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Origine : http://www.ac-grenoble.fr/cio/IMG/resumeconference.pdf
Le cerveau a-t-il un sexe ? Il n'existe pas de réponse simple
à cette question car le cerveau est à la fois un organe
biologique et un organe culturel. Comment déterminer la part
de l'inné et de l'acquis dans les comportements des hommes
et des femmes ? Il s'agit là d'un débat où
sciences et idéologies sont intimement liées. La littérature
traitant de ce sujet n'est jamais neutre.
Au 19ème siècle, le célèbre anatomiste
Paul Broca s'attache à comparer le volume de la boite crânienne
et le poids du cerveau des hommes et des femmes. Il trouve que le
poids du cerveau de l'homme est en moyenne de 1325g pour 1144g chez
la femme. Or à cette époque on savait que le volume
du cerveau varie en fonction de la taille du corps. Malgré
cela Broca n'hésita pas à conclure que la petitesse
du cerveau de la femme est révélatrice de son infériorité
intellectuelle (publication dans le Bulletin de la Société
d'Anthropologie, 1861). Même si de nombreuses études
ont été menées sur ce sujet depuis le 19ème
siècle, aucun consensus n'a pu être dégagé.
Ceci est principalement dû au fait que le poids du cerveau
dépend de nombreux facteurs, comme la taille corporelle,
l'âge, l'état nutritionnel de l'individu ou encore
la méthode de prélèvement du cerveau. En fait,
la question des différences de taille des cerveaux entre
les sexes apparaît vaine, sachant qu'il n'existe aucun rapport
entre les capacités intellectuelles et le volume du cerveau.
On cite souvent les exemples du cerveau d'Anatole France qui pesait
1 kilo, tandis que celui de Tourgueniev pesait 2 kilos. On notera
que celui d'Einstein était de 10 % inférieur à
la moyenne. Il est clair qu'en matière de cerveau, c'est
bien la qualité qui compte et non pas la quantité
!
Dans les années 80, des études neuro-anatomiques
ont fait état de différences entre les sexes concernant
les faisceaux de fibres (ou commissures) qui relient les deux hémisphères
cérébraux. En particulier, la commissure principale,
appelée "corps calleux", serait plus large chez
la femme que chez l'homme. A partir de là, les spéculations
sont allées bon train pour expliquer les différences
psychologiques entre les sexes par des différences de communication
interhémisphériques. C'est ainsi que les hommes seraient
davantage capables de faire fonctionner leurs hémisphères
indépendamment et donc de mener à bien différentes
tâches simultanément, alors que les femmes ne pourraient
faire qu'une chose à la fois. L'affaire du corps calleux
est désormais révolue. En effet, d'après une
analyse rétrospective de données tirées de
50 études publiées depuis 1980, aucune différence
significative entre les sexes concernant la taille du corps calleux
n'a pu être démontrée.
Autre exemple d'interprétation abusive, la théorie
des deux cerveaux lancée aux Etats Unis dans les années
70 : l'hémisphère gauche serait spécialisé
dans le langage et le raisonnement analytique, tandis que l'hémisphère
droit serait spécialisé dans la représentation
de l'espace et les émotions. Ainsi, les meilleures performances
des hommes en mathématiques, résulteraient d'un plus
grand développement de l'hémisphère droit par
rapport à la femme. Tandis que l'aptitude des femmes pour
le langage serait associée à l'hémisphère
gauche. Force est de constater que la théorie des deux cerveaux
n'a jamais été validée par des données
expérimentales rigoureuses.
A l'heure actuelle, cette théorie est considérée
comme désuète car beaucoup trop simpliste, face en
particulier aux nouvelles techniques d'imagerie cérébrale
qui permettent désormais de voir le cerveau vivant en train
de fonctionner. Il apparaît clairement que, dans des conditions
physiologiques, les 2 hémisphères sont en communication
permanente et qu'aucun ne fonctionne isolément. Il faut remarquer
qu'aucune différence significative entre les sexes ne ressort
de la grande majorité des études d'imagerie qui depuis
10 ans sont utilisées pour analyser l'activité cérébrale.
Par contre, ces études ont permis de révéler
l'importance des variations individuelles dans le fonctionnement
du cerveau. Pour des performances cognitives égales, différents
sujets auront chacun leur propre stratégie et donc leur propre
façon d'activer leur circuits de neurones. De fait, la variabilité
individuelle dépasse dans la majorité des cas la variabilité
entre les sexes, qui par conséquent n'est observée
que dans des cas rares.
D'où vient cette variabilité? A la naissance, les
grandes lignes de l'architecture du cerveau sont définies
mais la construction du cerveau est loin d'être terminée:
90% des circuits de neurones vont se former dans les 15-20 ans suivant
la naissance. C'est précisément sur la construction
de ces circuits que l'environnement intervient au niveau du milieu
intérieur (l'influence de l'alimentation, des hormones, d'agents
pathogènes) et extérieur (le rôle des interactions
familiales et sociales, le rapport au monde du sujet). On parle
de "plasticité" pour qualifier cette propriété
du cerveau à se modeler en fonction de l'expérience
vécue. L'imagerie cérébrale en donne l'illustration
frappante : l'apprentissage d'une langue, la pratique de la musique
ou l'entraînement à mémoriser l'espace modifient
la structure et le fonctionnement des circuits du cerveau.
Le 19ème siècle était celui des mesures physiques
du crâne ou du cerveau pour justifier la hiérarchie
entre les sexes, les races et classes sociales. Les critères
modernes sont les tests cognitifs, l'imagerie cérébrale
et les gènes. Mais l'enjeu n'a pas changé: Il s'agit
toujours de trouver une raison biologique aux inégalités
socio- culturelles. A l'évidence, le devoir de vigilance
face à l'utilisation de la science à des fins idéologiques
est plus que jamais d'actualité.
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