Origine http://perso.orange.fr/libertaire/archive/2001/237-mar/police.htm
Avant la mise en place de la police unique, il existait plusieurs
corps de police : les polices communales ; les polices rurales ; la
police judiciaire ; la police fluviale ; la gendarmerie.
Lorsque l'on était molesté par l'une d'entre elles,
on avait encore la possibilité de porter plainte auprès
d'une autre.
Maintenant, c'est terminé. Si vous êtes, par malchance,
matraqué dans le bâtiment 1 de la police unique, n'allez
pas dans le bâtiment 2 car vous risqueriez double ration.
Du nord au sud, de l'est à l'ouest du pays, ce sera toujours
la même police qui vous recevra, bien ou mal, plutôt
mal que bien.
Terminé les "bavures", les dysfonctionnements…
Mon œil ! Certains optimistes me diront que maintenant, les
futurs policiers devront suivre un écolage de plusieurs mois
et qu'ils seront plus aptes à gérer les situations
litigieuses se présentant à eux. À ceux-là,
je réponds : foutaise. Ils subiront, que dis-je, ils subissent
déjà des lavages de "cerveau" qui font d'eux
(êtres humains quand même) de véritables robot
cops d'où s'évapore la notion de prévention
au profit de la répression. On leur a déjà
martelé le cerveau à la pratique de la tolérance
zéro.
Dans le cas de manifestations légitimes des travailleurs
ou de collectifs de citoyens un peu trop exubérants au goût
du pouvoir, le code pénal inventera un nouvel article sur
la légitime défense (la légitime défense
doit être proportionnelle à l'attaque). Ce sera : "l'illégitime
attaque du pouvoir contre nos droits élémentaires
pourra être disproportionnelle à la légitime
défense de nos droits"…
Si nous en sommes arrivés à cette situation, n'oublions
pas que des événements du passé auront généreusement
servi à l'état actuel de la politique dans le merveilleux
royaume de Belgique. Je n'en citerai que deux, encore frais dans
les mémoires :
Les tueries du Brabant wallon qui ont eu pour unique conséquence
le renforcement de la gendarmerie, en hommes et en matériel.
Cette dernière le réclamait à corps et à
cris depuis plus de dix ans. Mais les auteurs courent toujours et
mourront de leur belle mort, nantis d'un solide pactole, pour services
rendus. À qui ?
L'affaire Julie et Melissa (dont je salue fraternellement ici
les parents). Une enquête plus que bâclée où
des enfants ont atrocement perdu la vie ; la création d'une
commission qui a quand même servi à révéler
les "dysfonctionnements", volontaires ou involontaires
( ?) ; les gifles données aux familles lorsqu'elles apprennent,
après les souffrances déjà endurées,
que ceux qui auraient pu sauver la vie de leurs enfants sont montés
en grade dans la gendarmerie…
Lorsque j'étais gosse, mes parents comme mes profs me disaient
que si je faisais des efforts, je serai récompensé.
En cas contraire, je serai privé de récompenses.
Dans cette affaire, cependant, il y a encore eu d'autres bénéficiaires
: par exemple, le président de la commission à qui
la télé a servi de pub électoraliste de première
bourre. Il en est même devenu ministre de la justice. Autre
bénéficiaire, la gendarmerie qui a enfin réussi
ce qu'elle attendait depuis 50 ans : une police unique, fédérale
ou non, avec la mainmise, occulte ou non, sur tous les reliquats
des autres anciens corps de police. On me dira que la Belgique est
une démocratie. Je répondrai que la Belgique est une
démocratimerdie. La démocratie, et je ne peux parler
que du pays où je vis, c'est la fine, la très fine
couche multicolore politique, qui recouvre une couleur d'un brun
sale, couleur qui me rappelle que c'est contre elle que mes parents
ont combattu dans la résistance durant la seconde guerre
mondiale.
Je ne peux cependant pas terminer cet article sans écrire
quelques lignes sur la grande marche blanche qui a eu lieu après
les tragiques événements des enfants assassinés
ou disparus. Je sais que dans la symbolique religieuse, le blanc
est signe de pureté et qu'on l'associe facilement à
l'enfance. Mais permettez-moi (car je suis athée) et avec
le respect que je dois aux 300.000 manifestants, que dans les guerres
dont les livres d'histoire nous rappellent d'autres terribles souvenirs,
le drapeau blanc était un signe de reddition. Je sais aussi
que, aujourd'hui encore, des comités comme celui de Julie
et Melissa continuent à se battre contre un système
oppressant, un pouvoir liberticide qui, et je le déplore,
ne leur apporteront jamais entière satisfaction dans leur
recherche de la vraie vérité, comme disent les enfants
dans leur naïveté. Mais dans un avenir (que je ne crois
pas si utopiste que ça), au travers du monde, se lèveront
des centaines de manifestations sous les drapeaux noirs, pour que
les hommes et les femmes vivent enfin une vraie vie d'être
humain. Nous pouvons tous, dès à présent, tout
comme dans le passé, nous considérer en état
de légitime défense sociale. À tous, je souhaite
Liberté, Egalité, Fraternité.
Le Loup Noir, Groupe libertaire Anarquebuse, Liège
Dossier Police (Cécily Falla)
PROACTIVITE
Ni dans les années 70 ni au Moyen-Age, le mot “ proactivité
” n’avait encore été inventé: d’où
la nécessité de définir précisément
la chose.
L’inquisiteur (...) emploie une procédure d’enquête,
c’est-à-dire qu’il cherche activement les hérétiques
et ne se contente pas d’attendre qu’une plainte soit
déposée pour provoquer l’action en justice.
(Histoire intellectuelle de l’Occident médiéval,
Jacques PAUL, éditions Armand Colin, 1973.)
La proactivité, c’est ratisser la population et ce
n’est pas nouveau: c’était même révolu.
1ère Partie
ALLOCHTONES, HOOLIGANS
ET QUI ENCORE ?
En septembre 1999, le ministre de la justice, Marc VERWILGHEN,
annonçait sa décision de confier à Marion VAN
SAN, criminologue belge formé aux Pays-Bas, une étude
sur " la relation entre origine allochtone et comportement
criminel ". L’objectif déclaré du ministre
de la justice était de permettre l’élaboration
de dispositifs de prévention de la criminalité adaptés
aux spécificités de la population issue de l’immigration...
(Mon délit ? Mon origine ! Ouvrage collectif - De Boeck 2001)
Cela souleva un tollé à la Chambre et dans les médias.
Tant qu’à faire, pourquoi ne pas étudier aussi
le lien entre vote d’extrême-droite et identité
flamande en raison de la surreprésentation du vote d’extrême-droite
en Flandre ? Bonne idée, non ? Oui mais attendez: il faudra
aussi aborder l’épineuse question de la relation entre
identité wallonne et chômage, en raison de la surreprésentation
des Wallons dans les statistiques du chômage . Et tout ceci
pour envoyer des formateurs rectifier de manière ciblée
nos caractéristiques culturelles respectives. En voilà
du travail pour les sociologues !
L’étude confiée par Marc VERWILGHEN à
Marion VAN SAN souleva aussi l’opposition des intellectuels
des universités. Celle-ci se fit sentir surtout parmi les
intellectuels d’obédience catholique, le PSC étant
passé dans l’opposition depuis les élections
de juin 99. Des chercheurs, majoritairement issus de la KUL, de
l’UCL, des facultés universitaires Saint-Louis de Bruxelles,
avec un zeste d’ULB pour faire pluraliste, élaborèrent
un ouvrage révélateur du visage que montrent les forces
de l’ordre aux jeunes issus de l’immigration. Extraits
dans l’article " ICI ON CHASSE ! ".
Remarquez qu’aux dernières élections communales
d’octobre 2000, les Bruxellois ont résolument tourné
le dos à l’extrême-droite, et ceci après
avoir connu dix ans de politique policière sécuritaire
ciblée sur les " jeunes allochtones " ainsi que
deux révoltes de ceux-ci en 1991 et 1997. Les Bruxellois
ont exprimé le désir de vivre pacifiquement entre
communautés d’origines différentes. Il y a bien
trop de populations de toutes origines qui se côtoient quotidiennement
dans cette ville, pour que les habitants puissent accorder la moindre
confiance en un discours fauteur d’hostilités. L’extrême-droite
fait davantage recette parmi ceux qui habitent assez loin des "
allochtones " pour pouvoir se les représenter sous des
traits fantasmatiques.
Cependant, Marc Verwilghen poursuit ses tentatives de faire passer
des idées sécuritaires à l’encontre des
jeunes des quartiers urbains pauvres. Le 10 janvier 2000, le ministre
de la justice présenta au Conseil des ministres son "
plan fédéral de sécurité ". Un
premier volet de ce plan entendait donner une réponse judiciaire
immédiate et musclée à la " petite délinquance
urbaine ". Un second volet proposait une approche toute en
douceur, non plus pénale mais administrative et " autorégulatrice
", de la " délinquance patrimoniale ", expression
pudique pour désigner la criminalité en col blanc:
corruption de fonctionnaires, fraude fiscale, infractions des entrepreneurs
aux lois protectrices des travailleurs et de l’environnement.
Jean-Claude PAYE commente: Les différences dans le traitement
des deux dossiers sont (...) caractéristiques de la forme
d’organisation du pouvoir d’Etat qui est en construction.
(Vers un Etat policier en Belgique ? EPO 2000 p. 127)
Ce " plan fédéral de sécurité
" souleva lui aussi un tollé et Monsieur VERWILGHEN
dut le faire revoir par son cabinet avant de le représenter
au Conseil des ministres en juin 99. Il ressortit de ce remaniement
assez émaillé de langue de bois pour être à
peu près illisible, et fut pour cette raison adopté
à l’unanimité par le Conseil des Ministres.
La littérature y perd. Puisse la démocratie y gagner.
Le flop béni de la comparution immédiate
Gare ! Poursuivant toujours l’idéal d’éradiquer
la " petite délinquance urbaine " et le hooliganisme,
le gouvernement a proposé et le parlement a adopté
une loi du 28 mars 2000 " insérant une procédure
de comparution immédiate en matière pénale
" (MB 1 avril 2000 et ce n’est pas un poisson).
Teneur de cette loi: pour des cas de flagrant délit ou
lorsque les preuves sont complètement réunies dans
le mois qui suit l’infraction, on peut emprisonner immédiatement
l’auteur, mener sa procédure au pas de charge et le
juger au bout de sept jours d’emprisonnement, avec à
la clé une peine de prison de dix ans au maximum. Inutile
de préciser que cela se fait au prix d’un sérieux
écornement des droits de la défense.
Le gouvernement assure que cette procédure ne visera que
les délits commis individuellement ou en petites bandes,
mais rien dans la loi qui l’organise n’exclut qu’elle
puisse s’appliquer ultérieurement aussi à des
actes commis pendant des manifestations, par exemple, et pas nécessairement
dans le cadre des " groupes à risques " visés
au départ.
La comparution immédiate existait déjà en
France. En 1996, la procédure française avait fait
l’objet d’une évaluation de la part des parlementaires
belges qui, indignés, l’avaient rejetée. Le
fait qu’elle soit adoptée maintenant, en ne présentant
pas les mêmes garanties formelles que l’exemple français
comme l’accord nécessaire du prévenu, traduit
la dégradation rapide de l’Etat de droit en Belgique.
(Jean-Clause Paye, Vers un Etat policier en Belgique ? EPO 2000)
D’après Patrick Collignon, dans un article écrit
sur le vif et paru au Journal des Tribunaux n°5967 du 22-29
avril 2000, le parlement belge a été pressé
par le gouvernement d’adopter cette loi à toute allure
avant l’Euro 2000, afin, disaient les membres du gouvernement,
que les hooligans aient une épée de Damoclès
suspendue au-dessus de leur tête et qu’ils ne provoquent
pas d’accidents ni d’émeutes au cours des grandes
dionysies de l’Euro 2000.
La procédure de comparution immédiate est aussi
liberticide que la première version de la loi sur les organisations
criminelles. Or, cette dernière a capoté à
l’intervention de la société civile, tandis
que la première, elle, est passée sans encombre -
votée par ECOLO, entre autres - et est entrée en vigueur
telle quelle.
Heureusement, Monsieur Collignon nous promet qu’elle sera
fort difficile à appliquer, car elle impose aux magistrats
du parquet, aux juges et à leurs secrétariats respectifs
un rythme de travail de type " hot line ". A ce propos,
les travaux préparatoires font çà et là
allusion à des tribunaux qui siégeraient le week-end...
Mais en voilà une bonne idée ! Je dirai même
plus: à quand les tribunaux à pause ?
Pas à maintenant. Récemment, le Ministre de la Justice
a annoncé à la radio qu’il avait " donné
l’ordre " aux procureurs de ne plus recourir à
cette procédure " pour l’instant ", en attendant
que de telles difficultés soient résolues... aussitôt
les journalistes lui ont rappelé qu’un ministre (pouvoir
exécutif) ne peut pas donner au pouvoir judiciaire (les procureurs)
un ordre de ne pas poursuivre. M’enfin bon, quoi, bref, pour
ainsi dire, en quelque sorte, on se comprend et quelque part, en
tout cas pour l’instant, tout va très bien.
Une " bande organisée " en action
Si si, ça existe ! Mais laissez-moi commencer par le début.
Au cours des grandes dionysies antiques, les esclaves avaient
congé. Sans doute faut être moins que cela ou vivre
en l’an 2000 pour devoir se lever à 5h30 du matin dans
un quartier autorisé par l’Euro 2000 à hurler
en rue jusqu’à 12h de la nuit. Et c’est le fruit
de nombreuses révolutions sociales. " Liberté
individuelle " cela s’appelle.
Et dans ce quartier si électrisé par l’Euro
2000, il y a bien sûr ceux qui crèvent les yeux avec
leurs training kappa, leurs casquettes en bec de canard, leurs vestes
bombers, leurs irrémédiables nike, leurs mobylettes
calamiteuses, une bagnole martyrisée dont la sono dégueule
on ne sais quoi se rapomorphe et puis leur façon d’aboyer
tous les mots qu’ils se disent en ébauchant à
une vitesse inquiétante quelques positions de combat comme
s’ils couraient le risque imminent d’être attaqués
par des êtres invisibles. C’est typiquement le délit
de sale gueule mais bon, on n’a pas récupéré
l’article 342 du code pénal laissé vide pour
y mettre le délit de sale gueule. Liberté individuelle,
encore. (Pour plus d’infos sur le 342 CP, voir " MILITANTS
et ORGANISATIONS CRIMINELLES ").
Ici on parle d’une bande organisée de petite délinquance
urbaine. Qu’est-ce que c’est au juste, " petite
délinquance urbaine " ? C’est par exemple: enfoncement
de vitres de voitures en stationnement dans le but de s’approprier
une autoradio à mille balles, vols divers (réappropriations
et agressions confondus), massacres de cabines téléphoniques
et d’abris-bus qui ne leur ont rien fait... Justement, un
jour vous apercevez une toute petite fraction de ceux qui présentent
le look susmentionné, cinq ou six, qui sont occupés
à inspecter les voitures une à une en plein jour au
vu et au su de tous, de façon à apprendre aux passants
à faire semblant de rien, de façon à leur apprendre
que ce sont eux les maîtres du quartier. Façon mafia
quoi ! En effet, quand un passant fait mine de les regarder avec
insistance et/ou d’interpeller les autres passants présents,
les autres passants se débinent, mais la bande repère
le citoyen zélé et il aura droit pendant les semaines
et les mois suivants à se sentir menacé à l’occasion
de chaque rencontre avec un de ses membres. Il faut absolument que
personne de la bande ne connaisse son domicile, parce que généralement,
les appartements du quartier ne sont pas prévus avec porte
blindée (à la limite ça déstabiliserait
les murs). Il ne faut pas non plus que par hasard une de ces rencontres
fortuites en rue avec un membre de la bande ait lieu en l’absence
d’aucun témoin: donc, éviter les ruelles trop
peu animées, voire même les sorties nocturnes. Une
nuit qu’on y déroge, on sent monter la tension intérieure
à la rencontre fortuite d’une bande organisée
de deux individus occupés à conchier la ville de tags
prétendus artistiques; par bonheur, ils n’ont apparemment
rien à voir avec les précédents.
Que faire ? Il faut, paraît-il, avoir confiance en la police
qui veille à la sécurité. Il faut y contribuer
soi-même, à la sécurité. Il faut aller
communiquer cela à la police. On aura peut-être des
photos à regarder. Et si on n’est pas physionomiste
? Et puis ils se ressemblent tous, ils crèvent les yeux et
ça ne favorise pas l’analyse. Après, la police
appréciera librement le degré de force probante de
vos délations de bon citoyen et opérera un choix éclairé
entre " l’impunité " et la massue. Surtout
vous prendrez l’habitude de dénoncer de derrière
les rideaux et non à visage découvert ! Sinon vous
êtes idiot et responsable de ce qui peut vous arriver et les
flics seront les premiers à vous le dire.
Qu’est-ce qu’on est rassuré et qu’est-ce
qu’on est fier !
Stop ! Pinçons-nous, on va se réveiller. Il y a
l’intuition qu’un rien ferait retomber les menées
de ladite bande comme un soufflé manqué. Que pour
justifier l’attribution à la police de fonctions retirées
ailleurs, on se fait peur avec l’ombre du teckel nain qui,
projetée sur un mur de non-dialogue, ressemble un instant
au grand méchant loup. Du coup, ces jeunes eux-mêmes
se prennent pour le grand méchant loup, tout en espérant
peut-être une autre définition, comme semble le prouver
leur provocation. C’est une provocation en plein jour et dans
une rue commerçante: c’est une provocation à
la lâcheté et à l’indifférence
de leurs concitadins des générations au-dessus. Et
si c’était dans un village arabe, hein, qu’est-ce
qui se passerait ? Il y aurait un patriarche chenu qui lèverait
sa canne en vociférant et tous les autres passants enchaîneraient
et la bande déciderait de jouer à autre chose. Et
si c’était dans un village belge, hein ? Idem. Il n’y
a que dans une ville sous contrat de sécurité qu’on
s’invente des problèmes.
2ème Partie
MILITANTS et ORGANISATIONS CRIMINELLES
A la fin des années 90, on a frôlé le passage
en douce vers un régime politique tout simplement dictatorial.
Le gouvernement a cherché à faire adopter par notre
parlement démocratiquement élu tous les quatre ans,
quelques projets de lois à donner froid dans le dos.
D’une part, le gouvernement aurait voulu qualifier des organisations
à finalité politique ou syndicale d’" organisations
criminelles " afin de rendre punissable d’amendes et/ou
de prison toute appartenance ou action de sympathisant à
celles-ci. Et pour être qualifiée de " criminel
", il suffisait qu’un mouvement plus ou moins organisé
ait pour objet l’opposition politique autonome, ou radicale,
ou directe, ou citoyenne, appelez-cela comme vous voulez mais les
projets de loi parlaient à leur propos d’" intimidation
" ou " entrave au fonctionnement des pouvoirs publics
ou des entreprises privées ".
Ce n’est pas tout. Pour renforcer l’effet insécurisant
de cette première mesure à l’égard de
tout militant ou sympathisant, le gouvernement a aussi voulu que
la gendarmerie puis l’actuelle " police intégrée
" puisse couvrir des populations entières qualifiées
de " groupes cibles " ou de " groupes à risques
" d’un système de renseignement systématique,
donc susceptible de ficher et de contrôler des personnes qui
n’ont rien à se reprocher et des organisations non-violentes.
Les " groupes-cibles " que le gouvernement proposait à
la vigilance inquisitoriale de notre nouvelle police monopolistique
et moderne, étaient d’une part les jeunes allochtones,
les hooligans (voir " ICI ON CHASSE " et l’autre
article les concernant) et d’autre part les anars et autres
" extrémistes " syndicaux ou politiques.
Qu’en est-il finalement de ces projets gouvernementaux ?
Qu’est-ce que le parlement a voté et à quoi
s’est-il opposé ? Que risquent actuellement les militants
politiques et syndicaux ?
J’ai extrait de l’ouvrage de Jean-Claude PAYE "
Vers un Etat policier en Belgique ? " EPO 2000 ce qui répond
à ces questions.
PROACTIVITE et MINI-ENQUETE
Deux nouveautés potentiellement dangereuses résultent
de la loi du 12 mars 1998 (MB 2 avril 98) relative à l’amélioration
de la procédure pénale au stade de l’information
et de l’instruction.
C’est cette loi qu’on appelle " le petit Franchimont
". Le gouvernement a claironné par la voie médiatique
qu’elle était destinée à améliorer
les droits de la victime au stade de l’instruction. Effectivement,
dès qu’une instruction sera ouverte, elle aura accès
à son dossier au même titre que l’inculpé
et pourra, comme lui, soumettre une décision du juge d’instruction
au contrôle de la Chambre du conseil du tribunal ou de la
Chambre des mises en accusation.
Oui mais ! Cette loi permet de à la police, avec l’accord
du procureur, de commencer une " mini-enquête "
sans ouvrir une instruction ! Et tant qu’aucune instruction
n’est ouverte, ni la personne faisant l’objet de l’enquête
ni ses victimes éventuelles n’ont de droit de regard
sur leur dossier et elles n’auront même pas le droit
de savoir si un tel dossier existe.
Il n’y aura plus que les arrestations, les perquisitions
et certaines mesures de surveillance qui nécessiteront l’ouverture
d’une instruction et donc le respect des droits des citoyens
impliqués, c’est-à-dire ceux de la défense
et ceux de la victime éventuelle de l’infraction.
Cette loi permet aussi aux forces de police, avec l’accord
du procureur, d’enquêter sans qu’une infraction
n’ait été commise. C’est l’enquête
" proactive ". Définition article 28 du "
Petit Franchimont ": dans le but de permettre la poursuite
d’auteurs d’infractions, l’enquête proactive
consiste en la recherche, la collecte, l’enregistrement et
le traitement de données et d’informations sur base
d’une suspicion raisonnable que des faits punissables vont
être commis ou ont été commis mais qui ne sont
pas encore connus...
Avant cette loi, il fallait qu’une infraction ait été
commise et il fallait que tous les actes d’enquête y
soient relatifs. On ne pouvait pas mettre sous surveillance des
" groupes-cibles " " pour le cas où "...
Ce qui ne voulait pas dire qu’on ne le faisait pas (voir "
ICI ON CHASSE ! ") mais qu’au moins la police ne pouvait
pas s’en vanter.
Grâce à la loi actuelle, toute la population ou n’importe
quel " groupe cible " peut légalement faire l’objet
d’un certain nombre de mesures d’enquête sans
le savoir, ou en le sachant mais sans avoir de prise. C’est
tout un pouvoir de renseignement qui est attribué à
la police et au procureur.
Ceci n’est PAS un service de renseignement
Autre loi adoptée récemment par le parlement et
potentiellement dangereuse: la Loi du 30 novembre 1998 (MB 18 décembre
98) sur les services de renseignement et de sécurité.
Cette loi a pour particularité de décider dans son
article 2 que la nouvelle police unique ou intégrée
n’est pas un services de renseignement, et que ses activités
d’enquête ne seront donc pas soumises au contrôle
du comité R du parlement, c’est-à-dire le comité
parlementaire chargé du contrôle des services de renseignement.
Jean-Claude PAYE en dit en substance: on serait ravi que la police
new look ne soit effectivement pas un service de renseignement,
mais puisqu’elle en est depuis que le " petit Franchimont
" légalise l’enquête policière proactive,
on aimerait autant que le comité R puisse au moins exercer
son contrôle sur ses activités ! (p. 113 et 97)
Par ailleurs, cette loi dit que les services de renseignement
(donc la Sûreté de l’Etat) seront compétents
relativement aux " organisations criminelles ".
Et quelle est la définition de " l’organisation
criminelle " dans cette loi ?
Ce sont, notamment, des organisations qui poursuivent un but exclusivement
politique, idéologique, religieux, à condition qu’elles
poursuivent ce but au moyen de " menaces ", d’"
intimidations " (des grèves et des manifestations en
sont) ou de " terrorisme " (au sens très large,
c’est-à-dire les menaces, les intimidations ou les
destructions de biens) ou que leurs activités aient des conséquences
déstabilisantes sur le plan politique ou socio-économique
...
Extraits des articles 7 et 8 de la loi sur les services de renseignement:
On entend par activité qui menace ou pourrait menacer: toute
activité, qui peut avoir un rapport avec l’espionnage,
l’ingérence, le terrorisme, l’extrémisme,
la prolifération, les organisations sectaires nuisibles,
les organisations criminelles en ce compris la diffusion de propagande,
l’encouragement et le soutien direct ou indirect.
(...) Terrorisme: le recours à la violence à l’encontre
de personnes ou d’intérêts matériels,
pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d’atteindre
ses objectifs par la terreur, l’intimidation ou les menaces.
(..) Extrémisme: les conceptions ou les visées racistes,
xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires
qu’elles soient à caractère politique, idéologique,
confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou
en pratique, aux principes de la démocratie.
Bref, cette définition élastique vise à qualifier
d’" organisation criminelle " non seulement les
anarchistes mais aussi toute résistance sociale, toute opposition
politique radicale. En fait, cette loi donne comme objet aux services
de renseignement toute la société civile pour peu
qu’elle s’impose dans le débat politique.
Mais il ne faut pas dramatiser. Cette loi se contente de dire
que tous ces gens et ces organisations sont fichables à la
Sûreté, et ceci sous la surveillance du comité
R du Parlement. Cette loi ne dit pas qu’ils sont punissables,
ni fichables au fichier central contrôlé par gendarmerie
ou la future police unique.
De JUSTESSE !
C’est surtout en juin 97 que l’Etat belge a failli
recevoir du Parlement les moyens d’une politique parfaitement
dictatoriale. Le gouvernement avait l’intention de rendre
punissable toute adhésion à une " organisation
criminelle " définie de la même façon que
dans la loi sur les services de renseignement et de sécurité,
c’est-à-dire y compris des mouvements à finalité
syndicale ou politique. Le 7 juin 97, la Chambre adopta le projet
de loi gouvernemental en ce sens, visant à insérer
un article 342 dans le code pénal, sans apparemment se rendre
compte de la gravité de l’affaire. Seuls les députés
écolo et VU s’y opposèrent.
Ensuite ce fut une petite manifestation de 200 personnes devant
l’immense palais de justice de Bruxelles. " Contre l’article
342... " Cela demeurait abstrait et hermétique au grand
nombre. Nous n’étions donc que 200, transis dans les
courants d’air face à un gigantisme qui nous narguait,
et quand nous ne fûmes que trois ou quatre, avec des fanions
rouges-noirs repliés, à attendre notre chauffeur qui
tardait, quelques policiers fondirent sur nous pour un contrôle
d’identité. Le contrôle d’identité,
c’est une spécialité bruxelloise. Ils n’avaient
sans doute pas assez d’" allochtones " à
se mettre sous la main ce jour-là.
Bref nous étions deux cent et assez découragés,
mais à l’instigation de la Ligue des droits de l’être
humain, et suivant l’avis très incisif du Conseil d’Etat,
le Sénat se réveilla, rejeta le projet d’article
342 du Code pénal, réexpédia à la Chambre
sa copie avec un zéro pointé. Là, de discussion
en amendement, l’article 342 devint un article 324 bis légèrement
différent du premier.
324bis: Constitue une organisation criminelle l’association
structurée de plus de deux personnes, établie dans
le temps, en vue de commettre de façon concertée,
des crimes et délits punissables d’un emprisonnement
de trois ans ou d’une peine plus grave, pour obtenir, directement
ou indirectement, des avantages patrimoniaux, en utilisant l’intimidation,
la menace, la violence, des manoeuvres frauduleuses ou la corruption
ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour
dissimuler ou faciliter la réalisation de ces infractions.
Une organisation dont l’objet réel est exclusivement
d’ordre politique, syndical, philanthropique, philosophique
ou religieux ou qui poursuit exclusivement tout autre but légitime
ne peut, en tant que telle, être considérée
comme une organisation criminelle au sens de l’alinéa
1er.
Sont soulignées, les différences entre feu le 342
et le nouveau 324 bis. C’est fait ! Une loi du 10 janvier
1999 (MB 26 février 99) relative aux organisations criminelle
a introduit le 324 bis dans le code pénal. Analysons.
Comme l’article 342, l’article 324 bis est suivi d’un
324 ter qui définit et incrimine l’appartenance à
ladite organisation criminelle, y compris un coup de main à
ses activités licites, une simple activité de propagande,
tout acte d’aide ou d’adhésion...par exemple
s’abonner à la revue de l’organisation... Cet
article crée donc un délit d’appartenance, c’est-à-dire
exactement ce à quoi nos profs de droit nous avaient appris
il y a une dizaine d’années à reconnaître
un " Etat non démocratique ". Or les mêmes
profs, en été et automne 97, ont refusé de
cautionner la pétition contre l’article 342 du code
pénal en projet, que je leur avais envoyée. Ils m’ont
dit qu’ils ne pouvaient pas prendre position sur le plan politique.
Ils ont peut-être la mémoire plus courte que leurs
élèves.
Ceci dit, pour les militants, le maintien du " délit
d’appartenance " est un moindre mal car de 342 à
324 bis, le danger a été neutralisé. Voici
comment.
Imaginons un collectif d’inspiration anarchisante se spécialisant
dans la défense des chômeurs et réalisant des
occupations de l’ONEM au cours desquelles il se pourrait bien
que soient commis, par dérapage ou intentionnellement dans
la poursuite d’un but de sabotage ou d’autre action
directe, des délits contre les biens punissables d’un
emprisonnement de trois ans. A propos de ces actions, le discours
que tient le collectif à l’intention des médias
et de toute la société est le suivant, même
si certains éléments du collectif ne sont pas d’accord
et que cela réveille le sempiternel débat entre réformisme
ou révolution: " C’est dommage d’en arriver
là, mais c’est visiblement indispensable pour secouer
les médias, les syndicats, les parlementaires et pour faire
obéir nos représentants à ce que nous voulons
légitimement et pour défendre notre vie (voir notamment
" A propos de quelques suicides ", AL n°234). Nous
les citoyens ne pouvons nous contenter de voter, à moins
de désirer nous faire bouffer par les loups avec la bénédiction
des agneaux sensés nous représenter... " Mais
assez blablaté, voici que ladite action directe a été
commise et que la police unique, suivie du parquet, brandissent
contre plusieurs membres ou sympathisants leur appartenance à
une " organisation criminelle "...
Eh bien, en tant que membre ou sympathisant de ce groupe, on peut
plaider que ce groupe ne poursuit pas de finalité patrimoniale,
qu’il s’agisse d’une association de fait ou même
s’il s’agissait d’une ASBL. Il poursuit bien,
entre autres, une finalité patrimoniale pour toute la classe
de chômeurs qu’il défend, mais cela se confond
avec une finalité syndicale (amélioration des conditions
d’existence des travailleurs) et politique (une société
dans laquelle les gens sont plus libres). Ce groupe illustre donc
la dernière phrase de l’article 324 bis. Et dès
lors que notre collectif n’est pas une organisation criminelle,
seuls seront responsables de la dégradation aux biens, ceux
qui l’ont commise. Comme la charge de la preuve en droit pénal
repose sur les magistrats accusateurs (le procureur) et sur les
victimes éventuelles (parties civiles, en l’hypothèse
l’ONEM), qu’ils prouvent qui a fait quoi.
Happy end pour le collectif et ses sympathisants.
En principe cela signifie aussi que l’enquête proactive
effectuée par la police unique à l’égard
des groupes idéologiques autonomes et radicaux, dont les
anars et différents collectifs, est illégale.
Conclusion
On peut dire que le parlement a enfin et de justesse fait son
boulot, et ceci grâce à du remue-ménage dans
la société civile, appuyé par une intervention
insistante de la Ligue des droits de l’être humain,
et convergeant avec l’avis d’une institution restée
apparemment au-dessus des modes: le Conseil d’Etat.
Le résultat, c’est qu’en tant que membres ou
sympathisants de collectifs ou de mouvements syndicalement ou politiquement
radicaux, ou autonomes, ou révolutionnaires ou citoyens,
on est éventuellement fichables par la Sûreté
sous le contrôle du comité R du parlement, si vraiment
ils n’ont rien d’autre à faire ou si jamais on
avait l’honneur d’intimider vraiment; mais on n’est
pas poursuivable, pas punissable, pas menacé et en principe
même pas fichable ni enquêtables proactivement par la
police unique. Cela ne veut pas dire qu’on ne le sera pas
mais cela signifie qu’elle ne pourra pas s’en vanter.
Gardons la présente argumentation dans un coin de la tête.
3ème Partie
ICI ON CHASSE !
Entre 1996 et 1999, certains chercheurs de l’unité
de criminologie de l’UCL sont allés observer par immersion
pendant quelques mois le travail quotidien d’une brigade de
gendarmerie bruxelloise. Leur démarche a consisté
à fourrer leur nez partout, à la manière des
ethnologues débarquant dans quelque tribu exotique. Ils ont
accompagné les gendarmes en patrouille ou en planque, discuté
avec eux de leur travail, assisté à des interrogatoires,
consulté les documents internes tels que procès-verbaux,
directives ou fichiers.
(Vincent FRANCIS, L’étranger, objet de toutes les
attentions: étude des pratiques de ciblage policier. p.187
à 199 de l’ouvrage collectif Mon délit ? Mon
origine, Editions De Boeck 2001)
Les chercheurs se sont rendus compte que:
1) Les gendarmes interpellent, contrôlent, fouillent et
surveillent bien plus souvent les jeunes d’origine maghrébine
que toutes les autres composantes de la population bruxelloise;
2) Ce ciblage ne s’explique pas uniquement par des idées
racistes. Même les gendarmes qui récusent tout racisme
se comportent ainsi.
Fondamentalement, cette recherche jette une lumière crue
sur les effets de l’approche proactive des services de police.
Non seulement la brigade de gendarmerie observée mais aussi
la police communale a expérimenté les dérapages
et les dangers de la proactivité.
(Voir point 5 ci-après et l’article de Christine
SHAUT, Les contrats de sécurité, p. 135-156 du même
ouvrage)
1 Présentation de la brigade observée
La gendarmerie a été démilitarisée
en 91 et a reçu les mêmes fonctions que la police:
des fonctions de police judiciaire (recherche et poursuite d’auteurs
d’infractions) et de police administrative (maintien de l’ordre
sur la voie publique). Elle est devenue un service parallèle
à celui de la police et en un sens concurrent.
Sa structure est pyramidale: au sommet, l’état-major
général, à un niveau intermédiaire,
le district, et à la base, les brigades, unités en
contact permanent avec la population. Le district de Bruxelles comprend
dix brigades territoriales et une brigade de recherche (BSR) chargée
de la recherche des crimes et délits les plus graves.
La brigade observée est une des dix brigades territoriales.
Dans cette brigade étaient organisés trois services
de patrouille: deux services permanents, quotidiens, et un service
dit " bandes organisées " qui était organisé
une fois par semaine, en soirée.
Les chercheurs ont accompagné les services de patrouille.
Voyons d’abord les patrouilles permanentes.
2 Quand les gendarmes s’ennuient
Officiellement, le service de patrouille est chargé de
trois missions: la réaction, la proaction et la dissuasion.
Mais en réalité il ne fait presque jamais de réaction,
car les demandes d’intervention de la population que reçoit
le service 101 sont (...) dispatchées vers les services d’intervention
de la police communale. C’est donc la police qui va constater
les accidents, les agressions, les infractions, les suicides et
les décès, calmer une bagarre de café ou une
dispute de famille, etc..., suite aux appels de la population.
Dépourvues de cet important morceau, les brigades de gendarmerie
n’ont qu’une chose à faire: patrouiller selon
un plan de route plus ou moins contraignant. Cela engendrerait rapidement
un profond sentiment d’ennui si les patrouilleurs ne s’octroyaient
pas eux-même une charge de travail suplémentaire...
Certains se contentent de patrouiller. Mais que ça fait
fonctionnaire ! D’autres passent leur temps à contrôler
les plaques d’immatriculation en quête de voitures volées.
Bon, on se sent déjà un peu plus utile. Cependant,
la plupart optent pour une activité très valorisée
au sein de la brigade et emblématique de la " culture
d’entreprise " (...) qui pourrait se résumer à:
" Ici on chasse, on fait du judiciaire ! ". (...) "
Faire du judiciaire " signifie rechercher les infractions et
en rassembler les preuves en vue d’approvisionner le système
pénal. " chasser " renvoie, en outre, au caractère
proactif de la technique utilisée à cette fin. Bien
que cet esprit ne soit plus, depuis la fin des patrouilles ABT (anti-banditisme
et terrorisme, dissoutes en 90), encouragé par les responsables
hiérarchiques, il est très présent chez les
jeunes gendarmes qui entendent les anciens en parler avec nostalgie.
Dans ce contexte, l’activité la moins valorisée
reste celle qui consiste à " faire du social ",
ce que nous pourrions résumer par " rendre service à
la population ". Une telle attitude est souvent l’objet
de railleries.
3 La conscience du harcelé
Qui chasse-t-on ? L’étranger en séjour illégal.
Une personne signalée à rechercher. Une personne en
possession d’armes, de drogue ou au volant d’une voiture
volée... Le hic, c’est qu’on ne peut pas chasser
toute la population. Alors, forcément, on cible des gens
qui ont l’air suspect. On le fait de trois manières
différentes.
Premièrement, on provoque. En effet, les comportements
suspects (...) n’apparaissent la plupart du temps que lorsqu’ils
sont suscités par des techniques policières bien rôdées,
pour les patrouilleurs, à (...) passer lentement à
hauteur d’une personne en la fixant dans les yeux; à
freiner brusquement ou accélérer à hauteur
d’une personne ou d’un groupe; à effectuer une
marche arrière rapide en direction d’une personne ou
d’un groupe ou encore à enclencher une fraction de
seconde la sirène. Les réactions jugées suspectes,
suscitées par ces diverses techniques, peuvent être:
le changement d’orientation; la fuite (...) l’abandon
(...) de stupéfiants " mais aussi " le faux semblant
" (demander un renseignement) qui consiste à faire croire
aux patrouilleurs que ceux-ci ne représentent pas une menace.
C’est large comme éventail de comportements suspects...
comment ne pas en avoir face aux provocations susmentionnées
?
Deuxièmement, les patrouilleurs ne provoquent pas n’importe
qui, mais de préférence, pour ne pas dire exclusivement,
les personnes et groupes de personnes dont l’apparence correspond
aux stéréotypes de la délinquance, à
savoir les jeunes de sexe masculin et d’origine nord-africaine.
Enfin, dès que les gendarmes patrouilleurs ont accompli
le plan de route imposé, ou toutes les fois où ils
n’ont pas de plan de route, ils vont se poster et faire leurs
provocations dans les quartiers à forte densité immigrée,
c’est-à-dire où on trouve beaucoup de suspects
à provoquer et à contrôler. Ainsi passent-ils
de fructueuses journées à chasser.
Le résultat, c’est que progressivement ces jeunes,
et eux seuls, acquièrent l’habitude que les gendarmes
se comportent de cette manière avec eux. Mais à vrai
dire, on ne s’y habitue pas vraiment.
Il me vient une comparaison. Ces manières de la gendarmerie
- ralentir à la hauteur d’une personne, la toiser etc...
ressemblent curieusement au harcèlement que subissent les
passantes dans certains quartiers de la part de mâles à
pied ou en voiture qui viennent eux aussi y " chasser ",
à leur façon.
Oh il y a bien des différences entre les deux types de
chasseurs ! Ainsi, alors que le mâle en vadrouille a l’habitude
de proférer des injures et des menaces de viol à une
personne qu’il a décidé unilatéralement
de considérer comme sa cible et qui ne lui a rien demandé,
le gendarme en patrouille, lui, place d’initiative son suspect
a priori, sous la menace du contrôle d’identité
et de la fouille en public, alors que le suspect ne lui a rien demandé
non plus.
Quoi qu’il en soit, dans les deux cas, il s’agit d’un
harcèlement, et le harcelé intériorise la conscience
trouble du harcelé, et des abysses de haine accumulée
à l’encontre du harceleur. Délit de sale gueule,
délit de belle gueule: même combat ?
4 La conscience du harceleur
Pourquoi ce harcèlement policier ciblé sur les jeunes
habitant des quartiers pauvres et de teint basané ? Eh bien,
ce n’est pas seulement parce que les gendarmes sont racistes.
Les gendarmes qui ne sont pas racistes le font aussi. Donc, il ne
suffirait pas de leur offrir une formation de sensibilisation à
l’antiracisme pour y mettre fin.
Là-dessous intervient en effet une rationalisation. On
contrôle les jeunes d’origine maghrébine parce
qu’on ne peut pas contrôler tout le monde et n’importe
qui au hasard, voilà tout ! Contrôler au hasard ou
systématiquemet sans motif, c’est même carrément
interdit par les articles 38 et 34 de la loi du 5 août 1992
sur la fonction de police. (p. 193)
Pour autant, ce ciblage ne rend pas le contrôle plus légitime.
Mais,en s’adressant à des populations socio-économiquement
plus vulnérables, certains gendarmes admettent se sentir
à l’abri de contestations relatives aux éventuelles
irrégularités (contrôles d’identité
et fouilles sans motif légal) qui accompagnent leurs contrôles.
Donc, le ciblage des jeunes Maghrébins, aux effets de harcèlement,
a trois causes: racisme parfois, rationalisation du travail policier
souvent, et minimisation des conséquences disciplinaires
ou judiciaires des illégalismes policiers enfin.
Il y a bien sûr une quatrième cause que j’ai
évoquée plus haut: c’est l’espèce
de désoeuvrement des gendarmes pendant que les services de
police sont occupés (voire débordés) par les
interventions à la demande de la population.
Remarquez qu’une amélioration de la rapidité
des réponses aux appels de la population et un grand soin
apporté aux suites données à ses plaintes seraient
les moyens adéquats de répondre aux sentiments d’insécurité
éventuels en son sein. Par contre, ce n’est pas en
augmentant le sentiment d’insécurité des jeunes
d’origine maghrébine via le zèle proactif qu’on
va diminuer celui du reste de la population...
En tout cas, le résultat de ce ciblage policier, c’est
une surreprésentation de ces jeunes parmi les personnes reconnues
comme auteurs d’infractions, poursuivies, emprisonnées,
bref connues du système judiciaire et pénitentiaire
belge. Le fait qu’eux et eux seuls soient surveillés
et contrôlés presque systématiquement donne
aux gendarmes et peut-être au restant de la population l’impression
qu’ils sont tous enclins à se livrer à des vols,
des trafics de drogue ou de voitures volées, des ports d’armes
et des infractions en tout genre, alors qu’il est bien possible
que les Belges jeunes ou moins jeunes commettent autant d’infractions,
et les mêmes, mais qu’ils soient tout simplement moins
surveillés, moins pris sur le fait, moins poursuivis et moins
punis que les Maghrébins ! Ainsi, une attitude différenciée
de la police envers les deux populations conforte des préjugés
qui entretiennent cette attitude...cercle vicieux.
5 Police communale à la recherche des bandes organisées
A la fin, qu’arrive-t-il ? Des émeutes, et ensuite...
un renforcement des patrouilles de ce genre avec contrôles
et fouilles à la clé.
Suite aux émeutes bruxelloises de 1991 et de 1997, une
peur nouvelle est apparue au sein de la brigade observée,
celle de voir ces événements de reproduire. Cette
peur omniprésente dans les discours et les pratiques des
gendarmes est à l’origine de (...) l’apparition
des patrouilles bandes organisées.
En fait, nonobstant cette observation tendant à conclure
au caractère spontané et interne de la création
des patrouilles " bandes organisées " au sein de
la gendarmerie, ces patrouilles de gendarmerie semblent découler
directement ou indirectement de la création d’une cellule
" bandes organisées " au sein du parquet bruxellois.
En effet, un autre article dans le même ouvrage (Christine
SHAUT, voir introduction) raconte comment cette cellule du parquet
a demandé la collaboration non pas de la gendarmerie, mais
de la police. Désireux de neutraliser l’existence,
non encore prouvée, de bandes organisées en région
bruxelloise, les magistrats se font aider par certaines polices
communales chargées de les identifier, de monter des dossiers
contre leurs membres, de prendre leurs photos, présentées
sous forme d’album aux victimes d’agressions.
Cette initiative du parquet a embarqué la police dans la
proactivité, avec tous les dérapages qui s’ensuivent.
Un inspecteur de police raconte:
" Il y a eu, en fait, une demande du parquet qui était:
Déterminer les bandes organisées qui sont sur votre
territoire " et quelque part, ça a eu un effet pervers...
on s’est dit, à la police, " oui, on doit en avoir
(...) et on cherche. Je crois que quasiment toutes les communes
ont répondu qu’elles avaient l’une ou l’autre
bande organisées sur leur territoire. (...) maintenant on
en est revenu. "
Résultat: créée à partir d’une
fiction et d’un fantasme liés à l’existence
de bandes organisées possédant une structure pyramidale,
un chef et des lieutenants, la cellule " bandes organisées
" (du parquet) a non seulement mobilisé d’importantes
ressources mais elle a aussi contribué à criminaliser
la présence des jeunes dans les espaces publics des quartiers
populaires et à les humilier. Les jeunes sont nombreux, dans
les entretiens, à mentionner l’humiliation ressentie
lorsqu’ils étaient pris en photo pour figurer dans
l’album. Sans parler du risque d’être victime
d’une victime qui se croit plus physionomiste qu’elle
ne l’est.
6 La création du risque d’émeute
Revenons à l’article de Vincent FRANCIS. Parallèlement
à l’action proactive déjà lourde de la
police, les patrouilles " bandes organisées " de
la gendarmerie ont lieu une fois par semaine, le soir. Elles ont
pour objectif déclaré, outre la recherche d’informations
utiles aux enquêtes en cours, l’identification de toute
une frange de la population composée de jeunes d’origine
nord-africaine dont la présence, bien visible de jour comme
de nuit, est vécue par une partie du voisinage et par les
gendarmes comme une menace permanente en raison de la petite délinquance
urbaine à laquelle ils sont associés et en raison
de leur attitude rebelle face aux forces de l’ordre.
L’identification entendue ici consiste en un contrôle
d’identité systématiquement suivi d’une
fouille (...) Ces contrôles visent à la récolte
d’informations sur (...) le type de rapport que les personnes
interpellées ont avec la délinquance et principalement
avec la drogue, ensuite de permettre la localisation, dans le futur,
de ces mêmes personnes.
Pour ce faire, les patrouilles sillonnent les quartiers bruxellois
où l’on peut observer à chaque coin de rue des
attroupements de jeunes gens (essentiellement de sexe masculin)
d’origine nord-africaine. Ils sont systématiquement
contrôlés. Lorsque le nombre d’individus est
trop important, les patrouilleurs préfèrent appeler
leurs collègues en renfort. Ils s’organisent par radio
afin d’arriver en même temps sur le lieu. Le contrôle
est opéré par deux ou trois gendarmes tandis que les
autres forment un large cercle autour de la scène, leur attention
étant dirigée vers un extérieur menaçant.
En effet, ce type de contrôles a pour effet d’attiser
le ressentiment des autres jeunes du quartier qui rapidement s’attroupent
aux alentours. Un brouhaha allant crescendo vient confirmer et amplifier
l’état de tension que produit chez ces jeunes le fait
de voir certains des leurs en posture de fouille. Il arrive que
des petits projectiles soient maladroitement lancés en direction
des gendarmes. Les insultes à l’égard des forces
de l’ordre ne sont pas rares non plus. Ces contrôles,
au sens large du terme, durent entre vingt-cinq et trente minutes.
Ils consistent en une vérification d’identité
des personnes alignées généralement contre
un mur suivi d’une fouille systématique ou aléatoire
(quelques personnes au hasard) si la tension ambiante requiert de
faire vite "...
Tiens, tiens. Si on doublait les effectifs des pompiers, je ne
pense pas qu’on aurait deux fois plus d’incendies. Mais
si on augmente les patrouilles proactives de la gendarmerie, ou
de la future police unique, il risque bien d’y avoir davantage
de troubles de nature à justifier leur existence. En effet,
à force d’un zèle considéré comme
louable au sein de leur culture d’entreprise, les gendarmes
parviennent à justifier leur fonction en semant l’ambiance
pour laquelle ils ont été formés.
On a déjà reproché aux militaires et aux
marchands d’armes d’en faire autant.
7 Douce, l’info ?
Faire du judiciaire étant particulièrement valorisé
au sein de la brigade de gendarmerie, il s’agit donc pour
elle de prendre position sur ce terrain.
Plus précisément, les gendarmes de la brigade observée
veulent avant tout détenir l’information.
Peu importe, pour les gendarmes, le contenu de l’information
pourvu qu’ils la détiennent. Ils peuvent ainsi mettre
au jour une base de données informelle (ce que les forces
de l’ordre appellent " l’info douce "). Cet
outil, exclusivement destiné au travail des gendarmes, se
présente sous la forme d’une liste reprenant, au regard
des noms des personnes contrôlées, les informations
les concernant. (gloup !)
C’est de la rétention d’informations et c’est
punissable pénalement et disciplinairement.
Et à quoi cela sert-il ? A faire pression. (re-gloup !)
Les informations récoltées lorsqu’elles révèlent
une détention de drogue ne sont pas systématiquement
transmises au parquet. Elles représentent, dès lors,
une menace permanente pour ces jeunes en ce sens qu’elles
constituent le levier d’une répression éventuelle
dans le cas d’implication de ces jeunes dans des troubles
à l’ordre public.
Le but que notre ethnologue de la gendarmerie a découvert
au principe de ces fichiers clandestins, c’est le maintien
de l’ordre public.
De la conception que se fait la gendarmerie de celui-ci.
Et puisse ce moyen de pression utilisé par la gendarmerie
en toute illégalité et hors de tout contrôle,
ne jamais servir un autre but !
On n’ose pas songer à la conception que se font les
jeunes non seulement de la gendarmerie, mais du reste de la société...
Conclusions
Tout cela nous ramène à des conclusions déjà
formulées ailleurs, que ces deux recherhes confortent puissamment.
a) Abandonner les interventions " proactives " de l’actuelle
police intégrée et n’autoriser les enquêtes
et les contrôles que lorsqu’une infraction a vraiment
été commise et à l’égard d’un
vrai suspect. Ne plus leur permettre de considérer toute
une " population-cible " a priori comme suspecte.
Or la loi du 12 mars 1998 dite " petit Franchimont "
(MB 2 avril 98) légalise l’enquête proactive...
b) L’actuelle police unique est obligée de transmettre
toutes les informations au fichier centralisé qui est à
la disposition des procureurs et des juges d’instruction qui
en ont aussi besoin. De cette manière, les différentes
instances se contrôlent mutuellement. Les rétentions
d’informations sont sanctionnables pénalement et disciplinairement.
Mais pour appliquer ces beaux principes, il reste à soumettre
la police à un contrôle extérieur et indépendant
qui sanctionne réellement les fautes disciplinaires et des
infractions pénales en son sein.
Or ce n’est pas garanti par la loi du 7 décembre
1998 organisant la police intégrée (MB 5 janvier 98).
Cette loi soumet les membres de la nouvelle police à une
inspection interne partageant son esprit de corps, comme l’inspection
interne de la gendarmerie, qui n’a pas sanctionné les
gendarmes auteurs des violences dont Semira ADAMU est décédée,
ni les rétentions d’informations par la gendarmerie
dont Julie et Mélissa sont décédées,
ni l’impossibilité pour la juge ANCIA de recevoir les
informations qu’elle demandait concernant l’affaire
COOLS.
c) Ne pas augmenter indûment les effectifs de la police,
et les affecter essentiellement aux suites à donner aux plaintes
des citoyens et aux demandes d’intervention émanant
de la population via le service 101.
d) Hormis dans le cadre du point précédent, la police
n’est ni compétente ni motivée pour " faire
du social ". Laissons cela aux vrais services sociaux et augmentons
leurs effectifs s’il le faut.
Cécily Falla
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