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Origine : http://fr.wikipedia.org/wiki/Cornelius_CastoriadisCornelius Castoriadis (1922 - 1997) est un philosophe français,
défenseur du concept d'« autonomie politique ».
Pour Castoriadis, « l'humanité émerge du Chaos,
de l'Abîme, du Sans-Fond. Elle en émerge comme psyché
: rupture de l'organisation régulée du vivant, flux
représentatif/affectif/intentionnel, qui tend à tout
rapporter à soi et vit tout comme sens constamment recherché
» (Domaines de l'homme. Carrefours du labyrinthe II Seuil,
1986, p.364). Mais ce Chaos/Abîme/Sans-Fond reste toujours
présent quoique dissimulé au sein de l'être
humain, tant sur le plan de la psyché-soma que sur celui
du social-historique. Il demeure son homo demens, comme dirait Edgar
Morin. Il manifeste sa capacité à s'ouvrir à
l'hybris, à la démesure. Il est la mort même,
toujours présente, toujours recommencée. Cette mort,
cette finitude, que l'homme ne peut pas, ne veut pas, voir en face
et qu'il va « recouvrir » par les significations imaginaires
sociales et les institutions s'y rapportant. Impossible pour l'homme
de regarder lucidement la fin de toute chose, non seulement dans
ses formes changeantes, mais dans son essence. « La mort est
mort des formes, des figures, des essences - non pas seulement de
leurs exemplaires concrets, sans quoi encore ce qui est ne serait
que répétition dans leur prolongement indéfini
ou dans la simple cyclicité, éternel retour »
(1986, p.373).
La religion va alors apparaître, non comme une idéologie,
réflexion appauvrie d'une complexité bien supérieure,
mais comme une instance de présentation/occultation de l'Abîme/du
Chaos/De Sans-Fond. « Ainsi, par exemple, de la Mort dans
le christianisme : présence obsédante, lamentation
interminable - et, en même temps, dénégation
absolue, puisque cette Mort n'en est pas une en vérité,
elle est accès à une autre vie. Le sacré est
le simulacre institué de l'Abîme : la religion confère
une figure ou figuration à l'Abîme - et cette figure
est présentée à la fois comme Sens ultime et
comme source de tout sens. » (1986, p.417).
La religion, le sacré institué, n'est qu'une «
formation de compromis » qui réalise et satisfait à
la fois l'expérience de l'Abîme et le refus de l'accepter
: « Le compromis religieux consiste en une fausse reconnaissance
de l'Abîme moyennant sa re-présentation (Vertretung)
circonscrite et, tant bien que mal, « immanentisée
» » (1986, p.378). Or l'Abîme demeure «
à la fois énigme, limite, envers, origine, mort, source,
excès de ce qui est sur ce qu'il est...toujours là
et toujours ailleurs, partout et nulle part, le non-lieu dans quoi
tout lieu se découpe. » (1986, p.378). C'est pourquoi
il ne saurait y avoir de religion des mystiques comme le soutient
justement Castoriadis. « Le mystique vrai ne peut être
que séparé de la société ». (1986,
p.379)
Castoriadis s'accorde pleinement sur cette source sempiternelle
de créations et de destructions à partir du Sans-Fond,
au delà de toute considération sur le Bien ou le Mal,
valeurs nécessairement instituées par la société.
Pour Castoriadis, comme il nous le rappelait à la Décade
de Cerisy, en juillet 1990, « le Chaos/ Abîme/Sans-Fond
est source de création et de destruction », fondamentalement
indéterminé et incompréhensible tout en posant
sans cesse de nouvelles déterminations en terme de représentations
somato-psychiques et de significations imaginaires sociales dans
un faire social-historique (cf. aussi Les carrefours du labyrinthe,
II, 1986, ses thèses ontologiques, p.407). Le Sans-Fond est
l'espace-temps du magma - dont Castoriadis dégage une logique
possible - (1986, pp. 385-418) et l'imagination radicale comme l'imaginaire
social, constituant ainsi l'imaginaire radical, en sont des manifestations
animées par la même logique. Aristote, qui avait très
bien compris la liaison intrinsèque entre la pensée
et le phantasme (au sens d'imagination première), n'avait
pas pu aller jusqu'au bout de sa logique: reconnaître un Chaos/
Abîme/Sans-Fond comme étrange capacité de «
création de non-être » par l'imaginaire radical
(1986, p.361) et du même coup comme source permanente d'altération
et l'auto-altération au sein d'une temporalité fondatrice
pour l'homme et pour la société.
Le Chaos/Abîme/Sans-Fond « n'est que pour autant qu'il
est toujours à-être, il est temporalité créatrice-destructrice
» (1986, p.367). Castoriadis s'exprime parfois dans un langage
que n'aurait pas démenti un sage oriental non-dualiste, par
exemple lorsqu'il écrit «Le Chaos : Le Sans-Fond, l'Abîme
générateur-destructeur, la Gangue matricielle et mortifère,
l'Envers de tout Endroit et de tout Envers. Je ne vise pas, par
ces expressions, un résidu d'inconnu ou d'inconnaissable;
et pas davantage ce que l'on a appelé transcendance. La séparation
de la transcendance et de l'immanence est une construction artificielle,
dont la raison d'être est de permettre le recouvrement même
dont je discute ici. La prétendue transcendance - le Chaos,
l'Abîme, le Sans-Fond - envahit constamment la prétendue
immanence - le donné, le familier, l'apparemment domestiqué.
Sans cette invasion perpétuelle, il n'y aurait tout simplement
pas d'"immanence". Invasion qui se manifeste aussi bien
par l'émergence du nouveau irréductible, de l'altérité
radicale, sans quoi ce qui est ne serait que de l'Identique absolument
indifférencié, c'est-à-dire Rien ; que par
la destruction, la nihilation, la mort ». (1986, p.373).
Si le Chaos est ce que pense Castoriadis , il débouche sur
l'imprévu, le toujours « neuf » et l'étonnement
permanent d'être en vie. Le Chaos suscite sans cesse des formes/figures/
images positionnées comme radicalement neuves par l'activité
de l'imaginaire radical qui échappe à toute causalité.
Le non causal (du Chaos) apparaît comme activité créatrice
des individus, des groupes et des sociétés entières,
non seulement comme écart relativement à un type existant,
« mais comme position d'un nouveau type de comportement, comme
institution d'une nouvelle règle sociale, comme invention
d'un nouvel objet ou d'une nouvelle forme - bref, comme surgissement
ou production qui ne se laisse pas déduire à partir
de la situation précédente, conclusion qui dépasse
les prémisses ou position de nouvelles prémisses...L'histoire
ne peut pas être pensée selon le schéma déterministe
(ni d'ailleurs selon un schéma « dialectique »
simple), parce qu'elle est le domaine de la création ».
(L'institution imaginaire de la société, Seuil, 1975,
p.61).
Castoriadis soutient que la praxis est « ce faire dans lequel
l'autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes
et considérés comme l'agent essentiel du développement
de leur propre autonomie » (1975, p.103). Dès lors
le projet est l'élément de la praxis qui intervient
comme une intention de transformer le réel « guidée
par une représentation du sens de cette transformation, prenant
en considération les conditions réelles et animant
une activité » (1975, p.106). Ce qui ne se confond
pas avec le plan, ou comme dit Jacques Ardoino le « projet-programmatique
». Toute nouvelle « position » de formes, figures,
modes d'être, comme expression de la manifestation du Chaos/Abîme/
Sans-Fond, toute nouvelle position d'un eidos dans le devenir historique
d'une société ou du devenir existentiel d'une personne
constitue un véritable défi pour ce qui l'a fondé
jusqu'à présent. Car ce qui advient ne peut jamais
être reconnu légitimement par les pouvoirs établis
de la société ou par ce qui fonde habituellement la
sécurité de la vie psychique. J'ai tenté dans
une étude antérieure, de montrer l'importance du concept
de défi (lié nécessairement à celui
de médiation) dans la formation interculturelle. Paradoxalement
dans la pensée de Castoriadis, l'institution imaginaire de
la société, source de tout recouvrement de la dimension
éruptive et « folle » de la psyché, est
ce qui permet à celle-ci, en opérant un véritable
défi ontologique, de la décloisonner, de la faire
sortir de sa folie monadique étoilée, en la socialisant
et en la constituant ipso facto en « objet perdu ».
La question de la « conscience » est au cœur de
la pensée de Castoriadis, qui est psychanalyste. Il développe
la thèse de la monade psychique originaire close sur elle-même
: celle-ci est au départ une « entité totalement
asociale... ce centre absolument égocentrique, aréel
ou antiréel » (1986, p.35). Le terme de « clôture
» est utilisé par l'école argentine de biologie
(U.Mataruna, F.Varela) pour laquelle un organisme vivant n'a pratiquement
pas de rapport avec son environnement extérieur (autres que
de simples inputs physico-chimiques) et demeure animé d'un
processus d'"auto-poeisis". Castoriadis retraduit le concept
pour comprendre le psychique et le social. Au Colloque de Cerisy,
il précisait en réponse à la conférence
d'Eugène Enriquez que la « clôture » avait
plus à voir à son avis avec la logique algébrique
: un corps est algébriquement clos quand toute équation
qu'on peut écrire dans ce corps a ses racines dans ce corps.
Une société est close si toute question formulable
dans le langage de cette société a une réponse
dans les institutions de cette société. Pour la psyché,
il en va de même. Elle est close si toute question posée,
reformulée dans son langage, à une réponse
dans son système personnel. Pour Castoriadis un paranoïaque
est le cas-type d'une psyché presque totalement close, tout
en étant parfaitement « autonome » au sens de
Franscisco Varela. Tel son patient qui durant six années
réinterprétait systématiquement toutes les
données de sa vie et de son environnement en fonction d'une
obsession : tout était commandé par la Préfecture
de Police pour le surveiller. « Presque totalement close »
car, comme il l'observait en 1975, « une psychose absolue
- c'est-à-dire intégralement autistique - est pratiquement
inobservable » (1975, p.412). Originairement, le règne
du désir dans la monade psychique est un monstre anti-social
et a-social qui exprime « un pur plaisir de la représentation
de soi par soi, complètement fermé sur lui-même.
De cette monade dérivent les traits décisifs de l'inconscient
: l' »autocentrisme" absolu, la toute-puissance (dite,
à tort, « magique »- elle est réelle)
de la pensée, la capacité de trouver le plaisir dans
la représentation, la satisfaction immédiate du désir.
Ces traits rendent évidemment radicalement inapte à
la vie l'être qui les porte." (1986, p.100).
Il s'agira donc pour la vie en acte de déclôturer
la monade psychique originaire, d'opérer une rupture nécessairement
violente que Castoriadis a longuement analysée dans l'institution
imaginaire de la société (1975, p.405-431). C'est
par la société que l'individu « fou »
devient un homme (mais la « folie » chaotique est toujours
au seuil de la conscience, en veilleuse). Ainsi : « l'individu
social ne pousse pas comme une plante, mais est créé
- fabriqué par la société, et cela toujours
moyennant une rupture violente de ce qu'est l'état premier
de la psyché et de ses exigences » (1975, p.419).
[modifier]
Autonomie, liberté et reliance
Castoriadis possède une conscience aiguë de ces trois
notions. Le concept d'"autonomie" trouve chez Castoriadis
son plus vif défenseur. L'auto-nomie du vivant, sous forme
d'autopoièse, semble être constitutive de sa nature.
Il signifie loi propre et s'oppose chez Varela à la notion
de « commande » liée à l'allonomie ou
loi externe. Castoriadis, on l'a vu, ne pense pas qu'on puisse tirer
complètement de l'étude de l'autonomie des systèmes
vivants, des avantages afin d'élaborer une caractérisation
de l'autonomie en général. Il oppose l'autonomie à
la notion d'hétéronomie qui caractérise les
systèmes psycho-sociaux et culturels dominés par une
imposition de contraintes normatives extérieures à
la volonté et à la décision individuelle négociées.
Ce qui caractérise l'avènement de la démocratie
athénienne ou de la Cité marchande à la fin
du Moyen Age, c'est une véritable création social-historique
inimaginable qui institue une autonomie non comme clôture
(au sens de Varela) mais comme « ouverture » : «Pour
la première fois dans l'histoire de l'humanité, de
la vie et, pour autant que nous sachions, de l'Univers, on est en
présence d'un être qui met ouvertement en question
sa propre loi d'existence, son propre ordre donné »
(Castoriadis, 1986, p.236). L'autonomie prend alors la forme d'une
auto-institution de la société qui devient plus ou
moins explicite : « nous faisons les lois, nous le savons,
nous sommes ainsi responsables de nos lois et donc nous avons à
nous demander chaque fois pourquoi cette loi plutôt qu'une
autre ? Cela implique évidemment aussi l'apparition d'un
nouveau type d'être historique au plan individuel, c'est-à-dire
d'un individu autonome, qui peut se demander - et aussi demander
à voix haute : « Est-ce que cette loi est juste ? »
(p.237). Il y a corrélation entre la création social-historique
de la démocratie et la fabrication sociale de l'individu
comme être autonome. La liberté constituera toujours
à défendre le sens de cette ouverture, la croissance
de l'homme socialisé vers une plus grande autonomie individuelle
et collective, en fixant des bornes à l'institution, en procédant
à une auto-limitation démocratique. Car l'institution
présente des éléments de fixation de l'aléatoire
et du facultatif en systématique et en obligation. Elle est
outil de conservation et de transmission de ce qui a été
fixé, tout en demeurant inévitablement susceptible
de variation et d'altération par le jeu du Chaos/Abîme/Sans-Fond
dont elle est nécessairement porteuse et d'où jaillissent
sans cesse des dynamiques instituantes. Vue sous cet angle la notion
vécue de liberté prend véritablement naissance
avec cette création sociale-historique. C'est certainement
ce qui fait dire à Castoriadis qu' »une authentique
organisation révolutionnaire (ou organisation des révolutionnaires)
devrait aussi être une sorte d'école exemplaire d'autogouvernement
collectif. Elle devrait apprendre aux gens à se passer de
leaders, et à se passer de structures organisationnelles
rigides, sans tomber dans l'anomie, ou la micro-anomie" (1986,
p.40). Il insiste d'ailleurs en soutenant qu'il s'agit bien d'une
auto-limitation, sans référence possible à
un garant méta-social : Dieu, le Sens de l'Histoire, ou la
Science. L'homme démocratique doit prendre appui sur lui-même
dans sa complexité et seulement sur lui-même pour asseoir
sa liberté sur un fondement sûr. Castoriadis affirme
que la mère, n'est pas seulement la mère biologique,
immédiate, proche de l'enfant. Elle est la mère en
tant qu'incarnation de l'institution imaginaire de la société
depuis l'origine de l'humanité (propos tenus au Colloque
de Cerisy). L'enfant est ainsi ipso facto enveloppé et engendré
par le déjà-connu, l'institué, jusqu'aux formes
les plus subtiles de son intimité. Devenir un citoyen consistera
à tenter l'élucidation de toute la pesanteur instituée
de son être depuis son origine, sans nier l'influence de cette
dernière.
Castoriadis, d'ailleurs, demeure sensible à la nature, et
à son origine familiale et paysanne. « Dans le pays
d'où je viens, la génération de mes grands-pères
n'avait jamais entendu parler de planification à long terme,
d'externalités, de dérive des continents ou d'expansion
de l'univers. Mais, encore pendant leur vieillesse, ils continuaient
à planter des oliviers et des cyprès, sans se poser
de questions sur les coûts et les rendements. Ils savaient
qu'ils auraient à mourir, et qu'il fallait laisser la terre
en bon état pour ceux qui viendraient après eux, peut-être
rien que pour la terre elle-même. Ils savaient que, quelle
que fût la « puissance » dont ils pouvaient disposer,
elle ne pouvait avoir des résultats bénéfiques
que s'ils obéissaient aux saisons, faisaient attention aux
vents et respectaient l'imprévisible Méditerranée,
s'ils taillaient les arbres au moment voulu et laissaient au moût
de l'année le temps qu'il lui fallait pour se faire. Ils
ne pensaient pas en termes d'infini - peut-être n'auraient-ils
pas compris le sens du mot ; mais ils agissaient, vivaient et mouraient
dans un temps véritablement sans fin. » (Les carrefours
du labyrinthe, II, 1986,p.151-152). Voir: http://www.barbier-rd.nom.fr/BullCRISE2Total.html
et Florence Giust-Desprairies : http://www.barbier-rd.nom.fr/journal/article.php3?id_article=41
Cornelius Castoriadis a fondé à la fin des années
1940 le journal Socialisme ou barbarie (proche du luxembourgisme
et du conseillisme).
Textes de Castoriadis
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