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Date: Wed, 17 Nov 2004 17:15:07 +0100 (CET)
Subject: [infozone_l] Etats generaux de la recherche: La rage intacte
des precaires
Mobilisation et états généraux n'ont en rien
résolu la précarité des jeunes diplômés.
Les oubliés de la recherche
Paru dans Libération, le mercredi 17 novembre 2004
C'est en leur nom qu'au mois de mars dernier, chose pourtant rare,
la rue a vu descendre les personnels de la recherche et de l'enseignement
supérieur. C'est en leur nom que les académiciens,
les ministres et les députés sont tombés d'accord
pour réformer le monde de la recherche. C'est en exhibant
leur désarroi sur les plateaux de télévision
et leurs bulletins de salaire dérisoires - lorsqu'ils en
ont - que l'on a ému l'opinion publique. Ce sont eux qui
sont sortis en masse de chez eux et des bibliothèques, et,
pour les plus chanceux d'entre eux, de leurs bureaux ou de leurs
laboratoires, pour revendiquer enfin le droit à un emploi
stable.
Les thésards, les post-docs, les Ater, les vacataires, les
travailleurs non déclarés, les ingénieurs et
les techniciens contractuels, ces personnels précaires représentent
un tiers de la recherche publique et de l'enseignement supérieur.
Sans compter ceux qui n'ont eu d'autre choix que l'exil.
Les états généraux de la recherche qui ont
suivi le conflit ont mobilisé le temps et l'énergie
de milliers de chercheurs, techniciens, ingénieurs et administratifs,
dans l'espoir de sauver une recherche publique massacrée
par plus d'une dizaine d'années de budgets catastrophiques
et d'incurie gouvernementale.
Souvent, les précaires ont pu constater dans les comités
locaux des états généraux que de nombreux titulaires
continuaient à les soutenir sincèrement avec deux
revendications simples : l'augmentation massive du nombre de postes
de titulaires et la résorption de la précarité.
Malgré ces soutiens, les précaires ont mesuré
combien il était peu évident de faire entendre leur
voix au sein de l'institution.
Le simple fait d'être présents et entendus dans les
débats des comités locaux s'est d'abord révélé
difficile. Comme les précaires de toutes les professions,
les personnels non titulaires de la recherche sont soumis à
l'incertitude du lendemain et aux problèmes matériels.
Mais, plus spécifiquement, la conjonction de cette précarité
obligatoire et de l'augmentation inexorable du rythme de publication
a rendu la maxime « publish or perish » tragiquement
concrète pour les doctorants et les post-docs. Pressés
par cette course absurde à la publication et fatigués
par plusieurs mois de mobilisation, rares étaient ceux qui
pouvaient participer aux débats. Et ceux-là ont été
vite découragés par la structure même de ces
comités locaux. Au lieu de regrouper les personnels en catégories,
ce qui aurait permis aux précaires de continuer à
peser dans le processus de réflexion, les comités
locaux ont calqué leur structure sur celle des institutions,
c'est-à-dire en équipes, en laboratoires, en départements.
Autant d'instances où si souvent la parole du directeur vaut
de l'or, et celle du thésard des nèfles. Car la recherche
n'est pas une exception à la docilité à laquelle
nous réduit la précarité.
Lors de ces débats, les précaires se sont aussi retrouvés
confrontés à des discours inattendus. Les fameux 550
postes ayant été restitués au CNRS, certains
managers autoproclamés, ignorant bien sûr tout de la
précarité, ont prétendu que le problème
de l'emploi avait désormais disparu.
Evidemment, lorsqu'on est soi-même titulaire, il est tentant
de croire que « les bons s'en sortent toujours », et
qu'un chercheur n'est expérimenté, donc susceptible
d'être embauché - curieux sophisme , qu'à 30
ou 35 ans. Ironie méconnue : les adeptes de ce genre de croyances,
des libéraux qui s'ignorent, sont principalement issus d'une
génération qui n'a quasiment pas connu la précarité.
La plupart d'entre eux ont été recrutés comme
fonctionnaires-stagiaires, vers 22-25 ans, et ont ainsi terminé
leur thèse en étant déjà titulaires...
Un autre sujet d'inquiétude a été l'opacité
dans laquelle a travaillé le Comité d'initiative et
de proposition (CIP) qui coordonne les états généraux,
et surtout l'absence de véritable représentation des
précaires au sein de ce comité. Dans ces conditions,
il ne faut pas s'étonner que les problèmes de la précarité
et de l'embauche statutaire aient été quasi absents
du prérapport de synthèse des états généraux
(daté du 30 septembre 2004) : ce texte ne proposait rien
pour dégager un avenir professionnel aux précaires,
allant même jusqu'à demander des « emplois temporaires
mais non précaires » (sic) !
Dans le même esprit, certains pensent qu'une simple réforme
de structure viendrait à bout de la situation dramatique
dans laquelle se trouvent la recherche et l'université.
Modifier les statuts des établissements ?
Changer le mode de recrutement ?
Créer une agence nationale ?
Mettre en place des universités « autonomes »
?
Il est naïf et absurde de croire que ce genre de réforme,
sans volonté politique claire de création massive
et immédiate d'emplois dans la recherche publique, puisse
« sauver la recherche ». Peut-on sérieusement
faire l'impasse sur le déclencheur même du mouvement
? Peut-on gloser sur les mille et une façons de rendre la
recherche publique plus « attractive », quand la pénurie
de postes conduit des dizaines de milliers de docteurs au chômage,
à l'expatriation, ou au déclassement social ?
Maintenant que les états généraux sont arrivés
à leur terme et une fois le texte final adopté, le
ministre va-t-il pouvoir continuer à se frotter les mains
? Désormais, alors que la pression de la rue s'est radoucie,
et que son pied de nez budgétaire est passé aux oubliettes,
il n'a plus qu'à espérer le soutien, ou à défaut
la neutralité, du CIP. Mais, lors de ces tractations à
venir, le CIP, lui, pourra-t-il se prévaloir du soutien des
précaires, au nom desquels on pensait pourtant « sauver
la recherche » ?
Quel que soit l'avenir du texte final des états généraux,
une question plus grave encore est de savoir combien de temps la
recherche en particulier, mais plus généralement l'ensemble
de notre société, pourra survivre en perpétuant
une précarité d'une telle ampleur. A la suite de l'explosion
de la précarité dans les années 90, c'est maintenant
au tour des jeunes diplômés de jouer le rôle
de la main-d'oeuvre sans droits, corvéable et jetable. Les
jeunes chercheurs précarisés ne sont qu'une des catégories
d'une longue liste de diplômés précaires (journalistes,
enseignants, médecins, intermittents, architectes, graphistes,
avocats...).
L'histoire a montré que souvent, lorsque les jeunes générations
n'ont plus rien à perdre, un climat de chahut insurrectionnel
s'installe. Un tel carnaval aurait au moins le mérite de
restituer l'envie de rire à ceux qui aujourd'hui en sont
privés, car ils n'ont plus d'avenir.
Premiers signataires : Association Droit d'entrée (DDE),
Chercheurs Précaires, Collectif des jeunes chercheurs contre
la précarité (JCCP), Collectif des non titulaires
de l'Education nationale, Réseau Stop-précarité,
Sud Etudiant.
Pour contacter le Collectif des jeunes chercheurs contre la précarité
:
http://jccp.ouvaton.org/
jccp_paris@yahoo.fr
I N F O Z O N E
s a m i z d a t . n e t
web page : http://listes.samizdat.net/wws/info/infozone_l/
fil d'infos : http://infos.samizdat.net/blog/
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