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Le texte qui suit rassemble des extraits, traduit en français,
d'un article de Leo Vidal paru dans le Nar 126 de mars 1997. Que j'aime
ses idées audacieuses, que je n'aurais pas pu ou osé
formuler moi-même, parce qu'on m'a souvent cloué le bec
ou balancé des contre-arguments tordus quand j'ai commencé
avec ça. En tout cas, voici un mec qui se révèle
tout aussi profondément impliqué que la "pire"
des féministes dans la lutte féministe, antipatriarcale.
Il la connaît bien de l'intérieur. Il creuse le tunnel
de l'autre côté.
Cécily Falla
Origine : http://endehors.org/news/6610.shtml
Lu sur : Alternative Libertaire.be (N° 204 Mars 1998) «
C'est sans doute ce qui paraît le plus invraisemblable et
irreprésentable à beaucoup de monde.
L'orientation sexuelle est en effet considérée le
plus souvent comme naturelle et définitive. On est tout simplement
hétéro, homo ou bi.
Pourtant, même le très patriarcal Freud a découvert
que l'être humain est "pan-érotique" et que
son expérience ne se limite jamais à un seul courant
sexuel. L'attirance sexuelle, érotique ou affective peut
aussi évoluer au gré des circonstances. La meilleure
preuve en est le séparatisme lesbien des années 60-70.
Les femmes ont voulu réfléchir ensemble à propos
de la féminité et du féminisme ; elles ont
partagé de plus en plus d'aspects de leur vie et elles sont
même devenues amoureuses d'autres femmes, alors que jusque
là, elles avaient mené une existence exclusivement
hétérosexuelle. Des hétéros sont devenues
lesbiennes ou bisexuelles.
Pour moi, c'est la preuve de la mutabilité de l'orientation
sexuelle.
Mais pourquoi faudrait-il remettre en question son orientation
sexuelle ? Qu'y a-t-il de mal à ne pas se sentir multiple
ou divisé ?
1. L'exclusivité du choix d'objet n'est qu'une apparence
et c'est une limitation de l'expérience de vie.
2. Elle conforte la différenciation des rôles sexuels.
Aussi longtemps qu'il y aura des homos et des hétéros,
les catégories "homme" et "femme" continueront
à exister. Idéalement, une société anarchiste
consiste en des individus qui se développent librement et
qui choisissent librement, parmi tous les possibles, des attitudes,
des sentiments, des opinions sans se soucier de la présence
du pénis ou du clito. Il n'y a pas de raison défendable
pour sélectionner ou éliminer, à partir des
caractéristiques biologiques, certaines constructions sociales,
psychiques, affectives. Dans une société idéale,
le sexe biologique a aussi peu d'importance que la couleur de la
peau, la taille ou le poids.
3. Au contraire, l'orientation sexuelle limitative fonctionne comme
une défense et une conservation efficace de la structure
patriarcale [...]
Il résulte de l'expérience d'un certain nombre de
femmes bisexuelles que leurs relations avec les femmes et les hommes
les rend plus fortes face aux hommes. Il est davantage possible
pour elles de démasquer les conditionnements et de lutter
contre eux, par exemple occuper plus de place, s'opposer davantage,
ne plus s'effacer, prendre davantage la parole...
Ce n'est pas pour rien que le féminisme radical a conduit
beaucoup de femmes vers une
pratique homosexuelle. En effet, le patriarcat signifie pour la
femme se trouver isolée dans une relation individuelle avec
un homme particulier et cette relation est déterminée
par une structure de pouvoir qui est inégalitaire [...]
Mon plaidoyer pour la ressemblance et l'égalité bisexuelles
dépasse le cadre de la pratique sexuelle avec des hommes
et des femmes. C'est un effort pour rendre les relations et les
contacts avec les personnes des deux sexes plus variés, plus
riches, plus profonds. Pour apprendre à briser les rôles
sexuels. Pour reconnaître, démonter les structures
de pouvoir entre les hommes et les femmes et les transformer en
relations égalitaires.
(Extrait de : « HOMMES/FEMMES - L'expérience anti-patriarcale)
Léo Vidal
La bisexualité, une sexualité à
part entière
Lu sur : E-santé « Souvent, la bisexualité
est pressentie par l’individu dès son adolescence.
Il comprend alors qu’il est attiré à la fois
par les hommes et par les femmes. Ainsi, pendant des années,
il se trouve dans le doute, se demandant s’il est hétérosexuel
ou homosexuel. Durant cette période, il vit alors des expériences
sexuelles avec les deux sexes. Et souvent, il se sent dans l’obligation
morale et sociale de faire un choix, celui de l’hétérosexualité,
voire de l’homosexualité, plus facile encore à
assumer que celui de la bisexualité.
La bisexualité, une sexualité taboue
Les bisexuels vivent souvent leur orientation sexuelle, à
l’insu de leur plus proche, dans l'ombre. La bisexualité
est en effet très mal acceptée. Il s’agit d’une
sexualité qui suscite un trouble tel qu’il n’est
pas rare que les personnes bisexuelles soient considérées
comme « anormales », « obsédées
» ou « incapables de fidélité ».
Les « bis », comme ils se désignent parfois,
tendent à véhiculer un fantasme de dangerosité,
qui désigne souvent des modes de vie ou de pratiques (par
exemple, la prostitution ou l’échangisme) vécues
comme pouvant porter atteinte à l'intégrité
de l’identité hétérosexuelle. De fait,
la majorité des bisexuels se cachent et seules les personnes
ayant une relation intime avec eux, en ont connaissance.
La bisexualité, une sexualité de l’ombre
Les individus qui se disent ouvertement bisexuels sont rares. Contrairement
à l’homosexualité qui est progressivement reconnue
comme une véritable identité sexuelle et qui bénéficie
aujourd’hui d’une certaine reconnaissance sociale, la
bisexualité reste une réalité vécue
de manière souterraine. Dans certains pays, comme en France,
en Suisse ou au Canada, des bisexuelles tentent de se regrouper
en associations pour mieux se faire accepter. Ces groupes sont alors
considérés comme « phénomène de
mode » ou taxés d’excentricité sexuelle.
A l’origine, nous sommes tous bisexuels...
Des enquêtes réalisées dans la population générale
nous apprennent qu’entre 30 à 40% des adultes reconnaissent
avoir partagé des relations sexuelles avec les deux sexes
ou avoir été attiré par les deux sexes. Notamment
au cours de l’adolescence, période marquée par
la recherche d’une identité sexuelle. Potentiellement,
nous portons tous en nous une possibilité d’orientation
sexuelle, vers l’hétérosexualité ou vers
l’homosexualité et en ce sens, nous sommes tous bisexuels…
La bisexualité, une sexualité en soi
Pour le sexologue et psychologue Michel Campbell « la bisexualité
est bel et bien une orientation sexuelle en soi. Et les bisexuels
ne sont pas différents des hétérosexuels en
ce qui concerne la fidélité ou la promiscuité
». Selon lui, il faut voir la bisexualité comme l'expression
d'une grande diversité sexuelle chez l'être humain.
D’ailleurs les bisexuels sont sans doute plus nombreux qu’on
ne le croit … Le rapport Janus publié en 1994, fruit
d’une étude sur la sexualité des Américains,
nous apprends même qu’il y aurait plus de bisexuels
(5% des hommes et 3% des femmes) que d'homosexuels (4% des hommes
et 2% des femmes).
La bisexualité, une sexualité pas nécessairement
une identité
La question qui se pose en fait avec la bisexualité est
de savoir s’il s’agit d’une modalité de
pratique de sexuelle ou bien si elle constitue en soi une véritable
identité sexuelle. Les bisexuels ont la réponse. Dans
le « Manifeste français 2002 des bisexuelles et des
bisexuels », ils déclarent : « La bisexualité
est un sentiment d'être au monde avant d'être un style
de vie (…) Parmi nous, certains (nes) vivent leur bisexualité
comme un choix, pour d'autres elle va de soi. Ce que nous partageons,
c'est la volonté de l'assumer ».
Catherine Feldman
Pour en savoir plus
Bisexualité : le dernier tabou ? par Rommel Mendès-Leite,
Catherine Deschamps et Bruno-Marcel Proth, Editions Calman-Levy,
2002.
Sommes-nous tous bisexuels ?
Cy Jung commente les propos tenus sur France Info par un psychanalyste.
Lu sur : Média G « Plus d’un siècle après
l’introduction dans le lexique du terme Bisexualité
(Le Robert l’atteste en 1894), les apports de Darwin, Fliess,
Weininger, Freud et consorts, Gilles Allais pose sans complexe la
question sur France Info [13/10/02] : « Sommes-nous tous bisexuels
? » Jean-David Nazio, psychanalyste, répond : «
Du point de vue psychanalytique, à la naissance, nous [le]
sommes tous. » Voilà, c’est dit, et d’ailleurs
largement admis, au moins quand cette bisexualité est synonyme
de Bisexualité psychique, c’est-à-dire définie
comme l’existence en chaque individu de « dispositions
sexuelles à la fois masculines et féminines qui se
retrouvent dans les conflits que le sujet connaît pour assumer
son propre sexe. » [Laplanche & Pontalis, Vocabulaire
de la psychanalyse, (1967)]
En clair, chacun de nous comporte un masculin et un féminin
dont l’un est dominant, de préférence, pour
la psychanalyse, celui en accord avec le sexe de nos organes génitaux.
La bisexualité serait donc, dans ces conditions, quelque
chose qui aurait à voir avec l’identité sexuelle
de l’individu. Serait… Aurait… Jean-David Nazio
infirme cette proposition : « On ne peut pas dire que [la
bisexualité] soit une identité » Y aurait-il
alors, à côté de la Bisexualité psychique
une bisexualité « organique » qui cette fois
s’apparenterait à une orientation sexuelle au même
titre que l’homosexualité et l’hétérosexualité
? Cela semble incontournable, les bisexuels, en tant qu’individus
susceptibles d’éprouver du désir pour des personnes
des deux sexes, existent même si, rappelle Catherine Deschamps
[Le miroir bisexuel, Balland (2002)], la tendance à nier
leur existence est un phénomène récurrent.
La question devient : mais pourquoi ? Pourquoi est-il si facile
d’admettre la Bisexualité psychique et si difficile
de reconnaître l’orientation sexuelle bisexuelle ? Pourquoi
Jean-David Nazio, qui fait montre d’une large ouverture d’esprit,
consacre-t-il près de la moitié de son entretien sur
France Info à vouloir nous démontrer que la bisexualité
« le plus souvent masque le véritable désir
homosexuel » ? La réponse me paraît évidente
: notre société pense le genre (et la sexualité)
de manière binaire sur fond de morale dualiste ; homme/femme
; hétéro/homo ; bien/mal… Ce schéma ne
laisse aucune place aux « entre-deux », trans, bis ou…
Comment nomme-t-on ce qui n’est ni bien, ni mal ? Le mieux
? Ah non ! ma biphilie a ses limites. »
Cy Jung
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