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Effectivité et réflexivité dans l'expérience d'un traducteur de Cornelius Castoriadis
David Curtis 


Origine : Echanges mail en Janvier 2007


Avec une suite en Mai 2009 à la fin du texte : Les Cahiers Castoriadis et la censure (Lettre ouverte)


Ce qui suit est un essai à la recherche de sa forme.  Le thème sera l’expérience d’un traducteur, en l’occurrence de Castoriadis, dans l’effectivité de son travail, dans la réflexion et la délibération (le juger et le choisir) qui font partie intégrante de ce travail et dans la part de vérité qu’il pourrait - à travers ses efforts, accomplis ou ratés - en dégager.

 *****

Je commence avec une maxime de Pierre Vidal-Naquet, tirée de ma traduction de sa “Présentation d’un document: Le Journal de Me Lucien Vidal-Naquet”: “Tout témoin doit être présenté”.  D’ailleurs, son père, résistant mort à Auschwitz, note-t-il, “ne manque pas de se présenter lui-même” dans son journal, tenu pendant la guerre.  [1]   Je tiens à cette nécessité d’une présentation d’un témoin et m’offre l’occasion de la faire moi-même en auto-présentation.  Comme dans les Mémoires de Vidal-Naquet, mon témoignage s’efforce d’être véridique ainsi qu’une réflexion sur ma propre expérience et sous ma propre responsabilité.

              Traducteur américain des écrits de Castoriadis depuis 1984, j’en ai fait la traduction de plus d’un million de mots.  Cela peut être déjà un choix: traduire un auteur veut dire introduire son œuvre à un public étranger et lui transmettre ses idées, son style, son imaginaire.  Personne n’est pourtant obligé, au moins dans nos sociétés, de traduire un auteur.  Tout le monde n’en est pas forcément capable non plus - non seulement par un éventuel manque d’expertise ou de connaissances, mais à cause de tout ce qui entoure, et fait partie, de la profession de traducteur: le concours de l’auteur, l’intérêt du public, l’accord des maisons d’édition dans notre monde capitaliste actuel, etc.  Dans mon cas, j’ai eu le luxe relatif de réaliser ce choix, ce qui introduit encore un élément d’effectivité et de contingence à la démarche.  Il y a vingt ans, en grève à Yale avec les secrétaires de l’Université, j’ai contacté Castoriadis directement, en  proposant de venir en France après la grève afin de traduire ses écrits politiques, sociaux et philosophiques.  Mon passé de militant et ma formation en tant qu’étudiant de philosophie à l’Université de Harvard ont certainement joué un rôle dans son approbation de ma proposition, mais il s’agissait surtout de la générosité de celui qui est devenu mon très cher ami pendant les treize dernières années de sa vie.   [2]

              J’ai fait également des traductions de toutes les “périodes” de son œuvre.  C’est encore un choix effectif, d’en présenter toutes les “parties”, et non pas de l’amputer ou de les diviser en traduisant uniquement les premiers écrits, soi-disant “politiques”, ainsi excluant les derniers écrits, soi-disant “philosophiques”, ou vice versa.  D’ailleurs, dans mes propres écrits et conférences sur Castoriadis, je tiens toujours à contester, en particulier, le bien-fondé d’une telle division, et j’ai co-fondé une association, Agora International, qui, à travers des bibliographies et des “webographies” préparées dans déjà une quinzaine de langues et dorénavant disponibles sur internet <http://www.agorainternational.org> (une extension de mon travail en tant que traducteur/editor), s’efforce d’encourager des gens qui s’intéressent à telle ou telle “période” de sa vie à communiquer entre eux et à continuer de dialoguer avec d’autres personnes qui s’intéressent à d’autres “parties” de son œuvre.  [3]

  Ici, nous nous efforçons, si j’ai bien compris le propos du colloque, de nous rendre compte des liens éventuels, et éventuellement effectifs, entre la philosophie, l’art et la littérature sous les signes de la créativité et de l’imaginaire.  C’est à dire, l’apport de notre propre participation active en tant que philosophes, qu’artistes et qu’écrivains devrait être constamment en jeu d’une façon exemplaire afin de poser de nouvelles normes et formes - qui ne sont pas à copier par d’autres personnes mais à leur inspirer d’aller plus loin en créant eux-mêmes encore d’autres contributions sous leur propre responsabilité.

              Au sujet de tels liens, j’ai pu déjà en apprendre beaucoup en traduisant un livre d’un autre auteur: Écrire: à l’épreuve du politique de Claude Lefort, où il est question d’étudier l’expression littéraire effective dans des textes politico-philosophiques ainsi que d’éventuelles implications politiques des textes littéraires, tout en évitant une “pensée de survol”, déjà critiquée par son maître Maurice Merleau-Ponty, qui tirerait une “doctrine” toute faite de textes politiques, indifférente par conséquent à son expression littéraire, ou qui réduirait l’auteur à ses effets écrits, sans chair et donc sans liens politiques et sociaux effectifs ou potentiels avec son lecteur éventuel.  D’ailleurs - encore un choix - je ne traduis pas des tas d’auteurs différents mais m’efforce, plutôt, de créer un œuvre de traducteur en me limitant à un choix d’auteurs - expression de l’auto-limitation effective, et donc, d’une autonomie éventuelle du traducteur.  Il est tout à fait possible pour un traducteur de ne pas se soucier à de tels choix et donc de traduire tout ce qui lui vient (en l’occurrence, de son employeur).  Mais, je suis convaincu, à partir de ma propre expérience en tant que traducteur (et tout d’abord à cause de mes hésitations constantes autant que de l’embarras que j’éprouve parfois devant mes choix soi-disant définitifs), qu’une vraie œuvre de traduction est un art à part entière (qui ne se réduirait jamais à un algorithme d’ordinateur) et qu’en tant qu’artiste, le traducteur - soit dans ses choix effectifs et réfléchis, soit par défaut - construit, tant bien que mal et advienne que pourra, son propre œuvre.  Au lieu de traduire tout et n’importe quoi, dans le désert surpeuplé du monde littéraire contemporain, j’ai construit plutôt un œuvre de traducteur autour de la traduction, en profondeur, de quelques auteurs préférés, et choisis par moi-même.  [4]

              “Un œuvre de traducteur”: l’expression même pourrait poser question ou problème.  En tant que traducteur, l’on est censé offrir une traduction “fidèle”, et, alors même que l’on se trouve parfois obligé, envers ce lecteur potentiel parlant une langue étrangère à celle du texte originel, de faire des ajouts explicatifs, d’écrire des notes de clarification, etc., et que la traduction est toujours dans un certain sens une “trahison”, c’est toujours l’auteur, et non pas le traducteur, qui devrait primer.  Néanmoins, le traducteur et ses choix sont là, dès sa décision de traduire tel ou tel auteur, dans ses choix effectifs de traduction, et ainsi de suite.  C’est cet embarras du choix  [5] - dans une nouvelle acception de l’expression, et non pas dans le sens très connu dans notre société de consommation - qui exprime le dilemme du traducteur, qui ne doit pas être supprimé ou rayé simplement parce qu’il lui semble embarrassant.  Je ne parle pas tout d’abord de moi-même - qui figurais récemment, dans l’hebdomadaire universitaire américain du plus grand tirage, [6] comme le “traducteur controversé” de Castoriadis - mais de mon prédécesseur, connu sous le pseudonyme de “Maurice Brinton”, qui le traduisait très habilement pour London Solidarity, l’organisation-sœur de Socialisme ou Barbarie (S. ou B.) en Angleterre.  L’Internationale Situationniste ne cessait pas de critiquer le choix de Brinton de traduire en anglais les écrits de Castoriadis pendant les années soixante/soixante-dix, et L’IS a même commis le délit grave, pour des révolutionnaires, de révéler, dans ses pages, le vrai nom de Brinton afin de poursuivre ses critiques aussi acharnées qu’injustes.  Le traducteur n’est donc pas là pour rien: toute sa vie et tous ses choix pourraient être remis en cause à n’importe quel moment et quoi qu’il fasse; cette vie et ces choix pourraient avoir des retombées, catastrophiques ou bénéfiques, sur la réception d’un auteur à l’étranger.  Le traducteur prétendant être “invisible” sous les mots de l’auteur traduits en langue étrangère, c’est non seulement une fiction trompeuse ou mensongère mais aussi une démission de sa propre responsabilité inéluctable, peu importe cet embarras que certains essayeraient d’éviter, en vain.  Il ne faut pas chercher plus loin que Les Protocoles des Sages de Sion - canular en russe fait à l’attention du Tsar, le traducteur s’effacant complètement, à partir d’un roman allemand d’Hermann Goedsche (1868) tiré d’un pamphlet français rédigé en 1864 contre l’Empereur, où Goedsche, en ne s’avouant pas être traducteur-plagiaire, a méchamment remplacé “la France” par “le monde” et “Napoléon III” par “les juifs” - pour comprendre que la présentation du traducteur (même si, par nécessité, anonyme ou sous un pseudonyme) ainsi que de son travail est non pas un luxe mais une nécessité indispensable et primordiale au sein de la République Transnationale des Lettres.

              Qui plus est, en traduisant un auteur, le traducteur doit prendre position par rapport à sa propre tradition littéraire.  Ici encore, il est tiraillé entre une fidélité au texte originel, tout à fait nécessaire, et l’occasion, aussi inévitable que voulue, de faire entendre et de faire comprendre ces mots transformés dans une autre langue.  Une traduction de texte si fidèle qu’elle est trop étrangère aux oreilles et aux yeux de ces nouveaux lecteurs ne serait jamais accueillie d’une façon efficace; en revanche, une traduction qui ne fait pas part, aux lecteurs, de l’étrangeté inquiétante d’un texte venu d’un autre monde imaginaire ne ferait pas - de par cette communication étrange, frôlant presque toujours la contradiction ou l’absurde, qui est la traduction - son devoir d’élargir la compréhension mutuelle au sein de cette République Transnationale des Lettres dont je viens de faire mention.

              Le choix de Brinton par rapport à sa tradition littéraire, c’était de traduire Castoriadis pour un public essentiellement ouvrier et militant anglais, dans son langage supposé, et ceci d’une façon très efficace d’ailleurs, alors même que le côté traduction, proprement parler, restait essentiellement à l’ombre.   [7]   Travaillant dans une autre époque, venant aussi d’un autre pays et en voulant traduire des textes de toutes les “périodes” ou “parties” de sa vie, j’ai fait le choix de rester plus près de l’original - dont l’effet, tout à fait voulu, était de créer une certaine distance pour le lecteur critique d’aujourd’hui - mais aussi de me référer à d’autres traditions littéraires.

              En tant qu’américain, il y en a encore un embarras du choix.  J’ai rejeté d’emblée, pour des raisons évidentes, notre tradition littéraire d’origine, c’est à dire le Puritanism.   [8]   Les traditions philosophiques pragmatiste américain et analytique anglo-saxon ne me semblaient guère plus convenables, vu les vues là-dessus de Castoriadis lui-même. De même pour toutes autres traditions d’expression anglaise simplificatrices qui trahiraient une certaine complexité ainsi que l’unité et la spécificité de sa pensée, alors même que j’ai toujours voulu - et pu, dans l’effectivité de mes traductions - communiquer la part de plain-spokenness (“franc-parler” ou parr‘sia) que comporte indubitablement son style - par fort contraste avec le style alambiqué d’un grand nombre d’écrivains philosophiques francophones de ces dernières décennies.

              Et c’était surtout au contact avec la matière elle-même, qu’il me semblait, que je devais me situer en tant que traducteur de Castoriadis.  Il se trouvait, pourtant, qu’une tradition américaine, bien significative quoique obscure, existe déjà, reliée directement à son groupe révolutionnaire. Dans les huit premiers numéros de sa revue, S. ou B. a publié une traduction, justement, de The American Worker, un texte à deux voix, d’un ouvrier accompagné d’un intellectuel - membres de la Johnson-Forest Tendency   [9] - qui parlait à la première personne au singulier de l’expérience d’un prolétaire américain (Paul Romano, encore un pseudonyme), selon le principe que celui qui exécute le travail effectif devrait avoir une voix au chapitre ainsi que son mot à dire sur son boulot (to have a voice and to have a say), et qui n’en fournissait une analyse postérieure (en l’occurrence, celle de “Ria Stone”: la philosophe sino-américaine Grace Lee Boggs) qu’à partir de ce discours effectif et expérimenté.  [10]

              Tout le monde y reconnaîtra facilement les principales préoccupations ultérieures du groupe et de la revue S. ou B.: la distinction fondamentale, et la lutte acharnée, entre dirigeants et exécutants; la primauté de l’expérience prolétarienne; l’idée que “ce qui est important” (traduction française d’ailleurs, faite par Castoriadis lui-même, de l’expression américaine “what really matters”), c’est la voix ainsi que les soucis de celui qui exécute le travail; les narrations de la vie en usine rédigées par l’OS “Daniel Mothé” (Jacques Gautrat) et publiées dans la revue S. ou B.; la tentative de créer un journal ouvrier où figurait l’expression ouvrière; la subordination de la théorie à l’expérience pratique vécue; la poursuite du projet d’autonomie dans toutes ses formes potentielles.

  En signant mon premier contrat de traducteur, je me suis rendu compte, en plus, qu’aux États-Unis le traducteur n’est que “work made for hire (du travail à louer)”, selon une formule empruntée à l’Internal Revenue Service.  Du point de vue donc du travailleur lui-même, la question du statut du traducteur s’est posé d’emblée - un statut, certes, du plus modeste, de celui qui exécute un travail à partir d’un texte fait par un autre, qui n’est d’habitude pas autorisé de dire grand-chose sur ses conditions de travail et qui n’a même pas, le plus souvent, le droit de communiquer le propre de son expérience, que l’on présentera la plupart du temps comme dérivée ou sans importance.

              Par ailleurs, au moment où j’entamais mon travail de traduction de Castoriadis au milieu des années quatre-vingts, l’auteur lui-même commençait déjà à constater que, dans nos sociétés capitalistes contemporaines, le project séculaire de l’autonomie semblait être sur le déclin, voire s’effriter - sans, pourtant, de sa part, y renoncer le moins du monde.  Et, dans le deuxième texte de Castoriadis que j’ai traduit, j’ai lu ces lignes:

  Une transformation radicale de la société . . . ne pourra être que l'œuvre d'individus qui veulent leur autonomie, à l'échelle sociale comme au niveau individuel.  Par conséquent, travailler à préserver et à élargir les possibilités d'autonomie et d'action autonome et en accroître le nombre, c'est déjà faire une œuvre politique, et une œuvre aux effets plus importants et plus durables que certaines sortes d'agitation superficielle et stérile. [11]

L’importance de la réflexion et de la délibération, souligné par Castoriadis dès le début de son œuvre, ne cessait de s’accroître, surtout lorsqu’il entama sa propre réflexion sur l’héritage grec.  N’y avait-il pas un moyen d’agir d’une façon exemplaire, réfléchie et délibérée, d’une façon autonome donc et sous ma propre responsabilité, à partir de ma propre condition, de mon expérience à moi en tant que traducteur, celles de quelqu’un non loin du plus bas de l’échelle des exécutants littéraires?  Effectivement, peu après, Castoriadis lui-même faisait valoir que, alors même qu’“un grand mouvement politique collectif ne peut pas naître par l'acte de volonté de quelques-uns”, il faut reconnaître également, étant donné le décours du projet de l’autonomie, qu’:  

aussi longtemps que cette hypnose collective dure, il y a, pour ceux parmi nous qui ont le lourd privilège de pouvoir parler, une éthique et une politique provisoires: dévoiler, critiquer, dénoncer l'état de chose existant.  Et pour nous: tenter de se comporter et d'agir exemplairement là où ils se trouvent.  Nous sommes responsables de ce qui dépend de nous.  [12]

  Non pas précisément “Look to your own oppression (regarder sa propre oppression)”, une formule des années soixante, mais plus amplement “Regarder, réfléchir, et communiquer sa propre expérience” est donc devenue la devise et le mot d’ordre d’une volonté d’autonomie venue d’en bas.  Ici, le philosophique (connaissance de soi par expérience et par expérimentation pratiques communiquées à tous) commence à se mêler à l’artistique et au littéraire, pour ne pas mentionner les enjeux politiques en arrière-plan.  Et ici aussi, l’on peut se référer encore une fois à une tradition littéraire et philosophique américaine, le Transcendentalism, une tradition à laquelle, par prédilection et pour la chose même, j’ai immédiatement fait appel, du moins d’une façon implicite.  Le Transcendentalism est une tradition où prime l’expérience vécue, voire une vie d’expérimentations, qui comporte, d’ailleurs, une universalité potentielle non pas théorique mais pratique dans chaque, et n’importe quelle, action entreprise.  Comme a écrit Thoreau dans Walden:  

None can be an impartial or wise observer of human life but from the vantage ground of what we should call voluntary poverty. Of a life of luxury the fruit is luxury, whether in agriculture, or commerce, or literature, or art.  There are nowadays professors of philosophy, but not philosophers. Yet it is admirable to profess because it was once admirable to live. To be a philosopher is not merely to have subtle thoughts, nor even to found a school, but so to love wisdom as to live according to its dictates, a life of simplicity, independence, magnanimity, and trust. It is to solve some of the problems of life, not only theoretically, but practically.  [13] .

                                                                            ~

  Il n’est pas de “bon ton”, diraient certains avec volubilité, de parler de soi-même.   C’est le cas, au moins, si sa conception de l’individu se trouve séparée de sa conception du social - ce qui n’est pourtant pas le cas de Castoriadis, pour qui l’individu est, pour le pire (dans une société hétéronome traditionnelle ou conformiste) et peut-être parfois aussi pour le mieux, précisément le fragment parlant et ambulant (et, en l’occurrence, écrivant) du social, non pas séparé du dernier mais son incarnation et institution concrètes, où se joue la plupart de la créativité d’une société, du moins dans une société capable de faire naître des individus individualisés.  Et ce n’était pas le cas, non plus, dans la mouvance Transcendentalist, qui célébrait non pas le “rugged individualist” mythique et idéologique du capitalisme américain mais le non-conformisme individuel.  Il ne faut pas chercher plus loin que Song of Myself, qui commence: “Je me célèbre moi-même/Et ce que j’assume vous assumerez/Car chaque atome m’appartenant vous appartient aussi” et qui nous rassure que ce moi-même qui est “Walt Whitman, un américain, une des brutes, un kosmos, Désordonné, charnu, sensuel, mangeant, buvant, reproducteur, pas de sentimentalisme - ne se plaçant pas au-dessus des hommes et des femmes, ni à l’écart d’eux”, n’est pas non plus “plus modeste qu’immodeste”.

              Cette démarche est certes individuelle, personnalisée.  Thoreau est allé en forêt en quête d’une connaissance de soi:  

I went to the woods because I wished to live deliberately, to front only the essential facts of life, and see if I could not learn what it had to teach, and not, when I came to die, discover that I had not lived. I did not wish to live what was not life, living is so dear; nor did I wish to practise resignation, unless it was quite necessary. I wanted to live deep and suck out all the marrow of life, to live so sturdily and Spartan-like as to put to rout all that was not life, to cut a broad swath and shave close, to drive life into a corner, and reduce it to its lowest terms, and, if it proved to be mean, why then to get the whole and genuine meanness of it, and publish its meanness to the world; or if it were sublime, to know it by experience.  [14]  

Ne serait-il pas possible d’aller également dans la jungle qu’est le monde capitaliste de l’édition contemporaine, de vivre d’en bas en tant que traducteur, de découvrir ce monde par l’expérience et le sonder par une expérimentation constante non-conformiste communiquée au monde entier, tout en restant toujours en contact délibéré et réfléchi avec les propos ainsi que les formes et styles littéraires créés par des auteurs que l’on a choisis de traduire?  Cette démarche vit donc dans la contingence des rencontres, dans la création des réponses inédites, au sein du travail de traduction aussi bien qu’au sein de sa réflexion sur cette expérience du traducteur, en ne négligeant rien de tout ce qui entoure cette expérience ni de tout ce qu’elle entraîne. (Il ne s’agit pas, donc, d’une description phénoménologique.)  Cette démarche individuelle, ouverte au monde et critique envers lui, n’est pas égoïste non plus, dans la mesure où toute expérience auto-individualisée n’est pas la contradiction ou l’opposé du social mais plutôt son expression possible dans une universalité potentielle toujours à renouveler et toujours à approfondir.  - De par d’autres contributions. C’est Ralph Waldo Emerson, dans son essai-phare qui s’intitule justement “Self-Reliance”, qui exprime peut-être le mieux cette conviction de vivre une autonomie où se mêlent le social et l’individu sous le signe de la création non-conformiste et universalisante:  

I read the other day some verses written by an eminent painter which were original and not conventional. The soul always hears an admonition in such lines, let the subject be what it may. The sentiment they instil is of more value than any thought they may contain. To believe your own thought, to believe that what is true for you in your private heart is true for all men, — that is genius. Speak your latent conviction, and it shall be the universal sense; for the inmost in due time becomes the outmost, . . . . A man should learn to detect and watch that gleam of light which flashes across his mind from within, more than the lustre of the firmament of bards and sages. Yet he dismisses without notice his thought, because it is his. In every work of genius we recognize our own rejected thoughts: they come back to us with a certain alienated majesty. Great works of art have no more affecting lesson for us than this. They teach us to abide by our spontaneous impression with good-humored inflexibility then most when the whole cry of voices is on the other side. Else, to-morrow a stranger will say with masterly good sense precisely what we have thought and felt all the time, and we shall be forced to take with shame our own opinion from another.  [15]  

L’exposition de son expérience individuelle sous le signe de l’expérimentation vécue devient une obligation personnelle dans la quête d’une connaissance de soi, faute de voir revenir aliénées ses propres pensées, aussi bien que le devoir civique d’en livrer au monde les résultats.   [16] Ou comme disait, plus simplement, Thoreau - Transcendentalist kantien qui, à la différence de Kant, ne “reculait” point devant la redécouverte de l’imagination:  “When one man has reduced a fact of the imagination to be a fact to his understanding, I foresee that all men will at length establish their lives on that basis”.  [17]  

                                  ~

  Et c’est justement dans l’imaginaire que se noue ce lien-clé entre le travail de traduction et la réflexion du traducteur sur sa propre expérience.  En traduisant un texte, comme je l’ai expliqué dans mon Translator’s Foreword (avant-propos) au livre de Lefort:

Tous les mots choisis dans cette traduction ont été choisis par moi-même - une constatation d’une banalité écrasante, sauf si nous réfléchissons à la situation étrange du traducteur, qui, en accomplissant son travail difficile et presque absurde, s’imagine, pour une durée prolongée et épuisante, être quelqu’un qui, non seulement n’est pas lui-même, mais qui n’existe point - en l’occurrence un “Claude Lefort” de langue maternelle anglaise - tout en faisant tout son possible pour garder, d’une certaine manière à la fois créative et indéfinissable, une présence suffisamment étrangère de sorte que la traduction puisse honnêtement réaliser sa visée civique, éminente quoique implicite - c’est à dire, l’introduction des idées étrangères dans ce dont nous pensons est comme une communauté littéraire, ou un “corps politique”, déterminé et pourtant évoluant, afin d’ouvrir ce “corps” à la possibilité d’une assimilation réfléchie de quelque chose qui n’est pas (n’est pas encore) lui-même.  C’est en émergeant de cette expérience de parler (écrire de par la traduction) d’une voix imaginaire qui n’est pas la mienne - c’est à dire, qui n’appartient, à proprement parler, à personne et qui survivra, d’une manière ou d’une autre, à elle seule, associée étroitement à Lefort et, dans une moindre mesure, à moi-même - que moi, transformé pour toujours de par cette expérience déconcertante et déstabilisante, je tâche de retrouver ma propre voix afin de vous faire savoir par écrit quelques repères provisoires pour lire ce que j’ai écrit, et pourtant n’ai pas écrit, dans cette traduction.   [18]

            Je poursuis cette réflexion née de mon expérience de la création d’un être imaginaire venu de moi, qui n’est pas moi et qui n’est pas à moi, en décrivant les interrogations qui s’ensuivent lors de la rédaction de mes avant-propos:  

Depuis que je me suis trouvé face à la tâche d'écrire un avant-propos à un livre dont j'ai fait la traduction, je me suis trouvé placé devant une série de dilemmes embarrassants (quandaries).  Si j'avais bien travaillé en tant que traducteur, il me semblait superflu de dire au lecteur, dans une introduction à part, ce qu'il allait lire ou avait déjà lu dans le corps du texte.  Et puisque les principaux auteurs que j'ai choisis de traduire - Castoriadis, l'historien Pierre Vidal-Naquet, le co-fondateur de S. ou B. Claude Lefort—s'expriment bien et à part entière eux-mêmes et font partie, historiquement parlant, de la mouvance socialiste libertaire, il me semblait également présomptueux ainsi que prématuré de ma part de dire à l'avance au lecteur ce qu'il devrait penser d'une œuvre ne devenant disponible pour la première fois aux lecteurs qu’à partir de maintenant dans la langue anglaise.  Néanmoins, il me semblait, aussi, que le traducteur a un devoir civique, dans la République Transnationale des Lettres, de présenter un auteur à son public étranger - et de faire une auto-présentation, une explication des raisons pour lesquelles il a fait ce choix d'auteur ainsi qu'une exposition des problèmes rencontrés et les solutions découvertes au cours de la traduction.  Et ce processus comportait le défi d’une auto-réflexion de ma part dans le travail de traducteur et, plus amplement, en tant qu’intermédiaire qui introduit un auteur à ses nouveaux lecteurs.  

            Ce qui me semblait le plus approprié était de fournir des informations contextuelles dont le lecteur n'aurait peut-être pas eu connaissance par ailleurs.  Je l'ai fait chaque fois en sachant que cela nécessiterait des choix d'accentuation et sur le contenu pour lesquels moi seul pouvais prendre la responsabilité et que d'autres les manieraient différemment.  Pourtant, ce que je souhaitais le moins, c'était de simplement répéter le même format chaque fois, sinon j'aurais esquivé ainsi le défi de l’œuvre spécifique que j’ai traduite et serais passé donc à côté de l’inspiration à penser autrement que contient cette œuvre. ...  Alors, le problème de la forme littéraire de l’avant-propos de traducteur s’est posé à moi d’une façon radicale dès le début de ma carrière de traducteur et continue de l’être pour chaque nouvel avant-propos que je rédige.  Puisque les auteurs que j’ai consciemment choisis de traduire sont parmi ceux qui n’essaient pas d’imposer une quelconque doctrine mais qui cherchent, plutôt, à soulever des questions philosophiques, politiques ou historiographiques, il m’a été clair que mes avant-propos devaient revêtir l’aspect d’improvisation et d’expérimentation ou inclure d’autres traits pas forcément associés avec une introduction écrite par un traducteur.  Si moi, en tant que premier lecteur en anglais des écrits d’un auteur étranger, je n’avais pas été ému par l’œuvre en question - que vaudrait ma traduction si je ne l’avais pas été? - je devrais également être capable d’exprimer, dans mes remarques d’introduction, un peu de cette expérience émouvante, de faire face à cette épreuve du risque, comme dirait Lefort.  Je me demande constamment dans quelle mesure je réussis à transmettre cette entreprise, qui est à la fois émulatrice et, j’espère, au moins un peu créative de ma part.  Et je m’inquiète continuellement, soit que ce que je dis et comment je le dis resteraient trop répétitifs, et dérivés des façons dont l’auteur, traduit par mes soins, s’est déjà exprimé (maintenant à travers moi, en traduction), soit que, bien au contraire, j’ai pu errer trop loin, en perdant, par cela même, le fil qui me relie à l’auteur que je suis censé présenter.  Je me trouve, donc, placé devant de nouveaux dilemmes embarrassants de nature philosophiques et littéraires (ceux-ci rappelant, pourtant, mes initiales rencontres de traducteur avec chaque auteur), et jamais bien installé sur un fond solide et stable.  Et cela n’est peut-être pas, en l’occurrence, une mauvaise chose.   [19]  

 

En vous racontant un parcours qui commença en 1984, je m’inquiète que ma narration vous livre une version trop harmonisante de cette démarche.  Car, comme toute démarche - et, a fortiori une démarche entreprise dès le début sous le signe de l’expérimentation - elle se fait dans la durée.  Et avec, certes, la possibilité constante d’échecs et de heurts.

             Un premier problème, majeur, pourrait venir d’une crainte - je ne dirais pas forcément la haine - de l’autre,   [20] en l’occurrence, une peur de ceux qui parlent la langue étrangère dans laquelle une œuvre est traduite.  Une collègue traductrice m’a raconté l’histoire d’un auteur français féministe qui confondait son être et son œuvre, et qui contestait toute violation du dernier, au point que l’éditeur américain s’est vu obligé par l’auteur de publier dans le livre un démenti (a disclaimer) expliquant que la traduction de son livre n’est pas (mais évidemment!) le décalque parfait de l’original - et, parmi d’autres choses, parce que la version américaine, comme dans tout livre anglo-saxon, mettait la table des matières au début et non pas à la fin!  La visée d’une universalité potentielle se heurte souvent au narcissisme et à une  relative clôture caractéristiques de toute institution d’une société, ainsi qu’à une méfiance ressentie à l’égard d’autres institutions.  La traduction est dérangeante.

              Il y avait, bien sûr, de tentatives d’expérimentation ratées, aussi.  Un philosophe américain pour qui j’ai fait une traduction a eu l’idée géniale, et généreuse, que j’écrivisse un avant-propos de traducteur - “aussi critique que possible”, a-t-il suggéré - de son livre, écrit en français, sur la rédaction de la Constitution américaine, et qu’il y rédigerait une réponse.  Ce que j’ai fait pour ma part, en composant une lettre de style pamphlétaire (en hommage aux penseurs politiques de l’époque).  Au lieu d’écrire sa réponse à cet avant-propos très critique, pourtant, il a tout laissé tomber et ne m’a point soutenu lorsque l’éditeur - qui m’a expliqué que de telles critiques n’aident pas aux ventes du livre - a refusé d’y imprimer mon texte.  [21]   À ma propre initiative, lors de la traduction d’un auteur français, j’ai essayé encore une fois de créer un tel dialogue entre l’écrivain et celui qui transforme ses mots pour un autre public, espérant ainsi prolonger le dialogue implicite qui se fait au sein du travail de traduction (avec l’aide, parfois, de l’auteur, s’il parle aussi anglais) et - en exposant des exemples concrets et en examinant en profondeur des problèmes de traduction survenus - éclairer le processus par lequel un texte se transforme pour un public habitant un autre monde imaginaire.  La re-mise en sens, qu’est la traduction, et la mise en scène, du traducteur et de son auteur - dans l’avant-propos et tout au long de la traduction - auraient donc pu être accompagnées, de façon explicite, par une mise en abîme de ce processus de traduction, permettant ainsi au lecteur de faire l’expérience des vacillements de sens et de choix inhérents au travail de traduction. Cette fois-ci, mon avant-propos a été publié sans difficulté, mais le jeune homme en question ne s’est pas trouvé capable de formuler une réponse finie à temps.  [22]   Ça reste donc un projet à réaliser ultérieurement dans l’intérêt de promouvoir, expérimentalement, la compréhension transculturelle, sous le signe du chaos sous-tendant toute transformation d’un monde imaginaire en un autre.  Un œuvre de traducteur, même si poursuivi d’une façon aussi consciente et voulue que le mien, est né de telles contingences et est le fruit, en grande partie, de rencontres effectives dont l’issue reste souvent imprévisible.

Ce n’est pas du tout étonnant que, tôt ou tard, cette insistance sur le rôle du traducteur et sur le respect ainsi que la reconnaissance dus à son statut culturel, se heurtent aux nettes tendances au sein de notre société, de la part des dirigeants et des personnages en haut (éditeurs, universitaires, ayant droits, intellectuels célèbres et distingués), à résister à, et à contrecarrer, l’idée qu’une personne venue d’en bas de l’échelle de la production littéraire, qui exécute le travail de traduction, pourrait (aussi) s’exprimer.  Ce qui m’a étonné, plutôt, c’était que j’aie pu, dans ces circonstances, en accomplir autant.

               De son vivant, la collaboration avec Castoriadis marchait très bien. [23]    À sa mort, il n’a malheureusement laissé aucun testament pour sa famille.  La seule chose qu’il a prévue, c’était d’être enterré de l’autre côté de la rue de chez nous - Clara Gibson Maxwell, ici présente, et moi-même - dans le cimetière de Montparnasse - ce qui nous a valu la haine inexpiable de ses héritières.  L’effort de se débarrasser de moi en tant que traducteur du mari et père défunt a commencé, on m’a informé par la suite, dès le jour des obsèques.  Une semaine après, sa fille aînée m’a ordonné de cesser immédiatement “tout travail” autour de son père, comme si cela était en son pouvoir.  Rien de très surprenant là non plus.  La crainte de l’autre, celle de voir des écrits transformés dans une autre langue - j’en ai déjà parlé.   [24]   Et surtout, toute voix indépendante posait un défi insupportable pour leur position déjà très fragile et peu stable.  Ainsi, la rédaction des avant-propos de traducteur les gênait plus que tout.   [25]   Pierre Vidal-Naquet lui-même, sélectionné Président d’une “Association Cornelius Castoriadis” créée par la famille, ne supportait pas de voir son “traducteur parfait” participer pourtant  à pied d’égalité.   [26]    Et certains anciens de S. ou B. ont préféré se comporter comme des “jaunes” non avoués dans ce conflit de travail plutôt que d’accepter que d’autres personnes, plus jeunes et donc jamais membres de leur groupe, puissent aussi s’y inspirer à leur gré.   [27]

              Où en est-on maintenant?  Six ans après la mort de mon cher ami Cornelius, le site web anarcho-situationniste www.notbored.org a publié, le 6 décembre 2003, une édition électro-Samizdat, The Rising Tide of Insignificancy (The Big Sleep), “translated from the French and edited anonymously as a public service”.  [28]   Pour des raisons évidentes, je ne nie ni ne confirme ma participation. Qu’il suffise de dire que, dans l’effectivité d’un travail de traduction réfléchissant qui réclame le droit ainsi que le devoir de communiquer au public son expérience non-conformiste et ses choix autonomes, je me trouve forcé de me comporter dorénavant comme un traducteur underground, prolongeant et approfondissant ainsi une expérience déjà à contre-courant. [29]

                                        —David Ames Curtis <curtis (at) msh-paris.fr>, Paris, mai 2004


  Notes

 1.  Pierre Vidal-Naquet,  “Présentation d’un document: Le Journal de Me Lucien Vidal-Naquet”, Annales: Ëconomies, Sociétés, Civilisations, 3 (mai-juin 1993): 501-12; voir: 502.

 2. À Yale University, où, en tant que Directeur de la Recherche du Black Periodical Fiction Project (1982-1984), j’ai collaboré avec Henry Louis Gates, Jr., j’ai déjà tenté une première expérience d’autogestion parmi les étudiants-chercheurs à ma charge.  Et lorsque je militais en tant que community organizer (1979-1982) chez Carolina Action/Association of Community Organizations for Reform Now (ACORN), je faisais partie des meneurs d’une rébellion d’organisateurs de base de cette organisation, en réclamant l’autogestion interne de nos affaires.

 3. Je félicite Laurent Van Eynde d’avoir choisi de souligner l’“interdisciplinarité” de l’œuvre de Castoriadis, bien que je parle plutôt d’un projet de transdisciplinarité qui met activement en cause le morcellement grandissant des connaissances actuelles.  C’était le propos de ma conférence, “Castoriadis, la science et le thème du monde morcelé”, aux Rencontres Castoriadis organisées en juin 1999 à Paris par des anciens étudiants de Castoriadis à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales:

Pour résumer ce qui précède : en débutant avec une enquête née du contexte spécifique d'une société qui est habitée par l'incertitude quant à ses façons de vivre et d'être, ses buts, ses valeurs et son savoir, et qui n'a pas pu, jusqu’à maintenant, ni comprendre d'une façon adéquate la crise qu'elle subit ni révolutionner les conditions de l'émergence et de la persistance de cette crise, Castoriadis vise à clarifier — pour les gens et pour l'épanouissement de leur activité autonome — et cette crise et les conditions de cette crise.  Il se met à examiner la crise dans les disciplines de savoir diverses — et, pour la plupart, non communicantes — poursuivant ainsi le travail déjà entamé dans les années soixante qui essayait d'intégrer les implications révolutionnaires de ces disciplines dans les tentatives des gens de transformer la société.  Cette crise se lit dans, mais ne se résout pas par, une diversité de réponses désignées par les études interdisciplinaires ou la multiversité (ou, par ailleurs, l'archéologie).  Dans l'intervalle, la discipline hybride de l'histoire de la science sert à démontrer que la démarche féconde ne consiste pas simplement à juxtaposer ou à combiner deux ou plusieurs disciplines, ni à en trouver leur intersection, mais à réfléchir cette crise elle-même dans toutes les disciplines et à en clarifier le sens en dépassant les enjeux épistémologiques généraux afin de soulever des questions ontologiques pertinentes à la transformation de la société et de l'institution scientifique.

Malheureusement, les organisateurs, qui ont refusé la participation d’autres personnes à l’organisation de ce colloque, n’en ont jamais réunis les interventions afin de les publier.  [Donc, ce texte reste toujours inédit.]  

 4. Ce qui pourrait gêner certains qui verraient dans ces choix du “fanatisme”, etc., comme si l’exercice du choix fait partie d’une fermeture d’esprit au lieu d’une auto-limitation, voulue, qui est aussi une ouverture effective, et bien réfléchie, au monde.  

 5. Cette expérience effective de l’embarras de la part du traducteur fait partie des thèmes développés dans mon Translator’s Foreword pour le livre de Claude Lefort, Writing: The Political Test (Durham, North Carolina: Duke University Press, 2000), maintenant

 disponible à http://perso.wanadoo.fr/www.kaloskaisophos.org/rt/rtdac/rtdactf/rtdactfwriting.html.  

 6. Scott McLemee. "The Strange Afterlife of Cornelius Castoriadis: The Story of a Revered European Thinker, a Literary Legacy, Family Squabbles, and Internet Bootlegging," The Chronicle of Higher Education, 50:29 (March 26, 2004): A14-16, disponible à :

http://www.notbored.org/strange-afterlife.html.  

 7. Dans sa thèse de maîtrise en histoire de 1971 à l’University of Wisconsin, "Socialisme ou Barbarie: Examination of a Revolutionary Project", Allen Binstock a conclu que “Paul Cardan” (pseudonyme de Castoriadis) a dû déménager en Angleterre après mai 68. . . .  

 8. Un article récent de Christopher Houston sur "Islamism, Castoriadis and Autonomy", publié dans la revue australienne de théorie sociale, Thesis Eleven (76 [February 2004]: 49-69), a conclu, tout à fait à tort et bizarrement, que la philosophie d’autonomie de Castoriadis, comme la visée des islamistes (!), est en quête d’une certaine pureté.  C’est d’oublier que, là où Castoriadis expose pour la première fois sa conception de l’autonomie d’une façon systématique (“Marxisme et théorie révolutionnaire,” 1964-1965), il ne s’agit pas d’une quelconque élimination du discours de l’autre (par une soi-disant purification) mais d’établir “un autre rapport” à ce discours.  

 9. Le révolutionnaire Trinidadien C.L.R. James (Johnson) et Raya Dunayevskaya (Forest), secrétaire de Trotksy.  

10. Sur la question des workers’ narratives (récits ouvriers), il faut se reporter à l’excellente étude de Stephen William Hastings-King. Fordism and the Marxist Revolutionary Project: A History of Socialisme ou Barbarie, Part I (thèse d’histoire PhD, Cornell University 1999), qui examine à cet égard les efforts de la Johnson-Forest Tendency et ceux de S. ou B, ainsi que les problèmes et les ambiguïtés de ces efforts.  

11. “Institution première de la société et institutions secondes” (1985), Figures du pensable. Les Carrefours du labyrinthe VI (Paris: Éditions du Seuil, 1999), p. 126 (souligné par moi). 

12. “Quelle démocratie?” (1990), in ibid, p. 179.  

13. Henry David Thoreau, Walden; Or, Life in the Woods (1854), in Walden and Other Writings, ed. Joseph Wood Krutch (New York: Bantam, 1981), p. 115-16.  

14. Ibid., pp. 172-73 (souligné par moi).  

15. C’est la célèbre introduction de “Self-Reliance” de Ralph Waldo Emerson (Essays: Second Series [Philadelphia, Henry Altemus, 1894], pp. 43-44).  Le deuxième paragraphe nous conseille de nous délivrer de “l’envie” et de “l’imitation”.  

16. Cette communication de l’expérience de la part de ceux qui ont rencontrés l’œuvre de Castoriadis ne se limite pas à ceux qui l’ont fait de par sa traduction.  Agora International a crée une rubrique de pages électroniques, “Enseigner Castoriadis”

ttp://www.agorainternational.org/paideiatext.html
,
 

 où “nous invitons tous les étudiants, tous les professeurs, tous les enseignants et tous les militants qui ont reçu un enseignement sur Castoriadis ou ont enseigné la pensée de Castoriadis à créer une page web pour notre site web Cornelius Castoriadis/Agora International. Ces pages serviront de points de départ pour partager ces expériences avec d'autres personnes . . .  Nous ne cherchons pas exclusivement des témoignages positifs: des aveux honnêtes d'échecs ainsi que de succès, des critiques comme des questions, ainsi que des évaluations affirmatives sont également les bienvenus. Seule l'hagiographie serait mal vue”.  Ceux et celles intéressé(e)s à participer à une telle démarche sont prié(e)s de contacter la coordinatrice de cette rubrique, Andrea Gabler <agabler  (at) gwdg.de>.  

17. C’est ce que Castoriadis appellerait l’élucidation.  N’ayant pas le même accès culturel aux Transcendentalists américains, Castoriadis citait plutôt William Blake: “What is now proved was once only imagin’d”.  Au début de Walden, l’Abolitionist Thoreau demande: “Self-emancipation even in the West Indian provinces of the fancy and imagination, – what Wilberforce is there to bring that about?” Sur Thoreau et Marx[, contemporains], voir Staughton Lynd, Intellectual Origins of American Radicalism.  

18. David Ames Curtis, Translator's Foreword, in Claude Lefort, Writing: The Political Test (Durham et London: Duke University Press, 2000), pp. IX-X, disponible

 à: http://perso.wanadoo.fr/www.kaloskaisophos.org/rt/rtdac/rtdactf/rtdactfwriting.html.  

19. Ibid., pp. XXIV-XXV.  

20. Voir Castoriadis, "Les racines psychiques et sociales de la haine" (in Figures du pensable).  

21. Dick Howard, The Birth of American Political Thought, trad. David Ames Curtis (London: Macmillan and Minneapolis: University of Minnesota Press, 1990).  

22. David Ames Curtis, Translator's Forward, in Jean-Marc Coicaud, Legitimacy and Politics: A Contribution to the Study of Political Right and Political Responsibility (Cambridge University Press, 2002), pp. ix-xxvii.  Voir la version électronique, disponible

 à:  http://perso.wanadoo.fr/www.kaloskaisophos.org/rt/rtdac/rtdactf/rtdactfl&p.html.  

  23. “David [Ames Curtis] est un traducteur comme on en rencontre rarement, consciencieux à l'extrême, vérifiant inlassablement tout ce qu'il fait, n'hésitant jamais à demander l'avis des auteurs sur ce qui peut poser problème dans les textes sur lesquels il travaille. Il a maintenant traduit six volumes de mes écrits, qui ont été publiés par la University Press of Minnesota, par la Oxford University Press, par la Stanford University Press et par Blackwell's. Pierre Vidal-Naquet, dont il a également traduit et publié plusieurs ouvrages et qui, philologue de métier, est d'une exigence scolastique sur l'exactitude et la précision des expressions, ne tarit pas d'éloges sur son compte” (courrier de Cornelius Castoriadis, 19 juillet 1997). Nous discutions souvent des choix pour bien rendre ses écrits en traduction (Castoriadis parlait très bien l’anglais), ainsi que de ceux de textes à publier: il appréciait bien mes suggestions et comptait sur mon appréciation du monde de l’édition anglo-saxon.  Parfois, homme entêté qu’il était, il résistait un certain temps à un choix de traduction qui s’imposait quand même, et une fois j’ai même dû, après de longues discussions, faire appel à son traducteur italien Fabio Ciaramelli, ici présent [Ciaramelli n'a, en fin de compte, pas pu assister à ce colloque, pour des raisons personnelles], pour confirmer l’ajout d’un simple trait d’union.  Mes efforts ont souvent dépassé aussi le rôle de traducteur; et j’ai agi parfois comme son agent littéraire, ce qui m’a mis dans une position très sensible vis-à-vis des éditeurs lorsqu’il y avait des différends, et ce que j’ai accepté volontiers pour le soulager, au risque d’être perçu soit comme son gorille, soit comme une grosse brute incontrôlable. (Voir “Preface to the Electronic Reprint of the 1989 Editor's Foreword” pour Philosophy, Politics, Autonomy, disponible à

http://perso.wanadoo.fr/www.kaloskaisophos.org/rt/rtdac/rtdactf/rtdactfppa.html.)

Les différends entre nous se discutaient entre nous, et s’il y avait un désaccord concernant, par exemple, un point dans un des mes avant-propos, j’ai toujours pu publier, après discussion et sans la moindre objection de sa part, ma propre exposition sous mon propre nom - telle était sa conception du respect de l’autonomie de l’autre.  Et il a eu la gentillesse de me dire que mon avant-propos pour la traduction du Monde morcelé a été un des meilleurs textes qu’il a jamais lus sur son œuvre (voir Translator’s Foreword, World in Fragments: Writings on Politics, Society, Psychoanalysis, and the Imagination, ed. et trad. David Ames Curtis [Stanford, CA: Stanford University Press, 1997], pp. xi-xxx).  

24. La famille Castoriadis n’a pas pu supporter voir une édition américaine qui soit - par l’inclusion des appendices bibliographiques, d’un index, des notes explicatives, etc. (ce que j’ai toujours fait avec le concours et l’approbation de Castoriadis) - plus complète et plus utile que l’édition originale, entrant par là même en concurrence avec celle-ci.  Intéressées, les héritières voulaient aussi vendre le maximum de textes, peu importe la cohérence des volumes qui en résulteraient dans la langue étrangère.  

25. Elles ont réclamé le droit d’y opposer un veto absolu, en même temps qu’elles contestaient le principe même de textes introductifs - tout en autorisant, par ailleurs, de tels textes, pleins de commentaires, dans des tomes posthumes publiés en français.  Qui plus est, toute personne perçue comme incontrôlable par leur entourage devait être mise à l’index ou rayée de la liste des intervenants aux colloques organisés avec le concours de la famille - une liste noire respectée, d’ailleurs, par des organisateurs de colloques qui prétendaient par ailleurs prendre fait et cause pour l’œuvre de Castoriadis.  Tout cela pourrait se rapporter, pourtant, à la situation d’une veuve et des orphelines incapables de faire le deuil et si peu préparées à la responsabilité de gérer l’héritage d’une figure aussi immense et conséquente, ainsi qu’à celle des personnes avec peu de scrupules, plus intéressées par leurs carrières que par la cohérence de leur démarche.  

26. Les héritières ont créé en juin 1999 une “Association Cornelius Castoriadis” et y ont nommé Pierre Vidal-Naquet Président.  Certains, comme moi, ont été désignés “membres fondateurs”, alors qu’ils ont été exclus de la réunion où ont été rédigés les statuts de l’Association, sans protestation de sa part.  Dans les cinq années de son existence, “toutes les réunions  de son Conseil se sont tenues en secret.  L’ordre du jour n’est pas annoncé à l’avance.  Pas de comptes-rendus de ce qui a été discuté ont été communiqués aux membres de l’organisation.  Et pas d’annonces en temps voulu des décisions prises” (voir: le Foreword à l'édition électro-Samizdat de Cornelius Castoriadis, The Rising Tide of Insignificancy (The Big Sleep), p. xvi, disponible à http://www.notbored.org/RTI.pdf.).  Ce Conseil a même créé un site web auquel les membres de base n’avaient pas accès.  

            Afin de rectifier cette situation fâcheuse qui va tout à fait à l’encontre des principes de démocratie directe de celui qui portait le nom emprunté par cette Association, j’ai proposé fin septembre 2001 la création “d’un ‘anti-Conseil’ tiré au sort parmi les membres de base, selon un plan proposé à diverses reprises par Vidal-Naquet lui-même, le tirage au sort étant une pratique démocratique dont Castoriadis s’est fait également champion” (ibid., p. xv).  Nous attendons toujours, presque trois ans plus tard, la moindre nouvelle de la part de ce Conseil qui, sous la direction de Vidal-Naquet, s’est arrogé le droit exclusif d’étudier et de statuer sur cette proposition.  Vidal-Naquet a aussi, à plusieurs reprises, manqué à sa promesse que je puisse rester traducteur de Castoriadis, mais cela n’est qu’un défaut personnel de quelqu’un qui se trouve incapable de tenir ses promesses.  En tant que Président de l’“Association Cornelius Castoriadis” et figure publique ayant souvent déclaré auparavant que le tirage au sort est le moyen préféré pour promouvoir la démocratie (voir, par ex., Pierre Vidal-Naquet, “Democracy: A Greek Invention”, in Pierre Lévêque and Pierre Vidal-Naquet, Cleisthenes the Athenian: An Essay on the Representation of Space and of Time in Greek Political Thought from the End of the Sixth Century to the Death of Plato, trad. David Ames Curtis (Atlantic Highlands, New Jersey: Humanities Press, 1996), p. 109), il nous place devant l’exemple même du choix à ne pas faire en ce qui concerne notre rapport à l’œuvre de Castoriadis.  

27. Ce n’était que la cerise empoisonnée sur ce gâteau indigeste que les héritières ont engagé une traductrice pour me remplacer, alors que moi, j’ai toujours un contrat de traduction valable et ma maison d’édition me doit encore 5.000$ pour du travail déjà commandé et terminé.  Il se trouve que cet individu n’est personne d’autre que Helen Arnold, l’un des rares individus d’origine américaine qui faisaient partie du group prolétaire révolutionnaire de Castoriadis - et maintenant jaune, au beau milieu d’un conflit de travail, non résolu, au sein d’une “Association Cornelius Castoriadis” présidée par un intellectuel engagé de renommée internationale qui se fait passer pour le garant de l’intégrité de ladite Association.  Lorsque j’ai amorcé cette démarche inédite et peu conventionnelle qui s’inspirait des principes de base du groupe Socialisme ou Barbarie, je ne pouvais pas imaginer, même dans mes rêves les plus fous, que j’eusse eu des repoussoirs aussi éclatants et instructifs pour en illustrer le sens.  

28. Les seuls individus à déposer, jusque maintenant, une protestation auprès de ce site anarcho-situationniste - qui a déjà reçu 5.000 visites concernant cette traduction pirate - ne sont personne d’autre que Arnold et son mari Daniel Blanchard (“Canjuers” dans le groupe, qui se présente comme la personne qui a introduit le situationniste Guy Debord au sein de S. ou B.: voir Daniel Blanchard, Debord, dans le bruit de la cataracte du temps suivi de Préliminaires pour une définition de l'unité du programme révolutionnaire [le 20 juillet 1960] par G.-E. Debord & P. Canjuers [Paris: Sens et Tonka, 2000]).  Ils se sont soigneusement tus, pourtant, sur l’évident conflit d’intérêt que représentait leur protestation, à la consternation cuisante de l’éditeur du site, Bill Brown.  Suite à sa propre inaction, Vidal-Naquet se tait complètement.  Plus de témoignages.  Plus de présentation de témoins.  De même pour la famille Castoriadis et tous ceux qui l’ont aidée dans cette affaire.  Seule Arnold (traductrice professionnelle qui n’a pourtant pas fait la moindre traduction des écrits de Castoriadis pendant ces derniers trente-sept ans depuis la fin de S. ou B.) parle aux journalistes, tout en empochant l’argent qui m’est dû, alors que moi, j’ai du mal à joindre les deux bouts.  Suite à ce qui me semblait un suicide professionnel total, pourtant, d’autres anciens membres et sympathisants de S. ou B. m’ont généreusement offert du travail et des collaborations.  À noter, The Rising Tide of Insignificancy (The Big Sleep) est disponible également à http://www.costis.org/x/castoriadis/Castoriadis-rising_tide.pdf, site web de l’artiste grec Costis, qui faisait partie d’un groupe politique grecophone avec Castoriadis pendant les années soixante-dix.  

29. Qu’en penseront des jeunes gens - notre avenir - s’éveillant pour la première fois à la vie politique et à la philosophie, qui assistent à une telle controverse?  Quels choix feront-ils dans la vie après avoir été témoins d’une exclusion assortie d’un licenciement non avoué contre un traducteur non-conformiste remplacé sournoisement par un ex-membre du groupe le plus révolutionnaire de l’après-guerre sans la moindre protestation publique de la part du pétitionnaire le plus reconnu de France?  Et une autre question se pose, celle-ci concernant justement le travail de traduction et l’expérience du traducteur: Est-il possible de faire une traduction, formellement correcte, en ne comprenant de toute évidence rien de son contenu?  Que vaut un tel effort?  Helen Arnold et la famille Castoriadis proposent de tester cette expérience prochainement, alors que le traducteur anonyme projette de publier le même tome à nouveau dans une édition électro-Samizdat chez Not Bored!  Encore des expériences effectives, faite à l’attention du public anglophone.  À chaque personne d’en juger les résultats. 


     Je remercie Max Blechman, Fabien Doyennel et Clara Gibson Maxwell de leurs suggestions concernant la rédaction de cette conférence.


* Conférence prononcée le 28 mai 2004 au Séminaire Interdisciplinaire de Recherches Littéraires (SIRL) des Facultés Universitaires Saint-Louis (Bruxelles), lors du colloque "L'Imaginaire au carrefour de l'interdisciplinarité. Autour de Cornelius Castoriadis" (27-28 mai 2004). Je tiens tout d'abord à remercier Laurent Van Eynde, qui a eu l'idée géniale d'organiser un colloque autour de Cornelius Castoriadis, parmi d'autres choses, "nous nous efforcerons . . . de montrer la fécondité possible de cette pensée de l'imaginaire dans le champ de la philosophie de l'art et de la littérature, en montrant comment l'oeuvre littéraire participe de la dynamique d'auto-altération des magmas de significations imaginaires et ainsi contribue à l'invention de l'histoire", ainsi qu'à témoigner de ma reconnaissance pour sa gentillesse de m'avoir invité à participer à cette entreprise créative. [Des ajouts ultérieurs se trouvent entre crochets. J'ai pourtant déjà fait, sans les signaler, certaines corrections d'expressions en français (très mineures), qui n'est pas ma langue mère. Mes remerciements ? José Ferreira pour les corrections de français qu'il m'a suggérées.]


Une suite en Mai 2009

Les Cahiers Castoriadis et la censure (Lettre ouverte)

Cher Laurent Van Eynde :

Vous avez eu la gentillesse de m’inviter au Séminaire Interdisciplinaire de Recherches Littéraires (SIRL) à faire, lors du colloque “L’Imaginaire au carrefour de l'interdisciplinarité. Autour de Cornelius Castoriadis” la toute première conférence des “Journées Castoriadis” le 27 mai 2004 - la première année des “Journées Castoriadis”, qui se tiennent maintenant chaque année aux Facultés Universitaires Saint-Louis. Même si controversée, cette conférence, “Effectivité et réflexivité dans l'expérience d’un traducteur de Cornelius Castoriadis” a été assez bien reçu par le public, et Sophie Klimis a eu la gentillesse, peu après ma présentation, de me dédicacer son livre ainsi : “Pour David Curtis. En hommage à son project de traduction autonome, et en espérant avoir l’occasion de poursuivre un travail commun sur Castoriadis”.

Vous m’avez pourtant violemment pris à partie à la fin de ce colloque en m’expliquant que je ne devais pas parler des sujets “controversés”. Il fallait protéger “les jeunes” des “controverses”, vous m’avez dit, au sujet d’un colloque organisé autour de l’oeuvre de Cornelius Castoriadis! Vous craigniez également que des personnes critiquées lors mon intervention ne puissent intenter un procès en diffamation si FUSL le publie. Et pourtant, vous avez refusé de préciser une seule phrase qui poserait problème - et ceci non pas une fois, au moment où vous étiez très en colère et incapable de parler de façon cohérente, mais chaque fois, depuis 5 ans, que je formule poliment et gentiment cette demande raisonnable de me dire explicitement quelle phrase ou phrases précisément vous gênent. Vous avez même écrit à un tiers en disant que je refuse de modifier mon texte, alors que j’attends toujours la moindre précision de votre part concernant ce qui pourrait poser problème.

En attendant la possibilité de voir la version écrite de mon texte publiée dans les Cahiers Castoriadis - comme tous les autres textes présentés lors des “Journées Castoriadis” - cette intervention est disponible pour l’instant sur un site libertaire francophone, qui l’a accueilli sans le moindre état d’âme : http://1libertaire.free.fr/Castoriadis45.html . Personne, à ma connaissance, n’a intenté un procès en diffamation contre ce site. Et cette année, une traduction - “Konkrete Wirklichkeit und Reflexion in der Erfahrung eines Übersetzers von Cornelius Castoriadis” - a paru dans une revue allemande, Archiv für die Geschichte des Widerstandes und der Arbeit, 18 : 563-92 - toujours, à ma connaissance sans que personne ne commence d’intenter un procès. L’Archiv a eu la gentillesse de me demander de faire le point sur cette censure et sur le déroulement des “Journées Castoriadis”, ce que j’ai fait et ce qui paraît maintenant en postface dans la deuxième partie de cette publication allemande de mon texte (l’original, en anglais, est disponible en me contactant à : davidamescurtis (at) hotmail.com pour ceux/celles qui ne lisent pas l’allemand).

À mon humble avis, il faut cesser de censurer un texte qui, conforme à l’esprit de Castoriadis, n’évite pas la controverse et qui cherche la vérité par une réflexion sur l’expérience effective. Je vous demande, toujours poliment et gentiment - mais maintenant en lettre ouverte après cinq ans d’efforts polis et gentils en privée - de lever cette censure et de publier mon texte tel quel dans les Cahiers Castoriadis ou de me préciser quelle phrase ou phrases posent vraiment problème - surtout maintenant, à la lumière de sa publication en traduction allemande sans que personne n’intente un procès.
Je vous prie, Monsieur, d’agréer mes salutations les meilleures.

David Ames Curtis