"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
La Charte d’Amiens de 1906 à aujourd’hui1Textes du congrès de 1906
et réflexions de Jacky Toublet, Joachim Salamero et Alain Sauvage

Origine http://www.theyliewedie.org/ressources/biblio/fr/Toublet,_Salamero,_Sauvage_ La_Charte_d'Amiens_de_1906_a_aujourd'hui.html

Chers compagnons

La Charte d’Amiens a eu 80 ans en 1986. Dans ce célèbre texte, la CGT d’alors affirmait son indépendance vis-à-vis des partis, sa besogne quotidienne pour l’accroissement du mieux-être des travailleurs dans une société dominée par la classe capitaliste et le future rôle gestionnaire du syndicat.

Le groupe Fresnes-Antony a décidé de faire l’effort financier et militant pour commémorer cet événement. A cet effet, nous rééditons les débats concernant les rapports syndicats-partis qui ont marqué ce congrès.

Une courte introduction du groupe permettra, nous l’espérons, de resituer cette période où la CGT était solidement marquée par l’antimilitarisme, l’antiparlementarisme et par la volonté d’en finir avec le patronat et le salariat.

Mais la Charte d’Amiens n’est-elle pas dépassée, ou, pour employer un vocabulaire "branché", n’est-elle pas ringarde ?

Pour apporter des éléments de réponse à cette question, nous avons donné la parole dans cette brochure à divers compagnons syndiqués à la CGT, à la CGT-FO et à la CFDT.

Cette brochure est bien sûr dédiée à tous ceux pour qui l’émancipation des travailleurs ne peut être que l’œuvre des travailleurs eux-mêmes.

Amitiés anarchistes

Groupe Fresnes-Antony


La Charte et son temps

En octobre 1906, la Confédération générale du travail réunit son neuvième congrès, forte de près de quatre cent mille adhérents, traversée de multiples courants : guesdiste, allemaniste, anarchiste, syndicaliste révolutionnaire et réformiste. La C.G.T. va faire le point sur la campagne nationale en faveur des huit heures, sur la propagande antimilitariste, sur le travail aux pièces, sur la départementalisation des bourses du travail, sur les subventions municipales et surtout sur les rapports syndicats-partis politiques. De cette dernière discussion, naîtra le texte intitulé : "La Charte d'Amiens".

A ce congrès, sont présentes, ce qui fait l'essence de la C.G.T., les deux structures verticale et horizontale. Les fédérations d'industrie ou de métier assurant la solidarité professionnelle et les bourses du travail, lieux de la solidarité interprofessionnelle. Chaque syndicat confédéré devait en principe adhérer à une fédération et à une bourse. D'ailleurs la C.G.T., née en 1895 à Limoges, n'est devenue une organisation puissante et capable d'effrayer le gouvernement et la bourgeoisie que depuis sa fusion complète avec la Fédération des bourses, réalisée au congrès de Montpellier en 1902.

AUX ORIGINES

Lors de sa création en 1895, la C.G.T. doit ses origines à la Fédération nationale des syndicats. La F.N.S., née en 1886, est au commencement sous tutelle du parti ouvrier guesdiste, du nom d'un des introducteurs du marxisme en France.

Pour Jules Guesde, le syndicat ne peut être que la courroie de transmission du parti ; un parti en route vers la conquête du pouvoir politique.

Les événements et les prises de position théorique sur la grève générale vont faire évoluer la F. N. S. En effet, Pelloutier, au congrès corporatif de Nantes en 1894, réussit à faire adopter le principe de la grève générale. Celle-ci doit mettre le capitalisme à bas et résoudre ainsi le problème révolutionnaire. Ce moyen entrait bien sûr en contradiction avec la conquête du pouvoir politique par le parti ou... plutôt les partis. Ainsi la Fédération des travailleurs socialistes de France (Brousse). le parti ouvrier français (Guesde), le parti ouvrier socialiste révolutionnaire (Allemane), le parti socialiste révolutionnaire (Vaillant) et les socialistes indépendants (Jaurès) se réclamaient tous du socialisme, briguaient les suffrages prolétariens et brisaient de fait l'unité ouvrière, une unité qui se reconstruisait dans le syndicat. Devant la multiplication des chapelles socialistes et le passage au gouvernement d'ex-socialistes tels Millerand et Briand, le réflexe économique va en quelque sorte prendre le dessus sur le politique. L'intransigeance doctrinale va être abandonnée au profit de l'indépendance syndicale.

Il ne faut pas oublier également le rôle d'entraînement des bourses du travail. Celles-ci se sont développées à partir de 1887.

En 1887, ouverture de la bourse du Château-d'Eau à Paris, de celles de Nîmes et de Bourges. En 1888, au tour de Saint-Étienne et de Toulouse d'avoir une bourse du travail. En 1891, Montpellier. Et le congrès constitutif de la Fédération nationale des bourses du travail se tient à Saint-Étienne en 1892. Cette tentative d'unification du mouvement ouvrier lancée par les possibilistes parisiens, les partisans de Brousse et adversaires de Guesde, va échapper à ses promoteurs. Peu à peu, grâce entre autres aux efforts de Fernand Pelloutier (voir Volonté anarchiste n°31), l'autonomie de la classe ouvrière vis-à-vis de l'Etat et de la classe politique va être affirmée et mise en pratique dans les bourses du travail. Les positions de Proudhon sur la "capacité politique de la classe ouvrière" vont se trouver vérifiées. Des services, bibliothèques, viatique, placement, musée du travail, cours professionnels, cours du soir vont être organisés, avec plus ou moins de bonheur. Le but semble bien d'établir ce que l'on nommerait aujourd'hui une "contre-société". La démonstration que la classe ouvrière peut s'affranchir, elle-même, de sa condition est une tâche quotidienne. Et les anarchistes se sont attelés à cette rude besogne.

LE RÔLE DES ANARCHISTES

Pour les commentateurs politiques et syndicalistes, l'entrée des anarchistes dans les syndicats date de la fin de la période des attentats. Ainsi certains présentent le fameux syndicaliste Delesalle comme un ex-poseur de bombes, ce que contredit avec vigueur son historien Jean Maitron. Si on se penche sur la biographie de la plupart des anarchistes responsables syndicaux, on constate que leur engagement syndical est antérieur à la fameuse désillusion sur la propagande par le fait ; ainsi Pouget, le fameux père Peinard, participa en 1879 à la création du syndicat des employés du textile.

Si la fameuse "Lettre aux anarchistes" de Pelloutier, l'appel du père Peinard : "un endroit où il y a de la riche besogne pour les camaros à la redresse, c'est la chambre syndicale de leur corporation" et le message de l'Avant-garde de Londres "pour détacher les masses le peuple à un joug plus lourd que celui de la bourgeoisie, [les anarchistes] doivent entrer dans les syndicats" sont bien réels. Il ne faudrait pas en exagérer la portée, les anarchistes sont loin d'être des godillots comme les gaullistes ou les socialistes... Penser qu'un tel "mot d'ordre" ait pu décider, tout de go, les compagnons à entrer dans les "syndicales" révèlent bien l'esprit dirigiste et autoritaire de leurs auteurs.

Il est évident que le mouvement libertaire français brisé par l'échec de la Commune de Paris a perdu pendant quelques années l'acquis des luttes et des débats de la Première Internationale. Un autre travail prit un peu le dessus sur l'action quotidienne : la propagande orale et écrite (réunions, causeries, brochures, journaux, tracts, placards ...). Passons sur la trop fameuse propagande par le fait qui a dégénéré pour quelques-uns en attentats spectaculaires pour les années 1885 ; en 1986 ce seraient presque des pétards... Cette propagande s'affirmait antimilitariste face à une armée chargeant sabre au clair les grévistes, anticléricale (contre une Eglise qui, ayant encore tous ses œufs dans le même panier, défendait ouvertement les privilèges) et surtout anti-électorale.

Ainsi, les anars portaient sans cesse la contradiction aux tenants du socialisme des urnes, pour qui le syndicat, la coopérative étaient un réservoir à militants et à fric. Chaque siège obtenu aux élections municipales, législatives, étaient pour les guesdistes, les jauressistes une marche de plus vers la prise du pouvoir. La victoire était au bout du... chemin électoral. A quoi bon lutter, puisqu'il suffisait en fin de compte de bien voter, le nombre étant bien sûr du côté des exploités ! Un tel simplisme devait être combattu, surtout là où l'exploitation montrait son véritable visage, l'entreprise, la fabrique...

Et le syndicat n'est-il pas le meilleur groupe de résistance ?

A cette question, un grand nombre de compagnons répondirent positivement. Avec un enthousiasme qui fit confondre pour certains le but : l'anarchie, avec le moyen : le syndicat. Cette "déviation" marqua d'ailleurs les débats du congrès anarchiste d'Amsterdam de 1907, connu surtout par l'affrontement Monatte-Malatesta.

Les interventions de Latapie, lors du congrès d'Amiens, reproduites par ailleurs dans cette brochure, illustrent bien ce nouveau phénomène. L'émergence pour certains d'une nouvelle doctrine dépassant à la fois le socialisme et l'anarchisme, le "syndicalisme révolutionnaire" ou un "syndicalisme autosuffisant".

Quoi qu'il en soit, en 1906, rien n'est figé, ou plutôt rien n'est théorisé entre deux syndicalistes révolutionnaires, l'un ex-anarcho, et celui que l'on nommera plus tard "anarcho-syndicaliste". Quelle différence, quand il s'agit de voter au congrès corporatif Îa traditionnelle motion antimilitariste et antipatriotique.

Ainsi au congrès d'Amiens, la motion défendue par l'anarchiste Georges Yvetot obtint 484 suffrages contre 310, soit 58%. Elle soulignait que la "propagande antimilitariste et antipatriotique doit devenir toujours plus intense et toujours plus audacieuse".

Signalons les résultats de vote à peu près similaires : 60% en 1908, et 66% en 1910 (cf. Subversion n°1, du groupe Louis Bertho Le Petit sur l'influence anarcho-syndicaliste à la C.G.T.).

Si l'influence libertaire, au sens large, était considérable, elle dut s'appuyer sur l'aide réformiste de la C.G.T. pour rabattre le caquet des socialistes des urnes et parvenir à ce texte synthèse : "La Charte d'Amiens".

LE CONGRÈS

En effet, le parti socialiste, section française de l'Internationale ouvrière constitué des divers groupes socialistes, est créé en 1905. La C.G.T. a devant elle une menace réelle pour l'indépendance syndicale. La C.G.T. risque de revenir aux sources, au début de la F.N.S. Renard, délégué du Textile et guesdiste, a déposé un texte allant dans le sens d'une liaison entre la "vieille" C.G.T. et le nouveau parti unifié. Sa résolution pourtant rédigée dans le but d'associer les réformistes aux visées du parti va être repoussée par 774 voix contre 34.

Les réformistes, dont les représentants sont Coupat, Niel et Keufer (du Livre) retirèrent leur propre motion et se rallièrent à l'ordre du jour de Griffuelhes.

Cet ordre du jour, qui passa à la postérité sous le nom de "Charte d'Amiens", fut rédigée dans un café. Emile Pouget, dont on reconnaît le style, Griffuelhes, Delesalle, Niel et Merrheim en furent ses rédacteurs selon l'historien Dolléans.

En 1938, Delesalle raconta l'accouchement d'une partie de ce texte

"A la première lecture, Pouget tenant la plume, je m'étais cabré sur ce passage les partis et les sectes ; les sectes visaient les anarcho-syndicalistes, et, je ne sais pas pourquoi, ne me plaisaient pas. J'eus à ce sujet une prise de bec avec Griffuelhes et j'entends encore Pouget me répétant : " Qu'est-ce que cela peut te fiche ? " Au bout d'un instant, "la secte des égaux" me passe par l'esprit. J'étais vaincu, et, ne voulant pas le paraître, je dis à Pouget : " C'est bien, je dirai que tu fais allusion aux communistes de 1917 et tout sera dit." Je n'ai pas besoin de vous dire que tous mes camarades éclatèrent de rire."

LE BILAN

Finalement, ce texte fut adopté par 830 mandats contre 8. De par son caractère unanime, il ne fut prétexte à aucune scission. Au congrès socialiste suivant, Jaurès félicita même la C.G.T. pour sa prise de position.

Diverses interprétations contradictoires de la Charte ont été faites. Pour les uns, il s'agit de la victoire de l'anarchisme, son apogée ; pour les autres, de son déclin, vu que la C.G.T. s'affirmait aussi indépendante des sectes, des sectes anarchistes (!) Cette interprétation, celle de Maitron, vaut son pesant de cacahuètes.

Toutes ces interprétations oublient par ailleurs le rôle moteur des anarcho-syndicalistes ou des syndicalistes révolutionnaires de tendance libertaire dans les C.S.R. et au début de la C.G.T.U... La Charte d'Amiens est un document historique remarquable, même si ses faiblesses que nos compagnons évoquent plus loin sont indéniables. Elle est le témoin du rapport des forces qui traversaient le syndicalisme à l'époque.

Une époque où les réformistes adoptaient des positions sur l'abolition du salariat, sur la lutte des classes, sur l'indépendance syndicale que bien des soi-disant révolutionnaires d'aujourd'hui nient, et ne parlons pas des réformistes, ou des ex-encartés d'extrême gauche. Et c'est pour toutes ces raisons que notre groupe a décidé d'accueillir dans sa collection de brochures "la Charte", ou plus exactement des extraits de la brochure éditée en 1906 sur les presses de l'imprimerie du Progrès de la Somme, extraits concernant les débats "rapports entre syndicats et partis".

Bonnes lecture et réflexion.

Rapports entre les syndicats et les partis politiques

SÉANCE DU :11 OCTOBRE (Soir)

Président Reisz. Assesseurs Robert et la citoyenne Delucheux.

Rapports entre les Syndicats et les Partis politiques

Le Président fait la communication suivante :

"Au nom des organisations suivantes : Papeteries d'Essonnes, de Ballancourt ; Relieurs-papetiers de Dijon ; Travailleurs du papier de Clichy ; Reliure-dorure, Paris, Limoges, je dépose l'ordre du jour suivant:

"Etant donné que l'unité la plus parfaite ne règne pas encore dans le syndicalisme français et qu'il serait désastreux pour les syndicats ouvriers de faire "de nouveaux conflits au sein de ces organismes, en créant des rapports immédiats avec les partis politiques, quel que soit leur nuance.

"Considérant, d'autre part, que les militants syndicalistes sont en même "temps, et pour la plupart des adhérents des partis politiques, socialistes ou "autres; que, par là même il leur est facile de manifester sur ce terrain leurs "principes d'émancipation sociale ;

"Considérant, enfin, que la neutralité la plus absolue, qui est la force et "la puissance d'action même de chacune de ces organisations, ne saurait être "violée sans porter la désagrégation dans ces deux pouvoirs en présence ; par "ces motifs, le Congrès passe à l'ordre du jour."

Delaine.

Reisz donne lecture d'une question préalable qui vient de lui être remise :

Motion préalable

Les soussignés :

" Considérant que la polémique qui s'est produite au sujet de la proposition " formulée par la Fédération du Textile: Rapports de la C. G. T., et des partis politiques, a suffisamment éclairé cette question pour qu'il ne soit pas nécessaire "de procéder à une discussion au Congrès, et que les syndicats sont en grande "majorité réfractaires, non seulement au principe de la proposition, mais encore à toute discussion de ce genre, ne pouvant qu'avoir une répercussion "dangereuse dans l'organisation syndicale, en même temps qu'elle créerait "un précédent mauvais pour l'avenir.

"Demandent au Congrès de passer à l'ordre du jour sur la proposition du "Textile et cela, sans discussion."

Bled, Fédération horticole, jardiniers de Paris, Stucateurs de Paris, Sellerie-bourellerie de Paris et Malletiers ; E. Laval, Epiciers de la: Seine ; J.-B. Médard, Gens de maison, Paris et Seine ; Baritaud, Maçonnerie-Pierre, Paris ; Bornet, Fédération des Bûcherons ; Constant, Bourse d'Orléans ; Tabard, Transports, manœuvres et manutentions diverses ; Lefèvre, Bijoutiers.

Une autre proposition analogue est déposée :

"La Chambre syndicale des Ouvriers Serruriers en Bâtiment du département de la Seine et les organisations soussignées ;

"Considérant que la discussion de cette question serait préjudiciable aux "intérêts de classe du Prolétariat organisé, Demandent: la question préalable "et décident de passer à l'ordre du jour ;

"Désirant ainsi que les Congrès corporatifs, véritables assises du travail "ne s'occupent, dorénavant, que des questions véritablement économiques " et corporatives et repoussant énergiquement toute ingérence et affiliation "politique quelconque, qui ne feraient que semer la division parmi les travailleurs ;

"Laissant ainsi toute liberté de conception et d'agir en matière politique"aux syndiqués, en dehors de leur organisation économique ;

"Considérant également que les statuts syndicaux mentionnent tous, ou "presque tous, qu'aucune question d'aucune école ne sera traitée dans les organisations syndicales."

L. Clément, Serruriers de Paris; Griffon, Pâtissiers de la Seine; Bruon, Fédération des Menuisiers de Paris ; E. Vénot, Boucher-, de Paris, Blanchart, dessinateurs, Tailleurs d'Habits, Boîtier-Ferblantiers, Métallurgistes de Basse-Indre ; Voiture, Vichy ; Terrassiers, Vichy ; Voiture, Paris Voiture, Moulins ; Voiture, Bourges ; l'ailleurs de pierres de Vichy Tramways de Vichy ; Carriers des Grivais, Vichy ; Voitures Lyon Bijoutiers, Lyon; Coupeurs-Chemisiers de Lyon ; Maçons de Vichy ; Bahoneau, d'Angers ; L. Ménard ; Legouhy, des Litiers de Lyon; E. Thumon, succursales, Mécanique; Collet, du Bâtiment de Saint-Brieuc, le Livre et Employés ; P. Beaupérin, Bourse de Rennes; B. Gauthier, Bourse de Saint-Nazaire, Métallurgistes de Saint-Nazaire, Dessinateurs, Ouvriers du Fort, Ouvriers Charbonniers, Comptables, Employés, Typographes, Inscrits maritimes ; Bouchereau, ouvrier métallurgiste ; Gilliard, des Monteurs-Levageurs, Paris; Grandsart, Egoutiers de Paris, Cantonniers de Paris, Travailleurs municipaux de Rennes, Personnel des Ecoles de Paris, Personnel non gradé de l'Assistance - publique Service des baux concédés des Faux de Paris ; Egoutiers de Lyon Chambre syndicale des Chauffeurs-Conducteurs du département de la Seine ; Lefévre.

Puis une troisième :

"Le Congrès, considérant que s'abstenir d'une discussion constitue toujours "un mauvais système, favorable à l'équivoque et aux polémiques dangereuses "et prolongées ;

"Décide d'entendre la proposition du Textile et de passer à la discussion."

C. Devilar, délégué, Courtiers Paris ; Employés Troyes et Pézenas.

Bousquet dit que la question est importante. Doit-on accepter la question préalable ? Doit-on discuter ? Au Congrès de l'Alimentation, on a été partisan de l'ordre du jour pur et simple. Un camarade que j'estime beaucoup avait exigé la discussion de cette question. C'est en raison de cela que je suis chargé de discuter la question. Il déclare qu'il discutera avec calme. Il faudra citer des noms; tâchons de ne pas nous froisser.

Clément dit, qu'aux assises du travail, toute discussion de ce genre doit disparaître de l'ordre du jour. Les journaux bourgeois et autres guettent nos divisions. Ne leur en donnons pas le triste spectacle.

Robert dit qu'il ne prend pas parti pour le moment, il demande un orateur pour et un orateur contre, sur la question préalable.

La clôture est demandée et votée. Trois minutes seront données à chaque orateur inscrit à ce moment.

Bled dit qu'il a déposé la première motion préalable. Tout le monde connaît la question du Textile. On peut donc se prononcer sur la question préalable.

Tabard dit qu'en hésitant à savoir comment on terminerait le Congrès, il ne doit pas y avoir de question politique à ce Congrès. Il faut donc passer à. l'ordre du jour. Il ne connaît que l'unification; Il ne faut pas discuter les questions qui divisent.

Lévy dit qu'il se refuse à discuter au nom de ses mandants, qui ne s'inclineront pas devant le vote.

Marie croit qu'on doit examiner si la proposition n'est pas un acheminement vers la violation des statuts.

Cousteau, au nom de ses mandants, déclare qu'il est impossible de marcher la main dans la main avec n'importe quel parti politique.

Doizié. - je dis qu'il n'y avait pas lieu de décider ce matin, qu'on discuterait ce soir, si on est décidé à ne pas le faire, En tout cas, il faudra voter par mandat.

Parvy dit qu'il faut respecter les opinions des autres. Il va examiner les arguments apportés pour la question préalable. On n'a oublié qu'une chose : dire que les statuts de la Confédération sont toujours révisables. La question, dit-on, est politique. C'est là une question d'appréciation. Il faut tout voir avec courage, avec sang-froid.

Dret, au nom des Cuirs et Peaux, dit qu'il est contre la proposition. Mais il craint que dans un temps relativement rapproché, on puisse dire que ceux qui sont contre, ont eu peur. Il faut la discuter.

Hamelin dit que personne n'a posé la question préalable. Ce n'est pas sérieux de dire maintenant qu'on ne discutera pas. Le Comité aurait dû ne pas la mettre à l'ordre du jour si elle n'est pas statutaire.

Morgand dit que peut-être les camarades qui sont contre ont peur. Il faut discuter et écouter tous, les orateurs.

Delaine dit qu'il ne faut plus qu'on puisse dire qu'on a peur. Tout le monde connaît la question. Il faut la discuter.

Gaillard demande son tour de parole.

Laval dit qu'on s'est plaint, hier, de ce que les rapports n'avaient pas été reçus à temps. Ce n'est pas le cas pour la question. Ici, les mandats sont ferme.

Le Président donne lecture d'un ordre du jour déposé par Broutchoux :

"Le Congrès d'Amiens, considérant que la Fédération du Textile, dans son "dernier Congrès national, a déjà porté atteinte à son unité corporative par "l'adoption d'une motion établissant des rapports entre le Parti syndicaliste "et les partis politiques, déclare passer à la discussion de la proposition du "Textile, afin de maintenir l'unité confédérale."

Bieuler demande la discussion.

Morel dit qu'il repousse la discussion.

Thil. - Le Congrès ne doit pas suivre les Conseils municipaux ou généraux où on oppose la question préalable. La question est posée, il faut la discuter.

Luquet. - Il devra sortir de cette question la tranquillité pour l'avenir. La proposition n'a rien de syndical. C'est là une proposition politique. A l'avenir, des propositions semblables ne devront plus trouver leur place dans un Congrès ouvrier.

Sauvage regrette que la question préalable ait été posée. Il voudrait que tout le monde soit d'accord pour discuter afin d'être débarrassé, une fois pour toutes, des questions politiques.

Le Président invite au calme.

Renard dit qu'une émotion a été soulevée à propos de cette question, dans le monde ouvrier. Il remercie le Congrès d'avoir montré qu'il voulait aborder la question et de s'être refusé à l'élaguer de l'ordre du jour. Quel que soit le résultat, nous ne quitterons pas la Confédération. Nous ne ferons pas comme certains, dans la Voix du Peuple, qui déclarent qu'ils s'en iraient si la proposition était votée. La proposition a pour effet d'empêcher la politique spéciale qui se fait à la Confédération. Quand on fait de l'antimilitarisme, quand on fait de l'antipatriotisme, quand on prêche l'abstention, on fait de la politique. Nous avons, dans ce cas, le droit d'introduire notre politique spéciale. Cela est très juste. Le syndicat n'est pas autre chose que ce que la loi a voulu qu'il fut : un organe qui doit défendre les salaires, la dignité des travailleurs, les conditions de vie, etc. Le syndicat ne peut pas sortir de sa sphère sans avoir une épée de Damoclès suspendue sur la tête de ses administrateurs.

La loi sur les accidents, la loi sur le repos hebdomadaire, ne sont-elles pas des lois sociales ? Pouget n'a-t-il pas approuvé cette loi qui s'étend aux ouvriers inorganisés. Bousquet a dit qu'elle était réformatrice. Pourquoi alors, repousser la loi pour n'accepter que l'action directe et violente.

Dans le Nord, les syndicats achalandent les coopératives, les coopératives aident le mouvement politique. Je sais que la politique n'a pas donné grand chose, mais pourquoi le reprocher aux camarades qui ont milité pour qu'elle donne quelque chose ? Dans le Nord, les députés sont choisis' en raison de leur valeur. La pièce de cent sous, les soulographies, sont impuissantes. Ce sont des militants qui sont sortis des rangs des travailleurs. Ils remplissent leur mandat. C'es' aux travailleurs à prendre leurs précautions. Nous acceptons les subventions, mais nous pouvons nous en passer. Le conseil municipal peut disparaître,. les comités sont assez puissants pour que le mouvement ne s'en trouve pas amoindri. Nous avons bâti des maisons qui sont à nous et là, nous sommes chez nous ! Lorsque les gendarmes veulent y pénétrer, nous pouvons les mettre dehors. Nous sommes, dans le Nord, 315 syndicats, 76,ooo syndiqués, 12 coopératives fédérées avec 30.000 membres, 300 groupes avec 8.5oo cotisants, nous avons de nombreux conseillers municipaux, 8 députés et 105,000 électeurs socialistes. Si partout on savait faire converger ainsi l'action, on obtiendrait de grands résultats. J'ai beaucoup de respect pour les camarades qui sont à la tête des organisations modérées. Mais je suis, moi, collectiviste-révolutionnaire. Nous avons, dans nos syndicats, des radicaux, des nationalistes, nous respectons leurs croyances. Mais vous, que faites-vous lorsque vous votez la grève générale expropriatrice ? Vous ne respectez pas les opinions du radical. Pas plus, vous ne respectez les opinions du nationaliste lorsque vous faites de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme. Ces choses ne peuvent se faire qu'au groupe politique. Nous faisons de l'antimilitarisme, mais nous divisons le travail.

C'est dans nos groupes politiques que cela se passe. Vous demandez tout, à l'action directe ! Les Anglais l'ont fait pendant trente ans. Là-bas, dans le Textile, les cotisations sont élevées ; les hommes sont syndiqués dans la proportion de 95 % et les femmes dans celle de 75 % Les fileurs Anglais gagnent des salaires plus élevés qu'en France. Dans le Nord il y a différentes catégories de tisseurs à la main, qui gagnent peu, parce que le groupement y manque. Ce qui n'empêche pas ceux qui sont organisés de gagner des salaires plus élevés que ceux qui n'ont pas de groupement.

Les Anglais ont fini par comprendre qu'à leurs grosses cotisations, les patrons pouvaient répondre par des lock-out. Ce qu'ils firent. Les ouvriers furent empêchés de pratiquer le Picketing, de faire la propagande en faveur de la grève. Les syndicats furent responsables des actes de, leurs membres et condamnés à de fortes amendes.

C'est alors que les travailleurs anglais furent obligés de prendre position dans la lutte politique et ils ont pénétré ait Parlement afin de faire tourner la législation en faveur de la classe ouvrière.

Sans mêler la politique dans les syndicats, on peut s'occuper des lois ; on en parlait ce matin, à propos du contrat de travail et d'autres projets. C'est la preuve qu'on ne peut pas s'en désintéresser.

Les ouvriers ont ainsi à barrer la route à l'action patronale sur le terrain politique. Le syndicat ne peut pas tout faire. Qu'on y réfléchisse. Si une situation révolutionnaire se produisait aujourd'hui pourriez-vous, avec vos syndicats actuels, avec vos organisations, régler la production, organiser l'échange ? Non, vous seriez obligés de vous servir de la machinerie gouvernementale.

Nous ne demandons pas, de faire de la politique dans les syndicats, nous demandons si vous ne croyez pas utile l'usage du suffrage universel, utiles certaines réformes légales en faveur de la classe ouvrière.

Nous voulons toutes les actions, comme dans le Nord.

Nous vous demandons si vous ne voulez pas prendre à la politique ce qu'elle peut vous donner de bon ?

J'appartiens au P. 0. F. depuis vingt-cinq ans. J'estime qu'il a fait quelque chose pour les travailleurs. Nous croyons qu'il faut faire de l'action syndicale, coopérative et se servir de l'action politique.

Je vais vous donner lecture de notre projet de résolution :

"Considérant qu'il y a lieu de ne pas se désintéresser des lois ayant pour but d'établir une législation protectrice du travail qui améliorerait la condition sociale du prolétariat et perfectionnerait ainsi les moyens de lutte contre la classe capitaliste ;

"Le Congrès invite les syndiqués à user des moyens qui sont à leur disposition en dehors de l'organisation syndicale afin d'empêcher d'arriver au pouvoir législatif, les adversaires d'une législation sociale protectrice des travailleurs ;

"Considérant que des élus du parti socialiste ont toujours proposé et voté les lois ayant pour objectif l'amélioration de la condition de la classe ouvrière ainsi que son affranchissement définitif ;

"Que tout en poursuivant l'amélioration et l'affranchissement du prolétariat sur des terrains différents, il y a intérêt à ce que des relations s'établissent entre le Comité confédéral et le Conseil national du Parti socialiste par exemple pour la lutte à mener en faveur de la journée de huit heures, de l'extension du droit syndical aux douaniers, facteurs, instituteurs et autres fonctionnaires de l'Etat ; pour provoquer l'entente entre les nations et leurs gouvernements pour la réduction des heures de travail, l'interdiction du travail de nuit des travailleurs de tout sexe et de tout âge ; pour établir le minimum de salaire, etc., etc.

" Le Congrès décide

" Le Comité confédéral est invité à s'entendre toutes les fois que les circonstances l'exigeront, soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le Conseil national du Parti socialiste pour faire plus facilement triompher ces principales réformes ouvrières.

"Mandat est donné aux délégués de la Fédération textile qui la représenteront au Congrès confédéral d'Amiens de soutenir ladite résolution".

Voilà tout ce que nous demandons. Il faut entretenir un courant de sympathie entre tous ceux qui défendent la classe ouvrière.

Est-ce que Griffuelhes ou autres n'entretiennent pas certaines relations avec des députés socialistes, lorsqu'une interpellation est nécessaire.

Je réponds au citoyen Latapie disant : il faut plutôt nous entendre avec les radicaux-socialistes, car ils sont plus nombreux à la Chambre. Oui, ils sont plus nombreux, pour vous mater ! ...

Quelques voix. - Et Briand ? Et Millerand.

Renard. - On m'a opposé Millerand. J'appartiens à un parti qui a considéré comme un acte de trahison son entrée dans un ministère.

Briand ? il vous a monté le coup pendant 15 ans ! A vous, mais pas à nous ! Je crois me souvenir qu'à l'enterrement de Louise Michel, cette noble et bonne femme que je vénère, Briand était à côté de vous. Il n'était pas à côté de nous. Et si Zévaès n'avait pas été adoré par nos camarades de l'Isère vous ne pourriez pas nous l'opposer. Dans le Nord, nous ne baisons pas le paletot de nos députés. Si vous marchiez avec nous, aucune force ne pourrait s'opposer au mouvement ouvrier.

David, Ferrier, de Grenoble, protestent; ils demandent à répondre à cet acte d'accusation à l'adresse du prolétariat de l'Isère qui a toujours su faire son devoir et remplir ses obligations en toutes occasions.

Renard dit n'avoir pas voulu attaquer les camarades présents de Grenoble.

Ceux-ci maintiennent leur droit de défense.

Renard. - Vous avez parlé personnalités, j'ai répondu. Vous n'êtes pas plus sûrs de vos hommes, dans le mouvement syndical, qu'on ne peut l'être dans le mouvement politique. Et ce n'est pas parce que mon fusil peut péter par la culasse que je ne dois pas m'en servir, car 99 fois sur 100 il partira dans la direction de l'ennemi.

J'ai terminé. Si partout on faisait ce que nous avons fait, il n'y a pas de parti qui pourrait résister à la Confédération unie au Parti socialiste. C'est parce qu'il a donné des garanties, parce qu'il veut la suppression du salariat, parce qu'il va comme vous au même but, que nous vous demandons de vous adresser à lui quand son action peut converger avec l'action syndicale.

Mais, quelle que soit votre résolution, nous resterons à la Confédération. Nous ne ferons pas comme ces malheureux qui, battus à notre Congrès, ont menacé de faire une scission. Nous avons fondé, avec vous, l'unité ouvrière. Nous entendons la maintenir avec vous et travailler, avec vous à l'émancipation totale du prolétariat.

Le Congrès doit blâmer les tentatives de division qui se sont manifestées avant que la proposition n'ait été examinée.

Dhooghe. - je serai un peu long parce que Renard a insisté sur la circulaire envoyée après le Congrès de Tourcoing.

Dhooghe lit la circulaire suivante.

Aux Travailleurs de l'Industrie Textile :

CAMARADES,

Les déclarations de vos délégués, d'une part, des polémiques ardentes autant que nombreuses, d'autre part, doivent vous avoir fait réfléchir profondément aux conséquences probables des décisions prises par votre dernier Congrès fédéral. La portée et le caractère de gravité extrême d'une de ces décisions ont dû vous plonger dans une embarrassante perplexité. Nous sommes convaincus qu'il y aura gêne dans vos Syndicats, lorsqu'il faudra dire aux ouvriers sans opinion prononcée, tout aussi bien qu'aux travailleurs radicaux ou libertaires, aux ouvriers syndicalistes désintéressés, que la Fédération du textile va, désormais s'occuper de politique, faire de l'agitation syndicalo-électorale, dépenser le meilleur de ses forces à soutenir tels candidats contre tels autres, et limiter son action dite ouvrière et économique à la transmission au Parti socialiste unifié, des vœux et desiderata de vos organisations.

En décidant de mettre la Fédération en rapports constants avec le Conseil national du P. S. U., soit par le moyen d'une organisation permanente, soit par des délégations temporaires, le Congrès, sous l'instigation du Comité fédéral, a commis une grosse faute. En établissant un système de relations continues entre les Syndicats et un parti politique, cette assemblée de vos délégués proclamait que dorénavant il n'y aura place dans ces syndicats que pour les adhérents ou électeurs de ce parti. Et elle invitait implicitement tous les autres travailleurs à s'en retirer.

Cette faute, source néfaste de discorde et de divisions dans les Syndicats, ne doit pas pouvoir vous être imputée, c'est par erreur qu'on la dit conséquente à votre volonté. Il n'est pas possible en effet, que vous ayez, avant le congrès, discuté la question au fond, et assez sérieusement pour en prévoir une solution dans le sens et dans la forme de celle qui a été voulue à Tourcoing, ni les désordres syndicaux qui peuvent en résulter.

Vous êtes trop sincèrement syndicalistes, trop soucieux de l'autonomie syndicale et de votre liberté d'action, pour avoir laissé sciemment mettre vos syndicats à la remorque d'un parti, et introduire la politique aux dissensions électorales dans vos organisations d'intérêt, politiquement éclectiques. Vous savez trop bien que les travailleurs n'ont toujours obtenu des patrons que ce qu'ils savaient exiger et prendre ; vous savez trop bien que l'ouvrier ne doit compter que sur lui-même s'il veut s'émanciper et vivre mieux, pour avoir voulu annihiler l'action ouvrière spécifique en plaçant vos syndicats et votre devenir à la merci des forbans de la politique.

Vous êtes, cependant, censés vouloir le contraire et on a dit, avant et après le Congrès de Tourcoing, que vous demandiez à tous les syndicats de France de faire ce que -vous entendiez faire vous mêmes : de lier leurs destinées à celle de l'Unité socialiste parlementaire.

On l'a dit avant Tourcoing, nous le répétons. En effet votre Comité fédéral disposant d'éléments de domination et de prérogatives qu'il serait trop long de discuter ici, s'est permis de faire inscrire en votre nom - deux mois avant que vous puissiez le discuter - à l'ordre du jour du Congrès d'Amiens, la fameuse proposition tendant à établir des rapports entre la Confédération et le P. S. U. Sachant qu'ils iraient à Tourcoing, comme à Amiens d'ailleurs, les poches bourrées de mandats, et sûrs de l'appui des gros Syndicats socialistes du Nord syndicats composés d'ouvriers appartenant à toutes les corporations : textile, bâtiment, mouleurs, débitants, etc., - vos représentants fédéraux s'autorisèrent ipso-facto, selon leur bonne volonté, à considérer comme acquis le vote qui allait mettre la Fédération et les Syndicats textiles sous la dépendance des négriers de la politique, et ils jetaient, toujours en votre nom, le brandon de discorde parmi toutes les organisations du pays.

On l'a dit après Tourcoing. On a crié aux prolétaires de toutes les parties du monde que vous aviez décidé, à la majorité de 45 syndicats contre 23, d'entrer en rapports constants avec le P. S. U. Ce qui n'a pas été montré, c'est la manière dont on s'est servi pour obtenir ce vote. Le cumul des mandats des syndicats sincères mais naïfs, imprudents ou mal renseignés, a permis au Comité fédéral de se forger sa prétendue majorité. Qu'on en juge : Pour les 45 syndicats, Renard avait 12 mandats; Inghels en avait 9; Lepers en avait 4 ; etc. Le vote ainsi obtenu est un vote de surprise qui, à nos yeux, ne peut avoir aucune signification. Etant donnés les sentiments que nous vous connaissons, il est permis de dire qu'un referendum, organisé sur cette question dans la Fédération, ne donnerait plus aux "divisionnistes" du Nord la majorité anormale dont ils se targuent insolemment aujourd'hui et dont ils ne pourraient ainsi abuser plus longtemps. C'est d'ailleurs par un référendum qu'il eût fallu prendre l'avis des syndicats fédérés sur cette question néfaste de l'introduction de la politique dans leur sein. Puisqu'on ne l'a pas fait avant le congrès de Tourcoing, nous allons, nous, le faire avant celui d'Amiens où il faudra montrer que s'il y a, dans la Fédération textile, des syndicats politiciens, il en reste cependant qui veulent rester "Syndicalistes" et indépendants de toute secte comme de tout parti.

Camarades du Textile,

Au moment où votre Fédération, malgré l'opportunisme de sa direction, allait être à. même, par le nombre important de ses organisations adhérentes, de vous rendre quelques services, on dénature son action, on va la prostituer aux marlous politiciens.

Au moment où l'action de la Confédération générale du Travail commence à porter ses fruits, au moment où elle a, en conséquence, le plus besoin d'être soutenue et renforcée, afin que les réformes, qu'elle amène, puissent entrer dans la pratique, on va tenter de la détruire.

Si vous le permettez, si vous laissez faire le Comité exécutif de voire Fédération, c'est désormais une affaire entendue, en toute circonstance et à toute occasion, des politiciens étrangers à votre corporation, et souvent à votre classe, se mêleront à vos affaires ; votre organisation fédérale sera mise en tutelle et marchera dans le sillage - voire sous la direction - du P. S. U. Les travailleurs non unifiés seront placés dans l'obligation d'abandonner votre cause et de déserter vos Syndicats.

Disons-le, ce n'est pas là le but que vous vous êtes assignés en vous organisant corporativement ; ce n'est pas là cette besogne tant promise en faveur de l'union de tous les exploités contre tous les exploiteurs, union essentiellement indispensable à l'œuvre d'amélioration de votre sort. Ce n'est pas là faire du syndicalisme, vous le direz, ce n'est pas là ce que vous voulez.

Vous direz cela et dissiperez ainsi le brouillard équivoque dans lequel on voulait vous perdre.

Si vous ne disiez pas que vous êtes pour l'autonomie des syndicats et pour l'indépendance de leur action, ce serait désespérant. Oui, ce serait douter à jamais de toute possibilité de suppression du salariat, de libération de votre classe misérablement asservie, s'il suffisait d'un peu de ruse politicienne pour réussir, en un temps donné, à vous faire dévier un mouvement prolétarien de rénovation sociale, que ni les patrons ultra-millionnaires, ni les gouvernants à poigne ou roublards, n'avaient pu canaliser jusque-là.

Mais vous vous direz que "l'Emancipation des Travailleurs ne peut être que l'œuvre des Travailleurs eux-mêmes" et vous ne serez pas victimes du mirage de la politique. Le salut est en vous, vous n'aurez de confiance qu'en vous-mêmes. Vous n'avez pas dans les syndicats, à discuter la question de savoir si les députés de tel parti sont plus aptes que les autres à la défense de vos intérêts. Vous ne voulez laisser le soin de cette défense à d'autres qu'à vous-mêmes.

N'est-ce pas là, Camarades, ce que vous pensez ? Si, n'est-ce pas. Eh bien, dites-le donc bien haut pour qu'on sache bien que vous n'êtes plus les "taillables et corvéables à merci".

Pour vous, comme pour nous, le syndicat est une organisation de sauvegarde el de libération. C'est le Cercle d'Etudes et le Comité d'action du prolétariat, le centre nerveux du mouvement ouvrier. C'est par l'organisation et la lutte syndicales que nous entendons aller vers la liberté et le bien-être, ce n'est que par là, d'ailleurs, que nous croyons qu'il sera possible d'y arriver.

C'est ce syndicalisme là, celui dont les principes furent posés par la Confédération générale du Travail, que nous voulons défendre contre ceux qui, par la division, voudraient le domestiquer. C'est ce syndicalisme là que nous vous adjurons de ne point trahir.

Il vous appartient, Camarades, de dire le dernier mot dans une affaire qui passionne tous les travailleurs. Il vous appartient de dire comment vous entendez voir mener et mener vous mêmes l'Action syndicale dans le Textile. Si vous consentez à ce que cette action soit liée et fatalement subordonnée aux questions électorales, si vous êtes prêts à faire du syndicalisme en même temps que l'arme (le combat des batailles économiques, le bélier puissant dont vous vous serviez pour démolir les dernières bastilles et vous sauver du dernier esclavage : le Salariat.

Nous attendons votre réponse.

Pour le Syndicat,

Le Secrétaire : Ch. Dhooghe.

- Voilà, camarades, ce que nous avons envoyé avec la circulaire que voici.

Je tiens à montrer combien le camarade Pouget a été prudent.

La partie relative à la démission du syndicat de la Fédération n'a pas été insérée dans la Voix du Peuple. Je reconnais l'action syndicale et coopérative, mais je dénie les bienfaits de l'action politique. Il faut remarquer la qualité des intentions des camarades du Nord, pour leur proposition.

Les termes de notre circulaire ne s'adressent à aucun des syndiqués du Nord. Il y a beaucoup de volonté dans la proposition, il n'y a pas de raisons. Il critique l'emploi des 25.000 francs accusés par Renard pour l'action politique. Renard s'est escrimé ici à vouloir unir des choses qui ne le pouvaient pas. L'union ne pourrait servir qu'à avantager exclusivement la politique et à lui subordonner l'action syndicale.

Les résultats obtenus par les camarades dunkerquois l'ont été parce qu'ils furent énergiques dans leurs revendications.

L'action ouvrière est jugée nécessaire, indispensable au prolétariat pour obtenir son émancipation.

Il y aurait danger à établir quelque rapport que -ce soit entre la C. G. T. et les partis politiques. Il fait allusion aux paroles de Guesde. Aucun parti n'a été aussi partisan de l'action légale que le parti socialiste. Nous pouvons craindre (lue notre action soit subordonnée si nous faisions alliance avec vous.

Vous nous dites que vous ne faites pas de politique, mais tout ce qui ne end pas à exercer les forces particulières du prolétariat pour la lutte des classes, ne peut que lui être funeste. Pour nous syndicalistes, il faut surtout exercer l'initiative ouvrière.

Nous qui savons les forces dont dispose la bourgeoisie et sachant l'existence du prolétariat dans cette société, il nous semble qu'il y a un antagonisme irréductible entre ces deux classes. S'il fallait sous prétexte que notre patron est notre ennemi ne pas négocier avec lui nous n'obtiendrions jamais aucun résultats.

Ce qu'il faut surtout discuter ici c'est de l'utilité ou de la non utilité des relations avec l'Etat. Les libertaires ne veulent pas qu'une tierce personne vienne s'occuper de leurs affaires. S'il nous fallait faire une résolution et accepter le concours de l'Etat, nous resterions couchés. Si nous étions en action de révolution il faudrait que le prolétariat n'ait qu'à compter sur lui-même.

Je regrette que nos camarades du Nord ne songent pas à cette éducation ouvrière.

Je ne ferai pas d'exorde; je ne conclurai pas sans vous dire: Si vous voulez que vos organisations restent des organisations de lutte, vous ne le ferez pas en y introduisant de la politique.

Je demande au Congrès ce que nous ferons, si vous ne serez pas un arbitre entre nous, car nous allons être contraints de quitter la Fédération. Insistez auprès de nos camarades du Textile pour qu'ils fassent servir leur action à l'émancipation économique de nos camarades. A Roubaix, la situation est épouvantable pour la plupart des ouvriers. Faites donc l'accord entre nous.

Tillet dit qu'il vient, au nom de la Fédération de la Céramique, présenter une proposition qui diffère quelque peu de celle du Textile; mais avant il tient à déclarer, afin de dissiper certaines insinuations qui se sont produites concernant une décision du Congrès de la Céramique, tenu en juillet dernier, repoussant à l'unanimité toute immixtion politique dans les syndicats.

Il est vrai que cette décision a été prise, mais non au sujet de la question du Textile, mais bien au sujet d'un paragraphe que nos camarades céramistes allemands nous proposaient d'insérer dans les statuts internationaux, et qui disait que les Fédérations nationales adhérentes au Secrétariat international devraient respecter et suivre les décisions des Congrès internationaux socialistes.

Tandis que la proposition du Textile n'a été présentée et discutée qu'au sein de la Fédération et organisations y adhérant, où la majorité s'est prononcée pour différer de celle du Textile, la considérant comme prématurée et pas assez comprise dans les masses du prolétariat.

Puis il dit que dans la proposition qu'il présente au nom de la Fédération il reste bien entendu que toute immixtion politique, quelle qu'elle soit, ne devra pas se produire au sein des organisations, en un mot que les deux organismes devront faire leur action parallèlement l'une de l'autre, sans toutefois se confondre, c'est-à-dire qu'il pourra y avoir entre elles une entente et non unité.

Il donne lecture de la proposition :

Proposition présentée au Congrès par la Fédération nationale de la Céramique sur la question des rapports de la C. G. T. et des Partis Politiques.

"Le Congrès confédéral d'Amiens :

"Considérant que les organisations syndicales poursuivent l'établissement d'une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionné les moyens de lutte du prolétariat.

"Considérant, d'autre part, que si la pression, l'action directe, exercées par les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu'elles ne saurait être suffisantes et que l'action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir :

"Considérant que le parti socialiste - organisation politique du prolétariat - poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu'elle soutient contre le patronat; qu'il est donc le parti qui mène cette action complémentaire ;

"Le Congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre, l'action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre.

"Le Congrès, malgré son désir d'entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations par la création d'un organisme quelconque, et préfère s'en remettre aux évènements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu'il sortira des faits eux-mêmes.

"D'ailleurs, le Congrès, constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l'entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l'harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu'elle s'accentue et décide d'attendre pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du travail avec le parti socialiste, le moment où l'entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente.

"En attendant, et dans l'espoir que le parti socialiste usera de ré[ci]procité, le congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du capitalisme."

Le délégué : J. Tillet.

Bousquet critique la discussion établie par Renard. Il trouve qu'on ne fait pas de politique à la C. G. T. Renard a parlé des lois ouvrières.

Nous sommes tous nés sous toutes et nous subissons toutes les lois capitalistes. je dis avec Dhooghe que nous ne pouvons pas discuter avec le pouvoir législatif. La politique est impossible dans le Syndicat où les camarades viennent par intérêt ou par éducation. Si on y faisait de la politique, les militants seuls y resteraient. Le parti socialiste m'a fait ce que je suis. Guesde disait que tout homme qui est incapable de défendre ses intérêts professionnels est incapable de défendre des intérêts collectifs. je conteste au parti socialiste de faire une transformation du système économique actuel parce qu'il n'est pas essentiellement lin parti de classe comme l'est le parti syndical. Il y a dans ce parti une anti-thèse de classe, parce que chez nous, dans les syndicats rouges, nous n'acceptons que des salariés.

Le parti socialiste comprenant des patrons dans son sein, nous ne pouvons faire alliance avec lui. Rappelez-vous la division qui existait à la Bourse du Travail, dans les diverses écoles socialistes. L'accouplement est prématuré car on risquerait de réveiller des haines qui ne seraient pas profitables qu'à la bourgeoisie, les socialistes auraient à faire une œuvre de salubrité. Renard a encore dit que l'anti-militarisme était une question politique ; mais, dans toutes les grèves, nous trouvons des soldats contre nous. Nous sommes obligés de prendre (les décisions contre cet état de fait. Voilà pourquoi la question anti-militariste n'est pas politique, mais économique. Nous ne voulons plus faire de révolution politique (où nous ne faisons que changer de maîtres), mais une révolution économique.

Les syndicats ne doivent pas rester dans la légalité. Le syndicat ne doit pas être une œuvre de conservation sociale, mais une œuvre de destruction capitaliste. Il est nécessaire de sortir de la légalité, car la classe capitaliste met immédiatement ses tribunaux au service de la légalité ; plus un état est corrompu, plus on y fait de lois.

Au début de la C. G. T., les socialistes n'avaient pas tant de sollicitude pour la classe ouvrière. Nous avons le droit de nous méfier ; nous sommes une force, on compte avec nous; nous sommes d'accord et nous ne faisons pas cet accouplement prématuré.

Il termine en lisant l'ordre du jour suivant

"Considérant que tous les partis politiques, même le Parti socialiste unifié, ne sont, avant tout, que des groupements d'opinions ayant un but primordial, celui de faire élire des membres au Parlement ;

"Que, dans ces groupes d'affinités, la lutte de classe, base fondamentale du syndicalisme révolutionnaire s'y trouve anéantie par le fait que, patrons, millionnaires et prolétaires affamés s'y rencontrent forcément d'accord, "parce que, combattant au même plan pour un programme commun ;

"Tandis que le syndicat, groupement exclusivement d'intérêts, ne réunit "que les éléments d'une même classe en vue d'une transformation économique, "primant toute opinion philosophique, et qui supprimera la classe exploitrice "et dirigeante ;

"Attendu qu'il découle clairement de ces constatations qu'il existe un "antagonisme profond qui s'oppose à toute relation, à toute entente réciproque entre le syndicat ouvrier révolutionnaire et le parti politique ;

"Le Congrès, vu les articles fondamentaux de la Confédération générale du Travail et la neutralité politique que doit conserver tout syndicat confédéré, "se prononce catégoriquement contre tout rapprochement ou rapports, quels "qu'ils soient, entre la C. G. T. et un parti politique quelconque."

Amédée Bousquet, Boulangers de la Seine, Boulangers d'Angers, Boulangers de Grenoble, Boulangers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de Corbeil-Essonnes, Meuniers de la Seine, Cuisiniers de Toulouse, Liquoristes de Marseille, Boulangers de Bordeaux ; Antourville, Encanteurs de Bordeaux, Chocolatiers de Noisel, Charcutiers de la Seine, Dames de cafés-restaurants.

Niel. - je déclare, dès le début, que je serai un peu long et je m'en excuse devant le Congrès. Il m'est impossible de dire en peu de temps tout ce que j'ai à dire contre la proposition du Textile, et j'espère que le Congrès voudra bien être assez indulgent pour me supporter jusqu'au bout.

La question que nous discutons en ce moment est certainement la plus importante qui touche au syndicalisme. C'est la question des questions, peut-on dire, puisqu'elle passionne le prolétariat depuis ses premières tentatives d'organisation et qu'elle se pose simultanément dans tous les pays du monde. Elle met à découvert les points les plus délicats de la lutte que le prolétariat est obligé de mener pour s'émanciper, et pose ainsi la question même du syndicalisme sous tous ses aspects.

Il faut se réjouir que cette question ait été posée. Le prolétariat est mûr pour aborder toutes les discussions, même les plus épineuses, et le premier avantage de celle-ci, c'est qu'elle nous aura obligés, les uns et les autres, à préciser la doctrine syndicale, peut-être même à créer la doctrine syndicale, jusqu'ici plus virtuellement consentie que réellement pratiquée.

Cette question n'est pas nouvelle. Elle est née, pour ainsi dire, avec le manifeste communiste d'Engels et Karl Marx, publié en 1848. Ce manifeste proclame la nécessité de la lutte politique, et c'est cette opinion que la lutte politique est supérieure à tous les autres moyens d'action, que nous retrouvons dans toute l'histoire du marxisme ou dans toute la vie du guesdisme qui prétend la continuer.

Dans les statuts de l'Internationale, rédigés sous la dictée, pour ainsi dire, de Marx, en 1865, à Londres, il est dit que les travailleurs doivent se servir de l'action politique. Bakounine et sa fraction combattent ces statuts et leur esprit politique, et cela amène dans l'Internationale tellement de conflits, que cette merveilleuse association en meurt. De 1876 à 1886, les Congrès ouvriers sont exclusivement politiques, c'est le triomphe du gue3disme. De 1886 à 1895, les syndicats s'étant multipliés et fédérés, tiennent des Congrès économiques ; mais leur esprit, grâce aux guesdistes qui veulent absolument subordonner l'action syndicale à l'action électorale, est surtout politique. Ceci amène une nouvelle scission, à Nantes, en 1894. En 1896, se tient à Londres le Congrès historique où furent aux prises les politiciens et les syndicalistes. On se rappelle avec quel dédain Guesde lui-même traitait les syndicats à ce Congrès, quand il disait: "Pour faire un syndicat ? Peuh ! c'est pas difficile : il suffit d'acheter un timbre en caoutchouc de 25 SOUS !»

Enfin, aujourd'hui, en 1906, la même question revient, posée encore par un guesdiste. Si j'avais eu quelques doutes sur les intentions de Renard, la persistance et l'obstination avec lesquelles les guesdistes ont toujours essayé de subordonner l'action syndicale, me convaincraient suffisamment. Maie aujourd'hui, le syndicalisme est plus fort que jamais. Il peut subir sans crainte ce nouvel assaut, comme aussi il est obligé d'indiquer de quelle façon il entend vivre en dehors et à côté des partis politiques.

Une voix. - Il n'y a plus de parti guesdiste.

Niel. - C'est possible, mais il y a encore des guesdistes, et c'est sans la moindre haine, sans le moindre sentiment de mépris à leur- égard, que j'expose ce qui a été toujours leur tactique eu matière d'action ouvrière.

Du reste, comment pourrais-je en vouloir à ceux qui ne pensent pas ou qui n'agissent pas comme moi ? Qui peut dire qu'il n'y a qu'un moyen d'émancipation, et qui peut dire quel est celui-là ? je dis même mieux : n'y aurait-il, théoriquement, qu'un seul moyen efficace, que je vous mets au défi de l'employer tous. La vie n'est pas faite d'uniformité, mais de variété à l'infini. Il y a autant (le tempéraments, d'aptitudes et de goûts, presque, qu'il y a d'individus sur la terre. Et vous voudriez que tou s ces différents hommes agissent de la même façon?

Non, il peut y avoir, il y a plusieurs moyens d'émancipation. Le syndicalisme en est un comme un autre, meilleur que d'autres, certainement, qui peut même se produire sans le concours des autres, mais qui n'exclut pas les autres.

Pour discuter, ici, impartialement cette question, il est indispensable que, pour un instant, nous nous dépouillions, autant que possible, de nos passions politiques. Rien n'est plus difficile que de parler de cela entre militants, parce que les militants ont une tendance naturelle à obéir à leurs passions politiques, plutôt qu'à la froide raison. Ensuite, il faut nous transporter par la pensée au sein même de nos organisations, où nous verrons que si nous sommes parvenus nous-mêmes au Point d'arrivée du syndicalisme, beaucoup de nos collègues ne sont encore qu'au point de départ, et cela nous inspirera d'utiles réflexions sur les dangers que nous ferions courir au syndicalisme en voulant le confondre avec le parti qui inspire nos diverses passions politiques.

D'abord, qu'est-ce que le syndicalisme ?

On peut dire que le syndicalisme est une forme d'action employée par des malades contre le mal - plus exactement par les ouvriers contre les patrons. - Le mal, c'est les patrons, c'est-à-dire le patronat, le capitalisme et tout ce qui en découle. Les malades, ce sont les ouvriers. Or, comme on est ouvrier avant d'être citoyen, on trouve chez le salarié l'individu économique avant l'individu politique. Ce qui fait que si sur le terrain politique tous les citoyens politiques ne se ressemblent pas encore, sur le terrain économique tous les ouvriers se ressemblent déjà. Et cela explique que si l'union de tous les citoyens e3t encore très difficile, l'association de tous les ouvriers est très possible.

je m'excuse d'avoir l'air de faire un cours de syndicalisme à des militants qui en savent tous autant que moi. Mais l'occasion est trop belle pour que chacun ici, n'essaie pas de faire comprendre de quelle façon il conçoit le syndicalisme, avec sa forme particulière et ses arguments particuliers.

Le mal dont souffrent tous ces malades, c'est l'injustice sociale qui découle de l'exploitation de l'homme par l'homme, base du régime capitaliste. Ce mai frappe tous les ouvriers d'une façon égale.

Quand un patron veut diminuer les salaires à ses ouvriers, il ne les diminue pas d'un sou à ses ouvriers réactionnaires, de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées, etc. Il les diminue d'une façon égale à tous ses ouvriers, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c'est cette égalité dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur un terrain où les différences politiques ou religieuses ne les empêcheront pas de se rencontrer. Ce terrain, c'est tout simplement le syndicalisme, puisqu'aussi bien le syndicalisme a pour objet de s'occuper de la question des salaires.

Une fois réunis sur ce terrain de neutralité absolue, les ouvriers lutteront ensemble pour résister à une baisse des salaires ou pour en obtenir une hausse ; pour résister à toute augmentation de la journée de travail ou pour en obtenir une diminution ; pour faire obtenir des règlements d'atelier ou des conditions de travail donnant plus de bien-être et plus de liberté ; pour faire respecter leur dignité toujours menacée par l'arrogance de ceux qui ont un coffre-fort dans la tête à la place du cerveau. Enfin, comme cette lutte leur permettra de voir bientôt l'antagonisme irréductible qui sépare les exploiteurs des exploités, l'impossibilité d'en finir jamais si ça ne change pas, ils orienteront leurs luttes vers une transformation sociale, ce qui leur permettra de mettre dans leurs statuts généraux : "Suppression du salariat et du patronat.".

L'action syndicale est donc celle qui s'exerce sur le terrain économique, par tous les ouvriers, contre le mal économique. Ce n'est pas autre chose que l'action directe sous toutes ses formes et tous ses caractères de calme ou de bruit; de modération ou de violence ; c'est la pure lutte de classes.

Et maintenant, qu'est-ce que l'action politique ?

L'action politique, c'est celle qui est inspirée par les préoccupations morales des citoyens, qui voudraient établir entre les hommes des relations sociales conformes à leurs désirs.

Elle est ' exercée par ceux qui croient que les rapports entre les hommes ne pourront jamais être réglés sans l'Etat ; par ceux qui croient que les réformes ne peuvent venir que de la loi ; par ceux qui affirment l'impossibilité de transformer la société sans faire la conquête des pouvoirs publics ; par ceux qui veulent aider leur action économique par l'action de la loi ; enfin, même par ceux qui cherchent dans une lutte contre tous les États, la solution à tous les problèmes de la sociologie.

Cette forme d'action n'oppose pas nécessairement toujours les hommes des classes différentes. Les groupements qui en découlent sont des groupements d'affinités, beaucoup plus que des groupements d'intérêt social immédiat C'est ainsi que, sur ce terrain, il peut y avoir des patrons avec des ouvriers, des bourgeois avec des socialistes, des millionnaires avec des pauvres, des riches avec des anarchistes.

Considérée, donc, de ce côté, l'action des ouvriers peut se morceler en autant de fractions qu'il y a de conceptions politiques, car si l'accord est facile entr'eux sur la nécessité de se grouper tous contre le mal patronal qui les frappe présentement, il est beaucoup plus difficile sur la nécessité d'une transformation sociale.

Voilà les deux actions avec leur caractère particulier et leurs différences.

Peut-on les associer et contracter entre elles une alliance ?

Ici se pose le point culminant du débat.

La conscience politique du prolétariat, quel que soit le degré de son développement et de sa clarté, est antérieure à sa conscience économique. La con fiance des ouvriers en les moyens politiques est plus ancienne, et encore aujourd'hui plus étendue - plus étendue quant au nombre - que leur confiance en les moyens économiques. Si, quand le syndicalisme est né dans sa forme et son esprit actuels, il avait trouvé une classe ouvrière unanimement d'accord sur la forme politique de son action, la question serait vite tranchée. Le syndicalisme pourrait contracter l'alliance avec cette forme politique commune à tous les travailleurs, et il n'y aurait alors aucun danger de division ou de scission.

Mais quand notre syndicalisme est venu au monde, il a trouvé la classe ouvrière déjà éparpillée dans divers courants politiques, et ce qui rend son action délicate, ce qui constitue le propre de son caractère particulier, c'est qu'il a à opérer son œuvre au milieu de tous ces ouvriers essaimés dans tant de milieux politiques différents.

Si donc vous alliez le syndicalisme à un courant politique quelconque, étant donnée l'extrême susceptibilité des passions politiques, vous écartez, par là-même tous les ouvriers des autres courants politiques, et le syndicalisme manque totalement son but.

D'ailleurs, avec quel courant politique faut-il faire l'alliance ? Avec celui dont l'idéal est le même que l'idéal syndical, nous répondent les socialistes du Textile. Et c'est cette communauté d'idéal, ajoutent-ils, qui implique la communauté d'action et l'entente organisée.

La communauté d'idéal existe,s ans doute, entre les syndicalistes parvenus au point d'arrivée, dont l'éducation sociale est à peu près complète, c'est-à-dire entre les militants du syndicalisme et le socialisme. Mais nous savons tous que cette communauté d'idéal -n'est pas partagée encore par de nombreux syndiqués et ce sont ceux-là qui m'intéressent et que je serais désolé de voir sortir de nos organisations, car j'ai la conviction que si nous savons les y maintenir par une sage neutralité politique dans notre attitude, avant peu de temps ils aboutiront à notre but et partageront notre idéal.

Mais, du reste, il n'y a pas, en politique, que les socialistes qui partagent notre idéal. Il y a aussi les anarchistes. Et que diraient les socialistes si l'on venait proposer, aujourd'hui, une alliance du syndicalisme avec l'anarchisme ?

Coupat. - Elle est déjà faite, celle-là, citoyen Niel.

Niel. - Si elle est faite, je le déplore ; et tous mes efforts n'auront pas d'autre objet que de la défaire.

Il y a aussi des Universités populaires qui orientent leur éducation vers notre but. Il y a enfin un coopératisme, qui poursuit le même but que le syndicalisme. Pourquoi ferait-on l'alliance avec les socialistes parlementaires seuls plutôt qu'avec les autres.

Je sais bien qu'il y a certains socialistes qui verraient aussi d'un bon œil un accord entre la Confédération et la Bourse des coopératives. Il y en a même qui, à l'instar des Belges - et le Nord n'est-il pas limitrophe de la Belgique ? - affirment que l'action du travailleur doit s'exercer simultanément dans le syndicat, dans le groupe politique socialiste et dans la coopérative à base politique. C'est l'opinion du citoyen Jégou qui, dans une assemblée de la Bourse des coopératives socialistes, disait que l'on ne ferait rien tant que ces trois actions ne seraient pas officiellement associées, et qui disait qu'il porterait cette question au Congrès socialiste de Limoges.

J'en profite, camarades, pour vous mettre en garde contre la proposition d'entente avec la Bourse des coopératives socialistes, proposition portée à notre propre Congrès et qui est de nature, il me semble, à éveiller quelques soupçons. Il semble qu'il y a là un moyen indirect de faire au syndicalisme la déviation qu'il sera impossible de lui faire faire avec le parti socialiste.

Ces mêmes camarades ajoutent : "Le socialisme est un arbre dont les fruits s'appellent : syndicalisme, groupe politique et coopérative." Il résulterait de cela qu'on ne pourrait être ni syndiqué, ni coopérateur, sans avoir déjà une claire conscience socialiste. je crois que l'image serait beaucoup plus exacte renversée : le socialisme est le fruit d'une bonne éducation préalable dans le syndicat, dans la coopérative et dans le groupe d'opinion. Mais le jour me parait encore loin où nous pourrons manger ce fruit.

Renard. - Dans le Nord, cela est déjà fait.

Niel. - Et puis, je pose cette question à Renard : Pourquoi voulez-vous faire l'alliance et non la fusion ? Si l'alliance est possible, la fusion complète l'est aussi. En effet, l'alliance n'est possible, nous l'avons vu, qu'à la condition que tous les travailleurs, ou tous les syndiqués, soient socialistes. Si tous les travailleurs sont socialistes, voulez-vous nie dire à quoi serviraient, l'un à côté de l'autre, deux groupements ayant mêmes éléments, même caractère, même esprit ? Il n'y a qu'à les fondre l'un dans l'autre et n'en faire qu'un. Ce sera bien plus simple.

Or, vous n'osez pas demander la fusion, parce que vous la sentez impossible. Pour les mêmes raisons, j'affirme que l'alliance est aussi impossible. Vous reconnaissez vous-même que tous les syndiqués ne sont pas encore socialistes, et que les deux actions distinctes sont utiles. Dans l'intérêt de votre thèse, l'alliance n'est pas plus possible que la fusion, parce qu'elle chasserait de bons éléments des syndicats, et l'action syndicale en serait fortement anémiée, An contraire, n'y a-t-il pas intérêt socialiste, et même révolutionnaire ou anarchiste, à ce que le syndicat puisse recueillir dans son sein le plus grand nombre possible d'ouvriers ?

L'alliance est donc impossible avec le courant socialiste, comme avec tout autre courant politique.

Mais si l'on ne peut pas créer l'état d'alliance avec le parti socialiste, doit-on créer ou entretenir à son égard l'état de guerre ?

Ce n'est pas un secret pour personne qu'il y a guerre, actuellement, entre les deux éléments syndicalistes les plus militants : socialistes et anarchistes. S'il en fallait une preuve nouvelle à toutes celles que je vais donner, on la trouverait dans certaines attitudes et dans certaines paroles de ce Congrès même.

Quand nous nous tournons du côté des anarchistes, on nous dit : "Ce sont les socialistes qui ont commencé !" Et quand nous nous tournons du côté des socialistes, on nous répond : "Ce sont les anarchistes qui ont commencé !" Qui a commencé exactement ? je n'en sais rien ; et bien malin serait celui qui le pourrait dire. Cette question, c'est l'éternel casse-tête philosophique de la poule et de l'œuf. Est-ce la poule qui a fait l'œuf ? Est-ce l'œuf qui a fait la poule ? je ne me charge pas de le débrouiller.

Il me suffit de constater que l'état de guerre est un fait, pour affirmer que ce serait un crime ouvrier de le continuer ; ne pouvant déterminer qui l'a déclarée le premier, il faut absolument, dans l'intérêt supérieur du syndicalisme, que les deux adversaires déposent les armes en même temps.

Les anarchistes entretiennent l'état de guerre quand ils font de la propagande abstentionniste dans les syndicats. Cette propagande abstentionniste est tellement considérée par les libertaires comme l'exercice d'une opinion politique, que l'un d'eux, ici présent, et non des moins sympathiques, le camarade Monatte, disait hier qu'on avait tort de leur reprocher d'être allé faire de la politique anarchiste dans le Nord, "puisqu'ils n'y étaient pas allés faire de la propagande anti-électorale".

Ils expliquent le droit de faire cette propagande abstentionniste en disant que leur politique est de principe pur et non de personnes. Que diraient-ils si, en période électorale, et sans s'occuper le moins du monde des candidats, les socialistes, ou les républicains, ou les réactionnaires qu'il peut y avoir dans les syndicats, proposaient au syndicat une simple discussion de principe des divers programmes politiques ?

Les anarchistes entretiennent encore la guerre, quand ils décident ou proposent, avant même de savoir quelle conduite ils tiendront, que tous les syndiqués ayant un mandat politique quelconque, seront exclus ' us de tous les postes de confiance dans le syndicat. je connais pourtant certains ouvriers, conseillers municipaux, qui font d'excellents fonctionnaires syndicaux. Et ce n'est pas parce que Basly aura eu une attitude dans le syndicalisme minier, qu'il faut jeter l'anathème sur tous ceux de nos camarades ouvriers qui auront un mandat politique. "C'est une mesure préventive", disent les libertaires, sans se douter peut-être, de tout ce qu'il y a de contradictoire dans ces paroles, pour de.; hommes qui se plaignent toujours - avec raison - des mesures préventives que les gouvernements prennent souvent contre eux...

La guerre est aussi entretenue par les libertaires, quand ils lancent l'épithète de "politiciens !" à tout propos, comme la suprême flétrissure à l'adresse de camarades qui ont encore une foi sincère en la politique.

Un délégué. - A vous entendre, on dirait qu'il n'y a que les anarchistes qui soient coupables de tous les méfaits.

Niel. - N'ayez pas peur, le tour des socialistes va venir

Le-Président. - N'interrompez pas l'orateur, si vous voulez qu'il puisse distribuer aussi aux socialistes leur volée de bois vert.

Niel. - Enfin, les anarchistes entretiennent la guerre, quand ils insultent tous les élus politiques, après s'être servis d'eux pour obtenir des subventions ou des faveurs pour eux ou leurs amis.

Ces camarades prétendent justifier leur attitude en disant que le syndicalisme suffit à tout, et que puisqu'ils consacrent eux-mêmes toute leur activité au syndicalisme, les autres n'ont qu'à faire comme eux et envoyer toute leur politique à la balançoire.

Il serait bon, pourtant, qu'ils se missent d'accord entre eux. L'un d'eux, après avoir narré un fait-divers quelconque, écrivait dans un des derniers numéros du Libertaire : "Ce qui prouve, une fois de plus, que "l'éducation "économique" que donnent les syndicalistes ne saurait suffire à préparer "des hommes nouveaux, totalement libérés des préjugés sociaux soigneusement entretenus par l'Etat, l'Eglise et l'Ecole dans les cerveaux des malheureux."

Ce libertaire affirme donc que le syndicalisme ne saurait suffire et que le travailleur doit compléter son éducation ailleurs. Mais alors, chacun doit être libre de compléter son éducation dans le groupe socialiste, le groupe libertaire ou ailleurs. Dans sa misère sociale, l'ouvrier est pris par le ventre, par le cœur et par l'esprit. Que le syndicalisme ait pour principal et plus immédiat objet de lui permettre de se défendre contre la misère du ventre - la plus sensible de toutes - c'est entendu. Mais on ne doit rien reprocher à celui qui cherche à se garantir ailleurs contre les misères du cœur ou de l'esprit.

Mais les socialistes aussi entretiennent la guerre.

Ils l'entretiennent quand ils perpétuent l'œuvre de division de leurs devanciers, en tentant par tous les moyens de noyer le syndicalisme dans leur politique particulière. Ils ne peuvent pas dire qu'ils ne sont pas conscients de la gravité de leur acte, eux qui savent que tous les syndiqués ne sont pas socialistes.

Ils l'entretiennent aussi, quand ils ont l'hypocrisie et la canaillerie de mettre dans leurs propositions d'alliance un alinéa disant que si l'alliance n'est pas possible par en haut, avec la Confédération, les groupes socialistes locaux, les fédérations socialistes départementales, devront user de tous les moyens pour contracter alliance soit avec des syndicats, soit avec les Bourses du Travail soit avec les Fédérations professionnelles. Ainsi, l'œuvre de désorganisation qu'on n'aura pas pu faire par en haut, en haine parfois du syndicalisme qui éclipse quelques vedettes socialistes, on la fera par en bas, en minant souterrainement l'édifice syndical.

Les socialistes entretiennent encore la guerre quand ils insultent à jet continu les militants de la Confédération, en les traitant de "repris de justice", "professionnels du cambriolage", etc., etc.

Une voix. - Les socialistes ne peuvent pas être responsables des fautes d'un seul.

Niel. - C'est entendu. Mais pourquoi les Basly, les Lamendin, et tous les militants du parti ont-ils laissé, sans protester, se produire de telles insultes lancées par un membre de leur parti contre des militants syndicalistes ? Le parti socialiste tout entier aurait dû se lever, au nom des principes syndicalistes qu'il défend, et protester le premier contre de pareilles insultes à l'égard de militants syndicalistes.

Enfin, les socialistes entretiennent la guerre quand, je ne dirai pas par mépris, mais par antipathie chronique, ils essaient de diminuer la valeur sociale de l'action syndicale, qui ne serait qu'une vulgaire œuvre de réforme, par rapport à celle de l'action politique qui, elle, serait une belle œuvre de révolution.

Je ne veux pas animer cette querelle de savoir laquelle de ces deux actions est la supérieure. je constate seulement que les syndicats sont une des plus précieuses sources qui alimentent et fertilisent tous les partis révolutionnaires, que cette fonction les place à un poste d'honneur, et cela me suffit.

Mais je dois dire que, considérées dans leur œuvre immédiate, ces deux actions sont toutes deux réformistes, et considérées dans leur but, elles sont toutes deux révolutionnaires.

Voilà l'état de guerre et voilà ce qu'il est urgent de faire cesser.

Si on fait l'alliance avec le parti socialiste, ou bien c'est la scission à bref délai, ou bien c'est provoquer les anarchistes à tel point qu'ils auront raison alors de faire leur politique anarchiste dans les syndicats.

Si les anarchistes continuent leur guerre, c'est encore la division à brève échéance, ou bien c'est provoquer les socialistes à un tel point qu'ils auront raison, alors. de faire leur politique socialiste dans les syndicats. Dans un cas, comme dans l'autre, c'est la mort du syndicalisme.

Si les militants sont bien pénétrés de leur rôle et de leurs intérêts, ils établiront une solide neutralité politique, en mettant une sourdine à leurs passions politiques dans les syndicats, surtout maintenant qu'ils savent que cette neutralité doit faire sûrement des adeptes nouveaux à leurs opinions sociales.

Comment ! nous aurions le moyen de faire avec le syndicalisme ce qu'on n'a jamais pu faire sans lui : grouper tous les ouvriers sur un terrain qui les oblige à réfléchir sur l'iniquité sociale et les conduit à nos conclusions, et nous briserions bêtement ce moyen par nos entêtements politiques ? Qui voudrai assumer une telle responsabilité ?

Si l'on ne peut faire ni alliance, ni guerre, que faut-il faire, alors ?

Il faut conserver le statu quo, en lui insufflant un esprit nouveau.

L'esprit nouveau, c'est la reconnaissance publique, revêtue de l'autorité morale d'un Congrès aussi important que le nôtre, que, quelle que soit la différence de leurs opinons politiques, les syndiqués - et à plus forte raison les militants - ne doivent ni se mépriser, ni s'injurier, ni se combattre. L'esprit nouveau, c'est conserver des relations de respect et de cordialité à l'égard les uns des autres, c'est envelopper le syndicalisme d'une atmosphère de sympathie réciproque, et reconnaître que toute autre serait irrespirable. L'esprit nouveau, c'est comprendre que le problème social est le plus complexe des problèmes, et qu'il peut y avoir, à côté du syndicalisme, d'autres actions qui concourent aussi plus ou moins à la solution de ce problème.

L'unité de tactique et de pensée est encore loin d'être réalisée. Il y a des courants nombreux, des divergences nombreuses partout : en politique, en religion, en socialisme, en anarchisme, en coopératisme, en syndicalisme. Cette variété est l'image même de la vie. Aucun homme, aucun groupe, ne peut tout faire. Que chacun œuvre selon son tempérament, dans le milieu qu'il lui plaît. La division du travail, après tout, est la méthode la plus scientifique et la plus fructueuse.

Il devient tellement évident que l'on peut tirer quelque chose de bon, même des lois, que des libertaires eux-mêmes commencent de le reconnaître, comme l'a fait Pouget dans la Voix du Peuple, à propos du repos hebdomadaire.

Quand cet esprit nous aura suffisamment pénétrés, quand cette atmosphère sera suffisamment répandue, les accords accidentels, nécessités par des circonstances exceptionnelles, se feront mieux que s'ils étaient prescrits par des règlements ou par des décisions de Congrès.

Le syndicalisme ainsi compris, sera la plus haute école d'éducation révolutionnaire du prolétariat.

Nous ne tarderons pas, alors, à recueillir les fruits de nos concessions réciproques sous forme d'adhésions nouvelles, de craintes plus grandes inspirées à nos dirigeants et à nos patrons, de résultats partiels plus rapides et plus nombreux, toutes choses, on en conviendra, de nature à précipiter les évènements et à hâter l'avènement du monde nouveau que nous entrevoyons déjà dans nos rêves de suprême justice...

Le Président demande qu'on envoie des noms pour le bureau du lendemain après-midi, la matinée étant consacrée aux réunions des Commissions nommées par le Congrès.

Sont nommés ;

Président : Niel.

Assesseurs : Cousteaux et Perraud.

SEANCE DU 12 OCTOBRE (Soir)

Président: Niel. Assesseurs : Cousteau et Perrault.

Rapports entre les Syndicats et les Partis politiques

(Suite de la discussion)

Pouget dit qu'on pourrait mettre 5 orateurs pour et 5 contre. On pourrait choisir un camarade de chaque nuance. Ceci pour arriver à un résultat rapide.

David, au nom du Prolétariat de l'Isère, demande à défendre ledit prolétariat contre les appréciations de Renard.

Doizié croit qu'il faut limiter le temps. Il demande qu'on choisisse des orateurs (en nombre limité) parmi ceux qui ont déposé des propositions.

Charpentier estime que malgré la hâte avec laquelle on se propose de terminer ce débat, il faut permettre aux camarades libertaires de répondre au camarade Niel.

Pouget dit que les orateurs seront choisis parmi tous ceux qui sont pour ou contre, et par ceux-ci.

Keufer dit qu'il se réserve de parler dans le débat contre toute politique à la Confédération.

Philippe dit qu'on peut discuter la question du textile, et après, mais après seulement, sur celle soulevée par Keufer.

Berlier dit que la question doit se limiter et propose de donner la parole aux délégués de Grenoble après que la question sera vidée. Il proteste contre la façon de faire de certains. On croirait que seuls quelques congressistes ont le droit de parler. Plusieurs doivent partir pour se trouver au travail lundi. Il faut donc aller vite.

Merrheim demande au Congrès de bien vouloir limiter la discussion à 5 camarades, le nombre des orateurs de chaque côté .

Le Congrès décide de limiter le nombre des orateurs.

Latapie : Il y a deux éléments et la tendance du syndicalisme révolutionnaire. Il demande de désigner 5 orateurs de chacune des deux tendances et 5 du syndicalisme révolutionnaire.

Le Président dit qu'il n'y a que deux tendances, deux courants.

Le Congrès décide qu'il y a trois courants et 9 orateurs parleront à raison de 3 par courant.

Liste des orateurs qui devaient parler sur la proposition du Textile :

Philippe, Laporte, Cousteau, Montagne, Broutchoux, Marty-Rollan, Keufer, Robert, Craissac, David, Parvv, Clément, Gagnut, Bienner, Charpentier, Clévy, Dret, Tabard, Andrieu, Thil, Coupat, Pataud, Cheytion, Legouhy, Chazeaud, Devilar, Ferrier, Bruon, Gouby, Laval, Combes, Jamut, Ader, Ponty, Gautier, Braun, Braud, Latapie, Merrheim, Roullier, Yvetot, Sellier.

Le Président met aux voix une proposition tendant à ce que le camarade Renard parle le dernier.

Adopté.

Par suite de la décision du Congrès, les orateurs suivants prendront seuls la parole :

ler groupe : Merrheim, Broutchoux et Latapie ; 2e groupe : Keufer, Doizié et Coupat ; 3e groupe : Philippe, Parvy et Renard.

Le président donne la parole à Merrheim.

Merrheim. - Avant d'aborder le sujet qui m'amène à cette tribune, je tiens à protester contre ceux qui, hier, faisaient allusion à Bourchet.

Ils ont voulu établir un rapprochement entre son départ et l'attitude de certains députés qu'on a critiqués à cette tribune; comme pareilles insinuations ont déjà été lancées contre Bourchet à Bourges, l'ayant remplacé à la Métallurgie, il ne m'est pas possible de les laisser se renouveler ici, et je tiens à déclarer au Congrès que Bourchet n'a commis aucun acte malhonnête. Parti librement, il travaille aujourd'hui de son métier de tourneur-robinettier, aussi je ne permettrai à personne de l'attaquer et pour ceux qui essaieront de le faire, ils me trouveront devant eux pour le défendre.

Ceci dit, je regrette vivement que le citoyen Renard m'ait obligé à prendre part à ce débat. J'aurais voulu ne pas y participer, mais il a apporté au Congrès de telles erreurs de chiffres, pour donner plus de force à sa thèse, qu'il est impossible de ne pas rétablir la vérité.

Pour montrer combien la double action politico-syndicale avait donné de résultats tangibles dans le Nord, Renard nous a dit notamment: "Nous avons 315 syndicats, 76.000 syndiqués, et il a conclu en disant : voilà ce que nous avons fait."

Or, citoyen Renard, mieux que personne, vous saviez qu'il fallait défalquer de ces 315 syndicats, au moins 130 syndicats jaunes. Vous avez, en effet, relevé vos chiffres de syndicats et de syndiqués dans l'Annuaire du Ministère du Commerce de 1905.

J'ai, après vous, refait les mêmes calculs et retrouvé les mêmes chiffres, que vous ne vous êtes pas contenté seulement d'apporter à cette tribune, mais que vous avez également cités dans l'Ouvrier Textile, organe de votre Fédération, numéro du 1er octobre. Le doute n'est donc pas possible et pourtant, mieux que quiconque, vous êtes à même de connaître la situation.

Vous savez qu'à Tourcoing, notamment, il y a 119 syndicats jaunes, à Roubaix 7, à Lille, Armentières, qu'il y en a également comptant des centaines de membres, quelques-uns plus de 1.000, pourquoi les comptez-vous à votre actif, comme le résultat de la propagande de votre Parti ?

Je ne pense pas que vous vouliez compter, comme œuvre de votre Parti, tous les syndicats jaunes ou indépendants du Nord ?

Ce ne sont pas, que je sache, des organisations de lutte prolétarienne, puisqu'elles vous combattent autant sur le terrain politique qu'économique.

Si je prends le chiffre des syndiqués, j'y retrouve les mêmes erreurs, que je voudrais croire involontaires; les mineurs qui, sur l'Annuaire, sont portés en deux syndicats pour 8.000 membres, viennent de payer à leur Fédération unifiée pour 900 membres. Le syndicat du Textile de Roubaix que vous comptez comme ayant 6.200 adhérents, en a, à peu près, 3,000, si nous prenons vos propres chiffres du Congrès de Tourcoing, que nous ne pouvons pas suspecter, puisqu'ils ont servi de base pour la R. P.

Renard dit qu'il avait pris tous les syndicats sans faire de questions d'espèces.

Merrheim - C'est possible, mais vous n'aviez pas le droit de prendre ces chiffres pour dire au Congrès : Voilà ce que nous avons fait dans le Nord.

Vous n'aviez pas le droit non plus, pour donner plus de force à votre argumentation, d'écrire dans l'Ouvrier Textile, après avoir cité les mêmes chiffres:

"L'Unité la plus complète est réalisée sur ce terrain : syndical, coopératif et politique." Quand on apporte des chiffres dans une question aussi grave, nous avons le droit d'exiger qu'ils ne soient pas faux.

Indépendamment des syndicats jaunes, il y en a d'autres, tels ceux du bassin de Maubeuge, dont la plupart sont des comités électoraux d'un député radical. Pourquoi les comptez-vous encore comme l'œuvre de votre Parti ?

Prenons le bassin d'Anzin, où il y a plus de 30.000 ouvriers de la Métallurgie,

Nous y trouvons bien trois députés socialistes, mais seulement 6oo syndiqués, a des organisations qui ne suivent pas votre tactique. Vous êtes glorieux à tort de vos cathédrales, elles ont, peut-être de belles façades, mais c'est tout ; Roubaix, proclamée la "Ville sainte", la Mecque du socialisme, est une cité de souffrances et de misères. Il est peu de villes où l'on trouve des salaires aussi bas ; mieux que personne vous le savez, camarade Renard; ainsi à Roubaix, pour l'article "Robes", quel est l'ouvrier qui pourrait dire, au long d'une année, qu'il gagne, en le tissant, neuf francs par semaine. je prétends que c'est la conséquence de votre tactique. Est-ce que le Syndicat Textile de Roubaix ne compte pas dans son sein des Maçons, Chaudronniers, Mécaniciens, Charretiers, en un mot, des hommes de toutes les corporations, sans que jamais le Parti ait essayé de les grouper dans leurs syndicats respectifs ; Guesde, lui-même, n'a-t-il pas maintes fois déclaré que le syndicat était une blague ? J'ai donc le droit de vous dire que, syndicalement parlant, vous n'avez jamais fait complètement votre devoir dans le Nord. Aussi, quand je vous entends parler de légalité, dire que les syndicats ne doivent pas sortir de la légalité, je ne puis que m'étonner de votre attitude, vous qui, tant de fois, à Roubaix, m'avez demandé d'en sortir de la légalité.

Renard. - je ne vous ai jamais connu à Roubaix

Merrheim. - Je vous y ai connu et me suis séparé du Parti, le jour où, après m'avoir recommandé de bourrer mon fusil avec mon bulletin de vote, il m'a demandé de le décharger pour en faire sortir un candidat. Aujourd'hui, nous n'avons plus les mêmes manières de voir, vous faites du syndicat un groupement inférieur, incapable d'agir par lui-même ; vous ne voulez pas qu'il sorte de la légalité pour que, sur le terrain politique, il ne puisse gêner votre action. Nous affirmons, au contraire, qu'il est un groupement de lutte intégrale, révolutionnaire et qu'il a pour fonction de briser la légalité qui nous étouffe, pour enfanter le "Droit nouveau" que nous voulons voir sortir de nos luttes.

Si j'ai tant insisté sur Roubaix, c'est que cette ville personnifie bien l'action que vous préconisez ici.

En terminant, je tiens encore à relever le dernier point de votre argumentation.

Vous nous avez dit que nous devrions porter aux députés nos desiderata, nos projets de loi. je prétends que nous n'avons pas à le faire. Qu'ils s'inspirent des délibérations de nos Congrès, c'est leur droit, leur devoir même. Mais je me refuse à leur dire : nous voulons cela; car je sais bien qu'aussi bien intentionnés qu'ils soient, par suite de la mauvaise organisation que nous subissons et dont les travailleurs, seuls, sont les victimes, ils ne pourront jamais nous donner complète satisfaction. Laissons donc au syndicat sa fonction propre de véritable lutte de classe ; que son action soit une lutte incessante contre toutes les légalités, tous les pouvoirs, toutes les forces oppressives, disons-nous bien que nous n'avons pas le droit de l'en distraire pour d'autres besognes.

Voilà ce que vous ne voulez pas comprendre ; vous ne voulez pas voir qu'il ne doit y avoir que deux classes : celle des exploités contre les exploiteurs, et qu'entre les deux il y a, il y aura toujours l'Etat, qui, avec des baïonnettes, sert de tampon entre les deux classes et nous empêche d'avoir Satisfaction.

Keufer déclare qu'en présence de la gravité de la question actuellement soumise à l'appréciation du Congrès, il importe de parler franc. Il pense, en raison des idées que les délégués manifestent, que la liberté de la parole sera complète et, qu'il pourra exprimer librement sa pensée.

Tous nous pouvons constater, dit Keufer, qu'un profond malaise existe dans nos organisations syndicales et à la Confédération. Cela tient aux divisions provoquées par les divergences de vues sur la direction que doivent suivre la Confédération et les syndicats.

En jetant un coup d'œil en arrière, on se rappelle que, dès le Congrès de Zurich, en 189.3, les députés socialistes allemands, Bebel, Singer, Liebknecht, firent adopter la motion que ne pourraient assister aux Congrès ouvriers les délégués qui seraient hostiles à l'action parlementaire. Au Congrès de Londres, cri 1896. eût lieu une vive discussion entre les délégués ouvriers et les nombreux représentants du Parti socialiste français, parmi lesquels presque tous les députés du Parti ; on voulait exclure les représentants des syndicats, régulièrement mandatés, qui se déclaraient anti-parlementaires..

A une voix de majorité, cette proposition d'exclusion fut repoussée.

Depuis cette époque, les hommes politiques, les parlementaires ont évolué, et ils ne sont plus absolus dans leurs idées, ils sont devenus syndicalistes.

Il en est de même des libertaires, des anarchistes qui ont longtemps combattu les syndicats ; ils ne voyaient là que des organisations ouvrières aristocratiques, dans lesquelles ne pouvaient entrer les "unskilled", comme disent les Anglais. Ces adversaires d'autrefois, dont nous pourrions peut-être en retrouver quelques-uns dans ce Congrès, ont aussi modifié leur opinion, à tel point que ces anti-syndicalistes (le naguère sont devenus des syndicalistes actifs, les apôtres du syndicalisme révolutionnaire. C'est ainsi que la Confédération du Travail a pris une direction qui, selon moi, ne lui appartient pas, qui n'est pas celle qui lui avait été désignée au Congrès de Limoges. En effet, les délégués qui y assistaient étaient unanimes pour donner à la Confédération sa mission réelle, celle de rallier les forces ouvrières, de provoquer l'organisation du prolétariat et assurer son action sur le terrain économique, en dehors de tout parti politique, de toute école philosophique ; elle devait garder une sincère, une complète neutralité.

C'est cette neutralité qui, depuis le Congrès de Limoges, a été violée. je ne méconnais pas l'activité déployée par ceux qui, depuis, ont dirigé la Confédération ; ils ont prouvé quelle influence peut exercer une minorité active sur une masse indifférente ou insouciante. C'est ce qui explique que la Confédération a pu prendre la direction actuelle : anti-parlementaire, à tendance anarchiste, anti-militaire, anti-patriotique.

C'est ce moment que le Parti socialiste, par l'intermédiaire de la Fédération du Textile, a choisi pour établir des relations normales, temporaires ou permanentes, avec la Confédération du Travail, en vue d'une action révolutionnaire commune.

Je l'ai déjà dit autre part, ces relations ne peuvent pas s'établir, elles ne peuvent aboutir à une entente finale, parce qu'il y a une divergence profonde, absolue, entre la méthode d'action et le but poursuivi par les deux organismes.

Ce que veulent les libertaires syndicalistes, ce n'est pas seulement repousser le parlementarisme pour lui préférer l'action directe, la pression exercée par les syndicats ; non, leur but final est de supprimer l'Etat, de faire disparaître tout gouvernement de personnes, pour confier aux syndicats, aux fédérations, aux Bourses du Travail, le gouvernement des choses. la production, la répartition, l'échange, c'est-à-dire le communisme libertaire et intégral.

Le parti socialiste, au contraire, en attendant l'avènement final et très éloigné du pur idéal communiste, poursuit la suppression de la propriété et du patronat, pour instituer l'Etat socialiste-collectiviste, comme le régulateur du travail et le dispensateur de la richesse, par la conquête des pouvoirs publics.

Il y a entre ces deux solutions une opposition, au fond, irréductible, et l'entente ne pourrait pas durer longtemps si elle devait se produire, entre les représentants des deux conceptions, et cela d'autant moins que les anarchistes accusent à l'avance l'Etat collectiviste de devenir plus despotique que l'Etat bourgeois.

Voilà pourquoi il y a une opposition capitale entre le parti socialiste qui poursuit la transformation sociale par l'action parlementaire et la conquête des pouvoirs publics, et les syndicalistes libertaires, antiparlementaires résolus, décidés à supprimer cet organisme social, l'Etat.

Et pourtant, il est bon de le signaler, les plus fervents libertaires reconnaissent que dans l'état social actuel, en présence de la faiblesse des organisations syndicales - le délégué des Garçons de magasins et des garçons livreurs, en réunion de commission, l'a déclaré - l'intervention des pouvoirs publics de la loi, est nécessaire pour protéger les faibles. L'intervention des syndicalistes, partisans de l'action directe, auprès des membres du Parlement, auprès du gouvernement, indiquent bien que l'on ne peut repousser d'une façon absolue la protection légale. Et alors on s'explique les candidatures ouvrières pour arriver au Parlement. Cela ne m'empêche pas de déclarer qu'il y aurait danger à fonder de trop grandes espérances sur l'action légale, sur l'intervention de l'Etat ; il y a lieu de redouter aussi les conséquences des candidatures ouvrières. Que se portent candidats ceux qui se trouvent dans les rangs du syndicat, c'est bien ; mais il est funeste que ceux qui ont conquis la confiance de leurs camarades -chose difficile à réaliser dans le monde ouvrier, par l'exagération même des principes démocratiques, - il est funeste que ceux-là quittent leurs fonctions syndicales pour devenir des candidats aux fonctions poli tiques. Ils sèment le scepticisme parmi les travailleurs et favorisent l'accusation de n'avoir agi qu'en vue de se faire un tremplin de leur fonction syndicale. - La vérité, c'est que les militants qui représentent une véritable force sociale, qui possèdent la confiance de leurs camarades, doivent rester avec eux et mettre leurs aptitudes au service de leur corporation.

D'autre part, les camarades Bousquet et Dhooghe ont reconnu eux-mêmes que cette intervention des syndicats auprès des fonctionnaires de l'Etat était inévitable. Et alors, pourquoi se montrer anti-parlementaire intransigeant ? Pourquoi nier l'utilité de la protection légale ?

Il ne peut donc être contesté que l'action syndicaliste et l'action politique, pendant une longue période transitoire, si ce n'est toujours, devront s'exercer avec profit.

Mais dans l'intérêt même de cette double action, en raison des divisions inévitables qu'une action commune pourrait produire - l'expérience l'a prouvé -- il faut renoncer à une entente permanente ou temporaire entre la Confédération, entre les syndicats et le Parti ouvrier. Chacun de ces organismes a son terrain d'action tout indiqué, délimité ; leur action sera convergente et non commune ni subordonnée.

Pour aboutir à une action parallèle, l'entente officielle n'est pas nécessaire ; par leur caractère socialiste, les membres du Parti ont l'obligation, en raison des principes qu'ils professent, doivent être les défenseurs des intérêts ouvriers, ils doivent spontanément agir dans ce sens.

Mais en affirmant la nécessité de cette action séparée, j'entends également que la Confédération, mieux que par le passé, doit observer une sincère neutralité, non seulement vis-à-vis du Parti ouvrier, mais vis-à-vis de tous les partis, et aussi en s'abstenant de faire de l'anti-militarisme, de l'anti-patriotisme et de propager les doctrines anarchistes. Ce n'est pas là le rôle de la Confédération.

Avec mes camarades, je reconnais que nous devons employer nos efforts pour obtenir que l'armée n'intervienne plus dans les grèves, et cette neutralité de l'armée imposera aussi de plus lourdes responsabilités à ceux qui dirigent les mouvements ouvriers.

Mais les dirigeants de la Confédération violent la neutralité qu'elle doit observer en prenant parti pour telle on telle doctrine, an milieu des rivalités qui se manifestent aujourd'hui.

L'anti-militarisme et l'anti-patriotisme appartiennent au domaine des opinions, et le camarade Pouget et ses amis ont affirmé que les syndicats ne devaient être que des groupements d'intérêts et non d'opinions, tous les salariés peuvent y être abrités sans que leurs convictions philosophiques aient à en souffrir.

La Confédération n'est pas une Église qui peut prétendre imposer un dogme quelconque. Personne aujourd'hui, pas plus les anarchistes que les partisans d'autres doctrines, ne peuvent affirmer l'infaillibilité de leurs conceptions. La sociologie - objet de tant de controverses, - les lois si compliquées qui gouvernent les phénomènes sociaux ' ne peuvent pas être invoquées avec la même certitude scientifique que les lois de la mécanique ou de la physique. Par conséquent, dans les organisations syndicales et à la Confédération, on ne doit pas affirmer la supériorité de telle ou telle doctrine, c'est aux seuls individus, dans leur pleine liberté, de se prononcer. Ne pas respecter la neutralité absolue qui est dans le rôle de la Confédération, c'est semer la division dans les rangs ouvriers. C'est nuire à l'unité morale du prolétariat français, qui ne peut pas se réaliser exclusivement, il est vrai, par les organisations syndicales qui ont exclusivement un rôle économique à remplir.

L'action anti-militariste, anti-patriotique de la Confédération, est un obstacle sérieux, certain, au développement des syndicats. Elle blesse les convictions de nombreux travailleurs qui ont une autre idée de la mission des organisations corporatives. Persévérer dans cette voie, c'est préparer la désorganisation des groupements ou, tout an moins, c'est en réduire. les effectifs et les rendre impuissants.

Je conclus donc en déclarant que la Confédération doit observer une neutralité absolue, non seulement au point de vue politique, mais au point de vue philosophique, en écartant la propagande libertaire, anti-militariste et anti-patriotique, idées qui sont exclusivement du domaine individuel. Libre à chacun de les propager ou de les combattre, hors des syndicats.

C'est pour ces diverses raisons que je dépose la proposition suivante au nom d'un certain nombre de mes camarades :

"Le Congrès confédéral réuni à Amiens,

"Considérant :

"Que dans l'intérêt de l'union nécessaire des travailleurs dans leurs organisations syndicales et fédérales respectives, et pour conserver le caractère exclusivement économique de l'action syndicale, il y a lieu de bannir toutes discussions et préoccupations politiques, philosophiques et religieuses du sein de "l'organisme confédéral.

"Que la Confédération générale du travail, organe d'union et de coordination de toutes les forces ouvrières, tout en laissant à ses adhérents entière liberté d'action politique hors du syndicat, n'a pas plus à devenir un instrument d'agitation anarchiste et anti-parlementaire, qu'à établir des rapports officiels ou officieux, permanents ou temporaires, avec quelque parti politique ou philosophique que ce soit ;

"Affirme que l'action parlementaire doit se faire parallèlement à l'action syndicale, cette double action pouvant contribuer à l'œuvre d'émancipation ouvrière et à la défense des intérêts corporatifs."

P. Coupat, Fédération des Mécaniciens; A. Keufer, Fédération du Livre; L. Malardé, Fédération des Tabacs; H. Sellier, Fédération des Employés Bourse du Travail de Puteaux ; E. Guernier, Bourse du -Travail de Reims ; L. Rousseau, Employés Reims, Châlons-sur-Marne ; Limousin, Bourse du Travail de Poitiers; Liochon, Livre; Masson, Typographes de Lille ; Hamelin, Livre ; Sergent, Typographie parisienne ; Jusserand, Typographie parisienne; Richard, Teinturiers de Reims; Riohon, Bourse du Travail d'Épernay; Thévenin, Comptables de Paris; Traut, Bourse de Belfort; Valentin, Typos de Montpellier.

Philippe. - En abordant cette tribune, je serais bref, aussi bref que possible. D'ailleurs, c'est notre devoir à tous.

Je m'étonne que beaucoup de camarades aient vu dans la proposition du Textile, l'introduction de la politique dans les syndicats. Ce n'est pas là notre opinion. Rien dans l'esprit, ni dans la lettre de la proposition, ne permet de trouver semblable chose. La question est posée par les évènements. Le prolétariat croit qu'il y a un autre moyen que le syndicat pour arriver à des améliorations dans sa situation. Quand j'entendais Merrheim dire, tout à l'heure, que l'action directe était supérieure au bulletin de vote, je ne pouvais m'empêcher de penser, et je lui dis que dans les pays où il n'y a pas de suffrage universel, les travailleurs font la révolution pour l'obtenir. Déjà, des membres de la C. G. T. ont des relations, dans l'intérêt des travailleurs, avec des députés socialistes. Nous voulons voir ces rapports établis au grand jour, sans aucune cachotterie. Niel disait hier que l'Internationale était morte de la politique. je dois rectifier cette appréciation. Guesde est le disciple de Karl Marx et pense comme lui que la politique doit être bannie de nos syndicats. Karl Marx a toujours banni la politique de l'Internationale.

Dans le Nord, il y a 60.000 syndiqués, et ce chiffre n'est pas exagéré.

Nous pensons que les baïonnettes des soldats ne doivent pas se dresser contre les travailleurs en grève. De cet anti-militarisme, nous en sommes. Mais nous pensons que si les syndicats doivent faire de l'anti-militarisme et de l'antipatriotisme, il faut, à l'entrée d'un membre dans un syndicat, lui dire ce à quoi il s'engage, il faut lui dire qu'il devient anti-militariste et anti-patriote.

Les lois sont accordées en grande partie par l'action parlementaire : Le repos hebdomadaire a été obtenu par elle et c'est là un moyen qu'on ne doit pas refuser. Nous voulons qu'il n'y ait plus de politique à la C.G.T. et c'est pourquoi il faut voter la proposition du Textile.

Broutchoux. - J'ai reçu mandat du camarade Cousteau, au nom de la Bourse du Travail de Narbonne qui déclare qu'elle n'a jamais demandé le concours des politiciens, je proteste, au nom du camarade Brand, de Dijon, contre le traité de philosophie de Niel.

Les jeunes doivent, ici, être entendus. je ne veux pas de la cathédrale de Renard, même si on y met à l'intérieur le dogme de Niel. Nous avons réuni tous les mineurs et cela en dehors de la politique, de toute politique. Nous ne devons pas nous effrayer des mots. Politicien, pour moi, n'a aucun sens blessant.

Niel. - Si le mot Politicien n'a aucun sens blessant dans votre pensée, consentiriez-vous alors à dire le camarade politicien comme vous dites les camarades antiparlementaires.

Broutchoux. - Oui, certainement.

Si tous les travailleurs doivent s'entendre pour réclamer des améliorations, ils doivent aussi faire la guerre à tous les parasites, à tous sans exception.

Nous n'empêcherons pas nos adhérents syndiqués de rester patriotes, mais, quand dans une grève les soldats sont devant nous, il faut bien que le syndicat agisse. Nous combattons tous les parasites, le curé, les magistrats qui sont de cette catégorie. La magistrature est encore un instrument de classe. Rappelez-vous le jugement Jaluzot. Le même jour, un pauvre travailleur de passage fut condamné impitoyablement pour une peccadille. Le syndicat a une supériorité réelle sur tous les partis, même sur le parti socialiste qui, à Lens, compte dans ses rangs des agents de police, des huissiers, etc. Donc, pas de rapports possibles. Le syndicalisme, pour nous, doit se dresser contre l'Etat qui est destiné à maintenir la balance actuelle entre les classes. Il ne peut pas en être autrement. Les gouvernements sont tous réactionnaires. On enregistre les volontés du peuple, quitte à ne rien lui donner. Le ministère actuel en est un exemple. Clemenceau a fait envahir par les soldats les Maisons du Peuple, les soupes communistes, etc. Si Clemenceau a fait cela, que feront les autres ? Notre syndicat des mineurs a demandé l'entente avec le syndicat Basly, nous avons trouvé contre l'unité, Goniaux et Cadot, parce qu'ils avaient peur qu'on leur reproche de s'allier avec un syndicat qu'on traitait d'anarchiste. Il eût été préférable, au lieu de voir deux camarades gagner 25 francs, obtenir, pour les mineurs, 8 francs pour 8 heures. Un candidat se sert, selon le cas, des intérêts des commerçants ou de celui des ouvriers. Quand les bourgeois nous traitent de brigands, c'est que nous faisons de la bonne besogne. Le Procureur de Béthune déclara avoir pris son réquisitoire dans l'Humanité, lors de mon passage devant le Tribunal de Béthune. Le chef de ce journal avait intérêt pour sa politique, à dénaturer nos actes.

On dit que Bakounine et Kropotkine sont des anarchistes raisonnables et nous, qui appliquons leurs doctrines, on nous traite de bandits.

Je prétends que l'anti-militarisme doit se faire dans les syndicats. Rouanet, un socialiste, déclare que l'armée dans les grèves, est attentatoire à la liberté de la grève. Et il a raison.

Le syndicat, s'il doit se confiner dans la légalité, est un bien piètre instrument.

Il est plus difficile d'être syndiqué que d'être électeur. Au syndicat, il faut faire un effort, pour être électeur, pas d'effort à faire.

Forcément, devant la barrière capitaliste formée par les baïonnettes, les travailleurs font de l'action directe. Les patrons ne se soumettent pas aux lois tant aimées par les socialistes du Nord. Et les soldats sont là pour les protéger.

Des travailleurs organisés ont obtenu la journée de huit heures sans le secours de l'action législative,

On constate des anomalies stupéfiantes.

Le ministre Dubief, à Lille, a été conspué par les socialistes du Nord. Quelques temps après, deux ministres, Bienvenu-Martin et Ruau sont venus à Lens pour inaugurer une maison du Peuple jaune. Les camarades du Pas-de-Calais ont demandé l'appui des camarades du Nord pour conspuer ces ministres. Le Travailleur refusa d'insérer notre appel. Nous avons accueilli au cri de : "A Limoges !" les deux ministres en question.

On prétend qu'il y a trois courants. On dit que la C. G. T. a fait une politique anarchiste. Il faut discuter. Est-ce que l'A. I. A. a demandé à faire alliance avec la C. G. T. ?

Niel. - je regrette d'avoir à déclarer que Broutchoux commet une erreur absolue; dans un récent numéro du Libertaire, il y avait l'ordre du jour du Congrès que l'A.I.A. devait tenir à Limoges; et parmi les questions il y en avait une ayant trait aux relations à établir entre l'A.I.A, et la Confédération.

Coupat dit que si Basly a fait de la politique au syndicat il, a eu tort.

Broutchoux rappelle la convention d'Arras. Il montre que les Compagnies minières ont maintenu la date de cette convention, malgré la baisse des salaires. Basly et Lamendin ont dit que c'était grâce à leur influence que cela était obtenu. C'est donc qu'ils n'étaient pas dangereux pour les dividendes des Compagnies.

J'aime mieux voir la C. G. T. s'engager dans la voie des Pivoteau et des travailleurs de Fressenneville, que dans celle suivie par les Millerand, les Augagneur et autres charlatans.

Cousteau. - La Bourse du Travail de Narbonne répudie toute politique dans les syndicats. Si nous avons été trompés autrefois, aujourd'hui nous ne nous laisserons plus berner par les charlatans politiques. Comme je l'ai déjà dit, hier encore : A bas toutes les politiques. Toutes les lois sont mal faites. L'inspecteur du Travail de Carcassonne, fonctionnaire du Gouvernement, était avec les patrons contre les ouvriers. pour l'application du repos hebdomadaire. Le Syndicat des Employés lui a même voté un blâme et demandé sa révocation.

Doizié déclare qu'il ne sera pas disert. Il ne veut pas essayer de faire prédominer un mode d'action sur un autre. Si je votais, je repousserais la proposition du textile; mais je ne veux pas infliger de blâme aux politiciens qui comptent, parmi eux, de bons syndiqués.

Je désire qu'on écarte la politique des syndicats, mais qu'on n'aggrave pas la situation en y faisant de la politique abstentionniste et anti-militariste.

Nous entendons toujours les mêmes injures à la Confédération du Travail.

Il lit l'ordre du jour suivant :

"Considérant qu'un syndicat doit grouper dans son sein tous les membres "d'une corporation sans distinction d'opinions politique ou religieuse ;

"Considérant que l'adhésion à, un parti politique quelconque aurait pour "résultat certain de diviser les syndicats en autant de fractions qu'il existe "de nuances politiques ou philosophiques et que ce serait l'émiettement, c'est-à-dire la mort des syndicats ;

"Considérant aussi que si le syndicat a le devoir de conserver son autonomie "et de ne pas introduire la politique dans son sein, ce devoir implique qu'il "ne doit pas tolérer davantage la politique d'abstention électorale dirigée le "plus souvent contre un Parti qu'un grand nombre d'ouvriers considèrent "comme le Parti de leur classe :

"Le Congrès corporatif d'Amiens

"Repousse énergiquement toute tentative de fusion ou de confusion avec un "parti politique quelconque ;

"Emet le vœu que la Confédération générale du Travail, en lutte contre le "patronat et le Parti socialiste, parti d'opposition aux intérêts capitalistes, "doivent observer, vis-à-vis l'un de l'autre, la neutralité la plus absolue."

L. Doizié, Bourse de Caliors ; Vaysse, de Tulle.

Doizié fait remarquer ensuite aux camarades anti-votards, que leur action anti-votarde n'est pas exclusive. N'ont-ils pas envoyé Luquet et Bousquet aux conseils des Prud'Hommes, qui n'est pas un terrain de lutte, pas plus que le Conseil supérieur du Travail.

Parvy regrette d'être obligé de parler si tard. Vous avez entendu, dit-il, le secrétaire de la Céramique déposer une proposition dont je suis un des pères, à ce titre, je serais un père dénaturé, si je ne venais prendre la défense de qui est un peu mon enfant.

Il faut savoir exactement, pour juger la question des rapports, ce que c'est qu'un syndicat. Niel disait qu'il était la réunion de tous les ouvriers, de tous les exploités, à quelques opinions politiques, philosophiques ou religieuses, Mais lorsque vous leur avez dit cela, vous vous hâtez de leur dire que vous poursuivez la disparition du salariat, du patronat. je considère que pour être partisan de cela, il faut être autre chose qu'un simple radical, radical-socialiste, opportuniste ou clérical, et comme la disparition du salariat n'est pas l'opinion de tous les syndiqués, vous comprenez que l'air ne serait pas respirable pour Ceux qui ne sont pas des éléments de transformation sociale.

Puisqu'on ne reconnaît pas l'utilité du Parlement et de la politique, les membres de la C.G.T. en ont fait lorsqu'ils s'adressèrent à Sembat pour amener son intervention dans l'affaire anti-militariste. Cette façon de procéder est la même qu'emploient les patrons lorsqu'ils refusent de traiter avec les organisations syndicales, qu'ils ne veulent traiter qu'avec leurs ouvriers, et cela individuellement.

Je ne vous demande pas d'inscrire dans les statuts d'établir des rapports avec ce que vous appelez les politiciens.

On nous a dit que les rapports de la C. G. T. avec le Parti socialiste ne pouvaient s'effectuer parce que, dan s le Nord, il y avait des ouvriers misérables. Ce n'est pas un argument. Lorsque vous avez exercé votre action directe, lorsque vous avez forcé, par votre agitation, le Parlement à faire une loi, cette loi est-elle parfaite ? Vous vous en plaignez, Mais, qu'avez-vous fait pour que cette loi soit bonne ?

Ceux qui parlent de politique se font un devoir de frapper sur le socialisme et sur celle des "sales politiciens", comme ils disent.

La Fédération nationale de la Céramique considère qu'à côté de l'action directe que nous préconisons, il y a d'autres moyens d'actions; il ne faut pas Imposer un seul credo à la classe ouvrière. Nous ne nous contentons pas du simple bulletin de vote. Je suis un de ceux qui croient, j'ai appartenu au parti Guesdiste, que tous les moyens sont bons qui peuvent amener le prolétariat à 0la libération.

Dans la situation actuelle, il y a un danger à établir dos rapports avec la G. T. et nous lisons dans la déclaration de la Céramique :

"La Fédération de la Céramique va soumettre à l'étude des syndicats adhérents, la motion suivante qui sera proposée et défendue par ses délégués au Congrès d'Amiens, lorsque viendra en discussion la proposition du Textile

"Le Congrès confédéral d'Amiens,

"Considérant que les organisations syndicales poursuivent l'établissement d'une législation qui améliore les conditions d travail et qui perfectionne les Moyens de lutte du prolétariat.

"Considérant, d'autre part, que si la pression, l'action directe, exercées par lu syndicats sur les pouvoir publics ont une valeur indiscutable, il est, au moins aussi vrai qu'elles ne sauraient être suffisantes et que l'action menée au sein Même- des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;

"Considérant que le parti socialiste - organisation politique du prolétariat - poursuit la réalisation de revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu'elle soutient contre le patronat; qu'il est donc le ,parti qui mène cette action complémentaire ;

"Le Congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre, l'action des syndicats pourra se combiner temporairement par voie de délégation avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre,

"Le Congrès, malgré son désir d'entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations, par la création d'un organisme quelconque, et préfère s'en remettre aux évènements du soin il, préparer celui qui sera le meilleur, parce qu'il sortira des faits eux-mêmes.

"D'ailleurs, le Congrès, constatant que dans maintes circonstances et dan, de nombreux centres l'entente existe, ou est en voie de réalisation : enregistre avec plaisir cette tendance vers l'harmonie des efforts ; fait des vœux pour qu'elle s'accentue et décide d'attendre, pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du travail avec le parti socialiste, le moment où l'entente entrée définitivement dans les mœurs se sent imposée à tous comme une nécessité évidente.

" En attendant et dans l'espoir que le parti socialiste usera de réciprocité le Congrès demande aux militants de mettre fin aux polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du régime capitaliste."

Nous ne voulons pas jeter la discorde dans l'organisation syndicale. Quelle que soit la décision que vous prendrez, le vote que vous émettrez, nous ne sommes pas de ceux qui disent que nous nous retirons de la C. G. T. parce que nous serions en minorité.

Laporte demande une séance de nuit pour terminer cette discussion.

Coupat demande comment il fera pour assister à la séance de nuit et à la séance de commission qui a lieu à 9 heures.

La séance de nuit est repoussée.

La discussion est renvoyée à demain matin.

Le Président lit la communication suivante :

"La réunion de demain samedi commencera à huit heures précises du matin quel que soit le nombre des délégués présents."

S. Greux.

On procède à la nomination du bureau pour la séance du 13 octobre, matin

Président Soulageon. Assesseurs Brand et Roulier.

La séance est levée.

Les Secrétaires de séance :

Lecointe, des Typographes ; Sellier, Hémery, des Employés.

SÉANCE DU 13 OCTOBRE (Matin)

Président Soulageon. Assesseurs Braud et Roullier.

Rapports entre les Syndicats et les Partis politiques

(Suite de la discussion)

Latapie trouve qu'il n'y a pas que des anarchistes et des socialistes au Congrès, il y a les syndicalistes purs. Il faut que nous disions, dit-il, qu'il y a une doctrine nouvelle : le syndicalisme.

Les syndicats ont pour but immédiat : la législation du travail toute entière, accidents du travail, diminution des heures du travail, repos hebdomadaire, etc. Mais au syndicat, un camarade opportuniste ou réactionnaire qui obtient une augmentation de salaire, doit savoir que le patron lui reprendra cette augmentation à la première occasion. Il faut donc lui montrer que le syndicat a un autre but encore: la suppression du salariat.

La Fédération de la Métallurgie est une Fédération socialiste dans la bonne acception du terme. Nous y affirmons la doctrine réformiste et la doctrine révolutionnaire. C'est donc nous qui aurions dû porter la question posée par le Textile. Nous ne l'avons pas voulu. Quand un camarade vient à notre syndicat, il sait à quoi il s'engage, s'il signe notre règlement.

Il donne lecture de quelques passages des statuts

"Considérant que par sa seule puissance le travailleur ne peut espérer réduire à merci l'exploitation actuelle dont il est victime ;

"Considérant aussi que les travailleurs n'ont à compter sur la Providence - Etat, superfétation sociale dont la raison d'être est de veiller an maintien des privilèges des dirigeants ;

"Que, d'autre part, ce serait s'illusionner que d'attendre notre émancipation des gouvernants, car - à les supposer animés des meilleurs intentions à notre égard - ils ne peuvent rien de définitif, attendu que l'amélioration de notre sort est en raison directe de la décroissance de la puissance gouvernementale....

"Le but de cette Union est de resserrer les liens de solidarité et d'unir, en un seul bloc, tous les travailleurs des métaux sans distinction de profession, d'âge, do sexe, de race ou de nationalité, afin d'arriver à constituer le travail libre, affranchi de toute exploitation capitaliste, par la socialisation des moyens de production au bénéfice exclusif des producteurs et collaborateurs des richesses ; c'est-à-dire de réaliser la devise communiste : "de chacun selon ses forces et à chacun suivant ses besoins."

"D'autre part, l'Union devra se faire un devoir de démontrer, par des faits palpables, à ses adhérents, que leur affranchissement intégral ne saurait avoir la source, même dans l'augmentation des salaires, le salariat n'étant qu'une forme déguisée de l'esclavage antique, pas plus qu'ils n'ont à compter sur bas réformes inappliquées qu'ils ont, de haute lutte, arrachées aux dirigeants ;

"Les secrétaires fédéraux ou tous autres fonctionnaires indemnisés par l'U fédérale, ne peuvent faire acte de candidat à une fonction publique quelconque, sans immédiatement se voir retirer de droit leurs attributions ainsi que leurs indemnités."

Le syndicat doit lutter contre toutes les puissances : puissance religieuse, puissance de l'Etat, puissance du militarisme, puissance de la magistrature. Les collectivistes qui veulent s'emparer de l'Etat pour le détruire, ne devraient pu se plaindre du syndicalisme, qui veut commencer par cette destruction.

Le syndicat doit donc lutter contre toutes ces puissances oppressives.

Mais nous affirmons pour nos membres le droit de faire individuellement qui leur convient.

La journée de dix heures n'a été obtenue que grâce à la puissance des travailleurs. Les législateurs ont enregistré purement et simplement.

En 1903, moi, qu'on a qualifié d'anarchiste, voilà ce que j'écrivais : "je sais que vous préféreriez me voir préconiser l'abstention électorale eh bien ! sachez que "libertaire", je ne relève d'aucune chapelle politique, et que, dans ma pensée, j'estime qu'un abstentionniste conscient est un homme de révolution, mais que ceux qui se révèlent abstentionnistes à l'issue d'un meeting, sont des individus sur lesquels nous n'avons pas à compter. La théorie du l'abstention préconisée en réunions publiques est une vaste blague, car une opinion semblable ne peut s'inculquer que dans des cerveaux libérés de tous préjugés.

"Pour nous, et nous l'avons dit maintes fois, que les syndicats n'ont pas plu,, à faire de la politique anarchiste que de la politique socialiste.

"Et maintenant, que les camarades sachent bien que dans le sein de notre Fédération, il ne saurait y avoir des opportunistes, des radicaux, des socialistes de diverses écoles ou des anarchistes, pas plus que des croyants ou des athées nous considérons qu'il n'y a que des exploités, quelles que soient leurs convictions."

Peut-on faire un reproche aux révolutionnaires de dire que le travailleur ne doit pas compter seulement et spécialement sur le bulletin de vote ? Une autre besogne plus importante lui reste à faire et le syndicat est seul capable de la lui faciliter.

Il faut que pour la première fois les congressistes se prononcent sur la doctrine nouvelle. Il faut que le syndicalisme soit une théorie entre les théories anarchistes et socialistes. Cette doctrine, d'ailleurs, se suffit à elle-même Niel a eu tort de prendre à partie les socialistes et les libertaires ; s'il y en a qui ne font pas leur devoir, il y en a qui le font. je conclus au rejet de la proposition de la Fédération du Textile.

Coupat. - Mon intervention a expressément pour but de demander au Comité confédéral d'observer, sur le terrain syndical, la plus stricte neutralité entre anarchistes et socialistes.

Conservé pendant longtemps, jusqu'au Congrès de Lyon, même, cet esprit de neutralité a permis le développement considérable de la Confédération générale du Travail, c'est un événement d'ordre politique qui a fait dévier l'attitude de l'organisme confédéral sur un autre terrain ; je veux dire la constitution d'un certain ministère et l'entrée d'une personnalité politique au gouvernement ; socialistes révolutionnaires et anarchistes coalisés, pendant trois ans, ont mené au sein de l'organisme confédéral et dans le journal confédéral La Voix du Peuple, la lutte contre ce ministère. Les libertaires, insensiblement, ont pénétré l'organisme central de la Confédération et en ont pris la direction Un excès de prosélytisme politique de leur part, a. créé, dans les syndicats, d dissensions et des divisions regrettables. On a voulu créer de toutes pièces une méthode d'action officielle de la Confédération. Sans considérer que l'immense variété des conditions professionnelles, cause une variété identique dans la méthode et dans les procédés, on a voulu obliger tous les syndicats à adhérer à lit méthode libertaire préconisée par la Confédération. Nombreux sorti 1, délégués qui, ici, sont venus nous signaler (les violations du principe de neutralité syndicale, par des délégués en mission de la C. G. T. J'estime que libertaire en délégation pour son organisation syndicale, on socialiste agissant dans les mêmes conditions, doivent s'abstenir de tout prosélytisme anti-parlementaire électoral. Les militants qui sont, à la tête de la Confédération, observent-ils cette neutralité ? Beaucoup d'entre nous sont allés dans les bureaux de la Voix du Peuple. Qu'ont-ils vu en entrant ? Une affiche du Père Peinard, représentant un élu qui, son pantalon déboutonné, montre vous savez quoi, au corps électoral. On trouve dans un numéro récent de la Voix du Peuple, numéro (lu 23 au 30 septembre, sous le titre: Cabotinage en France, à la suite de quelques lignes que approuve d'ailleurs pleinement. l'affirmation suivante : ".... Bientôt, après les cabotins du boulevard, vont entrer en fonctions les cabotins du Palais-Bourbon ; on peut dire ce que les premiers rapportent, mais on ne saurait dire ce que coûtent les seconds."

Je demande si le Congrès couvrira ces violations formelles de la neutralité. Si vous estimez qu'ils sont légitimes, approuvez-les par un ordre du jour. Vous affirmerez par là, que le prosélytisme libertaire peut, sans inconvénient, exercer dans nos syndicats.

Vous contribuerez à rendre l'organisme confédéral impossible pour les militants syndicalistes, qui, cri immense majorité, ont foi en leur bulletin de vote, ont foi en l'action politique.

D'un autre côté, je dis aux socialistes du Textile que, membre du parti, il m'est impossible de voter leur proposition, dans l'intérêt même de la classe ouvrière. Les travailleurs groupés sur le terrain syndical, sont souvent obligés de compter avec une majorité parlementaire qui n'est pas socialiste. Concevez-vous, nos camarades de la guerre et de la marine, qui ont besoin de tous les contacts politiques pour obtenir satisfaction à leurs légitimes revendications, s'adressant au seul Parti socialiste ? Cela serait désastreux pour leur cause. Etes-vous certains, d'autre part, que les élus du Parti socialiste peuvent tous efficacement, défendre les intérêts ouvriers ? Sont-ils tous choisis suffisamment dignes ? vous en citerais-je un, député d'une circonscription de la Seine, qui, médecin et journaliste, a cru nécessaire d'ajouter à ses 25 francs de député, les ressources lui ont été fourmes par les compagnies d'assurances qu'il a servi longtemps contre les ouvriers victimes d'accidents et qu'il sert encore dans les expertises égales qui lui sont confiées.

La Confédération ne doit pas plus être libertaire que socialiste ou radicale. Il y a dans son sein des travailleurs appartenant à ces diverses tendances, il y n a même qui sont catholiques. Voulez-vous les en chasser? Pour nous, qui ne croyons pas à l'obtention de résultats durables par les soubresauts impulsifs ce que les anarchistes appellent les minorités conscientes, le syndicat doit grouper le maximum de travailleurs de la même corporation, et fatalement, ceux-ci du fait qu'ils seront syndiqués en vue de la défense d'intérêts immédiats, riveront à l'idéal social de tous les ouvriers conscients : la suppression du salariat. Mais pour cela, il ne faut pas que par une politique quelconque, qui froisse leurs convictions personnelles, on les éloigne à priori du syndicat.

La Confédération, pour être puissante et remplir le rôle d'émancipation ouvrière qu'elle s'est dévolue, doit être ouverte à tous. C'est seulement ainsi qu'elle pourra, non seulement conquérir les améliorations au sort du prolétariat, mais conserver les avantages obtenus par les luttes antérieures, et les efforts prolétaires luttant sur tous les terrains. C'est le sens de notre ordre du jour.

Renard. - Notre proposition avait surtout pour but de donner lieu à un vaste débat, afin que les différentes tendances qui se manifestent ici sur le rôle la Confédération, puissent être largement développées.

Quel que soit le rôle réservé à notre proposition, ce résultat a été obtenu.

Je répondrai tout d'abord au reproche que m'a fait Merrheim d'avoir compté les syndicats jaunes dans le chiffre d'effectif syndical dans la région du Nord que j'ai donné hier.

Cela est exact, mais n'enlève aucune force à mon argumentation ; le chiffre que j'ai donné n'a pas été utilisé dans l'ordre de mes arguments pour sa valeur propre, mais bien comme terme de comparaison. Quand j'ai dit que le département du Nord, avec ses 76.000 syndiqués était, pour la force de nos organisation, le second de notre pays, j'ai compté également, dans tous les autres départements, le chiffre global de syndiqués, sans faire de distinction, ni défalquer l'effectif des syndicats jaunes. J'estime également que si, à Roubaix et dans d'autres localités, comme nous l'a reproché Merrheim, le syndicat textile groupe des camarades d'autres professions, travaillant dans la même usine que les tisseurs, ils n'en sont pas moins syndiqués, et qu'on est mal venu d'attribuer à l'action socialiste, la faiblesse de l'organisation syndicale dans certaines régions du Nord, alors qu'ici, tout près, il y a une région soumise à l'influence libertaire qui, sur 25.000 ouvriers du Textile, groupe 50 syndiqués.

D'ailleurs, comme l'a dit Coupat, il n'y a pas si longtemps que les libertaire sont syndiqués, il n'y a pas si longtemps qu'ils proclamaient, qu'il "leur suffisait de poignard, de faux, de piques, de revolver et de flingots, pour watriner toute la clique des exploiteurs et des sergots", il n'y a pas si longtemps encore que le Père Peinard cognait de son tire-pied sur les prolos assez poires pour s'avachir dans les syndicats.

Aujourd'hui, les temps sont changés, les libertaires sont rentrés au syndical et y font prédominer leur esprit. Nous ne demandons pas que le nôtre y domine quoi qu'en aient dit nos contradicteurs; nous ne demandons pas la fusion Ce que nous voulons, c'est qu'on ne se serve pas de l'organisme syndical comme d'un instrument de combat contre le Parti socialiste, et que les deux modes d'action du prolétariat, action politique ou action syndicale, convergent au lu(me but sans dissensions fratricides. je ne suis pas le seul à défendre cette ma mère de voir. On a dit dans la discussion d'hier, qu'on voulait établir des syndicats suivant la méthode de Kropotkine, eh bien! j'ai ici un numéro des Temps nouveaux, où Kropotkine, au sujet du Congrès de Mannheim, préconise l'entente que nous demandons.

Niel a dit que l'ouvrier était travailleur d'abord, citoyen ensuite, c'est exact mais il est l'un et l'autre. Il nous a encore dit : "Vous demandez l'entente l'alliance intermittente, pourquoi pas la fusion ?" je pourrais à mon tour 1ui demander : "Puisque vous êtes pour l'affranchissement total du prolétariat - comme nous du reste! - pourquoi ces congrès et pourquoi pas la révolution libératrice de suite ?" Ce que nous demandons d'abord, c'est ce qu'ont bien compris les travailleurs de Belgique, d'Allemagne, des Pays scandinaves et même, ces dernières années, nos camarades anglais.

Ce que nous voulons, c'est, en un mot, que les rapports officieux et clan destins actuels, entre les militants syndicalistes et le Parti socialiste, s'étalent au grand jour. Notre proposition est une proposition de loyauté.

Vous direz si le syndicat doit être en même temps un groupe politique on s'il doit se borner à l'étude des questions de travail, entretenant avec le pal-Il politique, le minimum de relations indispensables.

Qu'on ne parle pas ici de tentative d'intrusion politique de notre part. Relisez notre journal, relisez l'Ouvrier Mécanicien, la Typographie, jamais un mot de politique, dites-nous s'il en est de même de la Voix du Peuple ; dites-nous si ce n'est pas faire œuvre de politique néfaste, qu'insérer dans l'organe confédéral, le factum divisionniste dont Dooghe a donné lecture hier. je termine. camarades, en priant nos camarades de l'Isère de ne pas prendre en mauvaise part, l'expression que j'ai employée hier, au sujet de l'évolution des travailleurs de Grenoble vis-à-vis du renégat Zévaès. Ce n'est certes pas pour les militants conscients que j'ai parlé, mais bien pour la masse inéduquée.

David (de Grenoble). - Les délégués de Grenoble prennent acte des paroles vient de prononcer le camarade Renard, au sujet du prolétariat organisé Grenoble et de l'Isère.

Griffuelhes - Les reproches formulés, dit-il, portent sur la méthode et l'esprit de la C. G. T. Il faut donc insister sur le caractère de son mouvement. D'abord, constatons que Merrheim a détruit par des chiffres, la base de l’exposé de Renard; il a prouvé que la méthode qu'il préconise n'a pas donné de grands résultats, attendu l'inexactitude des chiffres produits. Et qu'on ne dise pas que les syndicats jaunes sont peu importants et ne rentrent pas une grosse part dans les chiffres que vous avez donnés. Il y a plusieurs syndicats jaunes en dehors de Roubaix qui comprennent chacun plus d'un millier de membres; à Lille, il y en a deux, à Armentières, etc. En outre, dans le Nord, il faut distinguer plusieurs régions : Lille, Roubaix, Tourcoing, le Cambrésis, d'un côté. Mais Dunkerque et Valenciennes échappent à l'influence des amis de Renard. Donc, de ce fait, les chiffres avancés diminuent encore valeur.

Si encore vous aviez apporté la preuve d'immenses résultats. Mais non! Grâce à vos chiffres faux, on serait en droit de conclure que votre œuvre s'évapore presque.

Et puis, vous citez les Anglais, nous disant qu'après 5o ans d'action directe, ils viennent au Parlementarisme. Vous ajoutez qu'ils ont les plus hauts salaires et les plus courtes journées. Cela, c'est le résultat de leur action directe. Quant effets du parlementarisme chez eux, le moins est d'attendre pour les enregistrer. Il y a donc là une contradiction qui se retourne contre vous.

Vous prétendez que ce que vous demandez existe déjà, sous forme de rapts occultes entre la C. G. T. et les parlementaires, C'est inexact ! En deux circonstances, j'ai eu des rapports personnels avec deux députés, Sembat et Wilm. Ils m'avaient demandé de les documenter pour interpeller. Je l'ai fait et chaque fois qu'un député, répondant à la mission qu'il s'est donnée, voudra se renseigner, je le documenterai avec plaisir. Mais, en ces circonstances, ces députés ne faisaient que leur devoir et il n'y a pas à leur en avoir gratitude. Au delà de la proposition de Renard, qui pose une question de fait, il en est une plus importante, celle de Keufer, qui, parlant d'unité morale, reproche à C. G. T. de l'avoir détruite. Cette unité morale ne peut exister. Dans tout groupement il y a lutte et non division. L'acceptation de son ordre du jour constituerait une négation de la vie, qui est faite du choc des idées. De plus, Keufer insiste trop sur la présence des libertaires au sein du Comité fédéral; ils n'y sont pas aussi nombreux que le veut la légende. Mais, c'est tactique pour faire surgir un péril libertaire, afin de constituer un bloc pour annihiler ce péril. Au lieu de vagues affirmations, il fallait produire des faits, des résolutions, des documents émanant de la C. G. T. et inspirés par l'unique objectif anarchiste. Il n'y en a pas! Qu'il y ait chez certains d'entre nous des idées libertaires, oui! mais qu'il en naisse des résolutions anarchistes, non !

Coupat a dit qu'avant 1900, la C. G. T. n'avait pas prêté le flanc aux critiques. Oui, parce qu'elle n'existait pas. Il a ajouté que l'entrée de Millerand au ministère a donné naissance à cet esprit. Rappelons des faits peu connus : à peine Millerand ministre, parut une déclaration signée de Keufer, Baumé Moreau, en faisant suivre leur nom de leur qualité de secrétaire d'organisation, approuvant son acte. Est-ce que pareille déclaration ne constituait pas un acte politique ? Et quel pouvait en être le résultat ? Puis. à l'Union des Syndicats de la Seine, on vint proposer un banquet à Millerand. N'était-ce pas encore un acte politique pour un but bien défini ? Seul, je m'y opposai. On manœuvrait alors pour introduire l'influence du gouvernement au sein de la Bourse du Travail, - et c'est en réaction à cette tendance qu’est venu l’essor de la C. G. T.

Au lendemain de Chalon, les membres de la Commission de la Bourse du Travail reçurent, pour eux et leurs familles, une invitation à une soirée du ministre du commerce ; deux jours après, nouvelle invitation, - de Galliffet celle-là ! - pour un carrousel.

Que voulait-on ? Nous domestiquer! Nous fûmes deux à protester et à propagander contre. Nous dévoilâmes ces manoeuvres et, petit à petit, nous finîmes par faire voir clair aux camarades.

L'explosion de vitalité de la C. G. T. résulte de ces événements. Il y eut une coalition d'anarchistes, de guesdistes, de blanquistes, d'allemanistes et d'éléments divers pour isoler du pouvoir les syndicats. Cette coalition s'est maintenue, elle a été la vie de la Confédération. Or, le danger existe encore. Il y a toujours des tentatives pour attirer au pouvoir les syndicats, - et c'est cela qui empêchera l'unité morale.

Où l'unité morale peut se faire, c'est si on cherche à la réaliser contre le pot] voir et en dehors de lui. Or, comme il en est qui sont pour ces contacts, ceux qui s'opposent à ces relations empêcheront l'unité morale dont parle Keufer.

Ce qu'il faut voir, c'est que ce n'est pas l'influence anarchiste, mais bien l'influence du pouvoir, qui entraîne à la division ouvrière.

Exemple, les mineurs. La désunion ouvrière fut la conséquence de la pénétration du pouvoir. En 1901, on s'opposa à la grève pour ne pas le gêner et pour ne pas contrarier l'oeuvre "socialiste" de MiHerand-Waldeck-Rousseau. Joucaviel, qui avait tout fait pour s'opposer à la grève, a reconnu, après quatre, ans, que le pouvoir n'avait pas tenu les promesses faites, que le gouvernement avait roulé les mineurs.

Est-ce les anarchistes de la C. G. T. qui ont créé ce conflit ? Non ! Pas plus qu'ils n'ont créé celui des Travailleurs municipaux.

En ce qui concerne ceux-ci, le conflit a son origine entre ceux qui voulaient que l'organisation marche à la remorque de l'administration et ceux qui s'y opposaient.

En réalité, d'un côté, il y a ceux qui regardent vers le pouvoir et, de l'autre, ceux qui veulent l'autonomie complète contre le patronat et contre le pouvoir. C'est en ce sens que s'est manifestée l'action de la C. G. T., et le développement considérable qui en a été la conséquence infirme la thèse du Textile : l'accroissement de la Confédération a été parallèle à l'accentuation de sa lutte. Il n'y a donc pas nécessité de modifier un organisme qui a fait ses preuves; mais au contraire, de déclarer que la C. G. T. doit rester telle que ces dernières années.

Admettons que la proposition du Textile soit votée! Elle créerait des rapports entre la C. G. T. et le Parti. Or, qui dit rapport, dit entente; qui dit entente, dit accord ! Comment s'établirait cet accord fait de concessions mutuelles, entre un Parti qui compte avec le pouvoir, car il en subit la pénétration, et nous qui vivons en dehors de ce pouvoir. Nos considérations ne seraient pas toujours celles du Parti, d'où impossibilité matérielle d'établir les rapports demandés.

De même qu'il faut repousser l'ordre du jour du Textile, de même il faut repousser celui du Livre qui voudrait limiter l'action au rayon purement corporatif et nous ramener au trade-unionisme anglais. Ce serait rétrécir le cadre de l'action syndicale et lui enlever toute affirmation de transformation sociale. Le Congrès ne voudra pas cela Ce serait méconnaître le processus historique de notre mouvement. Ce serait une reculade et ce n'est pas au moment où il y a accentuation d'action qu'il pourrait y avoir reculade de principe.

Guérard. - Il y a une affirmation de neutralité.

Griffuelhes. - Oui, mais en outre, il y a, dans cet ordre du jour, les considérants qui ont une autre portée. D'ailleurs, en voici le texte. Le premier paragraphe parle de bannir toutes discussions et préoccupations politiques, philosophiques, etc... Classez-vous dans les préoccupations politiques et philosophiques, l'affirmation de la suppression du salariat.

Coupat dit que, dans leur esprit, cela est entendu.

Griffuelhes. - Pourquoi ne pas le dire clairement ?

Et parlant de l'affiche rappelée par Coupat, Griffuelhes observe que cela remonte à 1901, - époque ou Guérard était secrétaire de la C. G. T,

Guérard. - Cette affiche était tellement drôle, qu'elle prêtait à rire.

Coupat dit qu'il ne va pas au Comité confédéral sans y voir des choses qui le blessent.

Griffuelhes. - Sur les critiques relatives à l'antimilitarisme, si la Confédération a publié des journaux sur ce sujet, c'est parce qu'elle en a reçu le mandat en 1900, sur la proposition de Fribourg, aujourd'hui conseiller municipal de Paris. Depuis, nul Congrès n'est revenu sur cette décision, et j'ose espérer que celui-ci ne reviendra pas sur elle.

Il demande en terminant que le Congrès vote sur la proposition du Textile, puisqu'on s'affirme sur un ordre du jour catégorique résumant ses déclarations.

Niel dépose l'ordre du jour suivant :

"Considérant que le syndicalisme a pour but l'amélioration quotidienne du sort de la classe ouvrière, et la suppression du patronat et du salariat ;

"Considérant que pour donner à son action son maximum d'effet, le syndicalisme doit pouvoir recueillir dans son sein tous les travailleurs sans distinctions politiques on confessionnelles que, pour cela, il lui est impossible de s'inféoder à aucun parti politique

"Considérant que malgré la diversité d'opinions qu'il renferme, le syndicalisme exerce, sur le terrain économique, une action sociale dont l'utilité et l'efficacité ne sont plus discutables ;

"Considérant qu'en dehors des organisations syndicales il peut y avoir des "organisations de différentes natures qui, sous une autre forme et sur un autre a terrain, poursuivent aussi comme but la suppression du patronat et du salariat;

"Considérant que de nombreux ouvriers syndiqués exercent leur action sociale simultanément sur le terrain économique des syndicats et sur le terrain "politique de groupes différents ;

"Considérant qu'il serait contraire aux statuts de la C. G. T. et préjudiciable à l'organisation ouvrière que le syndicalisme fût systématiquement associé ou opposé à l'un quelconque de ces groupements politiques ;

"Le Congrès repousse toute espèce d'alliance avec tout parti ou secte politique que ce soit ;

"Il déclare, en outre, que le syndicalisme se suffit à lui-même pour réaliser son œuvre de lutte de classe en exerçant son action directement contre le patronat et contre toute force capitaliste d'oppression physique ou morale des travailleurs," L. Niel

Coupat et Plusieurs délégués. Nous déclarons accepter l’ordre du jour de Niel.

Le Président donne lecture de divers ordres du jour

"Bourse du Travail d'Angoulême (Charente), est hostile à la campagne commencée (Textile du Nord), sur les rapports à établir entre la C. G. T. et les "partis politiques. La question économique étant la seule qui nous semble "intéressante et utile à discuter, et à poursuivre, dans nos syndicats.

"Ne répugne pas à voir des syndiqués investis de fonctions politiques, par lesquelles ils peuvent aider à la conquête de plus de largeur de vue dans la résolution des lois ouvrières

"Elle serait désolée de voir nos syndicats dégénérés en comités électoraux."

Pour la Bourse du Travail d'Angoulême:

Le délégué : Etard.

"Les syndicats adhérents à la Bourse du Travail d'Angers :

"Considérant que les syndicats ne pouvant et ne devant être qu'un moyen transitoire pour arriver à la suppression du salariat, ne doivent lutter, pour "leur affranchissement intégral, que sur le terrain économique ;

"Considérant que l'immixtion de la politique dans les syndicats ne peut être qu'une cause de discorde; l'expérience nous l'ayant démontré ;

"Pour ces raisons repoussent toute idée de rapports des syndicats avec les partis politiques."

Pour les syndicats :

Les délégués: Bahonneau, Karcher, Guimaudeau.

Addition à l'ordre du jour repoussant la Proposition du Textile.

"Considérant que l'intervention des élus dans les grèves ou dans les mouvements ouvriers est toujours funeste ;

"Considérant que toujours le prolétariat fut dupé dans ses grèves par l'intrusion, sur le champ de lutte de politiciens trompeurs ;

"Le Congrès engage les syndicats et organisations ouvrières à repousser tout concours des élus dans les mouvements dit prolétariat."

Charpentier, Bourse du Travail de Marseille ; Teyssandier, Bourse du Travail de Périgueux ; Chazeaud, Union des Syndicats Lyonnais ; Legouhy, Tapissiers de Lyon ; E. Laval, Epiciers de Paris ; Bécirard, Chaussure de Lyon ; Cheytion, Cultivateurs de Coursan Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne.

"La Bourse du Travail de Narbonne :

"Considérant que la politique dans les syndicats est néfaste à la bonne marche vers l'émancipation intégrale que les prolétaires réclament ;

"Le Congrès rejette purement et simplement le voeu porté à l'ordre du jour par le Textile et réclame le statu quo sur cette importante question."

M. Cousteau, Bourse du Travail de Narbonne.

"Le Congrès confédéral d'Amiens,

"Considérant que les organisations syndicales poursuivent l'établissement d'une législation qui améliore les conditions de travail et qui perfectionne les moyens de lutte du prolétariat ;

"Considérant, d'autre part, que si la pression, l'action directe, exercées pal: les syndicats sur les pouvoirs publics ont une valeur indiscutable, il est au moins aussi vrai qu'elles ne sauraient être suffisantes et que l'action menée au sein même des assemblées qui ont pouvoir de légiférer est un complément "nécessaire que, seul un parti politique est en état de fournir ;

"Considérant que le Parti socialiste - organisation politique du prolétariat poursuit la réalisation des revendications syndicales et seconde la classe ouvrière dans les luttes qu'elle soutient contre le patronat ; qu'il est donc le "parti" qui mène cette action complémentaire ;

"Le Congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du Travail et le Parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre, l'action des "syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation avec "celle du Parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se con"fondre ;

"Le Congrès, malgré son désir d'entente, croit cependant prématurée la réglementation des rapports entre les deux organisations, par la création d'un organisme quelconque, et préfère s'en remettre aux événements du soin de préparer celui qui sera le meilleur, parce qu'il sortira des faits eux-mêmes ;

"D'ailleurs, le Congrès constatant que dans maintes circonstances et dans de nombreux centres l'entente existe, ou est en voie de réalisation, enregistre avec plaisir cette tendance vers l'harmonie des efforts; fait des vœux pour qu'elle s'accomplisse et décide d'attendre, pour la création du rouage qui faciliterait les rapports de la Confédération générale du Travail avec le Parti socialiste, le moment où l'entente entrée définitivement dans les mœurs se sera imposée à tous comme une nécessité évidente ;

"En attendant et dans l'espoir que le Parti socialiste usera de réciprocité, le Congrès demande aux militants de mettre fin à des polémiques qui, en divisant les forces ouvrières, en lassant les énergies, servent seulement les intérêts du patronat et du régime capitaliste."

J. Tillet, Fédération de la Céramique.

Renard demande la division pour le vote sur l'ordre du jour qu'il a déposé. Cette division mise aux voix à mains levées n'est pas votée.

Devant cette décision, Renard déclare que les camarades partisans de la proposition du Textile, ne prendront pas part au vote.

Résultats du vote :

Contre…………………724

Pour…………………….34

Blancs………………….37

Griffuelhes lit l'ordre du jour suivant :

"Le Congrès confédéral d'Amiens confirme l'article 2, constitutif de la C. G. T. "La C. G. T. groupe, en dehors de toute école politique, tous les travailleurs "conscients de la lutte à mener pour la disparition du salariat et du patronat... ;

"Le Congrès considère que cette déclaration est une reconnaissance de la lutte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs en révolte "contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, tant matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste contre la classe ouvrière

"Le Congrès précise, par les points suivants, cette affirmation théorique :

"Dans l'œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l'accroissement du mieux-être des travailleurs "par la réalisation d'améliorations immédiates, telles que la diminution des "heures de travail, l'augmentation des salaires, etc. ;

"Mais cette besogne n'est qu'un côté de l'œuvre du syndicalisme ; il prépare "l'émancipation intégrale, qui ne petit se réaliser que par l'expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d'action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd'hui groupement de résistance sera, dans l'avenir, le groupement de production et de répartition, base de réorganisation sociale ;

"Le Congrès déclare que cette double besogne, quotidienne et d'avenir, découle de la situation des salariés qui pèse sur la classe ouvrière et qui fait de tous les travailleurs quelles que soient leurs opinions ou leurs tendances politiques ou philosophiques, un devoir d'appartenir au groupement essentiel qu'est le syndicat ;

"Comme conséquence, en ce qui concerne les individus, le Congrès affirme "l'entière liberté pour le syndiqué, de participer, en dehors du groupement corporatif, à telles formes de lutte correspondant à sa conception philosophique ou politique, se bornant à lui demander, en réciprocité, de ne pas introduire dans le syndicat les opinions qu'il professe au dehors ;

"En ce qui concerne les organisations, le Congrès décide qu'afin que le syndicalisme atteigne son maximum d'effet, l'action économique doit s'exercer directement contre le patronat, les organisations confédérées n'ayant pas, en tant que groupements syndicaux, à se préoccuper des partis et des sectes qui, en dehors et à côté, peuvent poursuivre en toute liberté, la transformation sociale."

Marie ; Cousteau ; Menard ; Chazeaud ; Bruon ; Perrier ; E. David, B. d. T. Grenoble ; Latapie ; Médard ; Merrheim ; Deleule ; Bled ; Pouget ; E. Tabard ; A. Bousquet ; Monclard ; Mazau ; Braun ; Garnery ; Luquet; Dret ; Merzet ; Lévy ; 0. Thil ; Ader ; Yvetot ; Delzant ; H. Galantus ; H. Turpin ; J. Samay, Bourse de Paris ; Robert ; Bornet ; P. Hervier, Bourse du Travail de Bourges ; Dhooghe, Textile de Reims; Roullier, Bourse du Travail de Brest ; Richer, Bourse du Travail du Mans ; Laurent, Bourse du Travail de Cherbourg ; Devilar, Courtiers de Paris ; Bastien, Textile d'Amiens; Henriot, Allumettiers; L. Morel, de Nice ; Sauvage ; Gauthier.

Niel. - L'ordre du jour présenté par le bureau confédéral étant, dans son esprit, absolument conforme au mien, je retire celui que j'ai présenté et je me rallie à celui de Griffuelhes. je demande simplement pour le mien, qu'il soit inséré dans la brochure du Congrès.

Jusserand fait la déclaration suivante au nom du Livre. Nous voterons la proposition Griffuelhes en faisant toutes nos réserves sur la grève générale, étant donné que le Livre y est momentanément hostile, parce qu'elle condamne l'intrusion de toute politique dans les syndicats et au sein de la C. G. T.

Monatte. - Après la déclaration de Jusserand, au nom de la Fédération du Livre, disant que les délégués du Livre voteront la proposition Griffuelhes, mais en faisant des réserves, je tiens, au nom de mon syndicat, celui des correcteurs d'imprimerie, adhérent à la Fédération du Livre, à déclarer que je voterai la proposition Griffuelhes sans faire aucune réserve.

Résultats du vote :

Pour………….…………830

Contre…………...………..8

Blanc……………………...1


 

LA CHARTE D’AMIENS AUJOURD’HUI

I. Commentaires sur la Charte d'Amiens

par Jacky Toublet

Celui qui a écrit ce texte l'a conçu avec beaucoup de difficultés : il a connu et estimé un certain nombre de ceux qui furent les animateurs du "noyau" de la Révolution prolétarienne, Charbit, Hagnauer, Guilloré, il a été influencé par eux, et une analyse critique de la Charte d'Amiens et de ses conséquences lui est apparue comme une sorte d'Oedipe politique. Un autre élément a rendu la tâche plus ardue encore ; il est adhérent depuis 1963 du Syndicat des correcteurs de Paris et cette organisation - confédérée à la C.G.T. depuis 1900 - est l'une de celles qui appliquent dans son fonctionnement quotidien l'esprit de la résolution d'Amiens : dans ses rangs se retrouvent quatre-vingt-dix pour cent de la profession, recrutement qui s'étend bien au-delà du champ du contrôle de l'embauche.

Des souvenirs enfin incitaient plus à la fidélité qu'à la réflexion. Ainsi, ce vieux typographe qui gardait précautionneusement dans son vestiaire une composition - des lignes de plomb liées par une ficelle - du texte d'Amiens, qui lui permettait d'en tirer des épreuves qu'il distribuait aux camarades d'atelier et aux jeunes délégués. Cet autre, plus vieux encore, qui au cours des réunions de retraités montait à la tribune de la grande salle de la Maison du Livre, boulevard Auguste-Blanqui, et parlait des choses syndicales passées, de cette maison qu'ils avaient bâtie, eux "les anarcho-syndicalistes de la Chambre typo", du rapport de forces qu'ils maintenaient face aux "tauliers" et de cette indépendance qui réussit même à faire plier Ambroise Croitat ; peut-être exagérait-il, mais son discours ne manquait pas de grandeur...

UN CONGRÈS CHARNIÈRE

Le samedi 13 octobre 1906, le Xle Congrès de la Confédération générale du travail - XVe Congrès national corporatif - adopte une résolution, présentée par Victor Griffuelhes, secrétaire général, qui doit résumer le point de vue confédéral sur les rapports entre les syndicats et les partis politiques, question d'autant plus importante que l'année précédente un parti socialiste unifié avait réuni les diverses tendances du socialisme parlementaire.

Ce débat avait été réclamé et porté à l'ordre du jour du congrès par la Fédération du textile ; nombreux étaient les délégués qui craignaient une telle discussion publique ; parler de ce problème, dit l'un d'eux, ne pourrait "qu'avoir une répercussion dangereuse dans l'organisation syndicale" ou encore, souhaita un autre, que les "congrès corporatifs, véritables assises du travail, ne s'occupent dorénavant que des questions véritablement économiques et corporatives".

Le délégué du Textile, Renard, militant guesdiste bien connu, réussira pourtant à lancer la discussion, en faisant référence aux trade-unions, qui avaient constitué en 1899 un comité de représentation ouvrière2, et en affirmant que "les ouvriers ont à barrer la route à l'action patronale sur le terrain politique. Le syndicat ne peut pas tout faire... Si une situation révolutionnaire se produisait aujourd'hui - poursuivait-il - pourriez-vous, avec vos syndicats actuels, avec vos organisations, régler la production, organiser l'échange ? Non, vous seriez obligés de vous servir de la machinerie gouvernementale3."

Les coups de patte aux libertaires émaillaient son intervention ; il les accusaient par exemple de ne pas respecter, en contradiction avec l'apolitisme confédéral, les croyances des nationalistes et des radicaux : "Que faites-vous lorsque vous votez la grève générale expropriatrice ? Vous ne respectez pas les opinions du radical. Pas plus, vous ne respectez les opinions du nationaliste lorsque vous faites de l'antipatriotisme et de l'antimilitarisme. Ces choses ne peuvent se faire qu'au groupe politique... (Nous) nous divisons le travail." Et il conclut en précisant que, dans le Nord, l'activité des socialistes guesdistes a permis d'organiser "315 syndicats, 76 000 syndiqués, 12 coopératives fédérées avec 30 000 membres..."

Quelques délégués soutinrent que syndicats et partis pouvaient s'allier pour des actions précises ; un texte présenté par Tillet, de la Fédération de la céramique, le formulait ainsi :

"Le congrès se prononce en faveur d'un rapprochement entre la Confédération générale du travail et le parti socialiste. Il décide que chaque fois que les deux organisations seront d'accord sur le but à atteindre l'action des syndicats pourra se combiner temporairement, par voie de délégation, avec celle du parti socialiste, sans que ces deux organismes puissent jamais se confondre."

De nombreux délégués, en revanche, attaquèrent vigoureusement les propositions de Renard et contestèrent le bien-fondé de l'analyse qui les sous-tendait : "Je conteste au parti socialiste de faire une transformation du système économique actuel parce qu'il n'est pas essentiellement un parti de classe comme l'est le parti syndical... Le parti socialiste comprenant des patrons dans son sein, nous ne pouvons faire alliance avec lui... Renard a encore dit que l'antimilitarisme était une question politique ; mais dans toutes les grèves, nous trouvons des soldats contre nous. Nous sommes obligés de prendre des décisions contre cet état de fait. Voilà pourquoi l'antimilitarisme n'est pas politique mais économique. Nous ne voulons plus faire de révolution politique, où nous ne faisons que changer de maîtres, mais une révolution économique", affirmait Bousquet, délégué de nombreux syndicats des boulangers.

Ce sera pourtant Niel, futur rédacteur de la charte - et qui assurera le secrétariat général de la C.G.T. après Griffuelhes - qui résumera les termes du débat :

"Dans les statuts de l'Internationale rédigés sous la dictée, pour ainsi dire, de Marx en 1865, à Londres, il est dit que les travailleurs doivent se servir de l'action politique. Bakounine et sa fraction combattent ces statuts et leur esprit politique, et cela amène dans l'Internationale tellement de conflits que cette merveilleuse association en meurt. De 1876 à 1886, les congrès ouvriers sont exclusivement politiques, c'est le triomphe du guesdisme. De 1886 à 1895, les syndicats s'étant multipliés et fédérés tiennent des congrès économiques ; [les] guesdistes veulent absolument subordonner l'action syndicale à l'action politique. Ceci amène une nouvelle scission, à Nantes, en 1894. En 1896, se tient à Londres le congrès historique où furent aux prises les politiciens et les syndicalistes... Enfin, en 1906, la même question revient, posée encore par un guesdiste. Si j'avais eu quelques doutes sur les intentions de Renard, la persistance et l'obstination avec lesquelles les guesdistes ont toujours essayé de subordonner l'action syndicale me convaincraient suffisamment..."

Puis Niel développe la conception du syndicalisme qui s'était constituée dans les rangs majoritaires de la jeune C.G.T. : "On peut dire que le syndicalisme est une forme d'action employée par des malades contre le mal - plus exactement par les ouvriers contre les patrons. Le mal, c'est les patrons, c'est-à-dire le patronat, le capitalisme et tout ce qui en découle. Les malades, ce sont les ouvriers. Or comme on est ouvrier avant d'être citoyen on trouve chez le salarié l'individu économique avant l'individu politique... Et cela explique que si l'union de tous les citoyens est encore très difficile, l'association de tous les ouvriers est très possible... Le mal dont souffrent tous ces malades, c'est l'injustice sociale qui découle de l'exploitation de l'homme par l'homme, base du régime capitaliste. Ce mal frappe tous les ouvriers d'une façon égale... Quand un patron veut diminuer les salaires à ses ouvriers, il ne les diminue pas d'un sou à ses ouvriers réactionnaires, de deux sous aux républicains, de trois sous aux socialistes, de quatre sous aux anarchistes, de cinq sous aux croyants, de six sous aux athées ; il les diminue de façon égale à tous ses ouvriers, quelles que soient leurs opinions politiques ou religieuses, et c'est cette égalité dans le mal qui les atteint, qui leur fait un devoir de se solidariser sur un terrain où les différences politiques et religieuses ne les empêcheront pas de se rencontrer. Ce terrain, c'est tout simplement le syndicalisme..."

"Une fois réunis sur ce terrain de neutralité absolue, les ouvriers lutteront ensemble pour résister à une baisse des salaires ou pour en obtenir une hausse.... cette lutte leur permettra de voir bientôt l'antagonisme qui sépare les exploiteurs des exploités... L'action syndicale est donc celle qui s'exerce sur le terrain économique par tous les ouvriers contre le mal économique. Ce n'est pas autre chose que l'action directe sous toutes ses formes et tous ses caractères de calme ou de bruit, de modération ou de violence, c'est la pure lutte de classes."

Niel poursuit en faisant remarquer aux guesdistes que, si leur argumentation d'identité d'objectif, de but, est juste, il leur faut réclamer la fusion des deux organismes syndical et politique et non pas leur alliance. "Or vous n'osez pas demander la fusion, parce que vous la sentez impossible. Pour les mêmes raisons, j'affirme que l'alliance est aussi impossible."

Enfin, il conclut par un raisonnement qui trace le chemin de ce qui va devenir la résolution d'Amiens :

"Si on fait l'alliance avec le parti socialiste ou bien c'est la scission à bref délai, ou bien c'est provoquer les anarchistes à tel point qu'ils auront raison alors de faire leur politique anarchiste dans les syndicats4.

"Si les anarchistes continuent leur guerre5, c'est encore la division à brève échéance, ou bien c'est provoquer les socialistes à tel point qu'ils auront raison, alors, de faire leur politique socialiste dans les syndicats. Dans un cas comme dans l'autre, c'est la mort du syndicalisme. Si les militants sont bien pénétrés de leur rôle et de leurs intérêts, ils établiront une solide neutralité politique, en mettant une sourdine à leurs passions politiques dans les syndicats... Comment ! nous aurions le moyen de faire avec le syndicalisme ce qu'on n'a jamais pu faire sans lui : grouper tous les ouvriers sur un terrain qui les oblige à réfléchir sur l'iniquité sociale et les conduit à nos conclusions, et nous briserions bêtement ce moyen par nos entêtements politiques ?... Il faut conserver le statu quo, en lui insufflant un esprit nouveau.

"L'esprit nouveau, c'est la reconnaissance publique revêtue de l'autorité morale d'un congrès aussi important que le nôtre que, quelle que soit la différence de leurs opinions politiques, les syndiqués - et à plus forte raison les militants - ne doivent ni se mépriser, ni s'injurier, ni se combattre. L'esprit nouveau, c'est conserver des relations de respect et de cordialité à l'égard des uns et des autres, c'est envelopper le syndicalisme d'une atmosphère de sympathie réciproque, et reconnaître que toute autre serait irrespirable... L'unité de tactique et de pensée est loin d'être réalisée. Il y a des courants nombreux, des divergences nombreuses partout : en politique, en religion, en socialisme, en anarchisme, en coopératisme, en syndicalisme. Cette variété est l'image même de la vie. Aucun homme, aucun groupe ne peut tout faire... Il devient tellement évident que l'on peut tirer quelque chose de bon, même des lois, que les libertaires eux-mêmes commencent de le reconnaître, comme l'a fait Pouget dans la Voix du Peuple, à propos du repos hebdomadaire... Le syndicalisme ainsi compris sera la plus haute école d'éducation révolutionnaire du prolétariat."

On imagine sans peine la tension et les ardeurs d'un tel débat. "David, dit le compte rendu, au nom du prolétariat de l'Isère, demande à défendre ledit prolétariat contre les appréciations de Renard." Après de nombreuses interventions, il fut décidé que neuf orateurs parleraient pour les "trois courants" présents parmi les délégués.

Un certain nombre d'entre eux doivent être cités, parce que leurs interventions condensent les opinions des travailleurs organisés de 1906 autant qu'elles résument le cheminement qui amena la Confédération à être ce qu'elle fut à cette période.

Merrheim, des Métaux, démonta tout d'abord l'argumentation chiffrée de Renard qui réclamait pour le Nord et la politique guesdiste "315 syndicats" et "76 000 syndiqués". Or, affirme Merrheim, "à Tourcoing, il y a 119 syndicats jaunes, à Roubaix 7, à Lille, à Armentières il y en a également ( ... ) comptant des centaines de membres, quelques-uns plus de 1 000". Il interpelle Renard en conclusion : "Je ne pense pas que vous vouliez compter, comme oeuvre de votre parti, tous les syndicats jaunes ou indépendants du Nord... puisqu'ils vous combattent autant sur le terrain politique qu'économique ?" Il rappela qu'il fut membre du parti de Jules Guesde un moment, en soulignant que Renard abusait du congrès en lui fournissant des chiffres volontairement faux.

"Laissons donc au syndicat sa fonction propre de véritable lutte de classes, que son action soit une lutte incessante contre toutes les légalités, tous les pouvoirs, toutes les luttes oppressives... Voilà ce que vous ne voulez pas comprendre ; vous ne voulez pas voir qu'il ne doit y avoir que deux classes : celle des exploités contre les exploiteurs, et qu'entre les deux il y a, il y aura toujours l'Etat, qui, avec des baïonnettes, sert de tampon entre les deux classes et nous empêche d'avoir satisfaction."

Le secrétaire du Livre, Auguste Keufer, développe ensuite ce qu'on pourrait qualifier de syndicalisme réformiste pur.

"Nous pouvons constater qu'un profond malaise existe dans nos organisations syndicales et à la Confédération. Cela tient aux divisions provoquées par les divergences de vues sur la direction que doivent suivre la Confédération et les syndicats ( ... ). On se rappelle que, dès le congrès de Zurich, en 1893, les députés socialistes allemands, Bebel, Singer, Liebknecht, firent adopter la motion que ne pourraient assister aux congrès ouvriers les délégués qui seraient hostiles à l'action parlementaire. Au congrès de Londres en 1896 (...), on voulait exclure les représentants des syndicats, régulièrement mandatés, qui se déclaraient antiparlementaires...

"Depuis cette époque, les hommes politiques, les parlementaires ont évolué,... ils sont devenus syndicalistes.

"Il en est de même des libertaires, des anarchistes qui ont longtemps combattu les syndicats, ils ne voyaient là que des organisations ouvrières aristocratiques. Ces adversaires d'autrefois (...) ont aussi modifié leur opinion, à tel point que ces antisyndicalistes de naguère sont devenus des syndicalistes actifs, des apôtres du syndicalisme révolutionnaire.

"C'est ainsi que la Confédération du travail a pris une direction qui, selon moi, ne lui appartient pas, qui n'est pas celle qui lui a été désignée au congrès de Limoges6, celle de rallier les forces ouvrières, de provoquer l'organisation du prolétariat et assurer son action sur le terrain économique, en dehors de tout parti politique, de toute école philosophique. C'est cette neutralité qui depuis le congrès de Toulouse a été violée."

Keufer souligne ensuite combien l'entente est difficile entre les deux grands courants ouvriers :

"Ce que veulent les libertaires syndicalistes, ce n'est pas seulement repousser le parlementarisme pour lui préférer l'action directe, la pression exercée par les syndicats ; non, leur but final est de supprimer l'Etat, de faire disparaître tout gouvernement de personnes, pour confier aux syndicats, aux fédérations, le gouvernement des choses, la production, la répartition, l'échange, c'est-à-dire le communisme libertaire intégral.

"Le parti socialiste, au contraire, en attendant l'avènement final et très éloigné du pur idéal communiste, poursuit la suppression de la propriété et du patronat, pour instituer l'Etat socialiste-collectiviste, comme le régulateur du travail et le dispensateur de la richesse, par la conquête des pouvoirs publics.

"Il y a entre ces deux solutions une opposition, au fond, irréductible et l'entente ne pourrait pas durer longtemps, si elle devait se produire ( ... ), et cela d'autant que les anarchistes accusent à l'avance l'Etat collectiviste de devenir plus despotique que l'Etat bourgeois."

Après avoir posé aussi clairement les oppositions de principe, Keufer souligne la pratique qui peut rapprocher les deux adversaires ; d'abord, dit-il, les libertaires remarquent que la législation peut représenter une protection minimale lorsque les organisations syndicales sont faibles : "Pourquoi nier l'utilité de la protection légale ? Cela ne m'empêche pas de déclarer qu'il y aurait danger à fonder de trop grandes espérances sur l'action légale, sur l'intervention de l'Etat", affirme-t-il.

"Il y a lieu de redouter aussi les candidatures ouvrières ; que se portent candidats ceux qui se trouvent dans les rangs du syndicat, c'est bien ; mais il est funeste que ceux qui ont conquis la confiance de leurs camarades - chose difficile à réaliser dans le monde ouvrier par l'exagération même des principes démocratiques -, il est funeste que ceux là quittent leurs fonctions syndicales pour devenir des candidats aux fonctions politiques. Ils sèment le scepticisme parmi les travailleurs et favorisent l'accusation de n'avoir agi qu'en vue de se faire un tremplin de leur fonction syndicale. La vérité, c'est que les militants qui représentent une véritable force sociale, qui possèdent la confiance de leurs camarades, doivent rester avec eux et mettre leurs aptitudes au service de leur corporation... Il ne peut donc être contesté que l'action syndicaliste et l'action politique, pendant une longue période transitoire, si ce n'est toujours7, devront s'exercer avec profit."

"Mais dans l'intérêt même de cette double action,... il faut renoncer à une entente permanente ou temporaire entre la Confédération, entre les syndicats et le parti ouvrier. Chacun de ces organismes a son terrain d'action tout indiqué, délimité ; leur action sera convergente et non commune ni subordonnée."

"( ... ) La Confédération n'est pas une Eglise qui peut prétendre imposer un dogme quelconque. Personne aujourd'hui, pas plus les anarchistes que les partisans d'autres doctrines, ne peuvent affirmer l'infaillibilité de leurs conceptions. ( ... ) Dans les organisations syndicales et à la Confédération, on ne peut affirmer la supériorité de telle ou telle doctrine, c'est aux seuls individus, dans leur pleine liberté, de se prononcer.

"Je conclus donc en déclarant que la Confédération doit observer une neutralité absolue, non seulement au point de vue politique, mais au point de vue philosophique, en écartant la propagande libertaire, antimilitariste et antipatriotique, idées qui sont exclusivement du domaine individuel. Libre à chacun de les propager ou de les combattre hors des syndicats."

Une nouvelle fois, un délégué allait intervenir pour souligner ce qu'il considère comme l'existence d'un nouveau courant ouvrier, Latapie, des Métaux : "Il faut que nous disions qu'il y a une doctrine nouvelle, le syndicalisme." Si le syndicat anime la lutte quotidienne pour obtenir des revendications immédiates, il faut aussi "montrer que le syndicat a un autre but encore, la suppression du salariat... Le syndicat doit lutter contre toutes les puissances : puissance religieuse, puissance de l'Etat, puissance du militarisme, puissance de la magistrature".

"Il faut que pour la première fois les congressistes se prononcent sur la doctrine nouvelle. Il faut que le syndicalisme soit une théorie entre les théories anarchiste et socialiste. Cette doctrine, d'ailleurs, se suffit à elle-même."

Coupat, ouvrier mécanicien très lié à Millerand, souligne avec une certaine aigreur que c'est l'entrée d'une "personnalité politique au gouvernement"8 qui a permis l'union des socialistes révolutionnaires et des libertaires dans la C.G.T. "Les libertaires, insensiblement, ont pénétré l'organisme central de la Confédération et en ont pris la direction."

Victor Griffuelhes enfin devait intervenir, avant de présenter son "ordre du jour".

"Constatons que Merrheim a détruit par des chiffres la base de l'exposé de Renard, il a prouvé que la méthode qu'il préconise n'a pas donné de grands résultats, attendu l'inexactitude des chiffres produits... Et puis, vous 9 citez les Anglais nous disant qu'après cinquante ans d'action directe ils viennent au parlementarisme. Vous ajoutez qu'ils ont les plus hauts salaires et les plus courtes journées. Cela, c'est le résultat de leur action directe. Quant aux effets du parlementarisme chez eux, le mieux est d'attendre pour les enregistrer... Keufer insiste trop sur la présence des libertaires au sein du comité confédéral ; ils n'y sont pas aussi nombreux que le veut la légende. Mais c'est une tactique pour faire surgir un péril libertaire, afin de constituer un bloc pour annihiler ce péril." Puis il rappelle l'expérience Millerand et ses conséquences : "A peine Millerand ministre, parut une déclaration signée de Keufer, Baumé, Moreau, en faisant suivre leur nom de leur qualité de secrétaire d'organisation, approuvant son acte. Est-ce que pareille déclaration ne constituait pas un acte politique ?" Il cite quelques événements où le gouvernement tenta d'appâter la direction de la C.G.T. : "Que voulait-on ? Nous domestiquer ! Nous fûmes deux à protester et... finîmes par faire voir clair aux camarades. L'explosion de vitalité de la C.G.T. résulte de ces événements. Il y eut une coalition d'anarchistes, de guesdistes, de blanquistes, d'allemanistes et d'éléments divers pour isoler du pouvoir les syndicats... Or le danger existe encore. Il y a toujours des tentatives pour attirer au pouvoir les syndicats. Ce qu'il faut voir, c'est que ce n'est pas l'influence anarchiste, mais bien l'influence du pouvoir qui entraîne à la division ouvrière. Exemple, les mineurs... En 1901, on s'opposa à la grève pour ne pas gêner et pour ne pas contrarier l'œuvre "socialiste" de Millerand-Waldeck-Rousseau."

On vota ; la résolution présentée par Renard pour la Fédération du textile recueillit 724 voix contre, 34 pour et 37 votes blancs ; en revanche, le texte présenté par Griffuelhes, et consigné par quarante-deux délégués, dont Latapie, Merrheim, Delesalle, Pouget, Yvetot, Dhooghe, obtint 830 voix pour, 8 contre et 1 vote blanc10 (9).

COMPROMIS OU CONVERGENCE ?

On aura lu dans les extraits des interventions les éléments qui fondent la lecture classique du congrès d'Amiens et de son ordre du jour sur les rapports parti-syndicats : il s'agirait du document résumant le syndicalisme révolutionnaire. C'est sous cette forme que le qualifie, par exemple, l'hebdomadaire Rouge11, ou encore l'article de Germaine Willard à la page 67 de la réédition opérée par l'Institut d'histoire sociale de la C.G.T.12 (l 1) qui précise : "La Charte d'Amiens exprime simplement l'un des aspects les plus typiques, les plus originaux du mouvement ouvrier français au début du XXe siècle : le syndicalisme révolutionnaire." Il nous parait pourtant que les faits, en 1906 et plus tard, montrent une réalité plus nuancée.

Qui pourrait croire qu'après quelques heures de discussion la presque totalité des délégués au congrès se seraient ralliés aux thèses du syndicalisme révolutionnaire qui s'expriment dans les premiers paragraphes du texte présenté par Griffuelhes : lutte de classes, travailleurs en révolte contre toutes les formes d'exploitation et d'oppression, émancipation intégrale, expropriation capitaliste, grève générale, syndicat aujourd'hui/groupement de résistance demain base de la réorganisation sociale.

Il n'en est rien ; chacun a voté le texte pour les parties qui lui agréent. Les trois courants répertoriés dans l'après-midi du 12 octobre sont toujours présents. Mais quels sont-ils ? Si on décompte les socialistes parlementaires, type Renard ; puis les anarchistes, type Broutchoux ; la troisième sensibilité devrait, en ce cas, comprendre des militants aussi différents que Griffuelhes et Keufer ; or leur seul point d'accord est l'indépendance de la Confédération. Les trois groupes sont plutôt les réformistes, comme ceux de la direction du Livre, les parlementaires et les révolutionnaires - qu'ils se déclarent encore socialistes révolutionnaires ou anarchistes ou déjà syndicalistes révolutionnaires. La convergence du premier et du troisième courants repoussait hors de la C.G.T. l'intrusion et la direction du parti politique et du groupement d'opinion ; elle voulait promouvoir un mouvement exclusivement salarié qui entendait agir de sa propre force - son caractère de producteur, sa capacité à fabriquer des biens et des services.

Les anarchistes du Bâtiment et les réformistes du Livre pouvaient s'entendre et vivre ensemble en s'appuyant sur le premier volet de la "double besogne", sur les revendications de réductions du temps de travail et d'augmentation de salaire, ou pour organiser l'apprentissage et le contrôle syndical de l'embauche, ou pour défendre le droit d'association ou la liberté de négociation : les uns comme les autres pensaient qu'un bon syndicat vaut mieux qu'une bonne loi.

Et les dernières conditions énumérées par la charte - indépendance, neutralité et non-ingérence - formulaient les conditions d'existence d'un mouvement syndical unique, ou plutôt unitaire : il se voulait unique et se donnait les moyens de l'être. L'essentiel est dit par neutralité et cet étrange paragraphe qui demande au syndiqué de ne pas introduire dans le syndicat les "opinions qu'il professe au dehors". Nombre de délégués votèrent donc le texte parce qu'ils s'opposaient à la collaboration permanente entre le syndicat et le parti, parce qu'ils s'opposaient aux guesdistes. Déjà la résolution présentée par Renard avait été rejetée par 724 contre, 34 pour et 37 votes blancs13

Une indication complémentaire peut être trouvée dans le vote ultérieur sur la proposition d'Yvetot souhaitant que "la propagande antimilitariste et antipatriotique devienne toujours plus intense et toujours plus audacieuse...", qui vit 484 voix se porter sur elle, alors que 300 voix s'y opposèrent avec 49 blancs et 39 nuls. Sur les 872 voix du congrès d'Amiens, on peut donc recenser une petite majorité pour une orientation qu'on peut qualifier de révolutionnaire et libertaire.

Les différences entre ces trois résultats montrent que le texte d'Amiens est bien avant tout une motion d'unité ; elle permet à tous de militer au syndicat - ses affirmations révolutionnaires et expropriatrices ne sont en revanche que l'expression d'un groupe qui représente un peu plus de la moitié de la C.G.T.

On peut, en outre, voir dans la résolution d'Amiens une déclaration de maturité ; la C.G.T. était majeure, elle entendait se diriger elle-même. Le document d'Amiens est toujours actuel si on cherche les conditions de l'unité syndicale hors de l'emprise des organisations politiques. Pierre Monatte14 affirma même que le sens profond du texte était de "ne pas permettre à la classe ouvrière d'être roulée. Roulée ni par ses ennemis, ni par ses faux amis, ni par ses propres délégués mal tenus en main... Dans l'histoire française, il ne manquait pas, ajoutait-il, de révolutions politiques qui s'étaient retournées contre la classe ouvrière. Il n'en serait pas de même en cas de révolution sociale."

FORCE ET DANGER DE L'APOLITISME

Les libertaires se défient beaucoup du mot utopie, lorsqu'il est compris dans le sens banal d'aspiration irréalisable, parce qu'un tel mot leur est souvent opposé par toutes sortes de conservateurs.

L'utopie sociale pourtant, au contraire d'une analyse rigoureusement rationaliste, est un grand facteur de progrès - volonté tendue vers un but ou imagination d'un avenir meilleur, elle exprime des revendications de mieux-être et permet aux consciences de s'évader, de songer qu'autre chose est possible.

L'unité ouvrière par la neutralisation politique, qu'on pourrait qualifier d'utopie, doit être comprise comme telle, comme un levier vers l'unité, vers plus de force, plus de détermination.

Toute d'optimisme et de volontarisme, cette doctrine renfermait aussi de redoutables pièges.

Pierre Monatte, au congrès anarchiste d'Amsterdam de 1907, développe ces idées de la manière suivante : la C.G.T. a atteint un grand degré de prospérité et d'influence parce qu'un principe fondamental a été appliqué : un seul syndicat par profession et par ville, principe qui exclut en fait les syndicats d'opinions.

"La conséquence de ce principe, c'est la neutralisation politique du syndicat, lequel ne peut et ne doit être ni anarchiste, ni guesdiste, ni allemaniste, ni blanquiste, mais simplement ouvrier... Dans la vie pratique, les intérêts priment les idées : or toutes les querelles entre les écoles et les sectes ne feront pas que les ouvriers, du fait même qu'ils sont pareillement assujettis à la loi du salariat, n'aient des intérêts identiques. Et voilà le secret de l'entente qui s'est établie entre eux, qui fait la force du syndicalisme et qui leur a permis, l'année dernière, au congrès d'Amiens, d'affirmer fièrement qu'il se suffisait à lui-même !"

C'est en ce sens que certains syndicalistes révolutionnaires ont voulu voir dans leur théorie un dépassement de l'anarchisme et du socialisme, une solution aux scissions de La Haye et de Londres.

C'était supposer que les partisans de la tactique parlementaire abandonneraient, dans le mouvement syndical, la lutte pour convaincre les ouvriers de voter pour eux - alors que les syndicats représentaient une troupe importante d'électeurs potentiels ; c'était espérer que les syndicalistes - révolutionnaires ou réformistes - conserveraient la majorité de la confédération ; c'était enfin espérer que les militants de tous les courants joueraient le jeu du syndicat, parce qu'on le jugeait "groupement essentiel", avis que tous les socialistes ne partagent pas.

Il n'en a rien été, et la Charte d'Amiens n'a été opératoire que lorsque ces partisans étaient aux postes de responsabilité du mouvement syndical.

Pour les autres, pour ceux qui estiment que le syndicat est secondaire, et notamment pour tous ceux qui sont de formation marxiste - social-démocrate ou léniniste - elle ne fut qu'un chiffon de papier.

Elle ne protégea pas le syndicat contre les fractions et la propagande qui affirmait que seul le parti possédait les capacités pour diriger les luttes ouvrières et préparer l'émancipation ; elle n'empêcha pas non plus les parlementaires de développer leur point de vue.

En revanche, elle priva les syndicalistes révolutionnaires de l'expression de la partie critique de leur programme : le syndicat, dont les statuts proclament la neutralité, ne pouvait accepter la propagande antiélectorale ou la polémique contre les conceptions avant-gardistes. Et le syndicaliste révolutionnaire n'est pas organisé en dehors du syndicat - à la différence du léniniste et du social-démocrate. A l'intérieur même de son syndicat, celui de son usine ou de sa profession, il hésite à préparer assemblées générales et réunions, il craint de fausser la démocratie interne, d'être fractionniste et manipulateur. Et il est seul contre des fractions organisées au niveau national, voire même international...

Les conditions de l'unité mises en avant par la Charte d'Amiens et surtout le caractère quasi religieux attaché à une C.G.T. unique ont entravé le travail de clarification, d'organisation, d'explication et de propagande de ceux qui se reconnaissaient dans le syndicalisme révolutionnaire. Plutôt que de concevoir l'unité organique comme l'aboutissement de luttes et de débats, conclusion souhaitable mais pas à n'importe quel prix, beaucoup de militants conçurent cette revendication comme primordiale et comme préludant quasi automatiquement à un retour majoritaire de l'orientation syndicaliste révolutionnaire. Dans le concret de la seconde moitié des années trente, au contraire, une lutte d'influence s'est déclenchée entre un camp réformiste-socialiste et le bloc marxiste-léniniste stalinien. Chacune des deux fractions se déclarant plus unitaire que l'autre, elle ne recherchait que la majorité arithmétique au conseil du syndicat, de l'union ou de la fédération.

Ainsi, en partant de présupposés apolitiques et unitaires, la C.G.T., le mouvement syndical révolutionnaire qui renouvela la pensée socialiste à l'aube de ce siècle dans les pays développés, se scinda, s'écartela en de nombreuses organisations, cinq aujourd'hui en France, sans compter les groupes de syndicats autonomes.

Quelle idée intéressante pourtant que ce concept d'apolitisme tel qu'il fut compris à cette époque, ou tel que l'appliquèrent les lycéens et les étudiants du mouvement de décembre 1986 ! Niel le définissait comme un moyen "de se solidariser sur un terrain où les différences politiques et religieuses n'empêcheront pas [les ouvriers] de se rencontrer", pour agir, pour "résister à toute augmentation de la journée de travail", pour obtenir des augmentations de salaires ou des diminutions des horaires de travail, etc.

On sent quelle force peut receler une telle idée, lorsqu'elle devient familière aux millions de personnes qui subissent le salariat ou plus largement à tous ceux qui veulent résister aux empiètements de l'Etat et des puissants. Le moyen de l'action réside dans le refus et la protestation, il coule de source des prémisses : il est la pression exercée directement par les intéressés : les travailleurs - ou les étudiants - arrêtent de travailler, manifestent en grand nombre, appellent à la solidarité ; chacun a sa place dans le mouvement ; il sait pourquoi il agit ; il sait aussi que son effort ne sera pas "récupéré", comme on dit, que l'action qu'il est en train de mener avec les autres se développe pour un objectif concret, presque palpable, qu'il connaît. Et non pas parce que, par exemple, les représentants du parti qui se dit ouvrier ont été mis à la porte du gouvernement de reconstruction nationale ou bien que l'agitation sociale doit s'amplifier pour préparer les prochaines élections législatives.

Une telle pratique, a fortiori si elle est répétée, donne naissance à une fermentation sociale, à un mouvement, à quelque chose dans lequel ceux qui participent prennent conscience de leur force et approfondissent les raisons de leur action tout autant qu'ils discernent mieux l'origine de leur maux.

On retrouve, jusqu'à ce moment où se trouve posée la question de la finalité, de la perception du but de ce mouvement syndical apolitique, la pérennité de la coalition victorieuse du congrès d'Amiens.

Et c'est à cet instant que l'apolitisme peut devenir révolutionnaire - en se donnant comme objectif de s'attaquer et de faire disparaître la cause, l'origine du conflit ; il se sépare évidemment de ce qu'on appelle abusivement le syndicalisme réformiste, qu'on devrait justement nommer unionisme en référence à Samuel Gompers et à l'American Federation of Labor, forme syndicale qui ne franchit jamais la seconde étape et axe toute son action sur la défense des revendications, tout en préservant son indépendance vis-à-vis de l'Etat, du patronat et des organisations politiques, au moins en théorie.

Parmi les travailleurs du Livre français s'est maintenue jusqu'aux années soixante-dix une conception issue de l'alliance du congrès d'Amiens et des idées de Keufer, édifice dont un pan se nommait indépendance syndicale et neutralité envers les partis politiques - équidistance serait plus juste - alors que le second se basait sur une réelle énergie revendicative et une quasi unité syndicale - c'étaient les "scissionnistes" de Force ouvrière ou les "chrétiens" qui étaient regardés comme "faisant de la politique".

Les résultats matériels obtenus pendant un demi-siècle montrent l'efficacité immédiate de l'apolitisme syndical comme moyen de mobilisation et d'action. Sans doute, la stagnation technologique de ce secteur a favorisé l'obtention de meilleurs accords et de meilleurs contrats collectifs, mais d'autres secteurs industriels aussi sont restés sans modifications techniques notables, qui n'obtenaient pas de tels résultats.

En revanche, la fragilité de telles conceptions est démontrée par la situation actuelle : contestés depuis longtemps de l'intérieur, les "réformistes" du Livre ne se renouvelèrent pas à quelques exceptions, près.

La génération qui disparut avec Edouard Ehni15 laissa la place à des militants porteurs d'une philosophie sociale et politique complète, ou tout au moins qui en donnait l'apparence - en 1960, les membres du P.C.F. ; en 1970, les "gauchistes", etc. Beaucoup des jeunes travailleurs de cette période considéraient l'apolitisme ou la neutralité syndicales comme une sorte d'automutilation ; ils ne voyaient pas clairement que derrière les aspirations affirmées d'aborder tous les problèmes se cachait pour certains la volonté d'imposer à un certain moment du rapport de forces interne une seule analyse, une seule orientation, un seul point de vue.

Alors que dans les années soixante-dix, la Fédération du livre réunissait peut-être 70 pour 100 des travailleurs de sa branche industrielle, elle n'en rassemble aujourd'hui que le quart.

Ce ne sera pas dans la C.G.T. que se développera et mûrira l'apolitisme révolutionnaire mais dans sa sœur cadette d'outre-Pyrénées, la Confederacion nacional del trabajo16, conception de transformation sociale qui trouvera son aboutissement avec les journées de juillet 1936, pendant lesquelles les travailleurs de Catalogne, du Levant, d'Aragon et d'Andalousie réussirent à briser un coup d'Etat militaire et à collectiviser et mettre en autogestion une grande partie de la Péninsule.

La comparaison des évolutions divergentes des deux grandes centrales syndicales montrent en effet le sens à donner au texte d'Amiens et à la coalition qui préside à ce rassemblement.

Elle permet aussi de prendre conscience de ce qui, à un certain moment de l'évolution du mouvement ouvrier, a permis aux réformistes et aux révolutionnaires de s'entendre : leur confiance en l'action directe des travailleurs et en leur capacité à l'auto-organisation.

Plus tard, avec le planisme, avec la "concertation entre les partenaires sociaux", il y aura renversement d'alliance ; les réformistes, ayant perdu confiance dans les capacités de refus et d'action des travailleurs, chercheront des points d'appui auprès des groupes parlementaires. Ce qui avait été raté au temps de Griffuelhes, "nous domestiquer" disait-il, réussira avec d'autres.

La Charte d'Amiens n'est pas le syndicalisme révolutionnaire ; elle ne le résume pas, elle exprime quelques-unes de ses idées-forces dans ses premiers paragraphes ; pour trouver sa pleine expression, le syndicalisme révolutionnaire dira également son antimilitarisme et son internationalisme ; il devra développer aussi son analyse de la société et de l'Etat. Et il doit surtout - sans la pratique revendicative, l'organisation des besoins et des aspirations des travailleurs17 autant que par la dénonciation - montrer à la population laborieuse combien le parlementarisme et son système concomitant de partis politiques représentent un rouage régulateur du système capitaliste, combien il est nécessaire de s'en éloigner pour défendre ses intérêts, combien il est indispensable de les combattre pour faire progresser la conscience et la volonté de transformer dans un sens socialiste la société.

Plus tard, après la Première Guerre mondiale, des militants tenteront de reprendre le débat théorique qui fut clos un instant par l'adoption du texte d'Amiens et de promouvoir une meilleure compréhension du syndicalisme révolutionnaire ; les dix points de l'A.I.T. nouvelle manière de 1922 ou la déclaration de principe de la C.G.T.S.R., dite Charte de Lyon, sont parmi les résultats de ses efforts. Hélas ! dans la conscience de centaines de milliers de travailleurs formés au syndicalisme par la Charte d'Amiens devait demeurer cette ambiguïté de l'apolitisme sans finalité qui allait permettre aux conceptions partidaires ou avant-gardistes de s'engouffrer.

En fin de ce chapitre, et pour équilibrer une partie critique qu'un grand nombre de militants pourraient trouver excessive, il est nécessaire de souligner combien la voie empruntée par les syndicalistes révolutionnaires aurait pu être féconde ; leur objectif stratégique n'était rien de moins que la construction progressive de l'unité du mouvement ouvrier sur une orientation révolutionnaire, c'est-à-dire la création d'une force de bouleversement social très importante ; pour cette raison, ils trouvèrent contre eux tout ce que le monde recelait de conservateurs, d'arrivistes, de financiers, de militaires, de capitalistes, de politiciens. La guerre mondiale, l'abandon d'un nombre non négligeable de ses militants - ouvriers ou théoriciens - n'ont pas fait disparaître le syndicalisme révolutionnaire ; il a fallu l'immense et tragique malentendu de la révolution russe et les exterminations fascistes pour le réduire à quelques minorités.

A la différence de plusieurs de ces concurrents - la social-démocratie ou le bolchevisme par exemple - il n'a pas été le soutien fidèle des vieilles oppressions non plus que le vecteur de nouvelles dominations ; pour cela, il n'a pas démérité.

DOCTRINE NOUVELLE

Latapie, secrétaire de la Fédération de la métallurgie avec Merrheim et Galantus, était intervenu dans le débat général pour défendre l'idée que se constituait une "doctrine nouvelle : le syndicalisme". Il définira cette théorie en appelant le syndicalisme à combattre toutes les "puissances oppressives" jusqu'à la suppression du salariat.

En 1903, après qu'on l'eut qualifié d'anarchiste, il avait répondu :

"Je sais que vous préféreriez me voir préconiser l'abstention électorale. Eh bien ! sachez que "libertaire", je ne relève d'aucune chapelle politique et, que dans ma pensée, j’estime qu'un abstentionniste conscient est un homme de révolution, mais que ceux qui se révèlent abstentionnistes à l'issue d'un meeting sont des individus sur lesquels nous n'avons pas à compter. La théorie de l'abstention préconisée en réunions publiques est une vaste blague, car une opinion semblable ne peut s'inculquer que dans des cerveaux libérés de tous préjugés.

"Pour nous, et nous l'avons dit maintes fois, les syndicats n'ont pas plus à faire de la politique anarchiste que de la politique socialiste18... Peut-on faire un reproche aux révolutionnaires de dire que le travailleur ne doit pas compter seulement et spécialement sur le bulletin de vote ? Une autre besogne plus importante lui reste à faire et le syndicat est seul capable de la lui faciliter.

"Il faut que pour la première fois les congressistes se prononcent sur la doctrine nouvelle. Il faut que le syndicalisme soit une théorie entre les théories anarchiste et socialiste. Cette doctrine, d'ailleurs, se suffit à elle-même19."

Plusieurs interventions reprirent sous des formes diverses la même idée : les militants du syndicalisme révolutionnaire estimaient que leur manière de voir les choses et de mener leurs luttes était sinon en rupture du moins différente des écoles sociales constituées par les générations antérieures.

Latapie dans son intervention se réfère aux statuts de son syndicat

"Le but de cette union est de resserrer les liens de solidarité et d'unir, en un seul bloc, tous les travailleurs des métaux sans distinction de profession, d'âge, de sexe, de race ou de nationalité, afin d'arriver à constituer le travail libre, affranchi de toute exploitation capitaliste, par la socialisation des moyens de production au bénéfice exclusif des producteurs et collaborateurs des richesses, c'est-à-dire de réaliser la devise communiste : "De chacun selon ses forces à chacun selon ses besoins."

Il s'agit bien sûr d'un point de vue ouvrier, de quelqu'un qui produit, qui est astreint au travail pour vivre - cet ouvriérisme s'accompagne de la menace future, le "bénéfice exclusif des producteurs et collaborateurs", de refuser la consommation à l'oisif. Pour le reste, quelle partie du texte n'aurait-elle pu être écrite par Kropotkine ?

La divergence se discerne dans cette affirmation : "Le syndicat n'a pas plus à faire de la politique anarchiste que de la politique socialiste." C'est-à-dire que le syndicat, selon Latapie et ses compagnons, ne doit pas relayer l'un ou l'autre des mots d'ordre des deux grands secteurs qui se partagent alors le monde du travail : voter pour un candidat socialiste ou ouvrier, préconiser l'abstention politique.

On ne peut reprocher aux révolutionnaires de dire les choses, ajoute Latapie, mais leur travail principal est d'organiser le syndicat afin de montrer concrètement aux travailleurs que la voie de leur émancipation passe par eux-mêmes, et seulement par là.

Il s'agirait d'une différence de méthodes - montrer plutôt que de dénoncer - plus que l'opposition de deux théories.

Nous touchons pourtant un des éléments qui pesèrent lourd dans l'évolution du mouvement ouvrier.

On sait que pour les travailleurs, ceux qui subissent l'exploitation et l'oppression, il est d'une importance capitale de rompre avec les idées, les principes, les organisations qui sous-tendent et propagent sous des prétextes divers le bien-fondé de cette exploitation. Pierre-Joseph Proudhon est celui des socialistes qui a sans doute le plus insisté sur cette nécessaire scission qui, à son époque, s'est traduite par la rupture avec les républicains ; le mouvement socialiste s'est bâti sur cette opposition.

A partir de 1870, un autre problème s'est posé, celui de la sécession entre les partisans de la stratégie parlementaire et ses adversaires : la ligne de clivage ne portait plus sur la finalité mais sur le moyen employé pour atteindre cet objectif. Cette opposition est apparue comme légitime, surtout aux parlementaires qui, à plusieurs reprises, voulurent expulser du mouvement ouvrier organisé ceux qu'on commençait à appeler les anarchistes.

La distinction soulignée par Latapie est-elle en revanche justifiée ? Avec les socialistes électoraux sans doute. Mais peut-on estimer qu'une divergence de tactique, au sein de ceux qui considèrent la voie parlementaire comme sans issue révolutionnaire, réclame une nouvelle séparation, caractérisée en outre par une nouvelle appellation ? L'accent mis sur les différences existant à propos du rejet actif ou passif du parlementarisme - plutôt que l'insistance portant sur l'analyse commune de l'électoralisme et de l'Etat autant que sur les finalités communistes partagées - n'a-t-il pas été une confusion entre le particulier, une certaine tactique de dénonciation de la stratégie parlementaire, et le général, organiser sur une base non parlementariste, hors des partis, une fraction importante de la population qui subit le joug économique du capital et les chaînes politiques de l'Etat ?

Plus grave encore, la proclamation de "la nouvelle doctrine" a introduit parmi les antiautoritaires20 des ferments de confusion qui, en France notamment, à diverses périodes décisives, déclenchèrent des scissions à l'intérieur du syndicalisme révolutionnaire, en particulier parce qu'ils coupaient des militants de leurs racines historiques et théoriques : les luttes et les clarifications de l'Internationale, la Commune, les luttes contre les premières tentatives de réformisme...

Ainsi en 1922, au congrès de Saint-Etienne de la C.G.T.U. nouvellement constituée, les syndicalistes révolutionnaires se sont divisés sur l'orientation traitant des relations du syndicalisme avec les autres révolutionnaires, ce qui a permis aux militants qui étaient en train de construire le parti communiste français de prendre la direction de la confédération naissante. La motion présentée par Pierre Besnard au nom du syndicat des cheminots de Paris-Etat rive gauche n'obtint que 406 mandats contre les 743 mandats qui se portèrent sur le texte défendu par Monmousseau alors proche de Pierre Monatte21.

Est-il exagéré de chercher l'origine des errements de Monatte et de ses compagnons de 1918 à 1924 - qui aidèrent grandement le parti communiste à s'implanter dans la classe ouvrière grâce à la caution de militants à juste raison respectés - dans l'émergence aux alentours de 1900 de ce que certains pensaient être une nouvelle doctrine ?

Toute théorie sociale qui ne fait pas de la nature de l'Etat le critère de choix déterminant - et qui par conséquent néglige ou oublie que, dans le mouvement ouvrier, parmi les socialistes, la division principale, jusqu'à aujourd'hui insurmontable, se réfère à l'analyse de l'Etat - est source de confusion. Le syndicalisme révolutionnaire de Latapie, d'Yvetot, de Pouget ou de Delesalle se suffisait à lui-même parce qu'il s'appuyait sur les analyses et les théories libertaires, ou tout au moins ses sédiments idéologiques laissés par d'innombrables livres, articles et brochures publiés depuis 1848, autant que le souvenir et l'enseignement déposés dans la conscience ouvrière de l'époque par la vie exemplaire de milliers de militants, les Varlin, les Tortellier et les Louise Michel, et tous les autres dont l'histoire n'a pas reconnu les noms.

Privé de sa boussole libertaire, le syndicalisme révolutionnaire a dérivé. Fritz Brupbacher, révolutionnaire suisse, ami de Pierre Monatte, rappelle dans son livre Soixante Ans d'hérésie22 que le créateur de la Vie ouvrière, après la révolution russe, "avait fait sienne l'idée de l'Etat telle que Lénine la définit dans son livre l’Etat et la Révolution" et que "en 1921, Monatte pensait que le P.C. était peut-être cette minorité dirigeante" qui devait entraîner les masses, la minorité agissante que le syndicalisme avait tenté de créer, sans succès.

On connaît la suite : les amis de Monatte exclus du P.C. tentent un combat de minoritaires au sein de la C.G.T.U. Brupbacher formula lui-même la conclusion de cette aventure : "C'est l'époque à laquelle, par enthousiasme pour la révolution russe, le syndicalisme révolutionnaire accomplit son propre suicide..."23.

L'évolution du mouvement syndical espagnol nous permet peut-être de clarifier les idées. La Confédération nationale du travail d'Espagne s'est construite dès son origine contre le réformisme du socialisme parlementaire, l'étape de la neutralité et de l'apolitisme sans finalité a tout de suite été sautée, sans grand dommage. Elle fut la réalisation, volontaire ou non, la plus marquante, la plus fidèle, des cinq premiers paragraphes de la résolution d'Amiens, ceux qui définissent une orientation révolutionnaire ; lorsque la nouvelle de la révolution russe explosa dans les consciences des militants de la C.N.T., l'enthousiasme ne noya pas la lucidité24, et la C.N.T. ne donna pas naissance à un parti communiste s'implantant dans le terreau libertaire.

Le syndicalisme révolutionnaire a donné ses fruits les plus beaux et les plus forts en Espagne parce qu'outre-Pyrénées il n'a pas rompu son lien avec les idées et les principes de la Première Internationale. Au contraire, après bien des affrontements et des débats, il s'est révélé être la version libertaire du syndicalisme, la manière dont les anarchistes conçoivent l'action syndicale et la proposent aux travailleurs.

On ne peut pas dire que la pratique du syndicalisme révolutionnaire a créé une doctrine nouvelle, entre le courant étatique de Blanqui, de Marx et de Lénine et la tendance non étatique de Proudhon, de Bakounine et de Kropotkine ; on ne peut pas affirmer non plus qu'il en a effectué une synthèse. Dans de nombreux pays d'Europe du Sud, le syndicalisme révolutionnaire a été la résurgence de la stratégie mise au point par les sections dites "antiautoritaires" de l'Association internationale des travailleurs et particulièrement par Michel Bakounine et ses camarades25.

Le syndicalisme révolutionnaire, qu'on appela plus tard anarcho-syndicalisme, fut le nom donné, la réponse trouvée par des ouvriers et des militants libertaires et révolutionnaires au problème posé par ces rassemblements d'ouvriers qui augmentaient sans cesse ; on peut en effet affirmer sans grand risque d'erreur que l'association, le rassemblement, l'union - quel que soit le mot choisi - des travailleurs est un fait depuis longtemps avéré, particulièrement pour les ouvriers - solidarité spontanée dans un monde difficile. Chacune des sensibilités idéologiques ou politiques y a apporté son point de vue, sa doctrine, sur l'organisation, le fonctionnement, la finalité de ces associations - où ils se mêlèrent avec les rites sociaux et l'esprit de résistance transmis de génération en génération.

Plutôt qu'une doctrine nouvelle, il s'est agi de la solution à un problème nouveau - ou qu'on crut nouveau : définir non une politique mais un modèle syndical libertaire.

Les raisons qui poussèrent les Latapie et autres Delesalle à chercher un vocable nouveau sont obscures et en tout cas controversées. A un moment, les libertaires firent-ils l'erreur de se couper du mouvement ouvrier réel ? Un certain nombre de propagandistes ne comprirent pas ce que recelait ce phénomène de création des syndicats - ils le négligèrent ou le combattirent, sous prétexte de radicalité ou de pureté. Ont-ils une responsabilité dans cette division qui s'installe entre ceux qui s'appelaient encore libertaires et la soi-disant nouvelle école des syndicalistes révolutionnaires ?

Il importe enfin de souligner la pertinence de la démarche de Fernand Pelloutier ou de ceux qui constituèrent Solidaridad Obrera.

D'ailleurs, sans eux, on peut se demander ce qu'il serait advenu du mouvement libertaire ouvrier.

Quatre-vingts années se sont écoulées depuis ces jours d'octobre 1906 au cours desquels la Confédération générale du travail se dota d'un document proclamant à la quasi-unanimité le caractère indépendant et révolutionnaire du syndicalisme français.

On peut parler d'une phase montante du mouvement ouvrier dans les premières années du siècle : partout dans le monde industriel, les groupements socialistes étaient chaque jour plus nombreux et plus forts. A l'intérieur du camp socialiste, le syndicalisme révolutionnaire, résurgence vigoureuse du socialisme fédéraliste et libertaire des antiautoritaires de l'Internationale, gagnait sans cesse de nouveaux partisans, jusque dans les régions où le réformisme dominait les rangs ouvriers.

Peu à peu, une stratégie nouvelle s'enracinait dans les masses : elle avait nom de grève générale.

La grève générale concertée de tous les producteurs, de tous les travailleurs est le moyen de déclencher la révolution sociale, disaient les syndicalistes révolutionnaires. Ce qui compte en effet, ajoutaient-ils, ce ne sont ni les barricades ni les manifestations, non plus que les batailles de rue ; l'essentiel, l'essence même de la mutation sociétaire, c'est la modification radicale du statut de travail, ce sont la socialisation de l'appareil productif et la gestion ouvrière, bases sur lesquelles peuvent se bâtir l'égalité sociale et tout le reste. Le champ de bataille n'est pas le Parlement ou la législation, c'est l'usine, le chantier, le bureau, l'exploitation agricole, la production des richesses, des éléments nécessaires à la vie. Cette forme particulière de socialisme révolutionnaire, dont les propositions s'appuyaient sur la situation vécue par la partie de l'espèce humaine astreinte au travail salarié, entendait construire à l'intérieur même de la société capitaliste et étatique l'organisation sociale, économique et politique qui se substituerait à elle - une contre-société26.

Les moyens permanents de la lutte, de la revendication à l'expropriation, sont donc l'organisation et la grève, qui signifient effort personnel de chacun en même temps qu'action collective, prise de conscience du rapport de force et de l'exacte nature répressive et exploiteuse de la société capitaliste.

Admirons, en passant, l'extrême pertinence de cette stratégie, qui n'inventait pas ex nihilo des formes nouvelles de luttes et de regroupements mais qui perfectionnait et menait à sa limite extrême les deux pratiques quasi réflexes et immémoriales des travailleurs, l'esprit d'association de ceux exerçant la même tâche et l'arrêt collectif de travail pour protester contre des conditions de vie trop dures.

Un jour, les ouvriers, les producteurs arrêteraient le travail ensemble, de l'Oural au Pacifique. La classe ouvrière exprimerait sa force et sa détermination. Ce geste simple, ce croisement de bras répété par des millions de personnes stopperait les trains, les mines, les télégraphes, l'éclairage public, le ravitaillement ; les navires resteraient au port, les fournils seraient vides, les marteaux-pilons silencieux. Le monde comprendrait qu'une nouvelle puissance était apparue - plus forte que le comité des forges, le tsar, la république, le mikado ou l'empire britannique - qui disloquait l'appareil d'Etat et prenait possession des usines, des chantiers, des mines, des ports, des moissons. "Nous ne sommes rien ; soyons tout !"

Cette rêverie d'apocalypse égalitaire, ce monde nouveau, ce droit qui se constituait, cet embryon de nouvelle civilisation, fut brisée par un bouleversement d'une autre nature, la guerre. Alors que dans les bourses du travail et autres maisons du peuple se discutaient les formes du socialisme futur, dans la classe dirigeante s'élaboraient les moyens idéologiques et pratiques de conserver le pouvoir. Dieu et la patrie sont les mots d'ordre de la contre-révolution, résumait Charles Maurras : Dieu et la patrie sont la guerre. Ce qu'il fallait, c'était une saignée - le rêve d'universelle fraternité ne résisterait pas aux baïonnettes affrontées...

Les socialistes et les philanthropes du XIXe siècle espéraient effacer la guerre de l'histoire humaine, et ils recherchaient des stratégies qui emploieraient le moins possible de violence - pour les combattre, quelquefois pour les exterminer, la réaction choisit comme moyen principal le conflit armé, avec toutes ses conséquences directes de mort et de destruction ainsi que les conditions de sa bonne application, le militarisme, le chauvinisme, la brutalité. Partout où les travailleurs ont approché du socialisme réel, ils durent faire face à la guerre, civile ou étrangère.

La Première Guerre mondiale renversa le rapport des forces en faveur du nationalisme et des conceptions sociales autoritaires.

Demeuraient seuls ses syndicats révolutionnaires et libertaires de la C.N.T. d'Espagne qui réalisèrent pendant les quelques semaines de l'été 1936 le renversement du monde. L'anarchisme et son modèle syndical réussirent à concrétiser ce qui fut l'aspiration prolétarienne au cours des cent années précédentes : la prise d'assaut des casernes et le désarmement des soldats, la collectivisation des terres par les paysans pauvres, les usines gérées par les ouvriers, l'égalisation des conditions de vie commencée.

La stratégie syndicaliste révolutionnaire a montré son efficacité pour mobiliser les masses et réaliser leur programme social ; elle prouva même son efficience dans la lutte armée contre le putsch militaire.

La C.N.T. répondit au défi de Renard ; avec ses organisations, elle put "régler la production, organiser l'échange". C'est parce que la guerre dura, devint affrontement d'armées, c'est parce que la collaboration avec les autres "secteurs antifascistes" devint nécessaire que la plus grande organisation syndicaliste révolutionnaire dut "se servir de la machinerie gouvernementale".

Le syndicalisme révolutionnaire, à un certain moment de son histoire, comme tous les mouvements révolutionnaires, s'est trouvé confronté à la guerre, à l'armée de professionnels, ce à quoi les classes dominantes font appel lorsque tout le reste a échoué.

L'antimilitarisme sous ses formes diverses, propagande pacifiste, théorie non violente, objection de conscience, appel à la fraternisation, a montré qu'il atteignait rapidement ses limites ; il ne peut être le seul moyen de résistance à l'agression militaire.

La révolution espagnole, bouleversement social réussi par la stratégie du syndicalisme révolutionnaire, fut anéantie par la force armée.

Il n'est pas paradoxal en conclusion d'une étude sur la Charte d'Amiens de parler de guerre. Le syndicalisme révolutionnaire, sans doute la plus pure forme du socialisme ouvrier, s'est trouvé confronté à la réaction militaire, comme ses prédécesseurs, de Spartacus aux sandinistes, en passant par les Taborites de Bohême, les paysans allemands de 1525, les Canuts ou les Communards.

A mesure que le monde s'industrialisera, et malgré la réduction de la fraction de la population affectée à la production, des tactiques analogues au syndicalisme révolutionnaire se développeront - comme le mouvement social polonais de 1980 ou les mouvements de grève en France en décembre 1986 et janvier 1987.

Le message que nous recevons de ce presque siècle d'histoire est de ne pas oublier que la réaction un instant vaincue revient avec des bandes d'hommes armés.


 

II. Quelques réflexions sur la Charte d'Amiens

par Joachim Salamero

Depuis que la "Charte d'Amiens" a été votée, le 13 octobre 1906 par un congrès confédéral de la C.G.T., bien des événements se sont déroulés qui ont mis à rude épreuve les objectifs et moyens d'action préconisés par les militants responsables de cette Charte : deux guerres mondiales, deux révolutions (1917 en Russie, 1936 en Espagne), l'instauration des fascismes en Europe, les décolonisations avec l'avènement de nouvelles nations.

Autant d'événements, autant de réponses aux crises du capitalisme nous permettant d'apprécier les distances entre la perspective d'émancipation tracée par les syndicalistes de 1906 et les réalités.

Pour les anarcho-syndicalistes présents dans le mouvement ouvrier réel, c'est-à-dire confrontés aux problèmes quotidiens de l'action syndicale, il n'y a pas de textes sacrés, de bibles, valables en tous lieux et en tous temps.

La Charte d'Amiens définit, à un certain moment et par rapport à une situation précise, les moyens que se donne la classe ouvrière organisée et confrontée aux partis politiques se réclamant d'elle, et à l'Etat.

Premier point : "la reconnaissance de la lutte des classes qui oppose sur le terrain économique travailleurs et capitalistes". C'est une affirmation qui peut faire l'unanimité de tous les courants du mouvement ouvrier.

Deuxième point, dans les trois derniers paragraphes : une définition précise de l'indépendance syndicale.

C'est à partir de ces deux principes qu'une organisation syndicale peut rassembler la classe ouvrière. C'est en les oubliant, en les combattant, en tentant de les faire disparaître, ou en voulant leur faire dire Id contraire de ce qu'ils contiennent que l'on divise les travailleurs et que l'on transforme la nature même du syndicalisme ouvrier confédéré.

Je me souviens d'un congrès confédéral de la C.G.T.-F.O. au cours duquel, se réclamant de l'esprit révolutionnaire de la Charte, de sa perspective de transformation sociale, des militants du parti socialiste voulaient entraîner la confédération dans les voies du programme commun de la gauche "seul susceptible de réaliser pratiquement le changement social voulu par les congressistes de 1906..." au nom de l'autogestion !

Quant à nous, qui voulions le strict respect de l'indépendance, en accord sur ce point avec le bureau confédéral, nous refusions ce choix et étions taxés du réformisme le plus plat et accusés de soutenir "l'immobilisme du bureau confédéral" !

Ces valeureux "révolutionnaires" ignoraient - ou faisaient semblant d'ignorer - que la Charte d'Amiens est justement un compromis entre les tendances qui composent la C.G.T. d'alors (anarchistes, syndicalistes révolutionnaires, réformistes) contre les guesdistes qui, eux, prétendaient mettre en place la liaison organique entre la confédération syndicale et le parti ouvrier.

Les mêmes "révolutionnaires" s'appuyaient - bien sûr sur un des passages les plus contestables de la Charte, selon lequel "le syndicat sera dans l'avenir le groupe de production et de répartition, base de la réorganisation sociale".

Depuis 1906, l'histoire nous a appris que non seulement la grève générale n'est pas en elle-même suffisante pour transformer la société, mais aussi que cette notion du "syndicat gestionnaire" est tout à fait récupérable, y compris par les tenants du catholicisme social (voir la brochure de Marc Prévôtel, Volonté anarchiste n° 20/21).

Mais, même sans parler des catholiques sociaux, rappelons-nous la révolution espagnole : partout où il l'ont pu, les syndicats de la C.N.T., quelquefois ceux de l'U.G.T., prennent la direction des entreprises, des services publics, des terres. Ils socialisent, collectivisent, mettent en place le contrôle ouvrier, organisent la gestion. Laissons de côté les innombrables problèmes posés, pour n'en retenir qu'un : dans la plupart des cas, ce sont les mêmes militants, hier secrétaires du syndicats, qui deviennent directeurs de la coopérative. Et immédiatement surgit le besoin de désigner un nouveau délégué des ouvriers pour les représenter auprès du comité de gestion.

On ne m'en voudra pas de faire appel à un syndicaliste réformiste.

André Bergeron rappelle souvent, pour justifier sa position d'indépendance (qui est aussi la mienne) : "On ne peut pas être à la fois gouvernant et gouverné". Il a mille fois raison.

C'est pourquoi, après ce quatre-vingtième anniversaire de la Charte d'Amiens, nous en retiendrons positivement deux aspects : la reconnaissance de l'existence de la lutte des classes et l'indépendance.

Pour le reste je crois que l'histoire a tranché, nous permettant de dire que, quelle que soit la forme que prend une nouvelle gestion dite socialiste, il est indispensable que le syndicat ouvrier demeure totalement indépendant des organismes de gestion.


 

III. A la C.F.D.T : chassez le naturel, il revient au galop...

par Alain Sauvage

Les conditions particulières de la naissance de la C.F.D.T., issue d'un syndicalisme chrétien qui n'était nullement marqué par les traditions du mouvement ouvrier, semblaient la mettre à l'abri des influences de la Charte d'Amiens.

D'ailleurs, même si Edmond Maire ne dédaigne pas, dans ses bons jours, de faire référence au syndicalisme révolutionnaire, c'est uniquement en citant Pelloutier et les bourses du travail, rejetant aux oubliettes la période autour de la Charte d'Amiens qui en est pourtant l'aboutissement. La Charte est plutôt jugée ringarde et dépassée et on se plaît particulièrement à dénigrer l'apolitisme qu'on lui accole à tort.

Et pourtant la Charte d'Amiens a la vie dure. On peut constater que, sans prendre le texte au pied de la lettre, mais en reprenant ses grands thèmes, la plupart de ses idées réapparaissent dans les milieux syndicalistes de la C.F.D.T., et pas seulement parmi ses oppositionnels déclarés. Nous allons faire le tour des cinq idées essentielles pour voir comment elles sont reprises en compte aujourd'hui.

LA LUTTE DES CLASSES : EN PLEINE ACTUALITÉ

On a un peu tendance à perdre de vue cet aspect de la Charte d'Amiens. Pourtant celle-ci réaffirme avec une netteté particulière le caractère de classe de la C.G.T. (c'est d'ailleurs ensuite l'argument principal qui justifie le souci d'unité et d'indépendance, clef de voûte de la Charte) et l'impossibilité d'une quelconque entente avec les patrons.

Les anarcho-syndicalistes qui militent à la C.F.D.T. reprennent bien sûr intégralement cette conception de la société - et ils ne sont pas les seuls, loin s'en faut -, ce qui n'est pas le plus inutile face à la dérive orchestrée par la majorité confédérale vers un syndicalisme "tout-terrain" qui recherche toutes les compromissions possibles avec le patronat, comme récemment sur la flexibilité de l'emploi et les projets de négocier la pérennisation de la précarité.

LE DOUBLE ASPECT DE L'OEUVRE DU SYNDICALISME : L'INÉVITABLE QUESTION.

Qui se contenterait de limiter le rôle du syndicalisme à une sorte de régulateur social ou à un mouvement cherchant à grignoter des avantages à ses membres dans le cadre du système se situerait résolument à la droite de la majorité confédérale.

Même si la référence aux objectifs de changement de société s'estompe dans le discours confédéral, la base militante reste bien persuadée de se battre encore pour un long terme qui ne peut être qu'un autre type de société. Laquelle ? Sans doute pas la même que rêvaient Pouget ou Griffuelhes, mais c'est là une autre question...

Agir au quotidien en profitant des failles du système, s'adresser aux travailleurs et aux travailleuses en essayant de coller au plus près de la réalité qu'ils vivent reste bien conçu comme le meilleur moyen de les attirer vers le syndicat pour rendre possible l'accomplissement de tâches sociales plus ambitieuses.

Même si l'air du temps et les difficultés que rencontrent tous les syndicats pour maintenir leur audience ne prêtent guère à l'optimisme, cette question reste bien présente à l'esprit de la plupart des militants, et particulièrement des anarcho-syndicalistes.

L'UNITÉ D'ACTION : LA TRADITION DES OPPOSITIONNELS

Encore un thème qui, plus que tout autre sans doute, jalonne l'action de ceux qui se réfèrent à l'anarcho-syndicalisme, et plus largement de tous les contestataires de l'intérieur de la C.F.D.T.

Certes il ne s'agit plus de rêver à une hypothétique unité organique regroupant toutes les sensibilités politiques dans une même centrale ; les données du problème de l'unité ont évolué depuis le début du siècle. Mais cette question à resurgi avec assez de vigueur sous l'aspect de l'unité d'action pour qu'on puisse en faire la comparaison.

Après la rupture du pacte d'unité d'action C.G.T.-C.F.D.T. en 1977, les diverses oppositions internes à la C.F.D.T. ont souvent priorisé cet aspect unitaire de leur action, parce qu'elles sentirent bien que d'une part la nouvelle situation allait amplifier le recul des luttes sociales et que d'autre part l'alliance privilégiée avec la C.G.T. servait en quelque sorte de garde-fou pour empêcher la C.F.D.T. de retourner à ses vieux démons de collaboration de classes et de conciliation à tout crin.

La recherche permanente de l'unité d'action, par-delà les divergences de fond entre syndicats, correspond bien à l'esprit de la Charte d'Amiens qui proclamait la nécessité d'unir les travailleurs sur ce qui les rassemble plutôt que de les diviser. C'est sur ce thème que s'étaient effectués des rassemblements oppositionnels, notamment lors du le, Mai 1980 qui fut le véritable coup d'envoi de "Pour une autre démarche syndicale".

L'INDÉPENDANCE SYNDICALE : UN COMBAT CONTRE LA TENTATION TRAVAILLISTE

La Charte d'Amiens faisait de l'indépendance absolue du syndicat à l'égard des partis politiques le pendant obligé du caractère unitaire du mouvement ouvrier. Cet aspect-là a sans doute perdu de sa force avec l'enracinement de plusieurs confédérations distinctes.

Pourtant les faits lui ont donné raison : la volonté de certains partis politiques d'orienter à leur gré le syndicalisme a bel et bien provoqué directement plusieurs scissions, et on pourrait même rappeler plus près de nous que les causes de la rupture de l'unité d'action C.G.T.-C.F.D.T. n'est qu'une des conséquences des rivalités P.C.-P.S. au sein de l'union de la gauche.

Mais même quand la pratique et la réalité vont à l'évidence à l'encontre du précepte d'indépendance, chaque syndicat se plait à le mettre en avant, comme s'il était conscient que la dépendance se vendait mal auprès des travailleurs ! C'est particulièrement vrai pour la C.F.D.T., alors même que personne n'est dupe de son engagement dans la construction du P.S. (participation aux "Assises du socialisme" en 1974, puis appels successifs à voter à gauche). Même si depuis plusieurs années elle renonce à donner des consignes électorales, elle se refuse toujours à la neutralité et défend le principe de "l'autonomie engagée" aimable formule qui tente d'allier les deux contraires et de laisser croire qu'elle ne prend position politiquement qu'en fonction des impératifs strictement syndicaux.

Défendre l'indépendance syndicale aujourd'hui à la C.F.D.T. n'est donc pas un combat vide de sens, loin s'en faut, et les anarcho-syndicalistes s'emploient à dénoncer, chaque fois que cela est nécessaire, les tentatives d'infléchir de l'extérieur les positions des syndicats. Et qu'on ne s'y trompe pas : l'objectif de la majorité confédérale qui aspire à trouver un parti qui lui serve de relais politique et parlementaire, dans le plus pur style travailliste, n'écarte pas le danger d'une inféodation, bien au contraire ! L'exemple anglais est là pour montrer qu'en définitive les rapports de domination finissent toujours par s'inverser au profit du parti, dépouillant ainsi le syndicat de son illusion de souveraineté.

LE SYNDICALISME SE SUFFIT-IL A LUI-MEME ?

On ne peut pas résoudre la question de l'indépendance syndicale sans aborder cette grande problématique posée par le syndicalisme révolutionnaire au travers de la Charte d'Amiens.

La C.F.D.T. touche à tout, c'est bien connu. Tout le monde lui reproche fréquemment de déborder de son champ syndical pour aller labourer les terres des partis politiques en prenant position sur de nombreux problèmes extérieurs à l'entreprise ou au salariat. En ce sens, elle serait plus proche de l'esprit de la Charte d'Amiens que tous les autres qui autolimitent leur champ d'action. Avec une différence sensible toutefois : cette attitude ne procède pas du refus de nouer des alliances politiques, mais du constat qu'aucun parti existant ne correspond vrai ment au partenaire qu'elle recherche.

Les anarcho-syndicalistes se retrouvent très à l'aise dans ce syndicat "touche-à-tout" qui se permet de prendre position sur les libertés, sur la solidarité internationale, sur les grands problèmes économiques et politiques intérieurs. Mais cela ne mène pas pour autant à considérer que le syndicalisme soit autosuffisant, surtout que les perspectives restent limitées quand on se place dans le cadre de la C.F.D.T.

En fait, cette question n'a de sens que lorsqu'on se place dans le cadre d'une organisation syndicaliste-révolutionnaire au plein sens du terme et qui offre des perspectives globales d'action. C'est pourquoi cette problématique n'affecte pas les militants anarcho-syndicalistes de la C.F.D.T., malgré la défiance naturelle à l'égard de l'intrusion des partis politiques dans les affaires des syndicats. La nécessité d'une action politique spécifique à côté du travail syndical fait donc tout naturellement partie de leurs préoccupations, mais ce n'est pas dans le but de constituer une force extérieure chargée de définir l'orientation que doivent défendre les militants dans les syndicats. Cette conception là est celle des partis politiques, elle ne saurait être celle des anarchistes.

Si nous reprenons l'ensemble des thèmes abordés par la Charte d'Amiens, on se rend compte combien elle n'a rien perdu de son actualité et à quel point les conceptions qu'elle défendait restent parfaite ment adaptées à notre époque. Et cela est d'autant plus surprenant lorsqu'il s'agit des militants intervenant au sein d'une centrale qui aurait pu rester imperméable à cette tradition du syndicalisme français.

Cela démontre à quel point les idées développées par la Charte d'Amiens étaient essentielles. Mise à part la question de savoir si le syndicalisme se suffit à lui-même ou non - d'ailleurs vieille pomme de discorde entre anarchistes -, les anarcho-syndicalistes qui militent à la C.F.D.T. ne peuvent faire autrement que les reprendre à leur compte.

Mieux, si nous faisions le bilan des axes principaux de leur intervention au sein des syndicats, qu'ils s'y situent en position de responsabilité ou plus simplement en militants oppositionnels de base, nous pourrions constater que ces thèmes sont bien au premier rang de ceux qu'ils développent, avec en plus l'action pour un renforcement du rôle des structures interprofessionnelles. Mais il s'agit là encore d'un héritage du syndicalisme révolutionnaire qui a donné naissance à la Charte d'Amiens, plus particulièrement sous l'influence de Fernand Pelloutier, véritable fondateur et animateur des bourses du travail.

Il est des traditions qui ont la vie dure. Mais nous ne pouvons pas nous en plaindre !

1 In Volonté Anarchiste n°32-33, Paris, éditions du groupe Fresnes-Antony de la FA, 1987.

2 Georges Lefranc, Le Syndicalisme dans le monde, P.U.F., pagel I. On se souvient en outre que la création du Labour Party date de la fin de 1906.

3 Les citations des débats du congrès d'Amiens sont extraits du compte rendu intégral tel que l'a réédité l'Institut d'histoire de la CG. T.

4 Niel nomme ainsi la Propagande anti-électorale.

5 La guerre des anarchistes contre le parlementarisme.

6 Congrès de 1895, qui fonda la C. G. T.

7 C'est nous qui soulignons.

8 Il s'agit de l'entrée de Millerand dans le ministère d'union républicaine de Waldeck-Rousseau au portefeuille du Commerce; le ministre de la Guerre est le marquis de Gallifet, fusilleur des Communards.

9 Il s'adresse à Renard.

10 Les rédacteurs du texte furent Pouget, qui tenait la plume, Griffuelhes, Delesalle, Merrheim, syndicalistes révolutionnaires, et Niel qui, à l'époque, était considéré comme réformiste. Chaque syndicat possède une voix au congrès confédéral, selon le principe fédératif appliqué strictement. Le vote par mandat ou par tête sera appliqué plus lard.

11 Numéro 1224, du 18 au 24 septembre 1986.

12 Op. cit.

13 L'essentiel de l'ordre du jour Présenté par la Fédération du textile tenait dans le paragraphe suivant : « Le comité confédéral est invité à s'entendre toutes les fois que les circonstances l'exigeront soit par des délégations intermittentes, ou permanentes avec le conseil national du parti socialiste pour faire plus facilement triompher les principes des réformes ouvrières. »

14 Préface à L'actualité de la Charte d'Amiens, Editions syndicalistes, 1956.

15 Secrétaire général de la Fédération du livre de 1944 à 1963 ; on le disait proche des socialistes S. F. I. 0. et des maçons.

16 « Ainsi, en 1907, des militants catalans du P.S. O.E. se mirent en relation avec des libertaires déçus par les piètres résultats du terrorisme individuel et soucieux d'arracher les masses à l'emprise des meneurs corrompus du parti radical. De ces contrats naquit la Solidarité ouvrière ; elle prit le visage d'une centrale syndicale neutre, apolitique au vrai sens du terme, c'est-à-dire dégagée de toute idéologie directrice et n'ayant d'autre but que la défense des intérêts matériels des travailleurs », les Anarchistes et le pouvoir, César M. Lorenzo, Le Seuil, p. 42.

17 Ferdinand Charbit un des compagnons de Monatte, par exemple, disait que l'union locale de syndicats devait être perçue par les travailleurs comme la municipalité ouvrière se dressant face à la municipalité de lEtat, de la bourgeoisie.

18 C'est nous qui soulignons.

19 C'est nous qui soulignons.

20 Cette confusion s'est reflétée dans le vocabulaire et on cherche vainement un terme générique pour les descendants spirituels des militants qui se réunirent dans l'Internationale antiautoritaire après 1872 : anarchistes, anarcho-syndicalistes, syndicalistes révolutionnaires, communistes ou socialistes libertaires, libertaires tout court * nous avons choisi, malgré notre répugnance pour les qualifications négatives, antiautoritaires, pour son antériorité.

21 E. Dolléans, Histoire du mouvement ouvrier, tome II, p. 351, A. Collin éditeur. Le texte de Besnard était une première mouture de la Charte de Lyon de la C.G.T.S.R. Quant à la résolution de Monmousseau elle entendait que « le syndicalisme, plaçant la révolution au-dessus de tout système et de toute théorie, se déclare prêt à accepter l'aide de toutes les forces révolutionnaires », formule qui préparait l'unité d'action de la C. G. T. U. avec le P.C.F., sous la direction de ce dernier.

22 Fritz Brupbacher, Soixante Ans d'hérésie in Socialisme et Liberté, Editions de la Baconnière, Neuchâtel.

23 Op. cit., note 21.

24 Rappelons le rôle important joué parles deux militants libertaires Angel Pestana et Gaston Levai dans ce choix de ne pas considérer les événements de Russie comme une révolution émancipatrice du prolétariat.

25 On lira avec profit le chapitre consacré au syndicalisme dans La Pensée constructive de Bakounine de Gaston Levai, éditée par les éditions Spartacus.

26 Cette notion de contre-société, propagée par de nombreux publicistes sociaux, a pris une connotation négative depuis que des ex-staliniens ont défini par ce terme l'organisation en France du mouvement communiste, notamment Annie Kriegel. Il apparaît à l'observation des faits que la quasi-totalité des groupes socialistes ont tenté de créer des contre-sociétés. avec plus ou moins de bonheur; le mouvement communiste français a hérité d'habitudes et de groupements préexistants, impulsés souvent par des libertaires, des socialistes de gauche et des syndicalistes. Le parti communiste appliqua à cet ensemble de syndicats, coopératives, associations, unions locales, sociétés sportives et culturelles le modèle léninien puis stalinien et contre-Etat seraient sans doute un mot plus approprié au résultat obtenu. En revanche, contre-société correspond tout à fait à la situation recherchée par les libertaires - notamment parce que leur projet comprend l'objectif de l'organisation d'une société sans Etat.