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Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys, Cerveau sexe et
pouvoir. Avant-propos de Maurice Godelier. Éditions Belin,
collection Regards, 2005, 112 p., 16 euros
Ce livre est une œuvre de combat. Il s’inscrit dans
la lutte théorique et idéologique contre les tenants
du déterminisme biologique, qui justifient les inégalités
par la nature. La question de départ est donc : Le recours
à l’autorité de la science permet-il de légitimer
l’inégalité entre les hommes et les femmes,
le pouvoir machiste est–il inscrit dans le cerveau ? Pour
les auteures, la réponse est non ! Afin d’appuyer leur
démonstration, elles font le bilan des connaissances sur
le sujet.
Un premier préjugé est balayé d’emblée
: le poids prétendument inférieur du cerveau des femmes.
Il n’est pas inférieur si l’on tient compte des
proportions du corps. En outre, le poids du cerveau ne prouve rien,
de nombreux savants ou écrivains avaient de petits cerveaux.
La seule chose que l’on puisse démontrer, c’est
que le cerveau est programmé pour apprendre. Aucune mesure
ne démontre l’infériorité des femmes…
ni celle des personnes noires, d’ailleurs.
Nos aptitudes, nos émotions, nos valeurs ne sont pas inscrites
dans les structures mentales physiques ; elles ne sont pas immuables,
elles sont acquises. Notre destin n’est pas gravé dans
notre cerveau. Au contraire, les études sur le cerveau au
moyen d’analyses par IRM montrent une grande variété
de fonctionnements dans l’organisation des pensées,
ainsi que dans l’activation des neurones et des diverses zones
cérébrales, pour obtenir un même résultat.
Le cerveau est malléable, il évolue selon les apprentissages
et les expériences. Avec l’apprentissage, les différences
finissent par s’estomper. Autrement dit, la culture joue un
rôle. Chez les femmes, on constate une réduction progressive
des écarts de performance, qui va de pair avec l’intégration
socioprofessionnelle.
Le fonctionnement du cerveau évolue en permanence, selon
les événements. Les circuits neuronaux se font et
se défont au gré des expériences. Cette réversibilité
montre que les choses ne sont pas fixées à l’avance
ni immuables. On ne possède jamais le même cerveau
: il est à considérer comme un livre d’histoire
personnelle, le témoin du passé ouvert sur l’avenir.
La spécialisation produit des cerveaux différents.
Les observations montrent que la dissemblance entre des personnes
spécialisées dans des activités distinctes
est plus grande qu’entre femmes et hommes. Les études
sur le cerveau révèlent une plasticité cérébrale
: pour aboutir à un même résultat, les humains
emploient des méthodes variées.
En revanche, il est maintenant prouvé que le développement
du cerveau traverse des périodes critiques. Ses capacités
se développent par l’interaction avec le monde extérieur
physique et notre monde mental. Ce constat met en évidence
l’importance de la culture et du milieu familial, d’où
l’intérêt des programmes pour enfants en difficulté.
L’apprentissage, y compris chez l’adulte, s’appuie
sur les caractéristiques du cerveau humain. Le cerveau a
une grande plasticité : il acquiert de nouvelles compétences,
mais peut également éliminer des connexions acquises
qui ne lui sont plus utiles. Le caractère réversible
est complémentaire de la restructuration qui intervient,
par exemple, après un accident. Il se produit une compensation
induisant l’utilisation de nouvelles zones du cerveau. Le
processus de formation et d’élimination des synapses
est à l’œuvre en permanence.
Les différences de sexe ou de couleur de peau ne peuvent
pas s’expliquer par un seul facteur. Le sexe biologique est
un long processus qui met en jeu de multiples gènes. Il n’existe
pas un déterminant qui expliquerait à lui seul la
différence des sexes.
Sur la question de l’influence des hormones, les auteures
remarquent que le sujet est assez complexe et qu’il s’est
modifié avec l’évolution des espèces.
L’espèce humaine se caractérise par une séparation
entre la sexualité et la reproduction, ce qui n’est
pas le cas chez les autres espèces animales. Cette séparation
génère une disponibilité sexuelle permanente.
La sexualité différente des besoins vitaux. L’influence
de la culture va de pair avec le recul des hormones. L’importance
des constructions mentales, imaginaires, symboliques, dans l’érotisme
humain montre que les données biologiques sont médiatisées
par la culture.
La détermination biologique est-elle à privilégier
? L’anthropologie montre que les croyances religieuse apparaissent
vers moins 30 000 ans, en même temps que les outils.
Les humains évoluent toujours en groupe, avec des règles
sociales, des croyances, des traditions. Dans cette évolution,
existe-t-il une origine différente pour la femme et pour
l’homme ? Les anthropologues, comme Lévi-Strauss, remarquent
que les constructions symboliques et les mythes sont fondamentaux
dans le contrôle de la sexualité. Avis partagé
par Françoise Héritier, qui pense que les hommes ont
besoin de contrôler le corps des femmes car ils dépendent
d’elles pour se reproduire. La sexualité est un fait
de culture. C’est la pensée humaine qui a construit
des systèmes d’interprétation et des pratiques
symboliques constituant autant de manières d’organiser
et de légitimer la primauté des hommes sur les femmes.
Ensuite, les auteures s’attaquent aux corrélations
abusives utilisées pour montrer que la chimie est déterminante
dans le niveau d’intelligence. Même chose pour le suicide.
La science est instrumentalisée, dévoyée à
des fins idéologiques. Avec l’IRM, l’observation
du comment l’emporte sur le pourquoi. L’IRM montre la
plasticité du cerveau et sa complexité. La simplicité
rassure et renforce les préjugés. Allons-nous vers
une « neurosociété » ? Oui, s’il
est fait un recours abusif à la biologie. Expliquer les différences
entre humains par le déterminisme biologique présente
plusieurs dangers. Le refus des facteurs socioculturels et politiques
est renforcé par certaines études du cerveau. L’explication
des problèmes sociaux par la biologie conduit à postuler
un lien fort entre biologie et politique. Ce mécanisme réducteur
cherche à établir une liaison entre les neurosciences
et une vision politique réactionnaire, qui procède
par naturalisation. Les enjeux financiers sont considérables,
ils concernent la pharmacologie, pour toutes les variétés
de psychotropes et l’implantation de puces dans le corps humain.
La recherche du bien-être peut conduire à vouloir s’affranchir
des contraintes liées à la condition humaine et à
une remise en cause de l’éducation et des réformes
sociales. S’appuyer sur la technologie ou sur la chimie pour
améliorer l’espèce humaine peut inciter à
la mise en convergence des nanotechnologies, des biotechnologies,
de l’informatique et des sciences cognitives. Les auteures
se demandent si un nouveau cap idéologique n’est pas
en train d’être franchi avec le dopage humain. Le neuromarketing
est une des applications de ces disciplines. Il s’agit d’influencer
le mental humain en vue de l’achat. Il servirait à
améliorer l’efficacité de la pub et à
exploiter le cerveau rendu disponible par TF1. Catherine Vidal et
Dorothée Benoit-Browaeys pensent que tout cela pose un problème
éthique et qu’il faut mener le débat. Si certaines
forces affirment que la biologie est la clé de la nature
humaine, importe de rappeler que la nature humaine n’existe
pas. La nature humaine, c’est la culture ! On nous propose
d’anticiper les problèmes, comme ceux du terrorisme
ou des violences urbaines. La biologie expliquerait le mental, y
compris pour la psychologie et les autres sciences humaines. Les
deux auteures nous rappellent les positions de Pierre Thuillier
contre la sociobiologie. La science, ainsi décrite, est un
enjeu politique.
Elles terminent leur livre par une sorte de résumé
sur les principaux thèmes dans lesquels la biologie est utilisée
pour justifier l’infériorité des femmes.
Le cerveau a-t-il un sexe ?
Oui et non. Oui, mais les différences entre les femmes et
les hommes sont acquises, elles ne sont pas naturelles. Non, car
la différence entre un rugbyman et un violoniste est plus
grande qu’entre les femmes et les hommes. La différence
des sexes n’est pas inscrite dans le cerveau, doté
d’une caractéristique fondamentale : la plasticité.
Il est en permanente évolution, au fil de l’apprentissage
et de l’expérience vécue. Il existe une réversibilité
et la fixation n’est pas définitive. Si l’activité
spécialisée s’arrête, la compétence
acquise dans le cerveau régresse.
Le sexe et le volume du cerveau ?
Chez les femmes il peut être plus petit, mais proportionnellement
au corps des femmes. Il n’existe pas de rapport entre le poids,
le volume du cerveau et l’aptitude intellectuelle.
Cerveau droit, cerveau gauche ?
Les résultats scientifiques ne sont pas probants ; les conclusions
sont abusives.
Langage et orientation dans espace ?
Rien n’est prouvé. Si les femmes sont plus à
l’aise dans le langage et les hommes dans l’espace,
c’est dû à l’influence de l’apprentissage,
de la culture. C’est qui est nommé « genre ».
La progression est toujours possible avec l’apprentissage,
que l’on soit homme ou femme. D’autre part, la différence
diminue avec le développement du travail des femmes.
Les évaluations et les résultats des tests ?
L’apprentissage est différent pour les femmes et pour
les hommes. Ce qui démontre simplement la plasticité
du cerveau. Avec l’apprentissage, on constate une évolution
dans les compétences. Un des exemples faciles à observer
est celui des « nouveaux pères ». Ces hommes
s’occupent de leurs enfants sans être, au départ,
programmés pour cela.
Les hormones et le cerveau ?
Les hormones sont importantes pour la reproduction humaine. Toutefois,
chez les humains, le choix des partenaires n’est pas déterminé
par les hormones. Les homosexuels n’ont pas de problème
d’hormones. La délinquance n’est pas liée
à un désordre hormonal, mais à un désordre
social. Les hormones ont-elles une influence sur la dépression,
les maladies mentales, l’agressivité ? Les hormones
jouent un grand rôle pendant la grossesse et la ménopause
mais, hors de ces périodes, il est impossible de l’affirmer
car trop de facteurs entrent en jeu.
La préhistoire et le cerveau ?
L’homme aurait été le chasseur et ce passé
resterait inscrit dans son cerveau depuis des temps immémoriaux
: rien ne peut le démontrer. La distribution des rôles
est très variable entre les femmes et les hommes. Il semble
bien que les humains de la préhistoire aient vécu
en petits groupes, dont tous les membres étaient nécessaires
pour faire face à une vie difficile.
Le bilan ?
Même si les gènes et les hormones exercent une certaine
influence sur le comportement humain, les circuits neuronaux sont
liés à notre histoire personnelle. Donc, que l’on
soit femme ou homme, il n’existe pas d’invariant. Le
seul qui soit, c’est l’invariant de l’inceste
et son origine est culturelle. Pas de lois universelles qui dirigent
les conduites humaines. La règle générale est
celle de la diversité liée à une formidable
plasticité du cerveau humain.
La conclusion ?
Il s’agit du fondement de notre humanité. Qu’est-ce
qui nous fait homme ou femme : la culture ou la nature ? Et pour
quelle part ? L’autorité de la science dans le capitalisme
contemporain est une clé servant à justifier la domination.
Le discours de la science est celui de la vérité ;
il énonce des certitudes. Le rôle des experts est devenu
fondamental avec l’effacement du discours d’autorité
classique. Or, l’activité scientifique est faite de
doutes, de débats, de remises en cause, etc. qui font avancer
les idées, à l’instar des sciences humaines.
L’histoire humaine est aussi l’histoire des idées,
une histoire culturelle, une histoire des cultures. L’histoire
humaine est fondée sur des valeurs ? Oui, mais leur légitimité
ne vient pas de la nature : c’est un choix, reposant sur la
liberté mentale, la liberté de création, la
liberté d’imagination (cf. Castoriadis et l’autonomie),
qui est justement le propre de l’humain. Le cerveau permet
d’échapper à la nature, aux gènes, aux
hormones. Si l’on peut dire qu’il est génétiquement
programmé, il l’est pour apprendre.
Catherine Vidal et Dorothée Benoit-Browaeys terminent en
se référant à François Jacob, selon
lequel : « L’ouverture du programme génétique
augmente au cours de l’évolution pour culminer avec
l’humanité ! »
Philippe Coutant, Nantes le 7 Mars 2005
Note de lecture parue dans le numéro 21 de la Revue "Les
>temps maudits", revue éditée par la CNT Vignoles
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