|
origine : http://www.alternatifs.org/actus/lecture/l_281004_chomage.html
Evelyne PERRIN a recueilli les témoignages de militants des
associations de chômeurs et de jeunes salariés précaires
(1), par son engagement à AC!, au réseau Stop précarité
et au sein des comités de soutien aux grèves de MacDo,
Maxilivres, Arcade dans les années 2001-2003.
Avec la montée du chômage de masse et l'apparition
de la précarité, notamment chez les plus jeunes, le
patronat tente d'imposer des conditions de travail esclavagistes
et des salaires de misère.
Les expériences vécues de la précarité
et du chômage par les chômeurs engagés à
AC! ou au MNCP montrent qu'ils ont construit des « revendications
qui les mettent à distance du travail salarié, vers
lequel ils ne sont pas prêts à retourner à n'importe
quel prix » Ils ont développé des exigences
et des revendications vis-à-vis du travail qui sont aux antipodes
de la plupart des emplois précaires qui peuvent leur êtres
proposés. Ils ont aussi passé des « arrangements
» avec la précarité, même si ce sont des
arrangements contraints, à la limite de la misère.
Cependantt, le travail demeure une valeur forte pour les chômeurs,
même s'ils ne sont pas prêts à accepter n'importe
quel emploi et sont plus exigeants sur les conditions de travail.
Les chômeurs engagés sont « très pessimistes
sur l'évolution prévisible du travail et sont très
conscients de la lente dégradation du rapport salarial »
et en même temps « ils partagent un grand scepticisme,
un sentiment de forte incertitude sur la capacité des chômeurs
et notamment des jeunes précaires à s'organiser et
à déclencher des luttes significatives pour contrer
le développement de la précarité ». De
nouvelles formes de lutte sont à inventer car les syndicats
ne rejoignent pas les précaires. Et bien sûr la question
du débouché politique de ces nouvelles formes de lutte
se posera..
Parmi les nouvelles formes d'actions apparaissent les occupations
d'Assedic ou d'ANPE ou de bureaux d'aide sociale par les associations
de chômeurs, la plus originale est sans doute celle des «
réquisitions d'emploi » inventée par AC!, d'autres
également, comme les « réquisitions de richesse
», les marches contre le chômage ou encore des occupations
plus ou moins longues de services publics.
La deuxième population étudiée est celle des
jeunes salariés précaires, au chômage ou salariés
sous des statuts instables. Ils sont confrontés quotidiennement
à la précarité de l'emploi, et ils ne sont
pas syndiqués. Ils sont souvent issus de familles de cadres
supérieurs ou moyens, et leurs stratégies pour sortir
de la précarité sont profondément différentes
de celles des jeunes précaires d'origine populaire. Ces «
nouvelles couches intellectuelles précaires » ont tendance
« à être déclassées sur le marché
du travail non seulement par la concurrence entre les jeunes entrants
sur le marché du travail dans de mauvaises conditions, quel
que soit leur niveau d’études, mais plus fondamentalement
par la dégradation de la norme salariale des trente glorieuses
». Ces jeunes tententt de monter des projets d'activité,
salariée ou indépendante, officielle ou au noir. Ils
ne subissent pas passivement leur situation précaire et n'hésitent
pas à quitter un emploi qu'ils jugent dégradant. D'où
une partie du turn-over dans de nombreuses entreprises, ou des pénuries
de main d'oeuvre dans certaines branches. Ces jeunes sont une nouvelle
figure sociale du salariat, le précariat, indispensable au
fonctionnement des entreprises dont la règle est la flexibilité.
Pourtant leurs statuts « s'opposent à l'apparition
d'une conscience de classe ou d'une conscience commune de l'exploitation
» car il manque les relais syndicaux. Par contre, c'est la
« persistance de fortes inégalités sociales
qui fait sens commun » Ces jeunes précaires ont aussi
conscience d'être confrontés à une forte dégradation
de la norme salariale et sont plutôt pessimistes sur l'avenir
du travail car ils s'attendent à une poursuite de la dégradation
des conditions d'embauche.
Cette génération a conscience de ne pouvoir compter
que sur elle-même car elle a perdu la confiance dans la classe
politique « et dans une moindre mesure dans les syndicats
» et elle se « débat seule contre les conditions
de travail et d'emploi dégradées qui lui sont proposées.
Pourtant ces jeunes sont demandeurs de « régulations
collectives nouvelles pour compenser l'instabilité de l'emploi
» et attendent des structures collectives qui pourraient exister,
une riposte au «précariat». Ils attendent de
l'Etat « l'instauration de nouvelles garanties collectives
alliant mobilité professionnelle et continuité des
droits et du revenu, afin de prendre en compte les mutations du
capitalisme ».
Dans la troisième étude, Evelyne Perrin analyse les
luttes des jeunes précaires, souvent syndiqués.. A
travers ces nouvelles formes, davantage fondées sur l'autonomie
et la confiance réciproque, ils révèlent la
crise du syndicalisme, y compris dans la CGT au sein de laquelle
ils sont souvent engagés. Les luttes dans la restauration
rapide ou dans les multinationales de produits culturels sortent
de l'entreprise pour déborder dans la rue, elles sortent
également du carcan syndical en faisant appel à des
soutiens diversifiés extérieurs à l’entreprise.
Elles montrent un renouveau de combativité et de syndicalisation
chez les jeunes salariés « dont on dit habituellement
qu'ils se détournent du syndicalisme ». Le syndicalisme
ne pourra se saisir de cette mutation, de ces nouvelles exigences
des jeunes salariés, que s'il hisse au rang de ses priorités
la lutte contre la précarité de l'emploi.
Une analyse actualisée de la position des syndicats sur
la précarité et de leur rapport aux luttes des salariés
précaires reste à faire. La CGT dénonce le
développement de la précarité de l'emploi et
avance des propositions pour « redonner aux salariés
une protection face à la flexibilité du marché
du travail », mais sur le terrain elle éprouve des
difficultés à prendre en compte les revendications
des précaires en raison de sa difficulté de les organiser.
FO est muette sur la lutte contre la précarité et
la CFDT a pris acte de la transformation des normes d'emploi rendues
nécessaires par la modernisation de l'économie. Le
Groupe des Dix, bien qu'implanté dans le secteur public,
soutient les salariés précaires et appelle à
la mise en place « d'une véritable Sécurité
sociale élargie dans ses buts et rénovée dans
son fonctionnement. La CNT est présente dans le secteur de
la restauration rapide et se prononce pour l'embauche en CDI et
à temps complet à la demande du salarié, pour
une augmentation des salaires et une réduction des écarts
de salaires entre qualifiés et non-qualifiés.
Le défi de la précarité suppose une autre
conception de l'action syndicale. La refondation du syndicalisme
est nécessaire et urgente face à l'éclatement
des statuts et aux nouvelles formes d'organisation des entreprises,
pour exiger l'instauration de nouvelles garanties et protections
au sein du droit du travail et organiser la résistance à
l'offensive néolibérale. Les politiques sont aussi
interpellés et la gauche très critiqués car
elle n'a pas eu de" réponse très claire ni structurée
face à la précarisation rampante du salariat":
les positions des principaux partis de la gauche (PS, PCF et Verts)
sont restées au mieux "peu audibles". Il reste
aux partis de gauche à bâtir de réelles propositions
"pour contrer le développement de la précarité
de l'emploi, par la mise en avant d'un droit à un statut
professionnel et à un revenu, quels que soient les aléas
de l'emploi, dans une société qui privilégie
le travail flexible".
|
|