Origine : http://calle-luna.org/article.php3?id_article=12
La contradiction fondamentale du capitalisme
Le capitalisme est la 1ère société historique
dont l'organisation contienne une contradiction interne insurmontable.
Le capitalisme est une société divisée en classes.
Ces classes s'opposent car leurs intérêts sont en conflit.
Mais l'existence de classe et l'exploitation en soi ne créent
pas de contradiction, elles déterminent simplement une opposition
ou un conflit entre deux groupes sociaux : il n'y a pas contradiction
dans une société esclavagiste ou féodale. Les
esclaves peuvent se révolter contre les maîtres : les
deux termes du conflit restent extérieurs l'un à l'autre
et l'activité des exploités n'oblige pas les exploiteurs
à transformer leur société.
Mais le capitalisme, au contraire, est bâti sur une contradiction
intrinsèque. L'organisation capitaliste de la société
est contradictoire au sens rigoureux où un individu névrosé
l'est : elle ne peut tenter de réaliser ses intentions que
par des actes qui les contrarient constamment. Le capitalisme est
obligé de solliciter la participation des salariés
au processus de production, en tâchant de rendre cette participation
impossible : cette contradiction constitue le noyau du rapport social
capitaliste. Il apparaît dans l'histoire lorsque certaines
conditions sont réunies :
1° Le travail salarié doit être devenu le rapport
de production fondamental. La signification du travail salarié
est double :
- direction et exécution se séparent de plus en plus
: l'objet , les méthodes et les moyens de production tendent
à être déterminés par un autre que le
travailleur ;
- la rémunération du travailleur et l'effort qu'il
doit fournir sont indéfinis. Aucune règle objective
ni calcul ni convention sociale ne permettent de dire, dans une
société capitaliste, quel est le salaire juste ou
l'effort à fournir pendant une heure de travail. Dès
lors le "contrat de travail" , provisoire et renouvelable,
ne repose que sur le rapport de force entre les parties.
2° Le rapport salarié ne devient contradictoire qu'avec
l'apparition d'une technologie évolutive qui interdit toute
stabilisation des rapports de classe.
3° Ces facteurs n'agissent que conjoints à une condition
sociopolitique et culturelle générale : le capitalisme
ne se développe et s'affirme qu'au travers d'une pseudo-révolution
"bourgeoise" démocratique qui liquide les statut
sociaux antérieurs, prétend que le fondement de l'organisation
sociale est la raison, proclame l'égalité des droits
et la souveraineté du peuple.
L'ensemble de ces conditions donne à la société
capitaliste sa nature contradictoire et à la lutte de classes
son aspect unique. L'histoire et la dynamique de la société
moderne est l'histoire et la dynamique de ce développement.
Le développement du capitalisme signifie le développement
du prolétariat - c'est-à-dire du salariat - quantitativement
et qualitativement. (...)
Pour le marxiste traditionnel la dynamique du capitalisme est celle
d'une crise quantitativement croissante : misère toujours
plus lourde, chômage toujours plus massif, surproduction toujours
plus ample. Mais contrairement aux apparences, cette vue implique
qu'il n'y a pas d'histoire du capitalisme. Car dans cette conception,
le déroulement des évènements est indépendant
de l'action des hommes et des classes : les capitalistes n'agissent
pas - ils "sont agis" par les mobiles économiques
qui les déterminent (...). Les ouvriers "sont agis"
plutôt qu'ils n'agissent, leurs réactions étant
déterminées par ce même mouvement automatique
de l'économie ; l'action de la classe ne peut rien sur l'évolution
de la société aussi longtemps que celle-ci n'est pas
renversée. On ne voit guère ce que le prolétariat
pourrait apprendre au cours de cette histoire, hormis qu'il faut
combattre le capitalisme à mort. (...)
L'évolution du capitalisme est une histoire au sens fort,
c'est-à-dire un processus d'actions d'hommes et de classes
qui modifient constamment et consciemment les conditions dans lesquelles
il se déroule et au cours duquel surgit du nouveau . (...)
Pour la classe capitaliste, se développer signifie accumuler,
"rationaliser" et concentrer la production. Accumuler
signifie transformer le travail en capital (...). ³Rationaliser²,
dans le cadre capitaliste, signifie asservir toujours plus le travail
vivant à la machine et aux dirigeants de la production, réduire
toujours plus les exécutants à l'état d'exécutants.
(...)
Le prolétariat (...) attaque le fonctionnement "spontané"
de l'économie capitaliste en revendiquant augmentations de
salaire, réductions des heures de travail, plein emploi.
Il s'élève à une conception globale du problème
de la société, constitue des organisations politiques,
essaie de modifier le cours des évènements, se révolte,
essaie de s'emparer du pouvoir. Cette lutte est permanente, même
implicite ou informelle, quotidienne et cachée, elle joue
un rôle formateur de l'histoire. La lutte des classes signifie
que chaque action d'un des adversaires entraîne une parade
de l'autre qui à son tour suscite une riposte et ainsi de
suite. Chaque classe est modifiée par l'action de l'autre,
entraînant des modifications profondes du milieu social, du
terrain objectif sur lequel la lutte se déroule : elles contiennent
donc une création historique. (...)
La tendance permanente du capital est d'asservir le travail²
par la division des tâches (...), seul moyen de soumettre
un travailleur qui résiste en rendant son travail absolument
quantifiable et contrôlable, et lui-même intégralement
remplaçable. La lutte ouvrière au plan économique
s'exprime par les revendications de salaire. Le capitalisme a fini
par s'adapter à une économie dont le fait dominant
fut l'accroissement régulier de la masse des salaires, devenue
la base d'un marché constamment élargi de biens de
consommation. Sur le plan politique, aux tentatives du prolétariat
de s'organiser, le capital (...) a finit par faire des organisations
politiques ouvrières elles-mêmes des rouages essentiels
de son fonctionnement : la "démocratie" capitaliste
fonctionne avec un grand parti "réformiste" qui
n'est pas simplement la marionnette des capitalistes, mais doit
être aussi un parti "de et au gouvernement". (...)
Le capitalisme en arrive à détourner à son
profit la pression ouvrière pour instaurer, à travers
l'Etat, un contrôle de l'économie et de la société
servant ses intérêts.
Les effets de ces actions s'enchevêtrent inextricablement.
(...) Les "solutions" (...) débouchent toujours
sur de nouveaux problèmes (la surconsommation), et ce processus
traduit l'incapacité du capitalisme à surmonter sa
contradiction fondamentale. Mais les moyens utilisés par
le capitalisme obéïssent toujours au même impératif
: maintenir sa domination et contrôler la société
en général et le prolétariat en particulier.
Or toutes les sphères de la vie sociale sont maintenant entraînées
dans le conflit. (...) Toutes les ressources et les moyens sont
utilisés par le capitalisme, le savoir scientifique est mobilisé
à son service : psychologie, psychanalyse, sociologie industrielle,
économie politique, électronique et mathématique
sont mises à contribution pour assurer la survie du système,
lui permettre de pénétrer à l'intérieur
de la classe exploitée, d'en comprendre les motivations et
les conduites et de les utiliser au profit de la "production",
de la "stabilité sociale" et de la vente d'objets
inutiles.
C'est ainsi que la société moderne, qu'elle vive
sous un régime "démocratique" ou "dictatorial"
est en fait toujours totalitaire .(...) Que le totalitarisme utilise
ou non comme moyen privilégié la terreur, ne change
rien au fond de l'affaire. La terreur n'est qu'un des moyens dont
peut user un pouvoir pour briser les ressorts de toute opposition
; mais elle n'est pas toujours la plus rentable. La manipulation
"pacifique" des masses, l'assimilation graduelle des oppositions
organisées peuvent être plus efficaces ("communication"
et publicité)."
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