelles
où le risque de chômage est le plus fort sont aussi celles où le
taux de suicide est le plus élevé.
Si
l' on prend comme référence le taux de mortalité moyen de la population,
une étude entreprise sur quatre
pays (Grande-Bretagne, Italie, Danemark et Finlande) montre que
le taux de mortalité des chômeurs augmente de 75 %. La même
étude précise que les risques de décès des chômeurs par maladies
cardio-vasculaires et rénales augmentent de 50 % et les risques
de décès par suicide doublent.
12.Délinquances
Une idée
répandue, selon laquelle la conjoncture socio-économique a un impact
sur le taux de criminalité, est couramment admise dans l'opinion
publique. De nombreuses études ont montré la corrélation entre chômage
et délinquance. La difficulté intervient lorsque l' on tente de
chiffrer la part de délinquance qui a pour cause première le chômage.
Quoi qu' il en soit, ce lien chômage délinquance est une donnée
que les pouvoirs publics ne peuvent ignorer.
Le
cas de Mantes-Les Mureaux met particulièrement en évidence le rapport
entre le chômage et la délinquance : les adolescents ont vu l'exemple
de leurs grands frères au chômage, qui les décourage à faire le
moindre effort, notamment sur le plan scolaire. La figure du père
souffre, elle aussi, d'une dévalorisation : le père est souvent
âgé, abîmé par la vie et ses années de travail. Ces éléments de
l'environnement familial et social expliquent le grand absentéisme
scolaire, caractéristique fréquente chez les mineurs mis en cause
dans les actes de délinquance.
La difficulté
de trouver un emploi est incontestable. Elle s' aggrave s' il s'
agit d' un premier emploi ou d' un candidat sans diplôme. Si, face
à ces achoppements, des moyens illégaux d' argent facile se présentent,
notamment le trafic de drogue, qui rapporte en une journée l' équivalent
de ce que peut gagner en un mois un salarié, ne nous étonnons pas
que certains basculent dans la délinquance.
13."Plus de chômage, plus d'emprisonnement ?"
Au
départ de l'étude de Bernard Laffargue et Thierry Godefroy, un constat
: les prisons sont principalement peuplées par des personnes pauvres.
« La plupart des personnes arrêtées et condamnées à l'emprisonnement
pour des infractions "traditionnelles" (vols, violences, et maintenant
stupéfiants) sont issues des milieux touchés par la pauvreté et
le chômage. Les détenus se distinguent nettement de l'ensemble de
la population par leur situation socio-économique et leur place
sur le marché du travail (chômeur ou sans profession définie) »
Les
deux chercheurs, analysant la corrélation entre le nombre des détenus
et le nombre de crimes commis, ont introduit une nouvelle donnée
: le taux de chômage. "La relation chômage - incarcération est
vérifiée indépendamment des niveaux de criminalité enregistrée", expliquent-ils.
Michel
Lagrave
cite une étude britannique selon laquelle un million de chômeurs
supplémentaires sur 5 ans entraînent 50 000 morts supplémentaires,
60 000 cas de maladies mentales, 14 000 condamnations
pénales.
D' après
l' étude de Brenner, qui porte sur la période 1950 à 1980 aux
Etats-Unis (à l' époque le taux de chômage était beaucoup moins
critique qu' actuellement), une hausse de 10 % du taux de chômage
entraine :
-
une hausse de 1,3 % du taux de mortalité attribuable aux
cirrhoses
-
une hausse de 1,7 % du taux de mortalité attribuable aux
maladies cardio-vasculaires
-
une hausse de 4 % du taux d' arrestations
-
une hausse de 6 % du nombre d' incarcérations
-
une hausse de 3,4 % du nombre de crimes économiques
-
une hausse de 0,8 % du nombre de crimes violents (1,9 %
chez les jeunes)
14.Drogues Le
lien entre le chômage et une consommation plus élevée de drogue,
et le renforcement de ce lien entre 1996 et 2000, constaté dans
les sondages Eurobaromètre, se vérifient dans le rapport annuel
de l' OEDT pour l' année 2000.
Cela met en évidence le fait que les personnes socialement défavorisées
constituent l' un des groupes à haut risque pour la toxicomanie.
De même, l' OEDT indique que le chômage est l' un des facteurs qui
font obstacle à la réadaptation des usagers de drogues.
15.Stress dans les entreprises Si
le chômage génère indéniablement du stress parmi les victimes du
fléau, il en est de même à l' intérieur des entreprises. L' insécurité
de l' emploi crée de graves conflits dans les entreprises soumises
à la concurrence internationale et aux risques de délocalisation.
Les employeurs eux-mêmes se servent du chômage pour augmenter la
pression sur les salariés (refus de hausses de salaire, accélération
des cadences…).
L'
Union Européenne estime travail à 20 milliards d' euros par
an, les coûts engendrés par le stress lié au à l' intérieur de l'
Union. L' OIT signale que le coût
des problèmes de santé mentale liés au travail, dont le stress,
représente 3 % du PIB de l' Union. On estime que le coût des
maladies et de l'absentéisme dus au stress équivaut désormais à
10 % du PIB du Royaume-Uni, pourcentage qui, dans les pays
nordiques, varierait entre 2,5 % au Danemark et 10 % en
Norvège. Aux Etats-Unis, plus la moitié des 550 millions de
journées de travail perdues chaque année pour cause d'absentéisme
dans le secteur privé seraient de près ou de loin liées au stress.
Une
note interne de Jacques Barrot affirme : « Dans une
économie marchande telle que la nôtre, la conjonction de création
d' emplois et de baisse du chômage… a pour conséquence une hausse
du prix du travail…. Une telle réduction du chômage se traduirait
alors vite, du fait d' une hausse du prix du travail, sauf à envisager
un blocage des salaires, par des pertes de compétitivité insoutenables. »
On peut appeler çà du cynisme. Le résultat de cette politique est
que la part des salaires dans le PIB a été réduite de 10 points
en 20 ans, et après on viendra s' étonner que la Sécurité Sociale
ou les ASSEDIC soient en déficit, que les caisses de retraite ne
vont pas faire face à l' augmentation de l' espérance de vie… 10
points de PIB çà représentent 150 milliards d' Euros par an, et
un manque à gagner pour les caisses publiques suffisant pour combler
tous les déficits.
16.Votes extrémistes

Un petit schéma vaut mieux qu' un long discours :
Coûts sociaux du chômage.
Aux coûts
économiques du chômage que l' on peut évaluer avec plus ou moins
de précision, il faut rajouter les externalités (ou effets externes)
non prises en compte par la société.
1.Les coûts économiques du chômage
Les coûts
économiques officiels sont le résultat de la somme des pertes économiques
(ASSEDIC, pertes de cotisations pour la Sécurité Sociale et les
caisses de retraite, baisse des rentrées fiscales pour l' Etat et
les collectivités locales…). La facture annuelle se monte à 70 milliards
d' Euros auxquels, il faudrait ajouter, si on veut être honnête
une grande partie du coût des minima sociaux, qui s' élèvent en
France à 15 milliards d' Euros et du coût des allégements de charges
patronales (également 15 milliards d' Euros). Car le chômage est
effectivement la cause principale de la situation économique des
bénéficiaires du RMI, et le gouvernement a effectivement mis en
place les réductions de charges pour permettre aux entreprises de
baisser le coût du travail salarié. A en croire le MEDEF, ces baisses
de cotisations auraient dû créer massivement des emplois. Au total
on peut évaluer les coûts économiques du chômage à 6 % du PIB.
Une étude canadienne
donne une fourchette large, pour les seuls coûts économiques, comprise
entre 5 et 12 % du PIB (le chômage s' élevait à l' époque à
10,4 % de la population active).
2.Les coûts externes du chômage
A ces
coûts économiques, il faut rajouter le montant des effets externes
cités ci-dessus, dont pour chacun il faudrait connaitre la part
spécifique provoquée par le chômage. L' estimation est beaucoup
plus difficile et de ce fait plus sujette à critique. Jacques Nikonoff
évalue le coût global du chômage à 13,4 % du PIB.
Qu' on puisse contester ce montant, c' est dans l' ordre des choses,
mais il est évident que les pouvoirs publics n' ont pas engagé d'
études sérieuses pour confirmer ou infirmer ce chiffre, ou serait-ce
qu' effectivement les chiffres font peur ?
Ce que
l' on peut dire avec certitude, c' est qu' une économie de plein
emploi permettrait à la société de faire des économies non négligeables
dans un certain nombre de domaines :
- Les
hôpitaux sont surchargés, nous manquons d' infirmières et de
médecins. La baisse sensible des pathologies liées au chômage
n' aurait-elle pas des effets bénéfiques sur les surcharges
de travail dans le domaine médical ?
- Les
forces de police et de gendarmerie se plaignent régulièrement
d' un manque d' effectifs. La baisse de la délinquance qui ferait
suite au retour au plein emploi n' est-elle pas une solution
efficace à ce problème ?
- Les
tribunaux croulent sous les dossiers et les plaignants regrettent
que la justice soit si lente, et qu' elle ne s' intéresse pas
suffisamment à la grande délinquance financière. Là encore la
baisse de la petite délinquance, l' une des conséquences du
chômage, ne serait-elle pas une aubaine pour soulager l' administration
judiciaire.
- Pour
faire face au surpeuplement carcéral, le gouvernement a choisi
de construire de nouvelles prisons. S' attaquer aux causes de
la criminalité n' est-elle pas une meilleure solution ?
Causes du chômage
1.Définition de la productivité
La productivité c' est la quantité de production fabriquée par unité
de temps
Consommation
D' où la formule : Productivité = ou C = P x T
Temps de travail
La consommation est la consommation au sens large du terme, c' est-à-dire
le PIB.
Elle englobe la consommation des ménages (70 % du PIB), la
consommation de l' Etat (armée, police, services rendus à la population…)
et la consommation des entreprises (Investissement et rétribution
des actionnaires).
De 1946 à nos jours :
Les paramètres suivants
|
Ont été multipliés par :
|
Ont augmenté en % :
|
la production (PIB)
|
9,5
|
850
|
le temps de travail
|
0,9
|
- 10
|
la productivité
|
10,5
|
950
|
la population française
|
1,46
|
46
|
la production par habitant
|
6,5
|
550
|
La baisse
du temps de travail de 10 % est en fait la résultante de 2
paramètres :
Paramètres |
Unités |
1946 |
2002 |
Population active occupée |
Millions |
18,9 |
23,8 |
Age de cessation d' activité |
Années |
66 |
58,5 |
Age d' entrée dans la vie active |
Années |
16 |
20,5 |
Taux d' emploi des femmes |
% |
20 |
45 |
Durée annuelle moyenne du travail |
Heures |
2100 |
1510 |
Durée hebdomadaire du travail |
Heures |
43 |
37 |
Nombre de semaines de congés payés |
|
2 |
5 |
Taux de salariés à temps partiel |
% |
5 |
15 |
Taux de chômage |
% |
2 |
9 |
La population active a augmenté de 26 %
la durée annuelle
L' immigration
a également joué un rôle important dans l' augmentation de la population
active.
Suivant
la formule de la productivité citée ci-dessus (C = P x T), si le
taux de croissance est inférieur à l' augmentation de productivité,
le temps de travail doit diminuer. De 1946 à 1975, la moyenne annuelle
de la productivité horaire a été très forte (5,5 %) et la croissance
a permis de limiter la montée du chômage.
Depuis
1975, la productivité est plus réduite (2,6 % en moyenne) et
la croissance n' a atteint ce niveau que durant le tiers des 25
dernières années, ce qui a eu un effet négatif sur le niveau de
création d' emplois et développé le chômage. Sur la courbe ci-dessus,
nous remarquons une nette corrélation entre chômage et croissance.
Il y
a trois solutions à ce problème :
-
Ne plus générer de gains de productivité
-
Favoriser la croissance
-
Réduire le temps de travail
2.Ne plus générer de gains de productivité Si
la productivité n' augmentait pas, nous n' aurions, à consommation
stable, aucun besoin de réduire le temps de travail, le chômage
n' augmenterait pas. Remplacer le tracteur par la bêche, remplacer
l' ordinateur par la gomme et le crayon, remplacer les moyens de
transport moderne par le cheval ; l' ensemble de ces moyens
permettrait de réduire considérablement les gains de productivité
et de donner du travail à tout le monde. On se rend bien compte
que c' est absurde. « On n' arrête pas le progrès ». On
va donc considérer que le facteur productivité est un paramètre
intangible, dont la progression annuelle est de 2,5 %. Ce qui
signifie, que chaque année, on a le choix entre :
-
Augmenter la consommation de 2,5 % avec un temps de travail
fixe
-
Ou diminuer le temps de travail de 2,5 % avec un niveau
de consommation fixe.
La situation
intermédiaire de partage des gains de productivité entre croissance
et réduction du temps de travail est bien sûr possible. Les chiffres
cités ci-dessus montrent clairement que notre société a privilégié
le premier (augmentation de la croissance par habitant de 550 %)
au détriment du second (réduction du temps de travail global de
10 %). Quels sont les conséquences de ce choix ?
Favoriser la croissance : les conséquences
1.Sommes-nous dans un développement durable ?
Depuis
1946, nous avons connu un taux annuel de croissance moyen de 4,5 %,
ce qui est sans précédent dans l' histoire de l' humanité. Les experts
économiques prétendent que pour éviter une augmentation du chômage,
un taux de croissance minimum de 3 % est nécessaire. Si ce
taux était maintenu, notre consommation serait multipliée par 19
durant un siècle, multipliée par 370 durant 2 siècles et multipliée
par 7100 durant 3 siècles. Inutile d' aller plus loin, l' absurdité
de ces chiffres nous fait comprendre que, non seulement notre développement
n' est pas durable, mais que notre modèle actuel n' est même pas
exportable à l' ensemble des pays de la planète.
2.Effet de serre
Sur
le réchauffement climatique, les scientifiques sont assez consensuels.
Pendant le siècle prochain, la température du globe s' élèvera de
1 à 6 degrés. Si l' on est certain que ce réchauffement aura lieu,
il n' est pas encore prouvé avec certitude que notre rejet de gaz
à effet de serre, en particulier le CO2 soit seul responsable
de ce réchauffement. L' activité solaire pourrait participer à ce
réchauffement. Dans le doute, il serait prudent que la communauté
internationale applique le principe de précaution, comme l' a suggéré
le protocole de Kyoto.
Si chaque
habitant de la planète avait notre niveau de vie, nous rejetterions
dans l' atmosphère, une quantité de gaz à effet de serre 4 fois
supérieure (10 fois pour les USA), à ce que la nature est capable
d' absorber. Ne va-t-on pas dans le mur en continuant sur cette
lancée ?
Il est
impossible de quantifier les pertes de vie, les souffrances et les
dommages à l' environnement attribuables aux catastrophes naturelles.
L' industrie des assurances a calculé que les phénomènes météorologiques
avaient causé pour 90 milliards de dollars US de dommages matériels
en 1998, soit une augmentation de 50 % par rapport à 1996.
Si des
mesures sérieuses ne sont pas prises pour inciter nos concitoyens
à consommer moins d' énergies non renouvelables, notamment en utilisant
des moyens de transport plus respectueux de l' environnement, suites
aux catastrophes naturelles (canicule et désertification dans certaines
régions, pluies diluviennes et inondations dans d' autres) les injonctions
prises risquent d' être fortement liberticides. Cet « écolo-fascisme »,
que les autorités imposeront pour tenter de sauver les dernières
espèces vivantes, nous fera regretter notre imparfaite démocratie.
3.Consommations d' énergie et de matières premières non
renouvelables
L' exemple
des réserves mondiales de pétrole nous démontre clairement que les
ressources naturelles de notre planète ne sont pas infinies. Au
rythme où nous consommons, pour ne pas dire gaspillons, les carburants
fossilisés, les experts ont calculé qu' il ne reste environ qu'
entre 50 à 100 ans de réserves pétrolifères. En 200 ans, nous aurons
consommé ce que la nature a fabriqué en plusieurs millions d' années.
Au nom
de quel droit, les compagnies pétrolières extraient, transforment
et vendent toute cette énergie en si peu de temps ? Comment
expliquerons-nous à nos descendants une telle exploitation abusive
des ressources énergétiques ?
4.Développement des pays du Tiers-Monde
Le
malheur est que pour deux hommes sur trois dans le monde, on est
loin de l' euphorie pour tous. Le BNB (Bonheur National Brut) passe
pour l' instant encore par le PNB. Pléthore de biens n' est pas
le lot de tous et l' excès pour les uns ne fait qu' apparaitre plus
clairement, avec le dénouement des autres, les injustices et l'
exploitation des pauvres par les riches. Comment concevoir l' arrêt
de toute dynamique quand subsistent tant d' inégalités aussi bien
entre catégories sociales à l' intérieur des pays intéressés qu'
entre pays nantis et pays pauvres ? Paradoxe ? Scandale ?
Courte vue ?
Un rapport affirme que les 225
plus grosses fortunes du monde représentent l' équivalent du revenu
annuel des 47 % d' individus les plus pauvres de la planète,
soit 2,5 milliards de personnes. Dans le même rapport, les auteurs
indiquent qu' il suffirait de prélever 4 % de cette richesse,
soit 40 milliards de dollars, pour donner à toute la population
du globe l' accès aux besoins de base (nourriture, eau potable,
éducation, santé).
Cette
somme de 40 milliards de dollars permettrait de sortir le monde
de la misère. Elle correspond à 0,17 % de la richesse des pays
de l' OCDE. A chaque fois que nous dépensons 100 Euros, il suffirait
de consacrer 17 centimes pour que chaque habitant de la planète
ne risque plus de mourir de faim, pour qu' il puisse avoir accès
à l' eau potable, qu' il puisse apprendre à lire et à écrire, qu'
il puisse enfin accéder aux soins de base indispensables. Personne
ne pourra nous faire croire que cet objectif est inaccessible. A
titre de comparaison, voici quelques montants (en milliards de dollars) :
-
Les transactions financières 1800
-
Dépenses d' armement dans le Monde 840
-
Dépenses de publicité dans les pays riches 400
-
La consommation de stupéfiants 400
-
Les 225 plus grosses fortunes 1000
-
La dette des pays en « voie de développement » 2500
-
L' aide des pays riches aux pays en voie de développement 50
La misère
n' est pas une fatalité, mais l' égalité est loin d' être en marche.
En 1960, les 20 % de la population mondiale vivant dans les
pays les plus riches avaient un revenu 30 fois supérieur à celui
des 20 % les plus pauvres, en 1995 leur revenu était 82 fois
supérieur.26. Quand on parle de pays en voie de développement,
on peut raisonnablement se demander si vraiment c' est la bonne
voie.
Tant
que de telles inégalités entre pays riches et pays pauvres subsisteront,
tant que les droits de l' Homme ne seront pas instaurés de façon
homogène au niveau de la planète, nous ne pourrons juguler l' immigration
clandestine. Nous ne pourrons jamais modérer l' exode d' êtres misérables
s' arrachant de leur terre natale pour venir glaner quelques miettes
de notre festin. Le sujet devient d' autant plus crucial qu' au
problème d' écart de richesse s' ajoute la pression démographique.
Notre niveau sanitaire et éducatif a permis une relative stabilisation
de notre population, ce qui est loin d' être le cas dans les pays
en voie de développement.
Tant
que seront maintenus les exorbitants écarts de salaire entre pays
riches et pays pauvres, les entreprises continueront à transporter
les matières premières vers les pays à faible coût de main-d' œuvre
et les produits finis vers les pays dans lesquels la population
est solvable. Les gains financiers de telles opérations permettent
largement de rentabiliser les coûts de transport. Les coûts sociaux
induits, tels que la consommation d' énergie, le bruit, la congestion
des infrastructures de transport, la pollution atmosphérique… restent
à la charge de la collectivité mondiale.
5.Croissance et progrès sont-ils liés ?
Imaginons
un retour un siècle en arrière, on rencontre nos aïeuls et on leur
fait la prophétie suivante. Dans un siècle, la production agricole,
industrielle et commerciale aura été multipliée par 15. Passé le
premier moment d' incrédulité, ils imagineront que la société issue
de cette performance économique sera paradisiaque.
Mais
ceux qui utilisent le PIB comme indice de bonheur collectif, oublient
de spécifier que dans le calcul du PIB, on ne déduit pas les évènements
qui ont une incidence néfaste sur la population. Au contraire on
les ajoute, ce qui peut donner naissance à des situations, pour
le moins, paradoxales :
- Prenons
l' exemple d' un monsieur célibataire, tellement pris par son
activité professionnelle qu' il n' a pas le temps d' assurer
les tâches ménagères de son logement. Il décide donc d' embaucher
une aide ménagère. Les deux personnes sont liées dans un premier
temps par un contrat de travail. Le montant du salaire et des
charges sociales afférentes vient gonfler le PIB. Mais le monsieur
attiré par les charmes de son employée, elle-même célibataire,
demande la demoiselle en mariage. Elle continuera dorénavant
le même travail bénévolement. Le PIB va donc diminuer, alors
que le travail fourni n' a pas changé.
Le
travail domestique fourni en grande partie par les femmes, qu' elles
soient actives ou femmes au foyer est évalué par les économistes
à environ 35 milliards d' heures en France, ce qui est du même ordre
de grandeur que le travail salarié. Jean-Hugues Déchaux chiffre
entre 31 % et 44 % du PNB l' ensemble de la production
domestique des ménages.
- Autre
exemple : un accident de la route grave génère des coûts
économiques importants pour la collectivité. Il faudra réparer,
voire remplacer, le véhicule endommagé. Les assurances devront
rembourser ces frais. La Sécurité Sociale prendra en charge
les frais d' hospitalisation et d' invalidité des blessés. Les
pompes funèbres vont facturer les coûts d' inhumation des personnes
tuées par l' accident. Tous ces coûts seront comptabilisés positivement
dans le PIB. Il va sans dire que la collectivité aurait préféré
faire l' économie de cet accident.
Nous
savons que les coûts sociaux engendrés par la circulation automobile
(accidents de la route, congestion de la voirie, pollutions atmosphérique
et sonore, rejet de gaz à effet de serre…) sont exorbitants. Malgré
les taxes importantes payées par l' automobiliste, notamment la
TIPP, celles-ci sont loin de couvrir les coûts
sociaux laissés à la charge de la collectivité. Toute mesure incitant
à un transfert de la voiture vers les transports en commun (mesure
tarifaire, amélioration du confort, fréquence des dessertes…) aurait
un effet profitable pour la collectivité. Pourquoi de telles mesures
ne sont-elles pas prises ? Là encore, le problème du chômage
resurgit, car toutes nuisances causées par une activité permettent
à une quantité de personnes d' avoir un emploi. Le médecin devra
soigner les accidentés de la route et ceux qui souffrent de la pollution
atmosphérique. L' industrie pharmaceutique fournira les médicaments
nécessaires. Les garagistes répareront les voitures accidentées.
Les assurances règlent les frais…
Imaginons
un instant qu' on supprime les causes des conflits armés dans le
monde. On pourrait penser que ce serait un progrès considérable
pour l' humanité, mais dans notre système économique, ce serait
une véritable catastrophe. Le nombre de salariés dont l' activité
professionnelle dépend de près ou de loin à cette industrie se chiffre
par dizaines de millions.
Les
limites du PIB, en tant qu' indicateur sont largement connues. Il
a pour le moins un avantage : on sait ce que l' on mesure (un
flux de production, un flux de dépenses). Les difficultés commencent
cependant dès que l' on s' interroge sur la liaison entre ces agrégats
et un indicateur de satisfaction, de bien-être, voire de bonheur,
notion par nature subjective. « Le bien-être national est
avant tout un problème d'agrégation d'échelles de préférences individuelles.
Cette agrégation se révélant impossible à faire, la notion de bien-être
n'est donc fondée sur aucune base rationnelle ».
Si
la « main invisible » d' Adam Smith semble efficace sur
le plan de la croissance économique, il n' en va pas nécessairement
de même pour le progrès au sens large. Apparemment, la main du marché
profite à l' économie mais pas à l' écologie, aux actionnaires mais
pas aux salariés. Elle profite à la création de richesse, mais beaucoup
moins à sa distribution, à l' innovation technologique mais avec
des conséquences contestables du point de vue de l' éthique.
Si on
veut mettre en place un indicateur de progrès, il faut alors classer
en positif tout ce qui est censé améliorer le bien-être, et en négatif,
ce qui le minore (nuisances et pollutions diverses) c' est-à-dire
tout ce que l' on pourrait nommer des « dépenses regrettables ».
La chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide ont réduit
l'utilité d'une bonne partie de l'arsenal nucléaire que chacun est
heureux de déclasser. Le bonheur mondial pourrait s'en trouver accru
si la dispersion de cet arsenal n'était pas aussi dangereuse que
son importance absolue.
Pierre
Kende avait déjà posé la question en 1977 « Peut-on mesurer
le bonheur national ? ». Depuis nous avons fait quelques
progrès, cependant marginaux, dans la réflexion. En 1990, la Banque
Mondiale calculait un Indice de Développement Humain (IDH), en intégrant
en plus du niveau de consommation, le niveau d' instruction, l'
état sanitaire de la population, le degré de protection de l' environnement.
Pierre
le Roy s' exprime ainsi : « A quoi sert-il d' avoir
un PIB par tête très important, si vous vivez dans un pays où la
démocratie n' existe pas ? A quoi sert-il de vivre dans un
pays riche, si l' air que vous respirez est complètement pollué
et si la majorité des habitants des autres pays vivent dans le dénuement
le plus complet ? ».
La
liste des indicateurs retenus par Pierre le Roy pour calculer l'indice
du bonheur mondial est impressionnante. Pour autant, on observe
qu'elle est, à de nombreux égards, moins complète que celle que
publie l'OCDE. L'emploi est le grand absent de cette enquête. La
probabilité d'obtenir un emploi, éventuellement mesurée par le taux
de chômage, la qualité de cet emploi, les relations sociales engagées
dans le travail sont des facteurs essentiels de bien-être. A contrario,
la durée du travail et des temps de transport qui lui sont liés,
les nuisances et les difficultés du travail lui-même viennent pondérer
négativement ce qui occupe, dans tous les pays, une part importante
des budgets-temps. Or, le développement, c'est manifestement que
de plus en plus d'hommes puissent accéder à un travail et que cesse
le chômage déguisé qui ne permet pas de mener une vie digne.

Le graphe
ci-dessus donne l' évolution de la croissance du GPI (Genuine Progress
Indicator) ou Indicateur de progrès véritable, aux Etats-Unis depuis
1950. Dès 1995, plus de 400 économistes américains ont publiquement
reconnu cet indicateur comme une alternative importante au tout-puissant
PIB.
Si les
critères déterminant le GPI sont représentatifs du niveau de progrès
de la collectivité, on en déduit que le maximum de bien-être a été
atteint au milieu des années 70, et que depuis, l' augmentation
du niveau de consommation des américains a globalement fait chuter
l' indicateur de progrès. Depuis 1975, nous aurions dû transformer
les gains de productivité, non pas en croissance puisque celle-ci
nous fait régresser, mais en temps libre. Notre niveau technologique,
conjugué avec le niveau de consommation des années 70, nous permettrait
de travailler 2 fois moins, ce qui aurait un effet positif sur le
GPI (augmentation du temps de loisir et du temps consacré au bénévolat).
Pour
l' exemple, le tableau ci-dessous donne le calcul du GPI pour 1998 (en
bleu, ce qui est compté positivement, en rouge ce qui est compté
négativement). Entre le chiffre du départ (5 153 milliards
$) qui représente le niveau de consommation et le niveau de l' indicateur
de bien-être (1 770 milliards $), nous avons perdu les 2/3
de la somme. Est-ce des « dommages collatéraux » ?
Un groupe
de réflexion californien a tenté d' établir un véritable « Indice
de Progrès Réel » IPR, en ajoutant aux mesures traditionnelles
PNB/PIB des paramètres tels que l' activité économique non déclarée,
le travail domestique, la destruction de l' environnement, le coût
social du chômage, l' incidence de la consommation de drogue sur
les budgets de la santé… Les résultats montrent que l' IPR et le
PIB ont augmenté en parallèle dans les années 50 et 60, puis l'
IPR a diminué pendant les années 70 et 80, alors que le PIB continuait
sa croissance. La conclusion est que la croissance économique est
un préalable au progrès, mais arrivée à un certain niveau, elle
a des rendements décroissants en terme de bien-être. En matière
d' environnement notamment, le marché ne garantit pas un développement
durable.
D'où
les jugements désormais bien connus où la performance d'un pays
dans un domaine particulier est souvent contrebalancée par une contre-performance
dans un autre domaine. Les exemples sont nombreux. Le faible taux
de chômage américain est souvent mis en balance avec les horaires
atypiques ou l'existence de « working poors ».
La performance japonaise jusqu'au début des années quatre-vingt-dix
était pondérée par la longueur des temps de transport, l'exiguïté
des logements ou encore l'importance des suicides.
Il y
a deux raisons principales pour que la croissance ne soit pas la
solution au problème du chômage :
-
La croissance économique ne permet pas un développement durable
pour les pays du Tiers-Monde et pour les populations futures.
-
La croissance économique n' assure pas le bien-être de la population.
Il reste
donc à étudier la dernière solution.
La réduction du temps de travail
Il y
a deux façons de réduire le temps de travail, ou bien diminuer le
nombre de travailleurs ou bien pour chacun d' eux, diminuer la quantité
d' heures travaillées. A chacune de ces 2 solutions, correspondent
de nombreuses adaptations possibles.
1.Baisse de la population active
- Nous
laisserons à certains extrémistes les solutions simplistes du
genre « Renvoyer les immigrés » ou « La femme
au foyer ». Ces solutions sont, non seulement, socialement
inacceptables, mais économiquement fausses et humainement non
souhaitées par une majorité de nos concitoyens.
- La
baisse de l' âge de la retraite a longtemps été considérée comme
une solution favorable. A cause de conditions de travail pénibles,
la loi sur la retraite à 60 ans a été accueillie comme une juste
récompense après une vie de labeur bien remplie. Aujourd' hui,
les conditions de travail se sont améliorées et l' espérance
de vie s' est considérablement allongée. Le nombre d' années
de loisirs en bonne santé pour les nombreux retraités que nous
serons tous, est l' une des victoires que notre civilisation
peut mettre à son actif.
La volonté
du gouvernement de résoudre le problème des retraites, par la modification
d' une seule donnée : l' allongement de la durée de cotisation,
sans modifier les autres paramètres économiques (taux de cotisation,
mode de financement…) aura des conséquences désastreuses sur le
taux de chômage. Si les entreprises se décident à considérer les
sexagénaires comme une source d' expérience, et non plus comme une
charge salariale, des personnes de 60 ans et plus vont continuer
à travailler, freinant du même coup l' entrée des jeunes sur le
marché du travail. L' âge moyen de cessation d' activité en France
est inférieur à 60 ans.
- L'
augmentation de la scolarité répond de même à un objectif louable :
avoir une société dans laquelle le taux d' analphabétisme n'
a cessé de se réduire, dans laquelle le niveau de compétences
professionnelles et de culture générale n' a cessé de progresser.
Mais aujourd' hui, nous avons plutôt le sentiment que la poursuite
des études ne sert qu' à reculer l' étape d' entrée dans la
vie active. Nombre de jeunes aspirent aujourd' hui à une indépendance
financière précoce, quitte à pouvoir concilier études et emploi
salarié, mais se trouvent désavantagés par un taux de chômage
double.
-
Le chômage représente, comme nous l' avons vu, la manière la
plus ignoble pour ceux qui en sont victimes et la plus coûteuse
pour la société. 90 % des actifs travaillent, pour la plupart
d' entre eux à plein temps. Les autres sont contraints à l'
inactivité. Les coûts de cette solution sont énormes.
La baisse
du nombre de salariés ne semble pas être la solution au problème.
Analysons la dernière solution.
2.Baisse de la durée annuelle du travail des actifs
-
Bilan des 35 heures en France.
Par rapport
à la loi des 39 heures de 1982, les 35 heures représentent une réduction
de 10 % du temps de travail, soit un taux équivalent au taux
de chômage. On aurait pu augurer d' un effet favorable sur les créations
d' emplois et le chômage.
En fait,
il faut savoir que toute réduction du temps de travail s' accompagne
de gains de productivité non négligeables, pour plusieurs raisons :
-
Les salariés, travaillant moins, sont moins fatigués, moins
souvent absents, et donc plus productifs.
-
Les entreprises profitent de cette réduction pour aménager le
temps de travail (réduction de pauses, augmentation de l' utilisation
des équipements…). Ce n' est plus seulement la RTT, mais l'
ARTT (aménagement et réduction du temps de travail).
Le Conseil
Economique et Social reprend les chiffres
des gains de productivité liés à une baisse du temps de travail,
chiffres (cités par une étude américaine) :
-
Un salarié à 50 % produit comme 0,64 salarié
-
Un salarié à 60 % produit comme 0,77 salarié
-
Un salarié à 70 % produit comme 0,87 salarié
A partir
des données de créations d' emplois suite au passage aux 39 heures
en 1982 (RTT de 2,5 %), on peut extrapoler les chiffres ci-dessous
en indiquant :
-
Un salarié à 80 % produit comme 0,92 salarié
-
Un salarié à 90 % (passage aux 35 h) produit comme 0,96
salarié
-
Un salarié à 97,5 % (passage aux 39 h) produit comme 0,998
salarié
En fait
plus la réduction du temps de travail est faible, plus elle génère
de gains de productivité, et donc moins elle ne laisse de place
pour des créations d' emplois. Le cabinet de Martine Aubry avait
estimé que la création d' emplois résultant du passage aux 35 heures
se limiterait à 1 million, soit 4 % de la population active,
chiffre qui correspond à l' extrapolation faite ci-dessus. En réalité
la DARES a chiffré le nombre
d' emplois créés par les 35 heures à 370 000, nombre auquel
on peut rajouter environ 100 000 emplois qui ont été préservés,
c' est-à-dire que la réduction du temps de travail a évité ou atténué
certains plans sociaux. Pourquoi cet écart entre le million prévu
par le ministère et les 470 000 créés ou sauvegardés effectivement,
il y a deux raisons :
-
On peut penser que l' estimation a été volontairement surévaluée
pour faire accepter le projet de loi.
-
Seuls, 55 % des salariés ont bénéficié des 35 heures. Les
petites entreprises de moins de 10 salariés ont bénéficié d'
un délai de mise en application de cette loi. Depuis le nouveau
gouvernement a considérablement assoupli la loi, ce qui fait
qu' aujourd' hui, une inégalité de temps de travail s' ajoute
à d' autres inégalités (conditions de travail, rémunération,
stabilité d' emploi…).
Quel
a été l' impact sur le chômage de cette création de 370 000
emplois ? Le coefficient d'Okun permet de répondre à la question.
En 1962, aux Etats-Unis, Arthur M. Okun avait établi qu'une diminution
du taux de chômage de 1 point de pourcentage engendrait une augmentation
de la production totale de 3%. Trois facteurs étaient présentés
pour expliquer ce rapport de 1 pour 3. Deux de ces facteurs sont
liés au comportement des entreprises. En effet, en période de croissance
économique, les entreprises augmentent les heures de travail et
la productivité avant d'embaucher, ce qui génère une production
supplémentaire. L'autre facteur est relatif au comportement de la
main-d' œuvre. On considère, qu'en période de récession, des chômeurs
sont cachés ou découragés et que, par conséquent, les taux de chômage
sous-estiment le nombre réel de chômeurs. Dans un contexte de croissance,
ces personnes, en retournant sur le marché du travail, réintègrent
les statistiques. Elles, qu'on ne soupçonnait pas vouloir travailler,
se trouvent des emplois quand la situation économique est meilleure
et permettent ainsi un niveau de production supérieur, sans pour
autant réduire le taux de chômage. Selon des études plus récentes,
le coefficient d'Okun se situerait aujourd'hui autour de 2. Donc
la création de 370 000 emplois permet de générer une baisse
de 185 000 chômeurs. Il reste encore 2 millions et demi de
chômeurs.
En 1997,
le rapport Guaino, ancien commissaire au plan chiffrait à 7 millions
le nombre de personnes touchées par le chômage. En plus des bénéficiaires
des ASSEDIC, le nombre des allocataires de minima sociaux n' a cessé
d' augmenter pour atteindre en France 3,2 millions de personnes.
Le rapport Guaino précise que les chômeurs non inscrits, parce que
découragés, ceux qui ont bénéficié de préretraites, ceux qui bénéficient
d' un dispositif de formation représentent une population équivalente
au chiffre officiel des demandeurs d' emplois. Il faudrait encore
rajouter ceux qui sont à temps partiel subi (n' ayant pas choisi
leur temps partiel, ils sont partiellement au chômage), ceux qui
subissent quotidiennement l' insécurité du travail (CDD, Intérimaires,
emplois précaires…). En fait sur une période de 10 ans un tiers
de la population active a fait, au moins une fois, l' expérience
du chômage.
La moitié
de nos concitoyens classe le chômage parmi les 2 sujets qui les
préoccupent le plus (ce taux a doublé en 25 ans). 75 % des
Français se déclarent inquiets de ce risque pour eux-mêmes ou pour
leurs proches.
Le nombre
de chômeurs cachés par les statistiques se manifeste lorsque dans
une région un nombre d' emplois créés est conséquent. La baisse
du nombre de chômeurs est inférieure à la moitié de cette quantité,
parce que ces emplois sont occupés par des personnes qui n' étaient
pas ou plus inscrites au chômage.
Si l'
on souhaitait revenir au plein emploi, il faudrait créer environ
5 à 6 millions d' emplois, ce qui, avec comme seul levier la réduction
du temps de travail et compte tenu des gains de productivité cités
ci-dessus, nécessiterait que chaque salarié travaille en moyenne
à 60 %, voire à mi-temps.
Les
2 seuls paramètres à notre disposition pour résoudre le chômage
semblent peu prometteurs :
-
génère peu d' emplois, voire en détruit dans certaines occasions,
-
s' avère désastreuse d' un point de vue écologique,
-
n' offre pas les espoirs escomptés en matière de bien-être social.
-
La réduction du temps de travail
-
est peu créatrice d' emplois (une baisse du temps de travail
de 10 % pour 55 % des salariés a provoqué, en France,
une baisse du nombre de chômeurs équivalente à 0,7 % de
la population active),
-
génère des tensions sur le marché du travail en créant localement
des pénuries de main-d' œuvre,
-
si elle est généralisée, ne correspond pas forcément aux souhaits
individuels des citoyens (certains veulent travailler moins,
d' autres préfèrent gagner plus).
Comme
le montre le tableau ci-dessous,
sur des statistiques des pays du G8, ce ne sont pas les pays où
l' on travaille le moins qui affichent les taux de chômage les plus
faibles.
|
en
heures |
en
% de la population active |
Etats-Unis |
1957 |
4,5 |
Japon |
1879 |
4,1 |
Canada |
1777 |
8,3 |
Royaume-Uni |
1702 |
6,2 |
Italie |
1682 |
12,2 |
Allemagne |
1526 |
11,2 |
France |
1519 |
11,8 |
Russie |
1730 |
12 |
L' analyse
des chiffres bruts devrait être complétée par un indice de la qualité
des emplois créés. Nous savons que les emplois créés dans les pays
anglo-saxons ont fortement augmenté la précarité de la population
active, que le stress dans les entreprises japonaises a atteint
un sommet inquiétant. Aux Etats-Unis, le taux d' incarcération est
huit fois plus fort qu' en France (8 prisonniers pour mille habitants).
De 2 maux, il faut choisir le moindre. Il est sans doute préférable,
pour notre société, d' indemniser un chômeur que de supporter les
conséquences socio-économiques d' une incarcération.
Doit-on
en déduire que notre société doit se complaire, comme elle le fait
depuis trois décennies, avec un taux de chômage désastreux d' un
point de vue économique, incompréhensible d' un point de vue social
et intolérable d' un point de vue humain ? Si tel était le
cas, ce texte n' aurait pas vu le jour.
Pour une autre approche du problème du chômage
Aujourd'
hui plus de 70 % des salariés travaillent dans le tertiaire.
Si nous continuons sur cette lancée, les productions agricole et
industrielle seront automatisées et nous nous paierons mutuellement
pour nous rendre des services.
1.Quelle économie souhaitons-nous ? Voici
quelques extraits de la Déclaration Universelle des Droits de l'
Homme, tous les jours bafouée, à cause de la persistance d' un taux
de chômage structurel depuis de nombreuses décennies.
Tout individu a droit à la vie…
Chacun a le droit à la reconnaissance en tous lieux de sa
personnalité juridique. ...
3. La famille est l'élément naturel et fondamental de
la société et a droit à la protection de la société…
1. Toute personne a droit au travail, au libre choix de
son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes
de travail et à la protection contre le chômage…
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable
et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une
existence conforme à la dignité humaine et complétée,
s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale…
1. Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant
pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille,
notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement,
les soins médicaux… elle a droit à la sécurité en cas
de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse…
1. L'individu a des devoirs envers la communauté dans
laquelle seul le libre et plein développement de sa personnalité
est possible… |
Grâce à notre technologie, nous sommes capables de satisfaire les
besoins vitaux de l' ensemble des habitants de la planète. Dans les
pays industrialisés, nous allons bien au-delà. La répartition du budget
des ménages faite par l' INSEE montre que les besoins physiologiques
(nourriture, logement, habillement et santé) sont satisfaits avec
environ la moitié du budget d' un ménage type (avec des disparités
importantes). Notre économie est largement en capacité de satisfaire
ces besoins de base cités par la Déclaration Universelle des Droits
de l' Homme. Il est dans notre devoir de faire en sorte que chacun
puisse en bénéficier. Pour cela, il y a deux solutions :
- Nous
donnons à chaque citoyen le revenu nécessaire, qu' il travaille
ou non, et nous dérivons vers une société d' assistance. Certains
se contenteront de ce revenu sans participer à l' effort collectif,
d' autres participeront et auront un revenu et un statut social
conséquent. C' est une société duale, qui n' est sans doute
pas souhaitable, même si elle a l' avantage, par rapport à notre
situation actuelle, de sortir de la misère bon nombre d' exclus.
- Deuxième
solution ; on considère que « Toute personne a
droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son
bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation,
l'habillement, le logement, les soins médicaux… » article
25 et que « L'individu a des devoirs envers la communauté »,
article 29, car les besoins physiologiques de tous nécessitent
une participation collective la plus large possible.
En fait,
le travail n' a jamais été un droit, ce serait plutôt un devoir.
La richesse est à mettre à l' actif de notre société (colonne recettes),
mais les moyens d' y parvenir (le travail, l' énergie, les matières
premières…) sont à mettre au passif (colonnes dépenses). Si nous
considérons que 50 % de nos heures de travail sont nécessaires
à satisfaire nos besoins de base et 50 % pour des besoins moins
indispensables, il est logique que tout citoyen participe à cette
première moitié de labeur, la seconde restant au bon vouloir de
chacun. On peut se passer d' une résidence secondaire, de vacances,
de voiture, … on ne peut vivre sans nourriture et soins médicaux,
et le logement est également un bien indispensable à une vie digne.
Si on répartit 50 % des heures travaillées sur l' ensemble
des citoyens valides de 16 à 65 ans (42 millions de personnes),
on obtient un temps de travail annuel de 430 heures, soit une journée
de travail par semaine. Ce temps de travail laisse aux salariés
le loisir d' avoir un contrat de 3 ou 4 jours par semaine avec une
entreprise, pour obtenir un complément de revenu, il permet aux
étudiants de poursuivre sereinement leurs études aussi longtemps
qu' ils le souhaitent, aux artistes de vivre pleinement leur passion
sans le souci d' obtenir un travail alimentaire…
Il faut savoir ce que l' on veut ; soit une économie au
service de l' homme, soit une économie au service du capital.
Patric Kruissel
Lien
d'origine : http://www.ac-versailles.fr/PEDAGOGI/ses/vie-ses/hodebas/kruissel.html
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