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Origine : http://endehors.org/news/629.shtml
Lu sur www.blackhart.fr.fm : "En France, peu de recherches
ont été consacrées à 1a bisexualité,
si ce n'est sous un angle médical ou psychanalitique.Il nous
paraît intéressant de présenter ce thème
dans le cadre des sciences sociales, a priori plus propices à
une approche objective (ce qui ne veut pas dire qu'elles soient
exemptes de biais!) et qui à tout le moins ne réduisent
pas les bisexuelles/ls à des sujets pathologiques.A cette
fin, nous avons interviewé Catherine Deschamps, qui rédige
actuellement une thèse intitulée : "Approches
anthropologiques des bisexualités et des bisexuelles/ls :
pour une compréhension accrue des mécanismes de prise
de risques par rapport au VIH".
Marie Pas Claire : Pourrais-tu nous présenter ton travail
sur la bisexualité?
Catherine Deschamps : J'ai d'abord fait un DEA en général
sur la bisexualité, une recherche un peu étymologique
autour du mot, pour voir ce que je pouvais en faire. Ensuite, au
niveau de ma thèse d'anthropologie je me suis décidée
à travailler sur la sexualité et sur le sida, ce qui
n'était pas évident, car paradoxalement travailler
sur la sexualité quand on travaillait sur le sida était
vraiment perçu de manière très marginale. Malgré
tout, j'ai quand même réussi à obtenir le financement
de mon étude par l'agence nationale de recherche sur le sida.
J'ai interrogé une trentaine d'individus (en majorité
des hommes), ayant des rapports sexuels avec des hommes et des femmes.
Ces proportions ne reflètent sans doute pas la réalité
de la population bi, mais les hommes paraissent accepter plus facilement
les entretiens. Dans le but d'offrir la plus grande facilité
de parole à tous et de limiter l'influence du sexe de l'interwievé
sur le contenu des entretiens, j'ai réalisé une partie
du travail moi-même tout en établissant une collaboration
active avec un homme chercheur, Rommel Mendès-Leite qui a
parfois pris e le relais.
MPC : Pourquoi avoir choisi de travailler sur les pratiques bisexuelles
et non sur la bisexualité ?
C.D. : Pendant mon DEA, j'ai remarqué que c'était
une aberration de travailler sur l'identité bisexuelle par
rapport à la prévention du sida. Je me suis donc recentré
sur les pratiques bi. Il est important de comprendre qu’identité
et pratiques bi ne sont pas forcément liées. Les gens
que j'interroge ont des rapports sexuels avec des hommes et des
femmes mais se disent bi, hétéro, homo, lesbienne.
Je ne dis pas que le fait de se dire hétéro, par exemple,
n'a pas d'influence sur la conception et sur la façon qu'on
a de gérer sa sexualité, ça a des influences.
Mais moi, mon critère de sélection, c'est les pratiques.
C'est important de différencier pratique et identité.
J'ai rencontré des femmes, assez jeunes, qui par une certaine
interprétation du féminisme (en disant qu'un homme
= une femme donc, si je suis avec un homme, potentiellement je peux
être avec une femme), se disaient bi, parfois en réinterprétant
un peu leur parcours sexuel, en ayant une définition beaucoup
plus large de la sexualité, donc à la rigueur en faisant
entrer dans ce cadre, les baisers.
Il y aussi des personnes à pratiques bi qui se définissent
comme homo ou lesbienne. Chez les hommes que j'ai interrogés,
la moitié se disait bi et dans l'autre moitié, on
trouvait une très forte proportion qui se disait homo et
une très faible proportion qui se définissait comme
hétéro. Chez les femmes c'est plus équilibré.
Si parmi les personnes à pratiques bi que j'ai interrogées,
les gens qui s'identifient comme homo sont plus nombreux que ceux
qui se définissent comme hétéro c'est sans
doute parce que dans la communauté homo, il est plus habituel
de s'exprimer publiquement sur sa sexualité.
Il y a aussi des personnes qui ne se reconnaissent pas dans les
catégories, mais c'est très rare. Par contre il y
en a pas mal qui disent avoir eu successivement plusieurs identités
sexuelles (bi, homo et hétéro) au cours de leur vie.
MPC : Certains bi se définissent quand même comme
bi. Comment et quand ont-ils émergé en mouvement ?
C.D. : C'est tout un pan qui me reste à travailler mais
je peux quand même en dire deux ou trois mots. Aux Etats-Unis,
il y a des groupes bi ou des associations bi qui existent depuis
au moins dix ans. En Angleterre ça fait un peu moins longtemps
(environ six à sept ans), comme dans tous les pays de l'Europe
du nord qui ont des assos bi depuis au moins cinq ans au contraire
des pays de l'Europe du sud qui n'en ont pas. En France la première
a été crée en novembre/décembre 1995,
c'est donc très récent. Les groupes bi sont ti-èsiotiveiit
issus et rattachés aux groupes homos et lesbiens. Je vais
un peu vite en disant ça mais on retrouve le même conflit
qu'il y a entre homos et lesbiennes, à savoir : devons-nous
travailler ensemble ou pas ? Alors on essaye de faire des choses
collectivement pendant un temps et si ça ne marche pas, on
se sépare (C'est un peu des rapports "Je t'aime / moi
non plus"), pour parfois ensuite s'engager de nouveau dans
des combats communs.
Il y a parfois aussi des tensions qui viennent des groupes homos,
et plus encore lesbiens, et qui s'expriment dans des plaisanteries
sur la bisexualité et sur ces personnes qui sont supposés
ne pas savoir " choisir ". Mais l'agressivité est
beaucoup plus nette de la part des lesbiennes.Je pense que c'est
en partie lié au féminisme, mais cela va cependant
au-delà d'une opposition politique. Je me souviens d'un débat
non-mixte femmes au CGL sur la bisexualité. Des lesbiennes
racontaient des histoires qu'elles avaient pu avoir avec des femmes
bi et elles disaient que ce qui leur posait problème ce n'était
pas que leur copine se dise bi mais qu'elle puisse être touchée
par un homme.
Par ailleurs, l'image des bis à l'extérieur, chez
les homos comme chez les hétéros, est très
problématique. Ils sont généralement perçus
comme des personnes qui ne sont pas capables de reproduire le fantasme
de la fidélité, sexuelle comme affective. Dans un
couple liétéro (ou homo-lesbien), même si l'un
ou l’autre va voir ailleurs de temps en temps, les deux partenaires
du couple peuvent croire, ou vouloir croire, que leur relation reste
dans une certaine mesure exclusive. Il y a au moins une fidélité
de sexe. De plus, les bis, qui sont vus à l’extérieur
comme des personnes qui ont en même temps des relations avec
des hommes et des femmes, sont vus comme nécessairement infidèles.
En fait, dans les gens que j'ai rencontrés, et chez les femmes
surtout, il y a plus d'exclusivité. Elles vivent leur bisexualité
plus souvent de manière diachronique, ce qui est aussi le
cas de certains hommes.
MPC : Tu as évoqué plusieurs fois le féminisme.
Ausein des groupes bi, comment la question se pose-t-elle ? Est-ce
qu'il y a une base commune sur la question ?
C.D. : C'est compliqué. Les femmes expriment un certain
féminisme, les hommes aussi. Mais c'est dur de déterminer
si le féminisme est réellement ressenti ou si c'est
un contexte politiquement correct qui impose d'avoir ce discours
là. En plus c'est vrai que la justification de la bisexualité
par l'être humain (c'est-à-dire un homme = une femme
au sens égalité parfaite) se rapproche d'un discours
féministe... qui est à mon avis dans l'indistinction
puisqu'il peut aller jusqu'à nier la différence d'apparence
(ce qui sous-entend ne prendre en compte ni les genres, ce qui peut
se comprendre, ni les sexes ce qui est plus problématique).
MPC : Comment les personnes qui se définissent comme bi
analysent-elles leur sexualité ?
C.D. : C'est très hétéroclite. Par exemple,
entre les gens du groupe bi du CGL il y a sans arrêt de petits
affrontements, pas problématiques, parce que personne n’a
la même définition de ce que c'est qu'être bisexuel.
Il y a des trucs qui reviennent quand même assez souvent,
comme l'idée d'être humain. Je n'ai par contre jamais
rencontré de discours naturaliste ou de défense d'une
bisexualité innée, même si, par ailleurs, il
y a très souvent l'idée que c'est quelque chose qui
s'est construit très tôt, mais qui a ensuite été
choisi.
MPC : Comment les personnes qui se définissent comme bi
gèrent-elles leur problème d'invisibilité par
rapport aux comportements homo ou hétéro ?
C.D : Leur visibilité passe forcément par des attitudes
qui ne sont pas à proiri liées à la sexualité
(tee-shirts, badges, panneaux spécifiques en manif, etc.).
Elle se construit par la parole, la revendication plutôt que
par les pratiques sexuelles.
Vis-à-vis d'eux-mêmes, ceux et celles qui sont dans
le groupe du CGL se décrivent, au sein d'une relation avec
un partenaire du même sexe, comme bi. Et tous disent qu'ils
préfèrent être avec une autre personne bisexuelle,
même d'un point de vue sexuel apparemment. Mais peut-être
aussi tout simplement au niveau de la compréhension de l'autre.
Je pense entre autre à un homme qui a vécu un moment
avec une femme hétéro, puis avec un homme homo, tout
en se disant bi à chaque fois. Maintenant il a rencontré
une femme bi avec laquelle il dit avoir à la fois la sexualité
masculine et la sexualité féminine (quoi qu'il mette
derrière ces termes), combinaison qui lui manquait avec ces
partenaires précédents.
MPC : Qu'en est-il des comportements vis-à-vis de la protection
contre le Sida ?
C.D. : Pour l'instant seuls les entretiens avec les hommes ont
été catégorisés. Il y a une différence
énorme d'utilisation de préservatifs ou de pratiques
safe, selon qu'ils sont avec un homme ou avec une femme. C'est flagrant,
c'est sans comparaison. Ils se protègent vraiment plus avec
les hommes (pas systématiquement, mais personne ne se protège
systématiquement), et excessivement rarement avec les femmes.
Au niveau des pratiques, quasiment personne ne se protège
en ce qui concerne la fellation (que se soit entre un homme et une
femme ou entre hommes – NDMaïa : les recherches récentes
ont montré que seul celui/celle qui pratique la fellation
de manière active risque une contamination). Pour ce qui
est de la sodomie, les hommes se protègent à peu près
toujours avec les hommes, mais pas avec les femmes.
Ce qui est très intérressant, c'est qu'au début
de l'entretien sur le sida, je ne pose pas du tout de questions
conceptualisées ou précises et qu' ils ne parlent
que de leurs relations avec les hommes. Quand on leur parle du sida
le danger pour eux ce sont les hommes et non les femmes. C'est dû
à un problème de conceptualisation des risques. Tous
les hommes que nous avons interrogés savent comment se transmet
le sida. Il n'y a pas de manque d'information chez eux. Le problème
c'est qu'ils associent la sexualité avec une femme à
l'affectif. Cela se comprend, puique les femmes elles-même
tendent à lier sexualité et affectivité, cela
quel que soit le sexe de leur partenaire. Les hommes, par contre,
dissocient plus facilement l'un et l'autre. Aussi, quand ils ont
une relation avec une femme, ils pensent que cette femme n'a eu
de relations sexuelles que si elle était "amoureuse",
ou en tout cas très sensible, et ils s’imaginent d’emblée
qu'elle a eu moins de partenaires et qu'elle est donc potentiellement
moins à risque, d'où une moindre nécessité
de se protéger.
Les femmes sont également vues comme plus stables. Or, quand
on leur demande s'ils se protègent avec leurs partenaires
(réguliers ou occasionnels), ils disent qu'avec des partenaires
occasionnels ils se protègent pratiquement tout le temps
et avec les partenaires réguliers très rarement (même
si ce sont des hommes). Les femmes étant vues comme stables,
même s'il s'agit de partenaires d'un soir, les hommes se protègent
moins avec elles. Il y a contradiction entre la stabilité
réelle de la relation et la stabilité perçue.
La perception de la dangerosité est liée à
des critères de sexe, d'affectif et de stabilité qui
se recoupent tous pour désigner les partenaires femmes comme
susceptibles d'être moins porteuses du VIH.
Pour revenir sur la protection dans les couples réguliers,
il est intéressant de noter qu'ils disent ne pas se protéger
parce qu'ils supposent que l'autre est fidèle, ou que l'autre
se protège s'il a des relations hors couple. Or, quand on
leur demande ensuite ce qu'est pour eux la fidélité,
ils la perçoivent le plus souvent comme conjuguée
sur un mode affectif et non pas sexuel (on peut bien coucher avec
qui on veut du moment qu'on n'aime qu'une seule personne). Le décalage
entre les deux est un peu inquiétant. Cependant, il faut
noter qu'ils disent se protéger plus souvent avec les partenaires
occasionnels. Reste qu'il subsiste quand même une zone floue,
en particulier avec les femmes.
Les entretiens des femmes, que je n'ai pas encore catégorisés
mais qui m'ont quand même laissés une impression générale,
laissent penser qu'elles semblent également assez peu se
protéger. Si les hommes ne proposent pas de protection, les
femmes ne semblent pas le faire non plus, ce qui paraît compréhensible
dans une société où elles ont rarement l'initiative
du rapport sexuel. Quoi qu'il en soit, leur comportement est également
générateur de risque.
MPC : Est-ce qu'il y a catégorisation du plaisir physique
par sexe ?
C.D. : Non. Ça dépend de l'individu. Cependant, il
y a toujours l'idée, pour les hommes, que la sexualité
avec un autre homme est beaucoup plus "impulsive", qu'on
n'y résiste pas en quelque sorte.
Il y a aussi sans arrêt l'idée que pour un homme draguer
une femme est beaucoup plus laborieux que draguer un homme. De fait,
ils ont tous globalement beaucoup plus de partenaires hommes que
de partenaires femmes. Pour les bi femmes que j'ai rencontrées,
c'est plus équilibré.
MPC : Quelle est l'importance de la pratique au sein des groupes
bi ?
C.D. : D'une certaine façon la pratique est considérée
comme importante. Au sein du groupe bi du CGL, la politique est
que ce soit très ouvert parce qu'ils ont ressenti des discrimination
par rapport aux hétéros et par rapport aux homos.
Cependant, j'ai constaté que dans ce groupe, les personnes
qui n'ont de rapport qu'avec l'un des deux sexes sont plus acceptés
s'ils sont homos ou lesbiennes.
MPC : Bien sûr. On admet que la sexualité la plus
classique "reste à portée de main", par
rapport à une sexualité homo qui serait plus difficile
d'accès.
C.D. : Et c'est d'autant plus vrai quand c'est un homme qui n'a
de rapport qu'avec des femmes. Le cas s'est présenté
d'un homme hétéro, qui est venu parce qu'il avait
envie de se renseigner sur la bisexualité. Ça a posé
des problèmes dans le groupe, notamment aux femmes, qui voyaient
en lui un homme qui a le fantasme de la lesbienne. Quant aux femmes
(bisexuelles) qui n'ont jusqu'à présent eu de rapport
qu'avec des hommes, leur intégration au groupe semble moins
conflictuelle. Elles ne sont pas vues comme recherchant du fantasme
lesbien de type fantasme hétéro.
Pour développer un peu sur ce thème, je dirais qu'il
y a une invisibilisation sociale des comportements bisexuels féminins
(en tant que catégorie à part entière). Il
est frappant de regarder la disposition des étalages de cassettes
porno dans les sex-shops : quand, dans un film, il y a plusieurs
femmes pour un homme et que ces femmes ont à la fois des
rapports entre elles et avec l'homme, les cassettes sont classées
dans le rayon "vidéo hétéro". Quand
il y a plusieurs hommes avec une femme, si les hommes n'ont pas
de contacts entre eux, le film est rangé dans la même
catégorie. Par contre, si les hommes ont à la fois
des rapports entre eux et avec une femme, la cassette est au rayon
"films bisexuels". Le non-parallélisme du classement
est tout à fait intéressant : si deux femmes peuvent,
et doivent, à la fois entretenir des rapports sexuels entre
elles et avec des hommes, leurs comportements ne sont malgré
tout pas considérés comme bi. Par contre, si deux
hommes se touchent, le film sera considéré comme bi,
s'il y a une femme, ou homo, s'il n'y en a pas. Les vidéos
pornos étant avant tout faites pour des hommes, il est évident
que la bisexualité féminine correspond dans ce cas
à un fantasme masculin. L'observation d'un club échangiste
à Lyon montre la même chose. Dans cet endroit, les
hommes échangent les femmes entre eux, mais pas uniquement
pour découvrir une nouvelle partenaire ; ils encouragent
les attouchements lesbiens entre elles. Ils se revendiquent avec
force de l'hétérosexualité mais hommes et femmes
n'ont pas les mêmes attitudes. Les comportements bi des femmes
sont partie intégrante de la vision que les hommes se font
de l'hétérosexualité. Par contre, si les hommes
devaient eux-mêmes avoir des rapports entre eux, ils révéleraient
à leur épouse une faiblesse, ce qui leur est difficilement
concevable. Bizarrement, les femmes des clubs échangistes
paraissent se complaire dans ces jeux érotiques destinés
à satisfaire avant tout leurs hommes : s'agit-il d'une soumission
aux fantasmes masculins ou d'une appétence réelle,
d'un désir sincère ? Quoi qu'il en soit, pour les
adeptes de l'échangisme, le respect de la norme hétérosexuelle,
une fois quelques petits aménagements de forme apportés,
est sauf.
Interview réalisée par Anne
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Sur les bis, consultez en outre le Marie Pas Claire spécial
bisexualité.
C’est le numéro 8, il est beau, il est fantastique,
et comme toujours c’est au 115, bd. Voltaire dans le 75011
PARIS.
Si c’est le sexe dans son ensemble qui vous intéresse,
bande de petites perverses, on a aussi un numéro spécial
sexe – car nous sommes aussi perverses que nos lectrices,
hé hé hé… c’est le numéro
11, et c’est à la même adresse. ".
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