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Origine : http://perso.orange.fr/libertaire/archive/97/201-dec/menage.htm
Selon un vieux mythe kabbalistique du Moyen âge, Dieu, au
tout début de la Création du monde, n'avait pas créé
Adam tout seul mais Adam et Lilith.
« L'homme et la femme ont été créés
simultanément, sans prévalence de l'un sur l'autre
et sans différenciation sexuée [...] le créateur
désirant qu'il y eût égalité de droit
et de nature entre l'homme et la femme. La tradition talmudique
a affirme même qu'ils ont été créés
unis par le dos; mythe que nous retrouvons dans le Banquet de Platon
» (Éric Bidaut, Anorexie mentale, ascèse, mystique,
éditions Denoël 1997).
« Ainsi la première partenaire d'Adam était
[...] Lilith. Entre eux surgit un conflit qui portait sur la manière
dont ils feraient l'amour, c'est à dire sur les positions
respectives de l'un et de l'autre. Lilith contestait à son
mari le droit de prendre le dessus et de revendiquer la suprématie
au sein du couple, arguant des conditions mêmes de la Création.
Adam ne céda pas, affirmant qu'il devait être le seul
maître, et la situation ne fit que s'aggraver. Dépitée,
Lilith abandonna la partie et après avoir invoqué
le nom de l'Ineffable, elle reçut miraculeusement des ailes
et s'enfuit hors du jardin d'Éden. Désormais seul,
Adam implora le ToutPuissant: "Maître du monde! La femme
que tu m'as donnée s'est envolée". Le Créateur
envoya alors trois anges à la recherche de Lilith. Celle
ci ne voulut rien entendre et refusa de retourner auprès
de son mari. Ainsi fut elle punie: elle mettrait au monde de nombreux
enfants et cent de ses fils devraient mourir chaque jour. Désespérée
par la cruauté de la sentence, elle pensa se jeter dans la
Mer Rouge. Touchés par son chagrin, les anges (en cachette
de Dieu) décidèrent de lui accorder tout pouvoir sur
les enfants nouveaux nés, huit jours après leur naissance
pour les garçons, vingt jours pour les filles. De plus, elle
jouirait d'un pouvoir illimité sur les enfants nés
en dehors des liens du mariage ».
À présent, il fallait à Adam une nouvelle compagne.
Cette fois, Dieu s'y prit autrement.
« Dans le second récit, la femme est créée
secondairement à l'homme, elle est subordonnée et
différente. De la côte qu'il avait tirée de
l'homme, Yahvé façonna une femme et l'amena à
l'homme. Alors celui ci s écria: " À ce coup,
c'est l'os de mes os et la chair de ma chair! Celle ci sera ma femme
car elle a été tirée de l'homme, celle ci (au
moins)!" ».
Le patriarcat et son ombre
Refoulé de l'histoire de la Création, dont le plus
souvent nous ne connaissons que la version "la femme tirée
d'une côte d'Adam", le premier récit raconte le
conflit entre deux égaux, Adam et Lilith.
Ève est l'absolu de la féminité. Donc, elle
ne sera pas une femme. Elle est une image, qui fonctionne comme
un modèle. Elle est la compagne idéale de l'homme.
Dans la société patriarcale, les femmes n'ont pas
d'autre choix que de faire semblant d'être ce modèle
et cette compagne, ou bien de s'envoler hors de la famille et d'errer
toutes seules comme Lilith, sans homme, sans descendance et forcément
dans un rapport particulier à la mort, consistant dans la
contemplation de l'inanité de leur existence particulière.
« Bien sûr, Lilith voua à Ève qui la remplaça
auprès d'Adam, une jalousie haineuse et tenace ».
Et inversement, car l'herbe est toujours plus verte chez les autres.
Ève, la femme qui se consacre à l'épanouissement
de la personnalité de son compagnon et à la réalisation
de son ambition, envie secrètement Lilith qui est elle même...
Ève envie Lilith parce que Lilith reste elle même
et ne s'aliène pas en l'homme, et Ève envie Lilith
parce que Lilith est un aspect d'elle même. Lilith est même
la vraie personnalité d'Ève, sa personnalité
virtuelle. Ève et Lilith sont les deux faces clivées
de la femme, et ces deux personnages clivés résultent
du choix exclusif devant lequel se trouve la femme dans la so-ciété
patriarcale: devenir elle même ou jouer son rôle de
compagne de l'homme, mère et fée du logis.
Depuis lors, Lilith erre et de petits anges au coeur tendre mais
dépourvus de jugeote lui ont cédé de dangereux
pouvoirs sur les braves familles légitimes. « La tradition
identifie Lilith au serpent tentateur ».
À propos de « la question de la position respecti-ve
de l'homme et de la femme dans l'acte sexuel [...] le chanoine J.
Coppens formule l'hypothèse suivante quant à la teneur
de la faute: le serpent a voulu séduire la mère du
genre humain pour qu'elle se livre à l'une de ces pratiques
gravement pécheresses, contre nature, en vue d'éviter
la progéniture [...] acte de sodomie, refus du commerce sexuel
"normal" et "toutes sortes d'abominables unions"
représentent les affronts de Lilith à l'ordonnance
de la Création ».
Lilith revient tenter Ève, ou Ève est tentée
par l'exemple de Lilith.
« Lilith devient [...] dans la tradition, l'inspiratrice des
déviations sexuelles: homosexualité, masturbation,
actes dits contre nature, refus des commandements et de la création
du Père. C'est encore elle qui, s'attaquant aux femmes en
couches, manifeste sa haine de l'union hétérosexuelle
et de la perpétuation de la chair [...] Lilith, la première
Ève, sous les traits du démon tentateur, est une figure
féminine terrifiante et infanticide ne décolérant
pas de son état de proscrite, en guerre contre la prérogative
phallique ».
Et Adam là dedans ?
Eh bien, il n'est pas plus serein ni plus satisfait que ses deux
compagnes successives. À vrai dire, Dieu n'a pas mieux réussi
sa deuxième femme que sa première, car Adam n'est
pas si parfaitement heureux qu'il n'y paraît avec sa petite
Ève. À mesure qu'elle met son point d'honneur à
se transformer en un reflet sans surprise de lui et de ses désirs,
il commence à s'ennuyer à ses côtés.
Alors, il a bien envie de donner des rendez vous discrets à
Lilith et de se faire un peu bousculer.
Ève est pâle de jalousie envers elle et la craint comme
la peste. Ève qui a tout sacrifié.
De plus, s'il est plaqué par une Ève soudain redevenue
Lilith, Adam n'a de cesse de tomber amoureux d'une autre Lilith.
Ensuite, il essaye de la transformer en Ève, mais comme on
ne change pas quelqu'un, ils vont vers une nouvelle séparation.
Adam est plein de contradictions lui aussi: il ne s'intéresse
qu'aux Lilith, mais à un moment donné, il a envie
d'avoir la paix au foyer et fait pression sur Lilith pour qu'elle
devienne Ève !
Après tout, Adam a aussi mordu dans le fruit pour savoir
comment bricoler ou chambouler la Création lui même
dans l'espoir d'un bonheur plus grand que celui octroyé par
le Créateur.
Et voilà! Lilith a erré longtemps toute seule et elle
ne s'est pas jetée dans la Mer Rouge. Maintenant, Adam erre
aussi.
Qu'ils fassent à l'idéal de complétude conjugale
un enterrement carnavalesque, et le lendemain, dégrisés,
qu'ils se montrent bons bricoleurs.
Cécily Falla
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