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Message du 05 Jan 2007 by insurreccomm
Liste Cornelius Castoriadis
[apartirdecc] Présentation et textes
(Texte d'une conférence prononcée au CAPTEÉ)
Acheminement vers Cornelius Castoriadis et après : autonomie
et communisation
Provenant de l’héritage marxiste et nationaliste,
il y a toujours eu chez moi un double intérêt pour
le politique et le social : le point de vue pratique et le point
de vue théorique, la praxis qui les concilie comme dirait
Marx. Voulant agir pour transformer la vie et le monde, je comprenais
que je devais pour ce faire comprendre la situation historique de
mon actualité, la synthèse de l’histoire dans
un sens assez hégélien et puis assez marxiste aussi,
là-dessus Marx poursuivait l’œuvre de Hegel. Dans
un sens tout aussi historique, je me devais de me saisir en tant
que québécois de situations géographique, géopolitique
et culturelle. J’ai ainsi fait parallèlement à
des recherches en histoire et en philosophie de l’histoire,
des recherches sur les origines du Québec contemporain. Dans
mes jeunes années de politisation, on pourrait dire que le
Manifeste du parti communiste de Marx et Engels côtoyait Nègres
blancs d’Amérique de Pierre Vallières. Il y
avait <> pour paraphraser un texte de ce même Vallières.
C’est immédiatement au PQ que devait aller mes allégeances
politiques et puis par déception face au néolibéralisme
de celui-ci au PDS (Parti de la démocratie socialiste) et
ensuite au PCQ (Parti communiste du Québec) qui plus tard
allaient devenir deux des créatures à l’origine
de l’UFP (Union des forces progressistes).
Parallèlement à mon évolution théorique,
sociale et politique, il y avait la grande période d’effondrement
du bloc soviétique (URSS et pays satellites) qui lentement
mais sûrement s’acheminait vers sa propre destruction
et la libéralisation. L’Occident capitaliste triomphait
partout et le marxisme s’avérait être un échec.
Les agents de légitimation du libéralisme occidental
comme Francis Fukuyama pouvaient bien parler de fin de l’histoire.
Dans ce cadre, le Québec ne différait en rien. Les
principaux partis étaient tous néolibéraux,
pro-capitalistes donc, et la gauche de parti était désorientée.
Le modèle soviétique était périmé
et on questionnait de plus en plus le rôle de l’État
(fusse-t-il social) comme colonisant l’ensemble de la vie,
l’arraisonnant, nous conduisant toujours to the road of serfdom,
vers la voie de la servitude.
J’acceptais ce constat de plusieurs et me questionnais sur
l’État qui s’avérait finalement pour moi
être un véritable appareil de domination bureaucratique
servant soit les intérêts du capitalisme (néolibéralisme
actuel) ou encore ses propres intérêts ainsi que ceux
de la classe qu’il fait travailler essentiellement petite-bourgeoise
(correspondant idéologiquement aux nationalisme de gauche,
sociale-démocratie ancienne et nouvelle, socialisme…),
que nous pourrions sûrement appelé aussi classe moyenne
étatisée : fonctionnaires, intellectuels et artistes
patentés et/ou subventionnés, organisateurs communautaires…
Le marxisme et le nationalisme étant les deux idéologies
fondamentales de légitimation de l’État, fusse-t-il
prétendument social, ils ne peuvent qu’être rejetées
avec l’État qui leur permet de s’incarner. En
arrivant là, j’étais désorienté.
À ce moment, je revenais parallèlement à d’autres
influences plutôt individualistes qu’étaient
Max Stirner et Friedrich Nietzsche et ses continuateurs (de Bataille
à Deleuze et Guattari en passant par Michel Foucault, Jacques
Derrida et plusieurs autres). Je n’entrevoyais à ce
moment qu’une affirmation de la pluralité constitutive
de l’existence singulière de l’individu, voire
du dividu (l’individu scindé en lui-même par
plusieurs forces, identités et différences qui le
traversent constamment et en sont constitutives) et une lutte contre
tout ce qui empêche cette existence (généalogie
des pouvoirs, macropouvoirs comme le patriarcat, l’État,
le capitalisme, la technoindustrie, la gestion « opérationnelle-décisionnelle
» comme dirait Michel Freitag, etc. ou micropouvoirs comme
la famille, l’école, l’hétéronormalité
et l’hétérosexisme, la police et la prison,
l’institution psychiatrique et médicale…). J’y
resterai fidèle et le reste encore.
Je n’arrivais plus à penser les communautés
autrement que comme des entraves à cette existence singulière.
Il va sans dire qu’il y avait là un rejet de toute
Société comme ensemble organique d’institutions
normalisatrices et répressives ainsi que formes de dominations.
Cela demeure une donne fondamentale dans ce que j’envisage
théoriquement, politiquement et existentiellement.
C’est à ce moment que lors de la préparation
d’une conférence-débat sur le rapport entre
les normes et la liberté que je devais défendre contre
celles-ci, je fis la connaissance de Cornelius Castoriadis. Ce penseur
en est un de l’autonomie. L’autonomie dans l’œuvre
de Castoriadis est ce qui est centrale.
L'auto-nomie ne consiste pas à faire n'importe quoi, ni
même à laisser faire n'importe qui, mais bien plutôt
à se donner (auto) sa propre loi (nomos), où se nouent
liberté individuelle et collective.
Posant comme exigence de l'autonomie de "se donner soi-même
ses lois, sachant qu'on le fait", il s'agit ensuite de trouver
un sujet pour devenir cette société autonome qui resterait
société instituante ne restant pas figée dans
la "pensée héritée", "auto-institution
explicite et permanente de la société".
Pour Castoriadis : << Une société autonome
ne peut exister sans individus autonomes et des individus autonomes
ne peuvent exister que dans une société autonome>>.
Ici l’autonomie individuelle et l’autonomie sociale
se co-engendrent, sont constitutives l’une de l’autre.
La conception castoriadienne de l’autonomie me permettait
dès lors de refonder la dialectique complexe qui unit puissances
singulières et puissances collectives et d’envisager
globalement le politique tout autrement.
Castoriadis est né en Grèce en 1922 mais vécut
en France de 1945 à 1997. Il fut dans son jeune temps lié
au Parti communiste grec, puis à la contestation anti-stalinienne
d’obédience trotskiste. C’est dire qu’il
s’est lié au communisme soviétique dès
sa jeunesse. Mais vint à penser l’URSS comme un État
ouvrier dégénéré soumis à l’administration
despotique d’une bureaucratie dirigiste dirigée d’une
main de fer par Staline. Il critiquait la dégénérescence
bureaucratique stalinienne. Mais peu à peu remis en question
l’ensemble du marxisme-léninisme (léninisme,
trotskisme, stalinisme…) comme étant un régime
de gestion d’un capitalisme d’État fonctionnant
par administration planiste et bureaucratique des masses à
des fins productivistes, industrialistes et impérialistes,
s’érigeant en dictature et se développant par
contrôle sur les partis communistes du monde qu’il soumit
à son autorité et à ses diktats.
Il renvoya dos à dos le capitalisme libéral occidental
et le marxisme-léninisme comme deux mondes issus des impératifs
capitalistes.
En France, il fonda avec Claude Lefort, Jean-François Lyotard
et d’autres la revue Socialisme ou Barbarie (1949-1965) qui
mena très tôt une critique implacable du marxisme-léninisme
et de l’administration bureaucratique en général
et développa la politique conseilliste issue des expériences
des conseils ouvriers, gestion autonome en conseil par les travailleurs/travailleuses
de la production dans son unité de base, l’usine, l’entreprise…
qui puise une de ses majeures influences dans les soviets autonomes
qui précédèrent la contre-révolution
bureaucratique bolchévique de 1917... Cette tendance conseilliste
est issue de la gauche communiste germano-hollandaise, l’ultra-gauche,
représentée historiquement par des figures comme Otto
Ruhle, Herman Gorter, Anton Pannekoek… Castoriadis développa
tout d’abord dans Socialisme ou Barbarie une pensée
autogestionnaire qui visait à l’éradication
de tout pouvoir de gestion des masses, libérale ou marxiste-léniniste.
Mais cette pensée demeurait dans un cadre marxiste historiciste,
industrialiste, productiviste…
Mais il vint à penser que le marxisme comme le capitalisme
dont on peut dire qu’il est l’enfant ne remettait pas
en question les impératifs qui fondent les sociétés
modernes et qui s’imposent aux humainEs. Castoriadis devait
donc s’attaquer à la pensée de Marx et au marxisme
dans son ensemble.
Il critiqua l’historicisme de Marx issu d’Hegel qui
pense l’histoire humaine comme étant déterminée
par des fins comprises en elle-même ou en son évolution
qui donnent réalité à la vie en général.
Chez Marx, c’est la lutte des classes comprise à l’intérieur
des rapports de production. Les sociétés modernes
se fondent comme la réalisation d’un ordre d’exploitation
où il y a ceux qui possèdent les moyens de production,
la bourgeoisie, et ceux qui n’ont que leur force de travail
qu’ils doivent vendre à cette bourgeoisie, le prolétariat.
La bourgeoisie accumule la plus-value et le profit en s’accaparant
le fruit du labeur des masses prolétariennes. Cette histoire
poursuit l’histoire comme évolution de la lutte des
classes, comme le pensait Marx. Dans ce cadre, pour détruire
l’exploitation capitaliste, le prolétariat était
conduit par ses déterminations à s’organiser
en Parti, en forgeant l’unité de ses forces en érigeant
le Parti de sa classe, le Parti communiste, qui devait par l’organisation,
la propagande et la révolution armée prendre le contrôle
de l’État et établir la dictature du prolétariat
qui devait elle-même peu à peu amener l’État
à se détruire pour réaliser la société
communiste, sans classes, sans capitalisme, sans État...
Évidemment, tout cela comme vu auparavant s’avéra
qu’une vaste illusion et un véritable cauchemar dans
tous les pays où on vit le marxisme prendre le pouvoir et
cela pour Castoriadis découle fondamentalement de la théorie
marxiste de l’histoire.
Cette histoire se réalisait dans un nouvel ordre d’exploitation.
Cette histoire s’imposait à tous/toutes, la volonté
autonome des humains/humaines n’y était pour à
peu près rien. Cette façon de penser l’histoire
et de la faire s’avérait déterministe, impérative,
contre toute forme d’autonomie individuelle et sociale.
Cette histoire poursuivait aussi les fins capitalistes de développement
industriel, d’arraisonnement, de gestion et de destruction
de la vie à des fins de production, de réduction des
humains/humaines à leur labeur, à leur condition prolétarienne
fusse-t-elle autogérée et communisée…
bref en découlait un univers globalement administré
dont la pensée de Marx ne sortait pas selon Castoriadis.
Marx était issu de l’univers existentiel, social et
politique du capitalisme et n’en sortait pas. Toute la théorie
et la pratique révolutionnaires devaient donc être
repensées.
Castoriadis fit à partir de ce constat une nouvelle lecture
de l’histoire de l’émancipation. Il repensa la
praxis révolutionnaire à partir d’influences
plurielles mais dont certaines plus déterminantes dont la
démocratie directe athénienne et l’histoire
conseilliste visant une praxis de l’auto-émancipation.
Il voyait dans ses différentes expériences, malgré
leurs limites marquées historiquement, des pratiques de l’autonomie.
Pour Castoriadis, différentes expériences historiques
montrent la capacité proprement humaine d’autofondation
de la Société. La Société n’est
visiblement pas la création des Dieux, des finalités
extrahumaines de l’histoire, des déterminismes absolus,
des seuls grands hommes, etc. Certes les humainES font l’histoire
dans les conditions préexistantes à leur existence
singulière mais ils/elles la font tout de même. Cependant,
cette réalité fut toujours recouverte par l’histoire
des dominations : religieuses, étatiques, capitalistes…
Ce qu’il s’agit maintenant c’est de reprendre
en mains individuellement et socialement la capacité que
nous avons de déterminer nous-même l’histoire,
de reprendre le pouvoir de notre propre possibilité humaine
d’imaginer et de créer les univers existentiels, sociaux
et politiques dans lesquels nous vivrons, notre propre possibilité
de concevoir et d’engendrer l’à venir et non
de poursuivre le présent sous la forme d’un futur déjà
présent. Cela est la révolution selon Castoriadis
et celle-ci ne peut être que permanente sous peine de se figer
en nouveaux ordres sociaux figés qui empêchent la création
humaine historique de se poursuivre et qu’ainsi les humainEs
ne vivent que sous des impératifs qui s’imposent à
eux. Il convient d’un côté que les individus
deviennent maîtres de leur destinée, qu’ils s’arrachent
aux diktats pulsionnels de leur inconscient, se connaissent et soient
responsables d’eux-mêmes ainsi que dans un rapport harmonieux
avec la vie en général et d’autre part que leur
socialisation se fasse dans l’interaction entre subjectivités
autonomes instruites de leur histoire, des conditions de leur vie
et des moyens de la vivre et qu’ils auto instituent la Société
selon des procédures de démocratie directe : par conseils,
par agoras, par délibérations publiques et par d’autres
procédures démocratiques favorisant l’autonomie
de chacunE et de leur Société.
« Le projet d’autonomie implique un véritable
devenir public de la sphère publique/publique, une réappropriation
du pouvoir par la collectivité, l’abolition de la division
du travail politique, la circulation sans entraves de l’information
politiquement pertinente, l’abolition de la bureaucratie,
la décentralisation extrême des décisions, la
souveraineté des consommateurs, l’autogouvernement
des producteurs – accompagnés d’une participation
universelle aux décisions engagent la collectivité
et d’une autolimitation .»
Tout un programme donc qui implique l’abolition de toutes
les formes de domination : patriarcat, capitalisme, États,
administrations et autres organes de gestion… Un projet d’autonomie
!
Ce projet d’autonomie est l’ultime forme de démocratie
selon Castoriadis, c’est-à-dire de réalisation
d’un univers social fondé sur notre capacité
d’imaginer et de créer, de nous autofonder, autant
individuellement que collectivement, il n’y a d’ailleurs
pas de dissociation à faire selon Castoriadis entre l’individu
et la Société, les deux s’engendrant dans un
rapport dynamique qui les fait co-exister dans leur fondation et
leur autofondation.
Et le projet que Castoriadis vise en est un qui doit permettre
la réalisation d’un plein pouvoir inclusif qui délibérant,
dialogique, se donne la possibilité d’une constante
autotransformation. Le projet de Castoriadis est un projet d’autoinstitution
de la Société définie par des procédures
de démocratie directe.
La pensée politique de Castoriadis définit largement
l’horizon social et politique radical que nous qualifions
de ``démocratisme radical``.
Autonomie et communisation : les limites de la théorie castoriadienne
et leur dépassement
Le Démocratisme Radical Le démocratisme radical se
veut, dans le meilleur des cas, la critique du mode de production
capitaliste pour laquelle il ne s’agit plus pour le prolétariat
d’abolir ses conditions d’existence, c’est à
dire abolir le mode de production capitaliste et lui-même,
mais de maîtriser ses conditions d’existence. Pour cela
ce mouvement social trouve dans la démocratie revendiquée
comme radicale la forme et le contenu le plus général
de son existence et de son action (maîtrise, contrôle).
Le prolétaire est remplacé par le citoyen, la révolution
par l’alternative. La notion d’alternative est centrale
en ce qu’elle suppose que les conditions actuelles de la production
et de la société en général pourrait
être gérées de deux façons différentes.
Le démocratisme radical a des solutions pour tout. Le mouvement
est vaste : de formes qui ne revendiquent qu’un aménagement,
un capitalisme à visage humain, jusqu’à des
perspectives alternatives qui se veulent rupture d’avec le
capitalisme tout en demeurant dans la problématique de la
maîtrise.
- Roland Simon
Pour les raisons évoquées avant, l’affirmation
communiste ne se fera plus sous la base d’une identité
prolétarienne qui n’est qu’une identité
réifiée pour les fins du Capital libéral ou
marxiste. Mais l’affirmation de Roland Simon me semble par
ailleurs un commencement certain de cette dernière partie.
Le démocratisme radical existe comme tendance affirmant
dans son pôle de radicalité de nouvelles luttes et
affirmations sociales qui peuvent aller jusqu’à l’autogestion
et l’action directe mais toujours pacifiées par les
procédures d’AG, la conciliation des intérêts
par le consensus et l’unitarisme. Nous , le nous de position,
n’avons rien à foutre avec lui car nous vivons et luttons
furieusement sans attendre quoi que ce soit des règles d’un
quelconque jeu démocratique : ni démocratie comme
gestion faussement représentative ni démocratie directe
comme activités politiques régulées par ag,
structures qui perdurent, Organisation unitaire qui nie la conflictualité
et les différents, Sociétés…
Nous entendons par démocratie directe l’autogestion
procédurière de nos misères, le lieu de pacification
des conflits, l’espace structurant de rencontres légitimé
comme lieu de programmation de la discussion, de la non-vie, de
la domination du code sur la vitalité et le dynamisme du
mouvement, la tentative de concilier toutes les puissances sociales
dans un même mouvement en faisant l’économie
de la violence entre tendances dominantes et mouvements de destruction
de ces formes de domination... Au même titre que nous sommes
contre la démocratie, nous sommes contre la Société.
La Société définit comme l’ensemble régulateur
d’institutions normalisatrices et impératives qui fondent
la vie et la loi sociales et ainsi nous déterminent et nous
dominent. Sur laquelle comme totalité, nous n’avons
pas d’emprise générale que des emprises singulières
qui subsumées, ou englobées, dans cette totalité
sociale deviennent vite aliénantes et hétéronomes
au sens qu’elles sont déterminées par cet ordre
social général qui dans le rapport de force et de
coercition triomphe dans le jeu de pouvoir et de gestion fusse-t-il
démocratie directe, qui institue chaque fois un impératif
global qui s’impose sur nos vies, nous détermine et
donc nous fait violence et nous domine.
De l’affirmation sans compromis de notre existence communisée,
nous attaquons les procédures de gestion de nos vies y compris
la démocratie directe particulièrement sous sa forme
assembléiste. Nous n’avons que faire de passer nos
vies à gérer le monde dans la procédure dans
de vastes assemblées générales qui mettent
en place la pacification des conflits.
Notre vie est une attaque constante contre sa formalisation-programmation.
Quand nous créons, quand nous nous aimons, quand nous produisons,
quand nous pensons et même quand nous discutons, nous n’avons
pas besoin de passer par l’AG pour savoir quoi faire et quoi
penser et surtout comment nous policer. Nous vivons furieusement
sans canaliser nos forces dans la maîtrise du tout et la programmation
de nos vies. Nous communisons parfois dans l’illégalité
en libérant les espaces, les ressources alimentaires, les
techniques, les idées, les désirs...
Nous sommes des illégalistes qui brisons les lois et les
codes comme tout ce qui régule pour à la fois vivre
sans entraves et lutter sans compromis. Nous communisons plus souvent
qu’autrement dans l’informel et/ou l’illégalité.
Rien à voir avec la démocratie radicale fusse-t-elle
celle pensée par Castoriadis à qui nous empruntons
parfois certains concepts comme on pille ce dont nous avons besoin
et désirons.
Nous nous organisons pour vivre et pour lutter sous des modes de
gratuité, de partage, de mise en commun, d’amitiés
intenses…
« Rien de ce qui s’exprime dans la distribution connue
des identités politiques n’est à même
de mener au-delà du désastre. Aussi bien, nous commençons
par nous en dégager. Nous ne contestons rien, nous ne revendiquons
rien. Nous nous constituons en force, en force matérielle,
en force matérielle autonome au sein de la guerre civile
mondiale. »
« S’organiser veut dire : partir de la situation, et
non la récuser. Prendre parti en son sein. Y tisser les solidarités
nécessaires, matérielles, affectives, politiques.
»
Nous nous organisons par « une constellation expansive de
squats, de fermes autogérées, d’habitations
collectives, de rassemblements fine a se stesso, de radios, de techniques
et d’idées. L’ensemble relié par une intense
circulation des corps, et des affects entre les corps. » Entre
autres...
Comme disent certainEs, nous avons déjà commencéEs.
Nous savons que c’est insuffisant mais il faut des bases
pour attaquer/détruire, construire le mouvement de communisation
qui ne peut avoir de prolongements que dans des insurrections toutes
à la fois singulières et générales…
Et une vie libérée généralement au-delà
du nous, même du nous humainEs.
Du côté de l’écologie, nous laisserions
la vie se libérer de sa marchandisation et de sa détermination
rationaliste et utilitaire. Nous détruirions ces logiques
de domination qui s’exercent contre tout y compris contre
nous. Nous réapprendrions à vivre « communistement
» avec l’ensemble du vivant, comme partie dynamique
de cette affirmation plurielle qu’est la vie.
« La prochaine révolution sera communisation de la
société, c’est-à-dire sa destruction,
sans "période de transition" ni "dictature
du prolétariat", destruction des classes et du salariat,
de toute forme d’État ou de totalité subsumant
les individus... » Communisation -
Christian Charrier
De l’auto-organisation à la communisation
mercredi 7 juin 2006.
R.S.
Ce texte, destiné à la publication dans Meeting 3,
reprend le xte précédent L’auto-organisation
est le premier acte..., ainsi que ce qui est ressorti de la réunion
organisée en mars, pour laquelle j’avais rédigé
un texte
Une restructuration de la contradiction entre le prolétariat
et le capital
Désigner la révolution comme communisation c’est
dire cette chose assez banale que l’abolition du capital est
l’abolition de toutes les classes, y compris le prolétariat,
et non sa libération, son érection en classe dominante
organisant la société selon ses intérêts.
C’est dire que l’abolition de l’échange,
de la division du travail, de la marchandise, de la propriété,
de l’Etat, des classes ne sont pas des mesures prises après
la victoire de la révolution, mais des mesures par lesquelles
seulement la révolution peut triompher. C’est dire
inversement qu’il n’y a pas de « période
de transition ». Le prolétariat ne fait pas la révolution
pour instaurer le communisme, mais par l’instauration du communisme.
En cela, toutes les mesures de la lutte révolutionnaire seront
des mesures de communisation. En deçà, il n’y
a que la société actuelle. L’échec des
révolutions allemande et espagnole en est la triste vérification.
La restructuration du rapport d’exploitation, c’est-à-dire
de la lutte des classes depuis le début des années
1970, la disparition du « mouvement ouvrier » et d’une
identité ouvrière confirmée dans la reproduction
du capital ont imposé ce qui n’était qu’un
but final à atteindre après la révolution comme
étant le cours même de celle-ci.
Dans la restructuration, toutes les caractéristiques du
procès de production immédiat (travail à la
chaîne, coopération, production-entretien, travailleur
collectif, continuité du procès de production, sous-traitance,
segmentation de la force de travail), toutes celles de la reproduction
(travail, chômage, formation, welfare), toutes celles qui
faisaient de la classe une détermination de la reproduction
du capital lui-même (service public, bouclage de l’accumulation
sur une aire nationale, inflation glissante, “partage des
gains de productivité”), tout ce qui posait le prolétariat
en interlocuteur national socialement et politiquement, c’est-à-dire
tout ce qui fondait une identité ouvrière à
partir de laquelle se jouait le contrôle sur l’ensemble
de la société comme gestion et hégémonie,
toutes ces caractéristiques sont laminées ou bouleversées.
La situation antérieure de la lutte de classe, ainsi que
le mouvement ouvrier, reposait sur la contradiction entre d’une
part la création et le développement d’une force
de travail mise en oeuvre par le capital de façon de plus
en plus collective et sociale, et d’autre part les formes
apparues comme limitées de l’appropriation par le capital
de cette force de travail, dans le procès de production immédiat
et dans le procès de reproduction.
Voilà la situation conflictuelle qui se développait
comme identité ouvrière, qui trouvait ses marques
et ses modalités immédiates de reconnaissance (sa
confirmation) dans la "grande usine", dans la dichotomie
entre emploi et chômage, travail et formation, dans la soumission
du procès de travail à la collection des travailleurs,
dans les relations entre salaires, croissance et productivité
à l’intérieur d’une aire nationale, dans
les représentations institutionnelles que tout cela implique
tant dans l’usine qu’au niveau de l’Etat. Il y
avait production et confirmation à l’intérieur
même de la reproduction du capital d’une identité
ouvrière par laquelle se structurait, comme mouvement ouvrier,
la lutte de classe.
Mais, il n’existe pas de restructuration du mode de production
capitaliste sans défaite ouvrière. Cette défaite
c’est celle de l’identité ouvrière, des
partis communistes, du syndicalisme ; de l’autogestion, de
l’auto-organisation et de l’autonomie. La restructuration
est essentiellement contre-révolution et c’est tout
un cycle de luttes qui a été défait.
On ne peut parler d’auto-nomie que si la classe ouvrière
est capable de se rapporter à elle-même contre le capital
et de trouver dans ce rapport à soi les bases et la capacité
de son affirmation comme classe dominante. Il s’agissait de
la formalisation de ce que l’on est dans la société
actuelle comme base de la société nouvelle à
construire en tant que libération de ce que l’on est.
L’autonomie était le projet d’un processus révolutionnaire
allant de l’auto-organisation à l’affirmation
du prolétariat comme classe dominante de la société,
au travers de la libération et de l’affirmation du
travail comme organisation de la société. L’autonomie
n’est que la libération de l’ouvrier en tant
qu’ouvrier. Maintenant, on se contente de répéter
que l’autonomie existante n’est pas la bonne. Or, c’est
la capacité même, pour le prolétariat, de trouver,
dans son rapport au capital, la base pour se constituer en classe
autonome et en grand mouvement ouvrier qui a disparu. L’autonomie
et l’auto-organisation ont été un moment historique
de l’histoire de la lutte de classe et non des modalités
d’action formelles et plus ou moins intemporelles. L’auto-organisation
ne désigne pas n’importe quelle activité où
des individus, fussent-ils des prolétaires, se concertent
directement pour savoir ce qu’ils vont faire ensemble, elle
est une forme historique déterminée.
L’autonomie, comme perspective révolutionnaire se
réalisant au travers de l’auto-organisation, est paradoxalement
inséparable d’une classe ouvrière stable, bien
repérable à la surface même de la reproduction
du capital, confortée dans ses limites et sa définition
par cette reproduction et reconnue en elle comme un interlocuteur
légitime. Son sujet est l’ouvrier et elle suppose que
la révolution communiste est sa libération, celle
du travail productif. Elle suppose que les luttes revendicatives
sont le marche-pied de la révolution et qu’à
l’intérieur du rapport d’exploitation le capital
reproduise et confirme une identité ouvrière. Tout
cela a perdu tout fondement. L’auto-organisation c’est
la lutte auto-organisée avec son prolongement nécessaire
l’auto-organisation des producteurs, en un mot le travail
libéré, en un mot encore, la valeur.
L’auto-organisation comme théorie et perspective révolutionnaires
avait un sens dans les conditions exactement identiques à
celles qui structuraient le « vieux mouvement ouvrier ».
Amère victoire de l’autonomie
Un petit retour en arrière.
Déjà en Italie en 1969, les secteurs ouvriers en
lutte avaient été incapables de créer une «
assemblée » reliant entre elles les diverses formes
d’auto-organisation et le mouvement avait été
« récupéré » par la CGIL et ses
comités d’ateliers. Toujours en Italie, dans le mouvements
des auto-convocations (fevrier-mars 84) sur l’échelle
mobile, on voit l’auto-organisation devenir défensive,
au sens où elle exprime la défense d’une ancienne
composition et d’un ancien rapport de la classe ouvrière
au capital que la restructuration est en train d’abolir. Pour
les mêmes raisons, en Espagne, le mouvement des assemblées
(1976, 77, 78) crée ou revitalise des structures syndicales,
tout comme « l’automne chaud » hollandais de 1983.
C’est également l’époque où se
développent toutes sortes de « syndicats autonomes
». C’est fondamentalement un type historique de classe
ouvrière qui est remis en cause par la restructuration. Chez
Renault, lors des grèves de 1975, c’est l’usine
du Mans, là où la force de travail est la plus stable
et le taux de syndicalisation (40 %) double de la moyenne nationale
chez Renault, que la grève est la plus dure et prend parfois
des allures de « lutte autonome ». Au début des
années 1980, quand ce processus de dégraissage «
s’achève » en frappant essentiellement les effectifs
d’OS immigrés, provoquant une énorme vague de
grèves dans l’automobile, la violence des luttes ne
se formalise jamais en tentatives de formation d’organes autonomes.
« Ils veulent nous tuer, mais nous sommes déjà
morts », tel est alors l’esprit des luttes. Si, en 1983-1984,
il est également difficile de qualifier la grève des
mineurs en Grande-Bretagne de « lutte autonome et auto-organisée
», c’est qu’elle fut en fait une grève
sans revendications, sans programme, sans perspectives. Etre une
classe ne se définissait plus que par et dans son adversaire,
dans l’action contre lui.
Le déclin et la perte de sens de l’autonomie ne sont
pas un simple produit d’un recul des luttes de classe. La
« lutte » n’est pas un invariant historique exprimant
constamment le même rapport de classe. Le déclin de
l’autonomie, ce n’est pas le déclin de la «
lutte », c’est le déclin d’un stade historique
des luttes de classe.
Lorsqu’en France, à partir des coordinations cheminotes
de 1986, l’auto-organisation devient la forme dominante de
toutes les luttes, elle n’est plus rupture d’avec toutes
les médiations par lesquelles la classe serait une classe
du mode de production (rupture libérant sa nature révolutionnaire),
elle perd son « sens révolutionnaire » : la transcroissance
entre l’auto-organisation de la lutte et le contrôle
ouvrier de la production et de la société. L’auto-organisation
n’est plus qu’une forme radicale du syndicalisme. Toute
lutte revendicative de quelque ampleur ou de quelque intensité
est maintenant auto-organisée et autonome, auto-organisation
et autonomie sont devenues un simple moment du syndicalisme (le
syndicalisme se distinguant de l’existence formelle des syndicats).
Si les organismes de lutte que s’étaient donnés
les dockers espagnols dans les années 1980 tentent d’assurer
leur survie et changent de forme c’est qu’ils n’étaient
que des organismes de défense de la condition prolétarienne.
C’est là que se situe la continuité expliquant
le passage de l’un dans l’autre. Les théoriciens
de l’autonomie voudraient qu’en tant que tels les «
organes autonomes » inventent le communisme tout en demeurant
ce qu’ils sont : des organes de la lutte revendicative. En
tant que tels leur pente naturelle c’est la permanence et
donc leur « transformation » en organes plus ou moins
syndicaux.
Dans tous les discours actuels sur l’autonomie, il est remarquable
de constater que c’est la révolution qui a disparu.
Ce qui, jusqu’au début des années 1970, était
la raison d’être elle-même du discours sur l’autonomie,
sa perspective révolutionnaire, est devenu quasiment indicible.
Défendre et valoriser l’autonomie devient autosuffisant
et l’on se garde bien d’y articuler une perspective
révolutionnaire. Maintenant, on se contente de répéter
que l’autonomie existante n’est pas la bonne.
Actuellement, de façon immédiate, partout où
triomphent l’auto-organisation et l’autonomie, se manifestent
l’insatisfaction contre elles. Déjà, en France,
en 1986, les coordinations cheminotes avaient suscité des
mouvements de grande défiance, tout comme en 2003, la volonté
de constitution de coordinations plus larges au delà des
collectifs locaux. A l’intérieur même de l’auto-organisation
triomphante actuelle, c’est ce qui va contre elle qui annonce
l’abolition des classes. Cette nature de libération
de la classe à partir de son affirmation autonome (ayant
« rompu » ses attaches sociales capitalistes) qui était
la définition de la révolution dans le cycle précédent
est maintenant ce par quoi l’auto-organisation et l’autonomie
existent et sont vécues consciemment comme la limite de toutes
les luttes actuelles. En tant que perspective révolutionnaire
de libération de l’ouvrier en tant qu’ouvrier,
l’autonomie est historiquement caduque, elle n’est plus
que la défense radicale de la condition prolétarienne.
De l’auto-organisation dans les luttes actuelles
A partir du milieu des années 1980, l’auto-organisation
devient la forme dominante de toutes les luttes, elle n’est
même plus rupture d’avec toutes les médiations
par lesquelles la classe serait une classe du mode de production
(rupture libérant sa nature révolutionnaire), elle
n’est plus qu’une forme radicale accompagnant le syndicalisme.
S’il y a actuellement des luttes qui rompent avec toutes ces
médiations, il faut se demander si on peut pour autant les
qualifier d’auto-organisées. Ont-elles quelque chose
à auto-organiser ? Non, et ce serait rester à l’apparence
des choses que de croire que ce quelque chose serait la lutte elle-même.
Elles ne peuvent maintenant rompre avec ces médiations qu’en
ayant en leur sein la remise en cause de l’appartenance de
classe elle-même, c’est-à-dire en remettant en
cause ce par quoi il y a des médiations. Dans l’activité
du prolétariat, être une classe devient une contrainte
extérieure objectivée dans le capital. Etre une classe
devient l’obstacle que sa lutte en tant que classe doit franchir,
cet obstacle possède une réalité claire et
facilement repérable, c’est l’auto-organisation
et l’autonomie.
Actuellement, dans de nombreux conflits, comme celui des dockers
de la côte ouest des Etats-Unis, le patronat cherche à
briser les syndicats pour la même raison qu’il brise,
quand elle se manifeste, l’autonomie ouvrière, car
les deux appartiennent à la même époque, à
la même logique de la reproduction capitaliste. De nos jours,
dans les postes britanniques ou dans les ports de la côte
ouest des Etats-Unis, la bataille autonome des ouvriers rejoint
dans son contenu la défense des grandes institutions syndicales,
non pour des raisons d’utilisation momentanée des syndicats
par les travailleurs, mais pour ce qu’elles sont : de grandes
institutions gérant l’autonomie de la force de travail.
La grève sauvage même lorsqu’elle s’accompagne
de la formation d’organes autonomes n’est plus qu’un
substitut ou un accompagnement de l’action syndicale. Il est
devenu impossible d’en attendre autre chose ou d’en
espérer une dynamique interne qui serait son dépassement
à partir d’elle-même et non contre elle.
En Italie, en décembre 2003, le mouvement de grèves
des autoferrotramvieri n’a donné naissance à
aucune organisation formelle inter-dépôts. Le responsable
de la coordination des chauffeurs de Brescia, adhérente à
la coordination nationale, se contente de dire que la grève
illégale était « la seule arme dont disposait
les travailleurs » et que « si les syndicats ont pris
en compte notre revendication des 106 euros, c’est qu’ils
écoutent la base », il ajoute que « la grève
n’est pas dirigée contre les syndicats ».
Enfin, les traminots de Milan résument la grève sauvage
en un slogan : « le syndicat c’est nous ». Et,
si les « syndicats de base », ont pleinement joué
leur rôle d’exutoire de la colère des salariés,
c’est que les salariés ont pleinement accepté
qu’ils jouent ce rôle.
Considérer que les luttes dures comme celle des autoferrotramvieri
ou des métallos de FIAT-Melfi sont des luttes proprement
autonomes, c’est simultanément totalement faux et totalement
vrai. Totalement faux, si on conserve en tête l’autonomie
comme premier acte de la révolution vers l’affirmation
du prolétariat et la libération du travail ; totalement
vrai, si on considère l’autonomie dans sa réalité
actuelle comme moment du syndicalisme. A Melfi, la lutte des ouvriers
de la FIAT en mai 2004 a démarré avec des grèves
appelées par les syndicats sur le paiement des jours de chômage
technique ; rapidement les travailleurs dépassent ce cadre
et ajoutent à ces revendications l’organisation des
heures de travail et les salaires (ajouts acceptés par les
syndicats). La grève est contrôlée de bout en
bout par la FIOM (syndicat de la CGIL) y compris le blocage de l’usine
; les ouvriers délèguent au syndicat la recherche
de l’extension de la lutte dans les autres sites de FIAT et
la conduite des négociations. Lorsqu’un accord (pas
très mauvais) est conclu, la tentative de contestation de
cet accord par le Cobas échoue. Les ouvriers n’ont
constitué aucune organisation autonome, ce qui n’empêche,
pour cette lutte comme pour celle des autoferrotramvieri, les idéologues
de l’auto-organisation de conclure : « avec la lutte
des ouvriers de Melfi, l’autonomie ouvrière a franchi
une nouvelle étape en Italie ». L’autonomie ne
se déploie et ne franchit d’étape que dans la
tête de militants qui sont restés rivés à
leur rêve de Mirafiori : une usine « tombée aux
mains des ouvriers ». Qu’en auraient-ils fait ? Roberto
Maroni, ministre italien des Affaires sociales du gouvernement de
Berlusconi, dans un entretien paru dans le Corriere della Sera déclare
: " Quand les syndicats s’engagent face au gouvernement
à faire arrêter les blocus (il se réfère
à Melfi, mais aussi aux grèves chez Alitalia et dans
les transports en commun) et qu’ils n’y arrivent pas,
un problème de représentativité se pose. Le
système actuel risque de ne pas être à même
de gérer les conflits. (...) Le moment est venu d’impliquer
aussi les organisations autonomes dans les accords, car elles sont
plus présentes et plus actives parmi les travailleurs."
Le discours de Maroni est évidemment intéressant pour
ce qu’il propose, non seulement il est intéressant,
mais il est vrai. Maroni reconnaît ce qui devrait réjouir
le coeur de tout militant de l’autonomie : les formes de luttes
autonomes que se donnent les travailleurs sont représentatives.
C’est de la « récupération », de
la « manipulation » diront les idéologues, mais
non. Maroni est beaucoup plus lucide : le syndicalisme des luttes
revendicatives passe par des organisations autonomes, « reconnaissons
ces organisations comme des interlocuteurs » dit le ministre.
La capacité de luttes dont les travailleurs italiens semblent
aujourd’hui faire preuve ouvrent de vastes perspectives pour
l’avenir quand, contraints par la situation et le cours des
luttes, les travailleurs italiens et d’ailleurs affronteront
leur propre situation de travailleurs que l’autonomie formalise
aujourd’hui comme la forme avancée du syndicalisme.
Déjà l’autonomie, telle qu’elle s’est
réellement manifestée à Melfi s’est révélée
incapable, par sa nature même, d’exprimer la révolte
contre le travail si présente dans la lutte de ces ouvriers.
L’auto-organisation formalise dans la lutte revendicative
l’irréconciliabilité des intérêts
entre la classe ouvrière et la classe capitaliste, elle est
par là le moment nécessaire de l’apparition
de l’appartenance de classe comme contrainte extérieure
et la forme dans laquelle s’amorcera, contre elle, la communisation
des rapports entre individus.
L’auto-organisation est le premier acte de la révolution,
la suite s’effectue contre elle
Si l’autonomie comme perspective révolutionnaire disparaît
c’est que la révolution ne peut plus avoir pour contenu
que la communisation de la société c’est-à-dire
pour le prolétariat sa propre abolition. Avec un tel contenu,
il devient impropre de parler d’autonomie et il est peu probable
qu’un tel « programme » passe par ce que l’on
entend habituellement par « organisation autonome ».
C’est maintenant, à l’intérieur de l’auto-organisation
et de l’autonomie, contre elles, que se crée la dynamique
de ce cycle de luttes, comme un écart à l’intérieur
de la lutte de classe en général et de l’auto-organisation
en particulier, c’est-à-dire comme un écart
à l’intérieur même de l’action en
tant que classe. L’activité de classe du prolétariat
est maintenant de plus en plus déchirée de façon
interne : elle n’a en demeurant action de classe que le capital
pour horizon, toute libération et affirmation ayant disparu,
simultanément dans son action contre le capital c’est
sa propre existence comme classe qu’elle rencontre et qu’elle
doit traiter comme quelque chose à supprimer. Toutes les
lutes sont amenées à vivre cet écart, cette
déchirure intérieure.
Des luttes revendicatives à la révolution
: une rupture
Si l’auto-organisation, comme dynamique révolutionnaire,
est devenue obsolète c’est que la relation entre luttes
revendicatives et révolution est devenue problématique.
L’auto-organisation a été la forme la plus radicale
d’une relation entre les deux comprise comme une transcroissance,
un processus graduel et continu. L’auto-organisation n’est
plus qu’un substitut ou un accompagnement de l’action
syndicale. Il est devenu impossible d’en attendre autre chose
ou d’en espérer une dynamique interne qui serait son
dépassement à partir d’elle-même et non
contre elle.
L’ « autonomie des luttes » comme faculté
de passage de la lutte revendicative à la lutte révolutionnaire
est une construction qui ne s’intéresse pas au contenu
de ce passage, elle demeure une approche formelle de la lutte des
classes. Si le contenu du passage est laissé de côté,
c’est que l’autonomie interdit de comprendre ce passage
comme rupture, saut qualitatif. Le « passage » ne serait
qu’une affirmation et une révélation de la véritable
nature de ce qui existe : le prolétariat tel qu’il
est dans le capital triomphe dans la révolution, il devient
le pôle absolu de la société. Le « saut
» n’est alors qu’une formalité. Bien sûr
quand le prolétariat s’auto-organise, il rompt avec
sa situation antérieure, mais si cette rupture n’est
que sa « libération », la réorganisation
de ce qu’il est, de son activité, sans le capital,
et non la destruction de sa situation antérieure, c’est-à-dire
s’il demeure auto-organisé, s’il ne dépasse
pas ce stade, il ne peut être que battu.
Personne ne niera que la lutte révolutionnaire s’enclenche
dans la lutte revendicative et même est produite par elle.
La question est celle de la nature du passage. Le seul contenu «
profondément anticapitaliste » s’opposant à
la logique capitaliste que puisse avoir une lutte consiste à
s’attaquer aux rapports de production capitalistes, c’est-à-dire
pour le prolétariat à sa propre existence, à
la reproduction de l’exploitation et des classes. Une lutte
revendicative qui s’attaque à cela n’est plus
une lutte revendicative ou alors par lutte révolutionnaire
on entend la prise de pouvoir du prolétariat sur la société,
le prolétariat devenant classe dominante.
Au cours de la lutte, le sujet qui était celui de l’autonomie
se transforme et abandonne ses vieux habits pour ne plus se reconnaître
comme existant que dans l’existence du capital, c’est
le contraire exact de l’autonomie et de l’auto-organisation
qui, par nature, n’ont pour sens qu’une libération
du prolétariat, son affirmation et pourquoi pas (pour les
nostalgiques) sa dictature. On peut parler de « dynamique
» des luttes mais c’est alors faire l’impasse
sur l’autotransformation du sujet, c’est ne pas voir
que dans cette « dynamique » ce qui est aboli c’est
le sujet qui s’auto-organisait et que cette « dynamique
» n’existe que pour autant qu’il s’abolit
comme le sujet qui s’auto-organisait. Tant que le prolétariat
s’auto-organise, il ne peut le faire qu’à partir
de ce qu’il est dans les catégories du capital. Il
ne s’agit pas de faire une condamnation normative de l’auto-organisation,
mais de dire ce qu’elle est et de dire que la révolution
n’est pas une dynamique qu’elle contient et qui ne demande
qu’à éclore.
Ce changement est une rupture. Ce n’est pas une question
de définition de l’auto-organisation ou de l’autonomie,
c’est d’un processus social dont il s’agit, un
processus de rupture dans la lutte de classe, l’autotransformation
d’un sujet qui abolit ce qui le définit. Dire qu’il
s’agit d’un flux, d’une dynamique, masque la rupture
comme transformation du sujet de la lutte qui s’abolit comme
prolétaire, qui n’est donc plus le sujet qui s’auto-organisait
à partir de sa situation de prolétaire.
Une lutte révolutionnaire part des conflits d’intérêts
immédiats entre prolétaires et capitalistes et du
caractère inconciliable de ces intérêts, elle
est, si l’on veut, ancrer dans ces conflits mais si, à
un moment de la lutte revendicative, les prolétaires, contraints
et forcés par leur conflit avec la classe capitaliste, ne
lèvent pas l’ancre, leur lutte demeurera une lutte
revendicative et ira, en tant que telle, à la victoire ou
malheureusement le plus souvent à la défaite. En revanche,
s’ils s’attaquent aux rapports marchands, s’emparent
des biens et des moyens de production en intégrant à
la production communautaire ceux que le salariat ne peut absorber,
développent la gratuité, brisent le cadre de l’usine
comme origine des produits, dépassent la division du travail,
abolissent toute sphère autonome, en premier lieu l’économie,
dissolvent leur autonomie pour intégrer dans les rapports
non marchands qui se mettent en place tous les sans réserves
et même une grande partie des classes moyennes que leur mouvement
réduit à la misère, dans ce cas c’est
leurs propres anciennes existence et association comme classe qu’ils
dépassent et, c’est alors un détail, leurs revendications
économiques. On ne lutte contre l’échange et
la « dictature de la valeur » que si l’on entreprend
la communisation.
Le prolétariat abolit la valeur, l’échange
et tous les rapports marchands dans la guerre qui l’oppose
au capital, c’est là son arme déterminante,
il intègre par des mesures de communisation la plus grande
partie des sans réserves, des exclus, des classes moyennes
et des masses paysannes du tiers-monde (l’exemple des luttes
en Argentine serait à méditer, non pour défendre
l’interclassisme mais au contraire l’abolition des classes).
Supposer que toute lutte sur le salaire contiendrait une révolte
contre le salariat, c’est supposer ces deux éléments
comme existant l’un dans l’autre, et non le second terme
comme le dépassement contradictoire du premier. Une telle
vision ne peut aboutir pratiquement aujourd’hui qu’au
démocratisme radical. Le citoyennisme, l’altermondialisme
ou mieux dit le démocratisme radical sont bel et bien le
projet d’achèvement des luttes revendicatives et en
tant que telles elles ne peuvent maintenant en avoir d’autres.
L’évolution du temps de travail devrait être
porteur d’émancipation dans le temps libre ; l’allocation
universelle devrait devenir passage progressif à l’activité
bénéfique à l’individu et à la
société, c’est-à-dire l’abolition
de l’exploitation à l’intérieur du salariat
; la revendication salariale deviendrait partage des richesses ;
la critique de la mondialisation et de la finance deviendrait première
par rapport à ce dont elle est la mondialisation (le capital),
le libéralisme et la mondialisation feraient l’exploitation.
Ceux qui parlent sans cesse de dynamique des luttes passent totalement
à côté de ce moment essentiel : le prolétariat
comme sujet de la révolution s’abolit comme sujet de
l’autonomie. Si le prolétariat s’abolit, il ne
s’auto-organise pas. Appeler l’ensemble du mouvement
auto-organisation, c’est être aveugle à son contenu.
On peut toujours soutenir que l’auto-organisation est le
flux même de ce changement dans la lutte des classes. On aura
d’abord fait disparaître la rupture et ensuite on aura
dissocié ce qui dans l’activité révolutionnaire
est homogène : la coïncidence du changement des circonstances
et de l’activité. Alors, le prolétariat s’organise
mais ne s’auto-organise pas car le moteur de cette auto-transformation
c’est avant tout la production de ce qu’il est comme
une contrainte extérieure : sa raison d’être
à l’extérieur de lui-même. Quand, dans
le cours de la lutte il est contraint de remettre en cause ce qu’il
est lui-même, il n’y a pas d’auto-organisation
parce que le cours de la lutte ne confirme aucun sujet préexistant
tel qu’il serait en lui-même en dehors de la lutte.
La lutte peut alors être indépendante de tout parti,
syndicat, institution, elle n’en est pas pour autant auto-organisée
car elle ne trouve pas son principe en elle-même comme mise
en forme de ce qu’est le prolétariat en lui-même.
On ne peut alors parler d’auto-organisation de la lutte, si
on parle d’auto-organisation de la lutte c’est que l’on
parle de l’auto-organisation du sujet.
Continuer à parler d’auto-organisation comme un flux,
un processus, de rupture c’est entretenir la confusion et
diluer le contenu même de la rupture.
On peut parler "d’auto-organisation de la lutte",
cela n’empêche que dans ces luttes les prolétaires
ne trouvent que toutes les divisions du salariat et de l’échange
et aucune forme organisationnelle ne peut surmonter cette division,
seul le peut le changement de contenu de cette lutte, mais alors
c’est la rupture consistant à reconnaître dans
le capital sa propre nécessité en tant que classe
(à l’extérieur de soi), le contraire même
de tous les "auto...".
L’unité du prolétariat
Aucun mouvement révolutionnaire ne pourra être qualifié
d’autonome ou d’auto-organisé, si le prolétariat
s’abolit, il ne s’auto-organise pas.
L’activité est toujours organisée, pas toujours
auto-organisée (reproduction / libération d’un
sujet préalable). Se reconnaître comme classe ne sera
pas un "retour sur soi" mais une totale extraversion comme
reconnaissance de soi-même en tant que catégorie du
mode de production capitaliste. Ce que l’on est comme classe
n’est immédiatement que notre rapport au capital.
Le prolétariat n’a ni disparu, ni n’est devenu
une pure négativité mais l’exploitation ne met
plus en mouvement une figure sociale homogène, centrale et
dominante, de la classe ouvrière, capable d’avoir conscience
d’elle-même comme sujet social, au sens où l’on
entend habituellement cela, c’est-à-dire capable d’avoir
une conscience d’elle-même comme rapport à elle-même,
face au capital.
Intégrée dans une autre totalité, ayant perdu
sa centralité en tant que principe organisateur de l’ensemble
du procès de travail, la grande usine des grands rassemblements
ouvriers n’a pas disparu, mais elle n’est plus le principe
organisateur du procès de travail et du procès de
valorisation, beaucoup plus diffus. Elle est devenue élément
d’un principe organisateur qui lui échappe. Dans la
contradiction entre le prolétariat et le capital, il n’existe
plus quelque chose de sociologiquement donné a priori comme
pouvait l’être « l’ouvrier-masse »
de la grande usine. Le caractère diffus, segmenté,
éclaté, corporatif des conflits, c’est le lot
nécessaire d’une contradiction entre les classes qui
se situe au niveau de la reproduction du capital. Mais c’est
parce qu’il ne s’agit pas d’une somme d’éléments
juxtaposés, mais d’une diffusion produite à
partir d’une modalité historique de la contradiction
entre prolétariat et capital, qu’un conflit particulier,
de par ses caractéristiques, par les conditions dans lesquelles
il se déroule, par la période dans laquelle il apparaît,
peut se trouver en situation de polariser l’ensemble de cette
conflictualité qui jusque là apparaissait comme irréductiblement
diverse et diffuse.
Pour s’unir, les ouvriers doivent briser le rapport par lequel
le capital les « rassemble ». On ne peut pas vouloir
simultanément l’unité du prolétariat
et la révolution communiste, c’est-à-dire cette
unité comme un préalable à la révolution,
une condition. Il n’y aura plus d’unité que dans
la communisation, c’est elle seulement qui en s’attaquant
à l’échange et au salariat unifiera le prolétariat,
c’est-à-dire qu’il n’y aura plus d’unité
du prolétariat que dans le mouvement même de son abolition.
Les hagiographes des luttes revendicatives parlent d’ «
unité » en l’air, sans pouvoir préciser
en rien la forme concrète qu’elle revêt, si ce
n’est l’unité formelle du politique ou des formes
d’organisation venant coiffer ce qui est divisé et
qui le reste tant que la classe demeure dans la lutte revendicative.
Cette unité est toujours ce qu’il faudrait ajouter
aux luttes.
Les ouvriers se forgent comme classe révolutionnaire, en
révolutionnant les rapports sociaux, c’est-à-dire
tout ce qu’ils sont dans les catégories de l’échange
et du salariat. Dans les luttes salariales, ils ne voient apparaître
ni « forces », ni « projet », mais l’impossibilité
de s’unifier sans attaquer leur propre existence comme classe
dans la division du travail et toutes les divisions du salariat
et de l’échange, sans se remettre en cause comme classe,
sans engager une pratique révolutionnaire. La seule unification
du prolétariat est celle qu’il réalise en s’abolissant.
Des mesures communisatrices parties d’un point « quelconque
» (certainement de façon quasi simultanées d’une
multitude de points) de la planète capitaliste auront cet
effet d’unification rapide ou alors seront écrasées.
Dépasser l’auto-organisation
Marx, comme tous les révolutionnaires, voyait un saut, une
négation, mais la différence avec aujourd’hui,
c’est que l’association permanente permettait d’envisager
la possibilité d’une continuité organisée
d’une phase à l’autre.
Actuellement, les militants de l’autonomie cherchent dans
la défense du prix de la force de travail ou dans des formes
de luttes « quelque chose », des « germes »,
des « potentialités » de révolution. Dans
cette attente de la dynamique des luttes revendicatives, c’est
la lutte qui engendrerait par elle-même une autre lutte. Mais
les « luttes » ne sont que des moments de l’activité
des prolétaires que ceux-ci dépassent et nient, ce
ne sont pas des phénomènes qui s’enchaînent
graduellement, une lutte portant les germes d’une autre lutte.
Bref, le lien entre les « luttes », c’est le sujet
se transformant qui l’effectue de façon négative.
Ce lien n’est pas évolutif.
L’auto-organisation suppose que la définition de la
clase ouvrière lui est inhérente, passer du sujet
à l’activité ne change rien à cela. Il
ne s’agit pas de se battre sur le sens des mots, ce que l’on
met en général dans une auto-organisation qui serait
plus ou moins révolutionnaire ou en prise avec la révolution
est totalement différent de toute auto-organisation réellement
existante, il y a rupture c’est cette rupture qui doit nous
intéresser. Si on estompe cette rupture c’est que l’on
conserve, sous différentes formes, l’ancien schéma
de l’autonomie. Mais on ne sort pas d’une incohérence
: d’une part affirmer, ce qui est maintenant incontournable,
que la révolution est abolition des classes ; d’autre
part, fonctionner sur un schéma qui valorise l’auto-organisation
comme processus révolutionnaire.
L’auto-organisation pourrait être ce processus dans
la mesure où elle est le "refus des médiations",
mais outre que l’on a ici ce qui a toujours été
l’antienne de l’Ultra-gauche, ce qui annonce la rupture
ce n’est pas le refus des médiations mais la remise
en cause de ce qui fait qu’il y a médiation : être
une classe. Ce ne sont pas des individus indéfinis qui "apprennent"
en dehors de toute médiation à se "gouverner
eux-mêmes". C’est contre ce qu’ils auront
"appris" à gouverner eux-mêmes, leur propre
position de classe de cette société, que les prolétaires
auront à faire la révolution.
Le processus de la révolution est celui de l’abolition
de ce qui est auto-organisable. L’auto-organisation est le
premier acte de la révolution, la suite s’effectue
contre elle. Quand le rapport contradictoire entre le prolétariat
et le capital se situe au niveau de la reproduction, la contradiction
du prolétariat au capital contient la remise en cause du
mouvement dans lequel il est lui-même reproduit comme classe.
C’est là maintenant le contenu et l’enjeu de
la lutte des classes. Des luttes revendicatives à la révolution,
il ne peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture
n’est pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple
constatation par le prolétariat qu’il n’y aurait
plus rien d’autre à faire que la révolution
devant l’échec de tout le reste. Cette rupture est
produite positivement par le déroulement du cycle de luttes
qui la précède et on peut dire qu’elle en fait
encore partie. Cette rupture s’annonce dans le cours quotidien
de la lutte de classe.
L’annonce
Des luttes revendicatives à la révolution, il ne
peut y avoir que rupture, saut qualitatif, mais cette rupture n’est
pas un miracle, elle n’est pas non plus la simple constatation
par le prolétariat qu’il n’y aurait plus rien
d’autre à faire que la révolution devant l’échec
de tout le reste. « Une seule solution, la révolution
» est l’ineptie symétrique à celle de
la dynamique révolutionnaire de la lutte revendicative. Cette
rupture est produite positivement par le déroulement du cycle
de luttes qui la précède et on peut dire qu’elle
en fait encore partie. Cette rupture s’annonce dans la multiplication
des écarts à l’intérieur de la lutte
de classe entre d’une part la remise en cause par le prolétariat
de sa propre existence comme classe dans sa contradiction au capital
et, d’autre part, la reproduction du capital qu’implique
le fait même d’être une classe. Cet écart
est la dynamique de ce cycle de luttes, celle-ci existe de façon
empiriquement constatable.
Deux points résument l’essentiel du cycle de luttes
actuel : * la disparition d’une identité ouvrière
confirmée dans la reproduction du capital, c’est la
fin du mouvement ouvrier et la faillite corollaire de l’auto-organisation
et de l’autonomie comme perspective révolutionnaire
; * avec la restructuration du mode de production capitaliste, la
contradiction entre les classes se noue au niveau de leur reproduction
respective. Dans sa contradiction avec le capital, le prolétariat
se remet lui-même en cause.
L’existence possible d’un courant communisateur réside
dans l’écart à l’intérieur du fait
d’agir en tant que classe que l’auto-organisation (quelle
qu’elle soit) formalise et entérine : un écart
par rapport au contenu même de l’auto-organisation.
Agir en tant que classe c’est actuellement d’une part
n’avoir pour horizon que le capital et les catégories
de sa reproduction, d’autre part, c’est, pour la même
raison, être en contradiction avec sa propre reproduction
de classe, la remettre en cause.
Les luttes revendicatives ont des caractéristiques qui étaient
impensables il y a une trentaine d’années.
Durant les grèves de décembre 95 en France, dans
la lutte des sans-papiers, des chômeurs, des dockers de Liverpool,
de Cellatex, d’Alstom, de Lu, de Marks et Spencer, dans le
soulèvement social argentin, dans l’insurrection algérienne,
etc., telle ou telle caractéristique de la lutte apparaît,
dans le cours de la lutte elle-même, comme limite en ce que
cette caractéristique spécifique (service public,
demande de travail, défense de l’outil de travail,
refus de la délocalisation, de la seule gestion financière,
récupération des usines, auto-organisation etc.),
contre laquelle le mouvement se heurte souvent dans les tensions
et les affrontements internes de son recul, se ramène toujours
au fait d’être une classe et de le demeurer, ce que
contrairement à la période précédente,
il est devenu impossible de positiver comme annonce de l’affirmation
de la classe.
Il ne s’agit pas, le plus souvent, de déclarations
fracassantes ou d’actions « radicales », mais
de toutes les pratiques de « fuite » ou de dénégation
des prolétaires vis-à-vis de leur propre condition.
Dans les luttes suicidaires à la Cellatex, dans la grève
de Vilvoorde et bien d’autres éclate que le prolétariat
n’est rien séparé du capital et qu’il
ne peut demeurer comme ce rien (qu’il réclame sa réunion
avec le capital ne supprime pas l’abîme qu’ouvre
la lutte, la reconnaissance et le refus par le prolétariat
de lui-même comme cet abîme). C’est l’inessentialisation
du travail qui devient l’activité même du prolétariat,
tant de façon tragique dans ses luttes sans perspectives
immédiates (suicidaires) et dans des activités autodestructrices,
que comme revendication de cette inessentialisation comme dans la
lutte des chômeurs et précaires de l’hiver 1998.
Quand apparaît, comme lors de la grève des transports
italiens ou des ouvriers de la FIAT à Melfi, que l’autonomie
et l’auto-organisation ne sont plus que la perspective de
rien, c’est là que se constitue la dynamique de ce
cycle et que se prépare le dépassement de la lutte
revendicative à partir de la lutte revendicative. Le prolétariat
est face à sa propre définition comme classe qui s’autonomise
par rapport à lui, qui lui devient étrangère.
Les pratiques auto-organisationnelles et leur devenir en
sont le signe patent.
Mettre le chômage et la précarité au coeur
du rapport salarial ; définir le clandestin comme la situation
générale de la force de travail ; poser - comme dans
la Mouvement d’action directe - l’immédiateté
sociale de l’individu comme le fondement, déjà
existant, de l’opposition au capital ; mener des luttes suicidaires
comme celle de Cellatex et d’autres du printemps et de l’été
2000 (Metaleurop - avec des réserves - , Adelshoffen, la
Société Française Industrielle de Contrôle
et d’Equipements, Bertrand Faure, Mossley, Bata, Moulinex,
Daewoo-Orion, ACT - ex Bull ) ; renvoyer l’unité de
la classe à une objectivité constituée dans
le capital, sont pour chacune de ces luttes particulières
des contenus qui construisent la dynamique de ce cycle à
l’intérieur et dans le cours de ces luttes. Dans la
plupart des luttes actuelles apparaît la dynamique révolutionnaire
de ce cycle de luttes qui consiste à produire sa propre existence
comme classe dans le capital donc se remettre en cause comme classe
(plus de rapport à soi), cette dynamique a sa limite intrinsèque
dans ce qui la définit elle-même comme dynamique :
agir en tant que classe. Nous sommes théoriquement les guetteurs
et les promoteurs de cet écart qui à l’intérieur
de la lutte du prolétariat est sa propre remise en cause
et, pratiquement, les acteurs lorsque nous y sommes directement
engagés. Nous existons dans cette rupture.
Les collectifs
La multiplication des collectifs et la récurrence des grèves
intermittentes (les grèves du printemps 2003 en France, la
grève des postiers anglais) rendent palpable, en cherchant
à s’en démarquer, que l’unité de
la clase est une objectivation dans le capital. Il ne s’agit
pas de juger ces phénomènes à l’aune
d’une vision normative qui n’y voit qu’un inachèvement,
un inaccomplissement de leur propre projet d’unification de
la classe préalable à son affirmation. Dans ces luttes,
c’est l’extériorisation de l’appartenance
de classe qui est annoncée comme caractéristique actuelle,
présente, de la lutte en tant que classe. Dans tout ces mouvements,
comprendre la segmentation comme une faiblesse à dépasser
dans l’unité, c’est poser une question formelle
et lui apporter une réponse tout aussi formelle. La diffusion
de ces mouvements, leur diversité, leur discontinuité
constituent leur intérêt et leur dynamique même.
« Aller plus loin », ce n’est pas supprimer la
segmentation dans l’unité, c’est-à-dire
une réponse formelle qui est peut-être déjà
caduque, il ne s’agit pas de perdre la segmentation, les différences.
« Aller plus loin », c’est, dans d’autres
circonstances, la contradiction entre ces luttes de classes dans
leur diversité et l’unité de la classe objectivée
dans le capital. Il ne s’agit pas de dire que plus la classe
est divisée, mieux c’est, mais que la généralisation
d’un mouvement de grèves n’est pas synonyme de
son unité, c’est-à-dire du dépassement
de différences considérées comme purement accidentelles
et formelles. Il s’agit de commencer à comprendre ce
qui se joue dans ces mouvements diffus, segmentés et discontinus
: la création d’une distance avec cette unité
« substantielle » objectivée dans le capital.
Cette extrême diversité conservée et même
approfondie dans un mouvement plus général en contradiction
avec le capital et cette unité objective qu’il représente
est peut-être une condition de l’articulation entre
les luttes immédiates et la communisation. De tels faits
sont maintenant une détermination incontournable de la lutte
des classes. L’unité de la classe ne peut plus se constituer
sur la base du salariat et de la lutte revendicative, comme un préalable
à son activité révolutionnaire.
L’unité du prolétariat ne peut plus être
que l’activité dans laquelle il s’abolit en abolissant
tout ce qui le divise. C’est une fraction du prolétariat
qui dépassant le caractère revendicatif de sa lutte
prendra des mesures communisatrices et qui entamera alors l’unification
du prolétariat qui ne sera pas différente de celle
de l’humanité, c’est-à-dire de sa création
comme l’ensemble des relations que les individus établissent
entre eux dans leur singularité.
La vague de fond que constitue, dans chaque lutte de quelque importance
et durée, la création de « collectifs »
qui ne relèvent plus de l’auto-organisation ou de l’autonomie
signifie la disparition de l’identité ouvrière.
Ces organes ne sont pas comme l’autonomie une meilleure organisation-existence
de la classe que ne le sont ses formes représentatives institutionnelles
auxquelles elles laissent ce qui leur appartient (laisser aux syndicats
ce qui appartient aux syndicats), mais la création d’une
distance avec ces formes qui a pour contenu une distance de la classe
à elle-même. Une distance établie contre une
unité de la classe existant comme quelque chose d’objectif
dans la reproduction du capital. Les nostalgiques du Grand Parti
et de l’unité des gros bataillons de la classe ouvrière
se bercent d’illusions en considérant que cette segmentation
est subie, elle est le plus souvent voulue, construite et revendiquée.
La nature de la segmentation et des collectifs, c’est dans
la lutte de classe une activité d’extranéisation
par le prolétariat de sa propre définition comme classe.
Comment pourra se construire, dans un mouvement général
de lutte de classe, une « unité » qui n’en
soit pas une, mais une inter-activités ? Je n’en sais
rien ..., mais la lutte de classe nous a souvent prouvé son
infinie inventivité. Nous devons admettre comme extrêmement
positif que les caractéristiques du nouveau cycle de luttes
ne nous soient données qu’au fur et à mesure
de la lutte quotidienne ordinaire.
Des activités qui produisent l’objectivation
de l’existence et de l’unité de la classe
Cette unité de la classe, même comme grève
générale, dans la vision « classique »
que l’on a de la chose, est entrée dans l’ère
du soupçon. Quand les grévistes du printemps 2003,
en France, ont appelé à la grève générale,
ils n’ont pas réclamé aux syndicats ce qu’eux-mêmes
ne faisaient pas mais auraient souhaité faire, ils ont réclamé
aux syndicats autre chose que ce qu’ils faisaient. Voilà
un mouvement « basique », « spontané »,
« auto-organisé » qui ne voit d’issue que
dans la grève générale réclamée
à des syndicats dont il se distancie quotidiennement. On
n’a pas là forcément une contradiction (ce fut
de toute façon ainsi que les choses se sont passées)
mais il est difficile de présenter l’appel aux syndicats
à proclamer la grève générale comme
la simple continuation du mouvement de grèves. Bizarrement,
ce mouvement n’appelle pas à la grève générale
quand il gonfle, mais quand il est sur son déclin, ce qui
éclaire la nature de la grève générale
d’une étrange lumière. C’est leur propre
action qui en était arrivée à dominer les grévistes.
Quinze jours auparavant, la diversité et l’interaction
de leurs activités étaient le fil continu par lequel
la classe existait à elle-même comme distinction par
rapport à son unité et son existence objectivées
dans la reproduction du capital. L’unité de la classe
existe toujours bel et bien, elle est une unité objective
dans la reproduction du capital, faire appel aux syndicats c’était
simplement reconnaître cette unité au niveau même
où elle existe, comme une hypostase.
Les « sauvageons »
Il s’agit du rejet par des fractions importantes de jeunes
ouvriers de tout l’ordre du système productif capitaliste.
Ce rejet ne donne pas plus prise aux séductions ou sanctions
de l’intégration qu’aux constructions idéologiques
du style autogestion. Une telle situation n’a rien de commun
avec ce qui pouvait être décrit dans les années
1970 aux Etats-Unis ou en Europe.
Les « victimes collatérales » des « sauvageons
» ce sont les fables sur la coopération reliant les
travailleurs entre eux (pour eux-mêmes), marche-pied de l’auto-organisation
et de l’autonomie révolutionnaires.
Argentine : une lutte de classe contre l’autonomie.
On ne peut ici que renvoyer au texte sur la lutte des classes en
Argentine publié dans Meeting 2.
Rappelons l’essentiel. la grande période de l’autonomie
des luttes en Argentine, à la fin des années 1960
et au début des années 1970 est achevée du
fait des transformations dans le mode d’exploitation, dans
la composition de la classe ouvrière, dans les modalités
de sa reproduction et globalement du fait de la transformation dans
la nature de la reproduction du capital en Argentine dans son articulation
dans le capitalisme mondial.
L’auto-organisation ce sont les usines autogérées
par les travailleurs eux-mêmes et la gestion par les mouvements
piqueteros eux-mêmes des planes trabajar (même les heures
de travail sont maintenant effectuées au sein des mouvements).
Les quelques cas d’occupations avec reprise de la production
appelant à la reprise de l’entreprise par l’Etat
sont le vrai contenu actuel de l’autonomie (l’autonomie
de la classe ouvrière c’est le travail et la valeur).
Ce qui s’est passé d’essentiel en Argentine,
c’est que toutes les formes d’auto-organisation, d’autonomie,
de récupération, d’assemblées ont immédiatement
rencontré leurs limites sous la forme d’une opposition
et d’une contradiction interne les traitant comme perpétuation
de la société capitaliste. Abolir le capital c’est
par là même se nier comme travailleur et non s’auto-organiser
comme tel, c’est un mouvement d’abolition des entreprises,
des usines, du produit, de l’échange (quelque soit
sa forme).
On s’auto-organise comme chômeurs de Mosconi, ouvrières
de Bruckman, habitants de bidonvilles..., mais ce faisant quand
on s’auto-organise, on se heurte immédiatement à
ce que l’on est qui, dans la lutte, devient ce qui doit être
dépassé. L’auto-organisation comme limite générale
à dépasser apparaît dans les conflits entre
les secteurs auto-organisés. Ce qui apparaît dans ces
conflits c’est que les travailleurs défendant leur
situation présente demeurent dans les catégories du
mode de production capitaliste qui les définissent. L’unification
est impossible sans être précisément l’abolition
de l’auto-organisation, sans que le chômeur, l’ouvrier
de Zanon, le squatteur ne puissent plus être chômeur,
ouvrier de Zanon ou squatteur. Soit il y a unification, mais alors
il y a abolition de cela même qui est auto-organisable, soit
il y a auto-organisation mais alors l’unification est un rêve
qui se perd dans les conflits que la diversité des situations
impliquent.
Dans la défense de ses intérêts immédiats,
le prolétariat est amené à s’abolir parce
que son activité dans l’ « usine récupérée
» ne peut plus s’enfermer dans l’ « usine
récupérée », ni dans la juxtaposition,
la coordination, l’unité des « usines récupérées
», ni de tout ce qui est auto-organisable
Algérie : « Quand on me parle des Aarouchs, j’ai
l’impression que l’on me parle de quelque chose qui
m’est étranger ».
Le mouvement insurrectionnel parti de Kabylie s’est auto-organisé
dans les aarchs dans le même mouvement où il manifestait
son insatisfaction vis-à-vis de l’auto-organisation
qu’il se donnait. Auto-organisation qui prenait dans le mouvement
même de son instauration les caractéristiques du démocratisme
radical.
A partir du moment où l’insurrection algérienne
de Kabylie, malgré ou à cause de sa grande violence,
s’est limitée à l’attaque de toutes les
institutions de l’Etat, mais laissait intactes, parce que
là n’était pas son objectif et qu’elle
n’avait pas les moyens de s’y attaquer, toutes les relations
de production, d’échanges et de distribution ( malgré
quelques modifications marginales relevant de la solidarité
ou de l’entraide qui marquent toutes périodes où
le cadre social habituel est bouleversé), cette insurrection
devait s’auto-organiser. Son auto-organisation n’était
alors que le signe qu’elle ne bouleversait pas les relations
sociales, qu’elle ne visait qu’un but limité
: la libération de la société d’un Etat
« corrompu » et « corrupteur ». C’est
alors de sa limitation même que naissent les formes d’organisation
que l’insurrection se donne, c’est-à-dire des
formes d’auto-organisation. Mais, simultanément les
émeutes ne se trouvant pas de perspective revendicative,
ou d’une généralité telle (la fin de
la hogra) qu’elle ne peut en être une. L’auto-organisation
était considérée comme extérieure et
insatisfaisante au moment où elle était la forme et
le contenu nécessaire de la lutte.
Le Mouvement d’Action Directe (Mad)
Parce qu’il érige la négation des classes en
mode de vie et, par là, en préalable à la lutte
de classe, le Mad aboutit à une série d’impasses
: le capital comme domination et symbole, la question insoluble
de sa propre extension, sa référence aux besoins,
au plaisir, aux désirs, à un moi humain « authentique
». Cette impasse apparaît dans le cours des émeutes,
leur auto-limitation (leur caractère auto-référentiel)
et jusque dans leur « récupération » dans
des buts qui ne sont pas les siens comme à Québec,
à Prague et même à Gênes. Cependant cette
exclusion réciproque qui constitue le Mad entre être
prolétaire et produire d’autres rapports sociaux est
devenue, dans ce cycle, une des façons dont existe, maintenant,
la dynamique de ce cycle de luttes. Même si les rapports immédiats
d’individus dans leur singularité ne finissent par
exister que comme alternative, le Mad annonce le contenu de la révolution
communiste : la remise en cause par le prolétariat, contre
le capital, de son existence comme classe.
Les luttes « suicidaires » : caducité
de l’autonomie.
Nous avons déjà évoqué la lutte de
Cellatex et celles qui suivirent. En décembre 2002-janvier
2003, la grève ACT d’Angers (matériel informatique,
filiale de Bull) est menée de façon juxtaposée
par une intersyndicale et un comité de lutte « largement
ouvert, plutôt émanation de la base » (Echanges
n° 104). Trois lignes de fabrication sont momentanément
remises en route, ce qui n’empêche qu’ensuite
des produits finis sont brûlés. Il est intéressant
de reprendre la chronologie des événements. L’usine
est occupée, à la suite de l’annonce, le 20
décembre, de la liquidation définitive d’ACT
(après de multiples manœuvres et discussions dilatoires).
L’usine est occupée, mais personne ne sait dans quel
but. Le 10 janvier le comité de grève accepte d’assumer
la fabrication de cartes électroniques destinées à
un équipementier italien. Le 22 janvier, 200 cartes sont
livrées, le 23 les occupants brûlent des cartes prélevées
dans les stocks, le 24 les occupants sont expulsés sans ménagement.
Dans la même période, les salariés licenciés
de Moulinex mettant le feu à un bâtiment de l’usine
s’inscrivent également dans la dynamique de ce nouveau
cycle de luttes qui fait, pour le prolétariat de sa propre
existence comme classe, la limite de son action de classe.
Si dans la forme Cellatex a pu faire école (la violence
est une vieille histoire dans la lutte de classe), mais aussi dans
le fond, c’est que la dynamique, à l’oeuvre dans
ce type de luttes, réside en ce que le prolétariat
n’est rien en soi, mais un rien plein de rapports sociaux
qui font que, contre le capital, le prolétariat n’a
d’autres perspectives que sa disparition.
Les émeutes de novembre 2005 en France et la lutte
anti-CPE
En ce qu’elle n’a rien revendiqué, le contenu
de la révolte de novembre fut le refus des causes de la révolte,
les émeutiers ont attaqué leur propre condition, ils
ont pris pour cibles tout ce qui les produit et les définit.
S’il en a été ainsi, cela ne tient pas à
un imaginaire radicalisme intrinsèque aux "lascars de
banlieues". Cela tient à la conjonction de deux causes
actuelles : d’une part, la situation particulière de
cette fraction du prolétariat, d’autre part, le fait
que, de façon générale, la revendication n’est
plus ce qu’elle était. Les émeutiers révélèrent
et attaquèrent la situation de prolétaire maintenant
: cette force de travail mondialement précarisée.
Ce qui rendit immédiatement caduc, dans le moment même
où une telle revendication aurait pu être prononcée,
de vouloir être un "prolétaire ordinaire".
Cette intrication entre revendiquer et se remettre soi-même
en cause comme prolétaires qui est caractéristique
de ce cycle de luttes et qui se résume dans l’appartenance
de classe comme limite générale de ce cycle, a été
porté à son paroxysme dans les émeutes de novembre
du fait de la particularité de leurs acteurs. La revendication
a disparu.
Ce qui dans ce texte est désigné comme écart
déchire chaque lutte prise à part, mais les termes
de cet écart peuvent également être considérés
comme représentés dans des luttes différentes
dans une même phase de la lutte de classe (les émeutes
de novembre et la lutte des traminots marseillais ou des marins
de la SNCM au même moment). Tout est une question d’échelle.
Trois mois après, la lutte anti-CPE s’est trouvée
confrontée à son élargissement revendicatif,
mais l’enjeu de l’élargissement revendicatif
était la remise en cause de la revendication, de sa pertinence
même. La simple présence nécessaire des émeutiers
de novembre, ou la simple existence de ces émeutes trois
mois auparavant, étaient l’existence physique de cette
contradiction. Importante, quoique minoritaire, la "jonction"
a eu lieu, c’était la dynamique du mouvement, en quelque
sorte inscrite dans son code génétique (la "base
objective"), mais alors cette dynamique n’a pas été
un simple élargissement revendicatif, mais une remise en
cause de la revendication... qui seule a fait aboutir la revendication.
La lutte anti-CPE a été un mouvement revendicatif
dont la satisfaction de la revendication est devenue inacceptable
pour lui-même en tant que mouvement revendicatif.
Voir dans ce n° de Meeting les articles consacrés à
ces deux mouvements Communisation
Le cycle de luttes actuel annonce que le point extrême de
la lutte revendicative peut être défini comme celui
où la contradiction entre le prolétariat et le capital
se tend à un point tel que la définition de classe
devient une contrainte extérieure, une extériorité
simplement là parce que le capital est là. L’appartenance
de classe est extériorisée comme contrainte. C’est
là, le moment du saut qualitatif dans la lutte de classe.
C’est là qu’il y a dépassement et non
transcroissance. C’est là que l’on peut passer
d’un changement dans le système à un changement
du système.
Le point ultime de l’implication réciproque entre
les classes c’est quand le prolétariat s’empare
des moyens de production. Il s’en empare, mais ne peut se
les approprier. L’appropriation effectuée par le prolétariat
ne peut en être une car elle ne peut s’accomplir que
par sa propre abolition en tant que classe, dans laquelle il se
dépouille de tout ce qui lui reste encore de sa situation
sociale antérieure. La pratique révolutionnaire est
la coïncidence du changement des circonstances et de la transformation
de soi.
Dans le communisme l’appropriation n’a plus cours parce
que c’est la notion même de « produit »
qui est aboli. Bien sûr, il y a des objets (les notions d’objectivité
et de subjectivité sont même à redéfinir)
qui servent à produire, d’autres qui sont directement
consommés, d’autre qui servent aux deux. Mais parler
de produits et se poser la question de leur circulation, de leur
répartition ou de leur « cession », c’est-à-dire
concevoir un moment de l’appropriation, présuppose
des lieux de rupture, de « coagulation » de l’activité
humaine : le marché dans les sociétés marchandes,
la dépose et la prise au tas dans certaines visions du communisme.
Le produit n’est pas une chose simple. Parler de produit,
c’est supposer qu’un résultat de l’activité
humaine apparaît comme fini face à un autre résultat
ou au milieu d’autres résultats. Ce n’est pas
du produit qu’il faut partir mais de l’activité.
Dans le communisme, c’est l’activité humaine
qui est infinie parce qu’insécable. Elle a des résultats
concrets ou abstraits, mais ces résultats ne sont jamais
des « produits » pour lesquels se poserait la question
de leur appropriation ou de leur cession sous quelque modalité
que cela soit.
Cette activité humaine infinie synthétise ce que
l’on peut dire du communisme. Si nous pouvons parler d’activité
humaine infinie pour le communisme, c’est que déjà
le mode de production capitaliste nous donne à voir, bien
que contradictoirement, et non comme un « bon côté
», l’activité humaine comme flux social global
continu et le « general intellect » ou le « travailleur
collectif » comme force dominante de la production. Le caractère
social de la production ne préfigure rien, il ne fait que
rendre la base de la valeur contradictoire.
La nécessité face à laquelle se trouve la
révolution communiste consiste non à modifier le partage
entre salaire et profit mais à abolir la nature de capital
des moyens de production accumulés. C’est l’insuffisance
de la plus-value par rapport au capital accumulé qui est
au coeur de la crise de l’exploitation, s’il n’y
avait pas au coeur de la contradiction entre le prolétariat
et le capital la question du travail productif de plus-value, s’il
n’y avait qu’un problème de distribution et si
tous les conflits sur le salaire n’étaient pas l’existence
de cette contradiction, la révolution demeurerait un voeu
pieux Ce n’est donc pas par une attaque du côté
de la nature du travail comme productif de plus-value que la lutte
revendicative est dépassée (on en reviendrait toujours
à un problème de distribution), mais par une attaque
du côté des moyens de production comme capital.
L’attaque contre la nature de capital des moyens de production,
c’est leur abolition comme valeur absorbant le travail pour
se valoriser, c’est l’extension de la gratuité,
la destruction qui peut être physique de certains moyens de
production, leur abolition en tant qu’usine dans laquelle
se définit ce qu’est un produit, c’est-à-dire
les cadres de l’échange et du commerce, c’est
le bouleversement des rapports entre les sections de la production
qui matérialise l’exploitation et son taux, c’est
leur définition, leur absorption dans les rapports intersubjectifs
individuels, c’est l’abolition de la division du travail
telle qu’elle est inscrite dans le zonage urbain, dans la
configuration matérielle des bâtiments, dans la séparation
entre la ville et la campagne, dans l’existence même
de quelque chose que l’on appelle une usine ou un lieu de
production. « Les rapports entre individus se sont figés
dans les choses, parce que la valeur d’échange est
de nature matérielle » (Marx, Fondements..., Ed. Anthropos,
t.1, p.97).
L’abolition de la valeur est une transformation concrète
du paysage dans lequel nous vivons, c’est une géographie
nouvelle. Abolir des rapports sociaux est une affaire très
matérielle.
La production de rapports nouveaux entre les individus, ce sont
alors les mesures communistes prises comme nécessité
de la lutte. L’abolition de l’échange et de la
valeur, de la division du travail, de la propriété
ne sont que l’art de la guerre de classe, ni plus ni moins
à ce moment là que lorsque Napoléon mène
sa guerre en Allemagne par l’introduction du code civil. Les
rapports sociaux antérieurs se délitent dans cette
activité sociale où l’on ne peut faire de différence
entre l’activité de grévistes et d’insurgés
et la création d’autres rapports entre les individus,
de rapports nouveaux, dans lesquels les individus ne considèrent
ce qui est que comme moment d’un flux ininterrompu de production
de la vie humaine.
La destruction de l’échange ce sont des ouvriers attaquant
les banques ou se trouvent leurs comptes et ceux, des autres ouvriers,
s’obligeant ainsi à se débrouiller sans, ce
sont les travailleurs se communiquant et communiquant à la
communauté leurs activités directement et sans marché,
ce sont les sans-logis occupant les logements, « obligeant
» ainsi les ouvriers du bâtiment à produire gratuitement,
les ouvriers du bâtiment puisant dans les magasins librement,
obligeant toute la classe à s’organiser pour aller
chercher la nourriture dans les secteurs à collectiviser,
etc. Qu’on s’entende bien. Il n’y a aucune mesure
qui, en elle-même, prise isolément, soit le «
communisme ». Distribuer des biens, faire circuler directement
moyens de production et matières premières, utiliser
la violence contre l’Etat en place, des fractions du capital
peuvent accomplir une partie de ces choses dans certaines circonstances.
Ce qui est communiste, ce n’est pas la « violence »
en soi, ni la « distribution » de la merde que nous
lègue la société de classes, ni la «
collectivisation » des machines à sucer de la plus-value,
c’est la nature du mouvement qui relie ces actions, les sous-tend,
en fait des moments d’un processus qui ne peut que communiser
toujours plus ou être écrasé.
Les activités militaires et sociales sont indissolubles,
simultanées et s’interpénètrent. On ne
peut mener une révolution sans prendre de mesures communistes,
sans dissoudre le travail salarié, communiser l’alimentation,
le vêtement, le logement, se procurer toutes les armes (destructrices,
mais aussi les télécommunications, la nourriture,
etc. ), intégrer les sans-réserves (y compris ceux
que nous aurons réduits nous-mêmes à cet état),
les chômeurs, les paysans ruinés, les étudiants
paumés et sans attache. Parler de révolution menée
par une « catégorie » qui représente 20%
de la population et qui est en train de faire des « grèves
» pour demander à l’Etat qu’il satisfasse
ses « intérêts », c’est une plaisanterie.
La classe capitaliste et ses innombrables couches périphériques
reposent sur un enchevêtrement compliqué, paperassier,
bureaucratique, vulnérable au plus haut point, de liens financiers,
de crédits, d’obligations. Sans ces liens, sa cohésion
interne s’effondre. Cette classe n’est pas une communauté
fondée sur une association matérielle, elle est un
conglomérat de concurrents unis par l’échange.
L’échange, c’est la communauté abstraite
(l’argent). C’est pourquoi toutes les mesures de communisation
devront être une action énergique pour le démantèlement
des liens qui unissent nos ennemis et leurs supports matériels,
destruction rapide, sans possibilité de retour. La communisation
n’est pas la paisible organisation de la gratuité et
d’un mode de vie agréable entre prolétaires.
La dictature du mouvement social de communisation est le processus
d’intégration de l’humanité au prolétariat
en train de disparaître. La stricte délimitation du
prolétariat par rapport aux autres couches, sa lutte contre
toute production marchande sont en même temps un processus
qui contraint les couches de la petite bourgeoisie salariée,
de la « classe de l’encadrement social » à
rejoindre la classe communisatrice elle est donc définition,
exclusion et, en même temps, démarcation et ouverture,
effacement des frontières et dépérissement
des classes. Ce n’est pas là un paradoxe mais la réalité
du mouvement où le prolétariat se définit dans
la pratique comme le mouvement de constitution de la communauté
humaine. Le mouvement social en Argentine, parce qu’il y a
été confronté, a posé la question des
rapports entre prolétaires en activité (salariés),
chômeurs, exclus et couches moyennes. Il n’a apporté
que des réponses extrêmement parcellaires dont la plus
intéressante est sans doute son organisation territoriale.
Dans cette situation, les pourfendeurs radicaux de l’interclassisme
ou les propagandistes de l’unanimité nationale démocratique
sont les militants de deux types différents de défaite.
La révolution qui ne peut plus être dans ce cycle de
luttes que communisation dépasse le dilemme entre les alliances
de classes léninistes ou démocratiques et «
le prolétariat seul » de Gorter.
La seule façon de dépasser les conflits entre les
chômeurs et les « avec-emploi », entre les qualifiés
et les non-qualifiés est d’effectuer d’emblée,
au cours de la lutte armée, des mesures de communisation
qui suppriment la base même de cette division (ce que, confrontées
à la question, les entreprises récupérées
en Argentine n’ont tenté que très marginalement,
se contentant le plus souvent - cf. Zanon - de quelques redistributions
charitable aux groupes de piqueteros). De nos jours, dans les pays
développés, d’un côté l’immense
majorité de ces couches moyennes est salariée et n’a
donc plus de fondement matériel à sa position sociale,
son rôle d’encadrement et de direction de la coopération
capitaliste est essentiel mais précarisé en permanence,
sa position sociale dépend de mécanisme de prélèvement
de fractions de la plus-value très fragile, mais d’un
autre côté, pour ces mêmes raisons, sa proximité
formelle avec le prolétariat la pousse à présenter
dans les luttes de celui-ci des « solutions » gestionnaires
alternatives, nationales ou démocratiques qui préserveraient
ses propres positions. Elle pourra se trouver à l’aise
dans le démocratisme radical exprimant les limites des luttes.
Il n’y aura pas de solution miracle car il n’y a pas
de revendication unificatrice, la classe ne s’unifie qu’en
brisant le rapport au sein duquel les revendications ont un sens
: le rapport capitaliste. La question essentielle que nous aurons
à résoudre est de savoir comment on étend le
communisme, avant qu’il soit étouffé dans les
tenailles de la marchandise ; comment on intègre l’agriculture
pour ne pas avoir à échanger avec les paysans ; comment
on défait les liens échangistes de l’adversaire
pour lui imposer la logique de la communisation des rapports et
de l’emparement des biens, comment, face à la révolution,
on dissout par la révolution le bloc de la trouille.
Les prolétaires ne « sont » pas révolutionnaires
comme le ciel « est » bleu, parce qu’ils «
sont » salariés, exploités, ni même la
dissolution des conditions existantes. En s’auto transformant,
à partir de ce qu’ils sont, ils se constituent eux-mêmes
en classe révolutionnaire.
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