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Pas d'anarchisme sans antipatriarcalisme ! Contre le patriarcat

Le texte qui suit rassemble des extraits, traduit en français, d'un article de Leo Vidal paru dans le Nar 126 de mars 1997. Que j'aime ses idées audacieuses, que je n'aurais pas pu ou osé formuler moi-même, parce qu'on m'a souvent cloué le bec ou balancé des contre-arguments tordus quand j'ai commencé avec ça. En tout cas, voici un mec qui se révèle tout aussi profondément impliqué que la "pire" des féministes dans la lutte féministe, antipatriarcale. Il la connaît bien de l'intérieur. Il creuse le tunnel de l'autre côté.

Cécily Falla

Origine http://membres.lycos.fr/endehors/page33.html

Anar macho

Vidal dénonce que trop souvent, l'anarchisme s'est limité à un combat sur la scène politique.
Tout le monde peut se représenter le cliché de l'homme anarchiste qui a beaucoup crié et combattu le capitalisme et les flics, et qui, une fois rentré à la maison, s'empare de son Nar [ndlr : ou de son AL] et allume son pétard en attendant que sa chérie ait fait la cuisine. Et qui ensuite, qu'elle le veuille ou non, l'oblige plus ou moins à faire l'amour, parce qu'il en a quand même envie, c'est naturel, ou sinon il ira voir ailleurs, parce qu'il est pour la liberté sexuelle...

J'espère que j'exagère mais je veux montrer par là quel clivage il peut y avoir entre l'attitude politique vis-à-vis des institutions publiques du pouvoir (Église, enseignement, entreprise, État, police...) et l'absence d'aucune attitude anarchiste envers les mécanismes du pouvoir dans la sphère privée [...] Nous, anarchistes, gauchistes, libertaires, nous ne sommes pas des exceptions. Notre milieu est masculin, hétéro, monogame et en général peu dynamique sur le plan personnel, relationnel. J'y trouve peu de réflexions et de pratiques qui remettent en question et combattent le patriarcat, ce mécanisme de pouvoir qui affecte la sphère personnelle, relationnelle. Pas de groupes masculins critiques pour y apprendre à changer les relations de pouvoir, pas de dynamiques collectives féminines (cafés, collectifs, débats, fêtes...) pour sortir les femmes de leur isolement et se libérer des habitudes oppressives [...] Bref, beaucoup de mobilisation anarchiste classique, mais pas de mobilisation antipatriarcale.


Alors que l'anarchisme est un travail permanent sur soi-même. Une recherche positive de manières de vivre et de modèles différents, nouveaux. Or, dans cette recherche, c'est le mouvement féministe qui est allé le plus loin. Les différentes vagues féministes ont en effet soulevé des questions comme le conditionnement des individus à adopter des comportements sexuellement différenciés la position hiérarchique du sexe masculin par rapport au sexe féminin le conditionnement des individus à la norme hétérosexuelle ;
les structures qu'on épouse et les sentiments qu'on vit dans les relations : hétérosexualité, fidélité, inégalité, manque de liberté et d'autonomie.
En recherchant et en démontant ce conditionnement politique de la vie personnelle et relationnelle, les féministes remontent jusqu'à la racine du mécanisme du pouvoir patriarcal. Petit à petit, au cours de leur vie, les individus sont amenés à devenir des guerriers ou des mamans. À se développer psychiquement, émotionnellement et sexuellement de la sorte, afin que toute la structure de pouvoir demeure inchangée. Afin que le patriarcat demeure considéré comme allant de soi, comme naturel. Afin qu'on se trouve plus ou moins bien dans le rôle d'homme, de femme, d'hétéro, de monogame.

De cette façon, nous perpétrons sans [vouloir] le savoir l'oppression des femmes par les hommes et l'expérience de vie franchement limitée qui va de pair avec le patriarcat [...] Un anarchisme qui n'y travaille pas, qui perd ce niveau, est un anarchisme vide qui laisse dans la terre les racines des mauvaises herbes. Indigne du qualificatif de "libération sociale". Je voudrais donc plaider pour le développement d'un anarcha-féminisme qui soit une critique totale et une déconstruction de notre réalité sociale. Une combinaison de l'attitude générale anti-autoritaire propre à l'anarchisme et de la critique fondamentale propre au féminisme radical. Parce que le féminisme radical concerne quand même plus de la moitié de la population qui a été opprimée pendant des siècles de façon tantôt brutale, tantôt insidieuse.
Suivent deux citations en anglais, dont la première.

1. Les femmes ont été vaincues parce qu'elles sont isolées les unes des autres et appariées à des hommes dans des relations de domination et de soumission.

2. Les hommes ne vont pas libérer les femmes ; les femmes doivent se libérer elles-mêmes. Cela ne peut pas se produire si chaque femme cherche à se libérer elle-même toute seule. Donc, les femmes doivent travailler ensemble à l'élaboration d'une forme d'aide mutuelle.


3. La sororité est une puissance mais les femmes ne peuvent pas être des sœurs si elles répètent les modèles masculins de domination et de soumission.

4. Il faut développer de nouvelles sortes d'organisations. La première serait le petit groupe sans chef(fe). Les conduites les plus importantes à cultiver sont l'égalitarisme, le soutien mutuel, le partage des expériences et du savoir [Ehrlich, Carol. Socialism, anarchism and feminism. In : Quiet Rumours, an Anarcha-Feminist anthology. Darx Star, London].

Le féminisme au masculin

Maintenant, je me trouve évidemment confronté au fait que je suis un homme. Que j'ai été élevé et socialisé en tant que membre du groupe oppresseur. Un instrument au service du patriarcat. En tant qu'individu, je reflète le masculin et le dominant, que je le veuille ou non. Je jouis de tous les avantages masculins et de l'oppression dans laquelle les femmes vivent.
Donc, si je veux y changer quelque chose, je dois m'observer moi-même et observer les autres hommes, déconstruire et reconstruire. Me donner de nouvelles façons de vivre. Naturellement je suis une personne, un individu avec des sentiments, des pensées et des aspirations mais c'est une illusion que de ne pas me croire d'abord et avant tout un homme, c'est-à-dire quelqu'un qui a appris à être actif, à parler, à prendre des initiatives, à occuper beaucoup de place, à diriger... Heureusement, rétrospectivement, je m'aperçois que, d'une manière ou d'une autre, je n'ai pas réussi à accomplir tout-à-fait le rôle de l'homme et à devenir un vrai mec. Je commence à comprendre pourquoi je suis un peu passé à côté du véritable masculin et à savoir pourquoi j'ai abouti sur un autre chemin. Un certain nombre d'éléments dans ma vie tels que du malheur, la dépression, des complexes m'ont conduit à repenser des choses élémentaires comme la masculinité, la sexualité, la domination, la violence, l'oppression. Ainsi, j'ai élaboré un point de vue particulier relativement aux mécanismes sociaux, aux conditionnements, aux relations de pouvoir. Là-dessus a émergé en moi, récemment, un sentiment : une conscience aiguë de la violence brute à laquelle les femmes sont confrontées. Une certaine idée de la mesure dans laquelle les hommes s'imposent, laissent peu d'espace aux autres, combien ils sont égocentriques, au fond. Deux choses donc : les hommes prennent trop de place, et ils sont profondément égocentriques.

Par là, je ne veux pas me disculper, ni prétendre que je suis débarassé de telles influences [...] Cela me paraît notre condition même, et cette condition est source de violence (psychique, affective, physique et sexuelle) et de souffrance (par le manque d'attention, de sensibilité, de sollicitude et de tolérance). Cela signifie qu'on ne peut pas s'en débarasser, qu'on y est confronté continuellement et qu'on doit y travailler quotidiennement. Il faut une critique constante de soi.

Voici, semble-t-il, ce à quoi Vidal a échappé. C'est pour autant que le père est aimé que [le garçon] s'identifie à lui et qu'il trouve la solution, le terme de l'Oedipe [...] il peut devenir lui aussi quelqu'un qui, je ne dis pas d'ores et déjà et immédiatement, est un petit mâle, mais qui, si je puis dire, a déjà ses titres en poche, l'affaire en réserve. Quand le temps viendra, si les choses vont bien [...], au moment de la puberté, il a son pénis tout prêt avec son certificat "Papa est là pour me l'avoir à la bonne date conféré".


Par contre, "pour la fille, c'est ce qu'il y a de bien, qu'elle reconnaisse qu'elle n'a pas de phallus au lieu que pour le garçon, ce serait une issue absolument désastreuse et ça l'est quelquefois" (Lacan, Le Séminaire, livre V, Les formations de l'inconscient).

Eh bien, depuis ce "désastre", Vidal fait la même expérience que les femmes féministes, ni plus, ni moins : patiemment démasquer et remettre en question un ordre très profondément ancré en soi et dans les relations.

Et pour changer quand même cet ordre avec les conditions masculine et féminine qui en résultent, il faut être deux ou deux camps à y travailler de part et d'autre du dialogue, de la relation. Tout comme le dialogue familial peut rendre un jeune schizo, le dialogue du couple peut enfoncer une femme dans l'hystérie ou la dépression et l'a d'ailleurs fait souvent. Le tunnel se creuse des deux côtés. Si grande est la dépendance mutuelle qui noue l'espace même de la lutte des sexes.

Pour transformer cette condition, j'essaie d'entreprendre les étapes suivantes, qui sont à la fois les leviers possibles d'une transformation de ce qui est personnel, et les mécanismes politiques susceptibles de renverser le patriarcat. Il s'agit de cinq niveaux, d'initiatives allant de la plus individuelle à la plus collective.

Les jalons de l'anarchaféminisme

La psychothérapie

C'est évidemment la méthode la moins politique, et en général, elle est plutôt considérée comme dépolitisante. On cherche à résoudre ses problèmes sur un plan individuel tout en en faisant abstraction de leur dimension sociopolitique. Pourtant, en suivant à deux reprises une thérapie de quelques mois, j'ai fait l'expérience de son effet vraiment bénéfique. On découvre comment on s'est developpé, pourquoi on fonc

Pas d'anarchisme sans antipatriarcalisme !