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Une brochure Infokiosque
LA PENSÉE POLITIQUE DE CORNELIUS CASTORIADIS
LE PROJET D’AUTONOMIE
par Anonyme
Cette brochure est le résumé d’un résumé. Sa prétention
est d’évoquer la pensée politique de Cornelius Castoriadis,
une pensée qui s’est étendue, tournée et retournée dans des
milliers de pages de tomes divers et nombreux. Il ne faut donc pas
espérer trouver ici un condensé fidèle et concis des méandres de
cette réflexion, il faut lire cette brochure en se disant et en
se répétant qu’elle n’est pas un résumé (oublions la
première phrase ci-dessus) mais davantage une présentation, une
introduction aux théories castoriadiennes. Les notes en fin de brochure
fourniront une bibliographie complète pour qui veut s’enfoncer
dans les écrits made in Casto.
Castoriadis est né en Grèce en 1922 ; il émigre en France
à la fin de la guerre à cause de son dangereux engagement politique,
s’y fait naturaliser, et y meurt en 1997. Dans sa jeunesse,
il passe de la gauche du marxisme à la gauche du trotskysme, puis
rompt avec ce dernier et énonce une critique en règle de toute la
pensée marxiste, démontrant son ancrage dans l’imaginaire
capitaliste. Il fonde la revue Socialisme ou Barbarie, qui marque
les années 50 ainsi que de plus ou moins recommandables figures
du mouvement social (Guy Debord, Daniel Cohn-Bendit...). La particularité
de Castoriadis est peut-être celle d’être un penseur touche-à-tout,
philosophe, psychanalyste, économiste à l’OCDE, érudit en
Histoire, en musique, en épistémologie, en mathématiques... Sa pensée
politique se ressent d’une telle approche globale. Elle nous
semble riche car, d’autre part et sous plusieurs aspects,
elle nous paraît pouvoir alimenter les réflexions libertaires de
manière fine et approfondie, même si Castoriadis lui-même ne s’est
jamais revendiqué de ce bord-là.
En l’an 2000 paraît une intéressante « introduction »
à sa pensée politique, par Gérard David et aux éditions Michalon,
qui s’appelle Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie
(son prix prohibitif méritera la plus grande créativité de votre
part pour vous le procurer). C’est cet ouvrage que cette brochure
ambitionne de résumer. Les citations évoquées sont donc soit de
Gérard David, soit de Castoriadis lui-même, soit du premier citant
le second dans sa citation. Voilà. Bonne lecture.
Pour toute remarque : Iosk éditions, 10 traverse des 400
Couverts, 38000 Grenoble, iosk (at) inventati.org
La modernité occidentale
Castoriadis a beaucoup étudié l’Antiquité grecque :
c’est dans cette période-là qu’il voit la naissance
de la société occidentale. Il le démontre de différentes façons,
notamment en comparant l’imaginaire politique de l’époque
à celui de la nôtre. Le processus essentiel qu’il voit dans
la société grecque, c’est l’avènement de la Raison :
pour la première fois dans l’Histoire (ou du moins de ce que
nous en connaissons), les humain-e-s discutent et décident de leur
vie sur des fondements rationnels, qu’ils peuvent maîtriser
totalement, et pas sur des fondements d’ordre divin, magique,
transcendant. La Raison qui éclot en Grèce, rappelons-le, s’exprime
dans l’apparition de la philosophie, de la science, de la
démocratie, de « la mise en question des institutions établies »...
Dans les siècles qui ont suivi, explique Castoriadis, les progrès
de la Raison ont suivi deux chemins, ont servi deux projets, qui
s’entremêlent tout en s’opposant : le projet d’autonomie
d’une part, et le projet capitaliste de l’autre, projet
« démentiel, d’une expansion illimitée d’une pseudo-maîtrise
pseudo-rationnelle qui depuis longtemps a cessé de concerner seulement
les forces productives et l’économie pour devenir un projet
global (...), d’une maîtrise totale des données physiques,
biologiques, psychiques, sociales, culturelles. »1
Le projet d’autonomie sera décrit plus amplement plus loin.
Mais d’ores et déjà on peut dire qu’il consiste à rendre
les humain-e-s entièrement maîtres-se-s de leur vie et de leur société,
entièrement conscient-e-s et responsables de ce qui leur arrive
et de ce qu’illes construisent. C’est un projet marqué
par l’usage de la rationalité, mais aussi de l’auto-limitation* :
pour que les humain-e-s puissent vivre ensemble sans qu’une
autorité supérieure les contraigne et les punisse, illes doivent
être capable de se fixer elleux-mêmes des limites. Le projet capitaliste,
lui, utilise la rationalité mais sans limites : son but est
bien une « expansion illimitée », une croissance sans
fin, des profits toujours plus grands, une maîtrise maximale de
ce qui existe sur la planète, « l’expansion illlimitée
des forces productives ; la préoccupation obsédante avec le
« développement » ; le « progrès technique »
pseudo-rationnel ; la production ; « l’économie » ;
la « rationalisation » et le contrôle de toutes les activités ;
la division de plus en plus poussée des tâches ; la quantification
universelle, le calcul, la « planification » ; l’organisation
comme fin en soi, etc. » 2 Or, « l’autonomie (...)
en tant qu’auto-limitation, ne saurait exister avec une expansion
illimitée de quoi que ce soit, fût-ce d’une prétendue « rationalité ». »
3
L’expansion rationnelle illimitée qui anime le projet capitaliste
aboutit logiquement à diverses catastrophes. La techno-science est
bien l’expression d’un contrôle exponentiel sur le monde,
d’un contrôle qui lui-même ne se contrôle plus et qui n’est
donc qu’un contrôle illusoire. L’impérialisme reflète
l’extension dans l’espace, violente, écrasante, du projet
capitaliste. Le totalitarisme pousse à l’extrême la logique
du contrôle absolu sur une planète et ses habitant-e-s. Ces démesures
capitalistes sont bel et bien marquées de raison, mais ni l’auto-limitation
ni l’autonomie, elles, n’y sont présentes. Ne serait-ce
que parce qu’elles sont menées par une partie largement minoritaire
de l’espèce humaine, dans ses seuls intérêts.
A l’heure actuelle il semblerait que le projet capitaliste
prenne le dessus sur le projet d’autonomie4. Mais notre « modernité
occidentale » est complexe et il faut bien comprendre que les
deux projets, bien qu’ils soient antinomiques, coexistent
encore, voire interagissent, se contaminent l’un l’autre.
Le projet d’autonomie s’exprime encore dans les luttes
sociales, dans les révoltes et les révolutions récentes. Il faut
d’ailleurs bien voir que le libéralisme actuel est « un
régime social bâtard, basé sur la coexistence entre le pouvoir des
couches dominantes et une contestation sociale et politique presque
ininterrompue »5. Enfin, le projet capitaliste ne survivrait
pas s’il n’était alimenté par les comportements mêmes
qui caractérisent le projet d’autonomie et qu’il s’évertue
à détruire : les luttes sociales, le souci du bien commun,
les valeurs de responsabilité (chez certain-e-s juges, profs, ouvrier-e-s,
etc., qui mettent du coeur à l’ouvrage)6...
Castoriadis ne préconise évidemment ni de se contenter de la « modernité
occidentale », ni de revenir à l’Antiquité grecque. Il
propose de dépasser ces deux formes de société et d’oeuvrer
pour l’application du projet d’autonomie7.
Le capitalisme
Castoriadis s’est livré à une analyse précise des différentes
formes du capitalisme moderne. Il en distingue principalement deux :
le capitalisme bureaucratique et le capitalisme occidental. Le premier
n’est autre que ce que l’on nomme à tort le « communisme »,
tel qu’il a été appliqué par exemple en Union Soviétique.
Le second est le capitalisme de marché, qui a régné en Europe occidentale
et en Amérique ces dernières décennies, et qui aujourd’hui
« se mondialise ». Mais Castoriadis insiste : les
sociétés à « l’Est » et à « l’Ouest »
du Mur étaient « dominées par deux variétés du même régime
social. »8
Dans les sociétés « communistes », Castoriadis remarque
« l’apparition de la bureaucratie comme couche sociale
tendant à supplanter la bourgeoisie » et « l’émergence
concomitante de nouvelles formes de propriété, d’économie
et d’exploitation. »9 La bureaucratie socialiste devient
donc la classe dominante. Elle « dispose des moyens de production,
gère le procès de production, et décide de la répartition du produit
social. » Et son pouvoir est « renforcé par sa maîtrise
des moyens de coercition. »10 « L’opposition entre
possédants et non-possédants tend à être remplacée par la division
entre dirigeants et exécutants. »9 Par l’analyse de ces
sociétés, Castoriadis souligne l’insuffisance des visées révolutionnaires
qui se limitent à l’abolition de la propriété privée. L’abattement
de la classe économiquement dominante ne sert à rien si elle implique
l’avènement d’une classe bureaucratiquement dominante...11
Quant au capitalisme occidental, Castoriadis y observe la prédominance
de deux normes : la norme hiérarchique-bureaucratique et la
norme de l’argent. Ces normes gouvernent l’imaginaire
capitaliste et le peuplent des valeurs de hiérarchie, « d’expertise
rationnelle », d’accumulation, de compétition, de « maîtrise »
sur la nature et l’humain. Elles se concrétisent par des « motivations
adéquates » inculquées aux individus, « les induisant
à reproduire continuellement des comportements cohérents entre eux
et avec la structure et le fonctionnement du système social. »12
Quand le système social cherche une productivité maximale et une
destruction de la responsabilité, il forge des attitudes qui tendent
à la privatisation, au conformisme, à la compétition, à l’irresponsabilité,
à la passion pour le « divertissement », à une mentalité
acquisitive (consommation), à un désinvestissement des affaires
communes.13 Il forge un individu « défini par l’avidité,
la frustration, le conformisme généralisé, (...) la fuite dans la
consommation, (...) le fatalisme, (...) perpétuellement distrait,
zappant d’une « jouissance » à l’autre, sans
mémoire et sans projet, prêt à répondre à toutes les sollicitations
d’une machine économique qui de plus en plus détruit la biosphère
de la planète pour produire des illusions appelées marchandises »14.
Castoriadis analyse également la capacité du capitalisme à exploiter
et intégrer en même temps de larges franges de population. Il parle
par exemple de « son besoin de réaliser simultanément la participation
et l’exclusion des travailleurs relativement à la production. »15
Par ce processus complexe, par le confort, la consommation, les
loisirs, la carrière, le système capitaliste, ce « cauchemar
climatisé »16 réussit à gagner la servitude volontaire, l’adhésion
du peuple, tout en l’exploitant. « L’aliénation
croissante des hommes dans le travail [est] compensée par « l’élévation
du niveau de vie ». »17 Les carottes qu’on agite
devant le peuple sont les « motivations de revenu, et, « dans
une structure de plus en plus hiérarchisée et bureaucratisée »,
de la promotion. Mais dans cette société, le revenu n’a guère
« de signification que par la consommation qu’il permet »,
et celle-ci tend à être de plus en plus intégralement le contexte
d’une fabrication des besoins ([par] (...) la bureaucratisation
de la consommation, de la publicité et de la vente). Il n’en
va pas différemment sur le plan de la politique (...) où la politique
est de plus en plus manipulation par la bureaucratie politique. »
12
Castoriadis détaille en effet la très nette séparation entre la
vie privée des individus et la vie publique de la société. Ces deux
vies, ces deux sphères se mêlent peu, les individus ne se préoccupent
que de leur routine et laissent leurs représentant-e-s politiques
se débrouiller entre elleux pour le gouvernement de la chose publique.
« La population s’enfonce dans la privatisation,
abandonnant le domaine public aux oligarchies bureaucratiques, manageriales
et financières. »18 « La chose publique ou plus exactement
la chose sociale est vue non seulement comme étrangère ou hostile,
mais comme échappant à l’action des hommes. »19 Ainsi
la chose publique n’est plus vraiment publique, elle est désinvestie
par la majorité et reste gouvernée par une minorité. « Les
« oligarchies libérales » contemporaines - nos « démocraties »
- qui sont des sociétés profondément étatistes, partagent
avec les régimes totalitaires ou les monarchies absolues ce trait
décisif : la sphère publique/publique est, non pas juridiquement
mais en fait, pour sa plus grande partie, privée.
Dans les faits, l’essentiel des affaires publiques est toujours
affaire privée des divers groupes et classes qui se partagent le
pouvoir effectif. »20 A l’opposé, une véritable démocratie
pourrait « se définir aussi comme « le devenir vraiment
public de la sphère publique/publique ». »21
Pourquoi nous éloignons-nous aujourd’hui de cet idéal de
démocratie ? « Il y a là autre chose qu’une simple
« manipulation » par le système et les individus qui en
profitent. Il y a un énorme mouvement - glissement - où tout se
tient : les gens se dépolitisent, se privatisent, se tournent
vers leur petite sphère « privée », et le système leur
en fournit les moyens. Et ce qu’ils y trouvent, dans cette
sphère « privée », les détourne encore plus de la responsabilité
et de la participation politiques. »22 On assiste donc à un
phénomène croisé de privatisation des individus et de bureaucratisation
de la société : « la consommation pour la consommation
dans la vie privée et l’organisation pour l’organisation
dans la vie publique. »16
Quand Castoriadis parle de « l’organisation pour l’organisation »
dans le capitalisme occidental, il amène des observations analogues
à celles du capitalisme bureaucratique. Dans les deux capitalismes,
il raconte que la « simple existence [de la bureaucratie] multipliait
à l’infini ou engendrait ex-nihilo des problèmes que de nouvelles
instances démocratiques étaient créées pour résoudre. Là où Marx
avait vu une organisation scientifique et Weber la forme d’autorité
« rationnelle », il fallait voir l’antithèse exacte
de toute raison, la production en série de l’absurde (...) »23
Castoriadis parle en définitive de la décomposition de notre société,
qui « se voit surtout dans la disparition des significations,
l’évanescence presque complète des valeurs »24 :
« la seule valeur qui survit est la consommation. »25.
On est bien dans « une société qui se désintéresse de plus
en plus de la « politique » - c’est-à-dire de son
sort en tant que société »26, on est dans une époque « qui
se repaît du conformisme politique et de l’impuissance supposée
à modifier l’état des choses. »27 Cette décomposition,
cette crise est liée à « l’effondrement de l’auto-représentation
de la société. »28 A une absence de projet, d’horizon,
à une « inhibition de [sa] puissance de création. »29
« Pas d’avenir véritable, huis clos historique. Contrainte
qui paralyse l’imagination et l’activité politiques ;
renforcement de l’apathie et du repli sur la sphère privée,
qui consolident à leur tour le blocage. Conditions qui rendent à
nouveau possibles des issues régressives - comme le repli sur le
nationalisme. »30 « Les motifs de cette situation sont
multiples, mais il est clair qu’après « le premier désenchantement
du monde, résultat du retrait de la religion (...), la société traverse
à présent un deuxième désenchantement, constatant que le « progrès »
libéral (capitaliste) est vide de sens et que le « progrès »
communiste représentait une chute aux enfers ». »31
En effet, Castoriadis explique bien que le marxisme ne constitue
plus, et ne doit plus constituer, un espoir face à la tristesse
de notre société et de sa décomposition. Car le marxisme, « dépassé
et indéfendable à la fois dans sa méthode et dans son contenu »32,
« appartient profondément à l’univers occidental-capitaliste. »33
Castoriadis souligne d’abord que dans la manière dont le marxisme
a été interprété, transmis et mis en application, il a perdu l’un
de ses points pourtant très importants : la praxis*. Au fil
des ans, le marxisme est devenu « un système théorique fermé
et achevé, une théorie extérieure et supérieure à la pratique, réduit
dès lors au statut de simple application. »34 Et en fin de
compte, « le marxisme est devenu une idéologie au sens même
que Marx donnait à ce terme : un ensemble d’idées qui
se rapporte à une réalité non pour l’éclairer et la transformer,
mais pour la voiler et la justifier dans l’imaginaire. »35
Mais Castoriadis attaque le marxisme jusqu’à son contenu,
jusqu’à sa théorie économique même, qu’il juge évolutionniste,
socio-centriste, « à la fois économiquement fausse et politiquement
nuisible »36. Il rappelle que « ses prédictions, telles
l’accroissement du taux d’exploitation ou la paupérisation,
ne se sont pas réalisées »37. Il signale en outre que Marx
suit le modèle des sciences de la nature : il énonce des lois
prétendues objectives d’une économie prétendue mécanique.
Ce faisant il rejoint les théories capitalistes et déterministes
de la rationalité économique, où l’économique est un système
prédominant, séparé du reste des relations sociales, et où il constitue
la seule motivation de l’agir humain. Le marxisme reste donc
ancré dans l’optique capitaliste, ce qui rend d’autant
plus facile sa réabsorbtion, sa récupération par les logiques d’oppression
capitalistes (bureaucratisation...). Réduit à l’impuissance
à la racine, contaminé par la pensée dominante, le marxisme n’en
est pas moins dangereux, véhiculant par exemple des significations
capitalistes dans le monde ouvrier... « Le marxisme fait partie
intégrante du « monde hérité » et à ce titre il constitue
un obstacle sur la voie du mouvement révolutionnaire »38.
L’autonomie
« Une interrogation politique cruciale : comment les
hommes peuvent-ils devenir capables de résoudre leurs problèmes
eux-mêmes (...) ? »39
Un peu d’étymologie...
Auto = le même, hétéro = l’autre, nomos = la loi,
donc
autonomie = exécuter des lois qu’on se donne soi-même (« sachant
qu’on le fait » ajouterait Castoriadis),
hétéronomie = exécuter des lois données par d’autres.
Le principe d’autonomie, pour Castoriadis, désigne la capacité
des humain-e-s à être entièrement maîtres-se-s de leur vie, de leur
société, des institutions qu’illes se donnent. A l’inverse,
dans l’hétéronomie, tout ce que vivent les humain-e-s, dans
leur vie quotidienne et sociale, ne dépend pas d’elleux et
paraît impossible à changer. La tradition et l’autorité, par
exemple, relèvent du domaine de l’hétéronomie : elles
entraînent les individu-e-s à agir selon des principes qui leur
sont donnés d’en haut, qui ne leur appartiennent pas, qui
ont été établis dans le passé, par d’autres gens, par leurs
supérieur-e-s. Les individu-e-s exécutent ou reproduisent alors
des ordres, des normes, des coutumes, sans les comprendre ou les
contrôler. « Les produits de l’homme (objets ou institutions)
prennent face à lui une existence sociale indépendante, et au lieu
d’être dominés par lui, le dominent. »40 La « soumission
[de la société] à une « loi de l’autre » est auto-aliénation,
occultation à elle-même de sa nature historique et auto-créatrice »41.
« La règle des sociétés humaines est celle de l’individu
social hétéronome, conforme à l’institution sociale
et fonctionnel pour la reproduction de cette même institution. »42
Depuis les années 50, nous sommes dans une nouvelle phase de l’histoire
occidentale : le retrait dans le conformisme, le retour
de l’hétéronomie, c’est-à-dire « le fait de penser
et d’agir comme l’institution et le milieu social l’imposent
(ouvertement ou de manière souterraine). »43
Castoriadis utilise souvent le mot institution, au sens strict :
l’institution chez lui recouvre n’importe quel outil,
système, mécanisme, de la société, les « formes de pensée,
modes d’organisation, d’action »44. Dans l’hétéronomie,
les institutions sont séparées des populations, maîtrisées par d’autres,
elles ont leur logique et elles peuvent être écrasantes. « L’institution,
une fois posée, s’autonomise, acquiert une inertie et une
logique propres »45. L’autonomie, par contre, est « l’activité
d’auto-institution explicite et lucide »46, elle « désigne
l’ouverture, la mise en question de soi liée à la
capacité de la société et des individus à remettre en cause les
lois, l’institution et les significations de la société »47.
Dans l’autonomie, les humain-e-s choisissent pleinement les
institutions dont illes veulent se doter pour faire fonctionner
leur société, illes les contrôlent totalement, et peuvent les changer
à tout moment. Une institution, dans une société autonome, pourra
être par exemple l’assemblée générale des membres, le roulement
des postes spécialisés, etc.
Le noeud de cette question d’autonomie et d’hétéronomie,
c’est l’idée que toute société humaine, toute institution,
a été créée par les humain-e-s, relève du domaine de l’humain,
et peut être changée. Il s’agit pour les humain-e-s de comprendre
que leur société leur appartient, qu’elle ne fonctionne que
par leur participation plus ou moins forcée, qu’illes peuvent
se la réapproprier. Comment se fait-il que cette idée ne semble
ni évidente ni acquise à l’heure qu’il est ? « La
logique-ontologie gréco-occidentale, [pour laquelle] « être »
signifie « être prédéterminé », a occulté l’Histoire
humaine en tant que « création ». »48 « La société
étaye l’hétéronomie en rationalisant la représentation d’une
origine extra-sociale de l’institution »49 Cette
origine extra-sociale, dans certaines sociétés, sera un ordre divin,
ou « naturel ». Dans les pays occidentaux, si les choses
ne sont pas toujours expliquées de manière aussi crue, on cultive
la représentation d’une société solidement établie et on n’encourage
aucunement sa reprise en main par tout-un-e-chacun-e. « Le
problème de la révolution est en fin de compte que la société se
reconnaisse comme source de sa propre autorité et qu’elle
s’auto-institue explicitement. »49 Autrement dit, que
la « socialité » et « l’historicité »
ne soient pas vécues par les humain-e-s de manière passive et fataliste,
mais « positivement »50.
La démocratie directe
Les pays occidentaux vantent leur modèle de « démocratie »
et le présentent comme un aboutissement des idéaux humanistes. Mais
soyons clair-e-s : notre « démocratie » n’est
qu’une démocratie représentative, loin du « pouvoir du
peuple » que devrait pourtant désigner son étymologie même.
Castoriadis l’explique à travers sa critique de la représentation.
« La représentation est (...) un principe étranger à la démocratie,
car dès qu’il y a des « représentants » permanents,
l’autorité, l’activité et l’initiative politiques
sont enlevées au corps des citoyens pour être remises au corps restreint
des « représentants », qui en usent alors à leur convenance
et en fonction de leurs intérêts. »51
« Le refus de la représentation, qui est inévitablement aliénation
(transfert de la propriété) de la souveraineté, des représentés
vers les représentants »52, est lié au refus de la division
du travail politique : Castoriadis critique « la division
fixe et stable de la société politique entre dirigeants et exécutants,
l’existence d’une catégorie d’individus dont le
rôle, le métier, l’intérêt est de diriger les autres »53.
Il affirme « le refus de toute science politique détenue par
des spécialistes, (...) dont la revendication est profondément liée
à l’idée d’une maîtrise et d’une conduite technocratique
de la société »54. Il remet donc en question toute organisation
politique basée sur ce principe de représentation, y compris dans
le mouvement ouvrier, et rejette les partis : le parti est
pour lui une « institution de nature essentiellement bureaucratique,
où le pouvoir est exercé par une structure hiérarchique auto-cooptée,
et qui n’est pas la seule forme d’expression concevable
du pluralisme des opinions, qu’elle aurait plutôt tendance
à étouffer et rigidifier »55.
Face à notre modèle de démocratie représentative, Castoriadis propose
celui de démocratie directe, « que caractérisent trois traits
essentiels : le peuple par opposition aux « représentants »,
le peuple par opposition aux « experts », la communauté
par opposition à « l’Etat ». »51. Dans la démocratie
directe, selon le principe d’autonomie, chaque loi est décidée
directement et collectivement par toutes les personnes auxquelles
elle s’applique, « en sorte que l’individu puisse
dire, « réflexivement et lucidement, que cette loi est aussi
la [s]ienne »56. L’autonomie suppose donc « un état
dans lequel la question de la validité de la loi reste en permanence
ouverte. »57. C’est ce questionnement politique même,
collectif, lucide, délibéré et continuel, qui importe : Castoriadis
l’associe à la philosophie et à « la vérité comme mouvement
interminable de la pensée mettant constamment à l’épreuve
ses bornes et se retournant sur elle-même (réflexivité) »58.
Pour mettre en place la démocratie directe, il nous faudra bien
sûr abandonner la démocratie actuelle et changer nos institutions,
mais il faudra aussi et surtout changer les mentalités. « Si
[les citoyens] ne sont pas capables de gouverner - ce qui reste
à prouver -, c’est que « toute la vie politique
vise précisément à le leur désapprendre, à les convaincre qu’il
y a des experts à qui il faut confier les affaires. Il y a donc
une contre-éducation politique. Alors que les gens devraient s’habituer
à exercer toutes sortes de responsabilités et à prendre des initiatives,
ils s’habituent à suivre ou à voter pour des options que d’autres
leur présentent. Et comme les gens sont loin d’être idiots,
le résultat, c’est qu’ils y croient de moins en moins
et qu’ils deviennent cyniques (...) Les institutions actuelles
repoussent, éloignent, dissuadent les gens de participer aux affaires ». »59
Les humain-e-s doivent cesser de considérer la politique comme un
domaine séparé et spécialisé, et doivent apprendre à la voir « comme
un travail concernant tous les membres de la collectivité concernée,
présupposant l’égalité de tous et visant à la rendre effective »60.
La praxis
« Castoriadis adopte et propose une vision politique de la
démocratie, et non une vue sociologique ou simplement historique ;
ce qui signifie non seulement comprendre, mais articuler l’interprétation
à un projet pratique. »
Castoriadis ne veut pas se limiter au domaine de la théorie :
il aborde aussi la question de la mise en pratique de nos idées.
Cet aller-retour constant entre théorie et pratique, il l’appelle
praxis (comme déjà le faisait Marx), et le défend avec ferveur.
Rejetant la division entre celleux qui pensent et celleux qui agissent,
Castoriadis propose une démarche où, pour chaque individu, la pensée
et l’action se complètent et s’enrichissent mutuellement.
« Non plus seulement interpréter le monde, mais le transformer. »61
« S’interroger sur la loi et ses fondements, et ne pas
rester fasciné par cette interrogation, mais faire et instituer. »62
Cette démarche, cette praxis, est pour Castoriadis une brique essentielle
dans la construction de l’autonomie, car elle fait de chaque
individu-e l’acteur ou actrice d’initiatives, recherches,
expérimentations, sans dépendre de maîtres-ses à penser. « La
praxis est donc ce qui vise le développement de l’autonomie
comme fin et utilise à cette fin l’autonomie comme moyen.
Ainsi définie, la praxis ne se réduit pas à l’application
d’un savoir préalable. Elle est un processus créatif :
« l’objet même de la praxis c’est le nouveau »
et « son sujet lui-même est constamment transformé à partir
de cette expérience où il est engagé et qu’il fait
mais qui le fait aussi. »63 Elle est « l’agir
réflexif d’une raison qui se crée dans un mouvement sans fin
comme à la fois individuelle et sociale »64.
Là encore Castoriadis s’éloigne du marxisme, critiquant un
système de pensée trop fermé, dogmatique. Aux dogmes il oppose « la
praxis, qui n’est pas application d’un savoir préalable,
mais ce par quoi l’élucidation et la transformation du
réel progressent dans un rapport intrinsèque et font surgir
un savoir nouveau »65.Il ne s’agit pas, évidemment, d’abandonner
la théorie révolutionnaire, mais bien de la rendre dynamique, vivante,
questionnable, ouverte. « Il est (...) absurde de vouloir fonder
le projet révolutionnaire sur une théorie complète - mais tout autant,
a contrario, de le rejeter en raison de cette impossibilité »65.
Histoire du projet d’autonomie
Le projet de société autonome peut paraître une belle utopie, abstraite
et idéale... Mais Castoriadis rappelle que ce projet, ce rêve existe
depuis des centaines et des milliers d’années, depuis qu’on
a commencé à parler de démocratie. « La tradition du projet
d’autonomie se confond avec la tradition démocratique »66.
Bien sûr, la « démocratie » d’aujourd’hui
est très loin du projet d’autonomie : elle doit être
étendue, approfondie, Castoriadis parle de « radicalisation
de la problématique démocratique »67. Mais il est bon de
rappeler que l’aspiration à l’autonomie a des racines
solidement ancrées dans l’Histoire, qu’elle ne vient
pas de nulle part et qu’il n’y a aucune raison qu’elle
s’arrête aujourd’hui. « Il est certain que ce projet
politique est fort loin d’être réalisé, mais il n’est
pas pour autant une pure vue de l’esprit. Car la démocratie
existante est une société autonome en puissance, et cela,
point décisif, parce qu’elle est déjà partiellement en
actes »68.
Les premières origines du projet d’autonomie, c’est
« la création et valorisation de la démocratie, de la philosophie,
de la « possibilité du choix » »69. Ainsi, ce projet
« est inauguré par l’émergence, en Grèce ancienne, (...)
de la philosophie et de la politique, par la création de l’interrogation
illimitée et celle de l’activité explicitement tournée vers
l’auto-institution de la société. » Les Grecs « n’ont
jamais cessé de réfléchir à la question : qu’est-ce que
l’institution de la société doit réaliser ? »70
Ils ont construit une société qui sur certains points était réactionnaire
(vote interdit aux femmes, aux étranger-e-s), et sur d’autres
était révolutionnaire (égalité des citoyens, participation de tous
les citoyens à la vie publique, existence d’un espace public
dédié à cette activité, importance du logos et de l’ethos).
« Il n’y a pas de « spécialistes » des questions
politiques [à Athènes]. (...) « Le bon juge du spécialiste
n’est pas un autre spécialiste, mais l’utilisateur » »51.
Le projet d’autonomie a continué à exister tout au long de
l’Histoire, porté par tous les mouvements qui visaient une
société plus démocratique, plus égalitaire : les révolutions
du XVIIIème, les Lumières, le mouvement ouvrier... Ces mouvements
et ces expériences avaient toujours leur spécificité, réinventant
à chaque fois le projet d’autonomie, notamment dans les périodes
de révolutions (commune, soviets...). Le projet démocratique a fait
sens dans l’Histoire et fait sens à chaque fois qu’il
est « repris, recréé en tant que projet »71. Il
s’appuie aujourd’hui sur « des précédents historiques
qui, malgré leurs échecs relatifs ou leurs insuffisances, et sans
être nullement des modèles, valent et jouent comme des « germes » »71.
Tout cela nous aide à garder en mémoire que la petite part de démocratie
qui existe dans nos sociétés « n’a pas été engendrée
par la nature humaine ni octroyée par le capitalisme, mais est là
comme le résultat (...) de luttes et d’une histoire qui ont
duré plusieurs siècles »72.
La validité du projet d’autonomie
Pourquoi choisit-on un projet de société plutôt qu’un autre ?
Comment le justifie-t-on ? Quelles sont les raisons profondes,
ultimes, qui rendent le projet d’autonomie préférable à d’autres ?
Nos positions politiques partent souvent de principes de base, de
présupposés, d’hypothèses inaugurales, difficiles à démontrer :
« l’humain-e est naturellement bon-ne », « l’humain-e
est naturellement mauvais-e », « Dieu existe », etc.
etc. Si on creuse les discussions politiques, on se heurte souvent,
au bout de la conversation, à de tels postulats.
Le postulat de base du projet d’autonomie, c’est la
raison. L’humain-e serait doué de raison et aurait intérêt
à s’en servir pour construire la société qui lui convient,
pour la faire fonctionner en toute autonomie. Une démonstration
rationnelle pourrait confirmer ce postulat de base. Mais le choix
d’une démonstration rationnelle est déjà un choix. « Ce
projet est une option raisonnable, mais non pas un « choix
rationnel », car il n’existe pas d’argumentation
soutenant le choix des valeurs ultimes orientant l’agir humain.
Dire cela n’est pas refuser la raison, mais simplement reconnaître
que « rien ne permet de « fonder » les choix ultimes
(...). Rien ne peut nous sauver de notre responsabilité ultime
(...). Pas même la Raison. »73
Impossible, alors, de clamer que le projet d’autonomie est
objectivement le meilleur. Car le choix de la raison, qui le sous-tend,
est un choix subjectif. « L’autonomie n’a rien
d’une nécessité, elle est un projet dont la réussite n’est
nullement assurée »74. Cela ne veut pas dire qu’il faut
tomber dans un relativisme désespéré, et abandonner tout projet
de société. Cela veut simplement dire que nous devons assumer cette
subjectivité, cette liberté, cette responsabilité, sans s’en
remettre à un principe supérieur.
« Castoriadis juge même que le fait de fonder philosophiquement
en raison le projet de la raison est un « mauvais usage de
la raison », car la décision même de philosopher n’est
elle-même qu’une manifestation de la liberté, comme tentative
d’être libre dans le domaine de la pensée : « nous
avons décidé que nous voulons être libres - et cette décision est
déjà la première réalisation de la liberté »75. « Il
est impossible de fonder rationnellement la raison sans la présupposer.
On doit dès lors accepter que (...) la position de la raison soit
inaugurale, qu’elle soit une auto-position inaugurale. »76
« Il reste par exemple le problème du refus de la raison, du
droit, de la justification, de la discussion. Cette question difficile
ne peut pas être éludée, car il est clair que pour reconnaître (ou
refuser) des raisons, il faut se situer à l’intérieur
de la raison. »74
Castoriadis affirme donc que nous ne pouvons nous reposer sur aucune
certitude, aucun principe absolu, pour justifier nos choix de société.
Il rappelle que toute la responsabilité d’un choix politique
revient à l’humain-e, que ce choix ne dépend que de lui ou
elle, qu’ille doit en être conscient-e et assumer cette responsabilité.
C’est une position plus honnête que toutes les prétendues
vérités universelles. Et c’est une position encore une fois
cohérente avec cette idée d’autonomie, selon laquelle l’humain-e
peut décider et agir librement, qu’aucune instance supérieure
ne le gouverne ou ne préside à ses choix.
Mais à ce moment-là se pose la question de l’universalité
du projet d’autonomie, comme de tout projet de société. Le
choix de la raison serait-il un choix culturel, lié à l’histoire
de l’Occident, serait-ce prétentieux, serait-ce un ethno-centrisme
que de prétendre à ce qu’il se répande dans le monde entier,
même chez des peuples qui ont d’autres cultures ? C’est
ce que Castoriadis appelle la question de « la transvalidité
du projet d’autonomie - le fait qu’il puisse valoir
au-delà de son contexte d’apparition »77. Car l’acculturation
à l’autonomie « repose sur le fait que [l’autonomie]
peut faire sens pour d’autres sujets dans d’autres cultures »78.
Cette question ramène encore une fois à celle du relativisme. « Face
à la pluralité et l’altérité des sociétés humaines (...) on
peut se borner à reconnaître la différence comme telle, débouchant
ainsi sur un relativisme intégral. Mais on peut aussi (...) distinguer
la validité de fait, validité non questionnée de l’institué
pour chaque société, et la validité de droit (...) que nous
introduisons/acceptons dès que nous questionnons la validité de
fait. [En s’appuyant sur] la réflexion et la délibération,
c’est-à-dire la raison. »76 La différence des
cultures humaines n’est donc pas un prétexte pour ne jamais
les questionner, pour les accepter telles quelles sans discuter.
Elle devrait à l’inverse alimenter des réflexions et permettre
des débats inter-culturels sur des projets de société. Les valeurs,
relevant du domaine de la subjectivité, du choix, de l’opinion,
peuvent être remises en cause. Et l’on peut défendre l’autonomie
comme « une valeur trans-sociale de droit, (...) qui
repose elle-même sur une potentialité de tout être humain-social,
celle de devenir une subjectivité réfléchissante, un être autonome
et citoyen, et sur une potentialité de toute société humaine, celle
de devenir une société autonome capable de se réfléchir et de se
décider après délibération »77.
Mais défendre la valeur d’autonomie en tant que valeur trans-culturelle,
universelle, ne veut pas dire l’imposer aux autres cultures.
Car le principe même de cette valeur implique qu’elle soit
adoptée en toute connaissance de cause et en toute liberté de choix.
« Toute méthode violente est exclue par principe, car auto-contradictoire.
(...) C’est seulement moyennant la propagation par l’exemple
de ces valeurs et principes fondamentaux (...) et moyennant leur
appropriation par les autres cultures, les autres sociétés
et les autres individus, que le projet d’autonomie peut acquérir
une transvalidité à la fois de droit et de fait. »78 Quoi qu’il
en soit, plusieurs exemples de luttes sociales dans des pays lointains
montrent que les principes liés à l’autonomie existent en
germe dans d’autres cultures que la nôtre, au point que les
autorités locales présentent le besoin de leur opposer une forte
répression.79
Une société autonome
« L’objectif de la politique n’est pas le bonheur,
« affaire privée », mais la liberté. »80
Que sera, concrètement, une société autonome ? L’autonomie
appliquée à diverses cultures donnera-t-elle des sociétés similaires
voire identiques ? Quels sont les principes liés à l’autonomie ?
L’autonomie entraîne-t-elle automatiquement avec elle d’autres
valeurs sociales ? « L’autonomie vaut aussi et surtout
pour pouvoir faire des choses. Mais faire quoi ? Ce
« quoi » a rapport aux contenus, (...) aux valeurs positives
d’orientation de l’action. »50 Ces valeurs seront
diverses selon les sociétés et n’ont pas à être prescrites,
mais on devine qu’elles auront à voir avec l’égalité,
la liberté, la justice.
Développons un peu. La liberté, c’est « l’espace
de mouvement et d’action le plus large possible. » L’égalité,
c’est une « égalité de droits et de devoirs, (...) et
de toutes les possibilités effectives de faire »81. « Liberté
et égalité s’impliquent réciproquement. »82 Et quant
à la justice, « une société juste n’est pas une société
qui a adopté, une fois pour toutes, des lois justes, [mais] une
société où la question de la justice reste constamment ouverte
- autrement dit, où il y a toujours possibilité socialement effective
d’interrogation sur la loi et le fondement de la loi »83.
Quand Castoriadis parle d’égalité, « il s’agit
« d’égalité politique, d’égalité de participation
au pouvoir » ; et non d’identité ou d’uniformité
entre les individus »84. « Le projet d’autonomie
est incohérent et inconsistant s’il ne réserve pas d’emblée
une place centrale à la question des conditions d’exercice
de l’autonomie. »85 En effet, l’autonomie a-t-elle
un sens si elle est réservée à quelques privilégié-e-s ? « Pas
d’exécution sans participation égalitaire à la prise de décisions. »86
Quelles sont alors les conditions de cette égalité politique, comment
la construire ? L’égalité démocratique « implique
non seulement la capacité de juger, mais aussi « le temps
nécessaire pour l’information et la réflexion - ce qui conduit
directement à la question de la production et de l’économie » »87.
L’égalité politique requiert donc d’une part une éducation
et une information qui donnent à tou-te-s les moyens intellectuels
de participer à l’autogestion de la société, et d’autre
part une économie qui n’accapare pas toute entière le temps
et les forces des humain-e-s, qui leur en laisse suffisamment pour
qu’illes puissent se pencher véritablement sur les questions
de société. Le principal argument des partisan-e-s de la démocratie
représentative n’est-il pas qu’illes manquent de temps,
le soir en rentrant du travail, pour se préoccuper de politique,
et qu’illes sont content-e-s de pouvoir déléguer cette tâche
à des spécialistes ?
Toutes ces idées sont bien belles, mais, diront les sceptiques,
comment les appliquera-t-on dans la réalité ? Comment faire
fonctionner, concrètement, une société autonome ? Castoriadis
se garde de donner une réponse toute faite, une recette magique
et figée. Mais il a quand même donné quelques pistes, notamment
à l’époque de la revue Socialisme et Barbarie, en s’inspirant
du conseillisme88. Il rappelle d’abord qu’il s’agit
de permettre « une participation civique maximale, elle-même
rendue possible par des institutions adéquates. » « Les
institutions, et au premier chef le travail, doivent devenir compréhensibles
et contrôlables »89. Les institutions sont des outils, des
moyens, qui doivent rester entièrement maîtrisés par leurs usager-e-s,
et qui doivent aider l’exercice égalitaire de l’autonomie.
Par exemple ce seront des outils d’information pertinente.
Ou des corps de délégué-e-s tournant-e-s et révocables (« toute
irrévocabilité (...) tend logiquement et réellement à « autonomiser »
le pouvoir »90). Ou des fonctionnements qui permettront au
peuple de « revenir éventuellement sur une décision erronnée
ou sur une mauvaise loi et la modifier »91. Ou des structures
fédérales qui uniront les différentes collectivités locales, (les
« conseils ») assurant à la fois leur mise en réseau efficace,
à la fois une décentralisation maximale de la société89. Ou des
entreprises administratives, soumises au pouvoir de l’A.G.
des conseils, qui restent en place entre ces A.G. et qui en assurent
la continuité92.
Et sur le plan économique ? Castoriadis énonce l’idéal
d’une économie autogérée qui pourrait « restaurer la
domination de l’homme sur la technique et rétablir le travail
dans son caractère d’activité créatrice »89. Il note
bien que « la démocratie implique l’autogestion, qui
est elle-même la démocratie dans la production »93.
Autrement dit, cette fameuse autogestion correspond à « la
réunification des fonctions de direction et d’exécution et
la suppression de la contrainte économique »89.
Castoriadis décrit également une institution possible pour aider
l’autogestion de l’économie : « l’usine
du plan ». « La gestion de l’économie par les travailleurs
mobilise un dispositif technique sans pouvoir propre, « l’usine
du plan », qui permet d’élaborer, à partir d’un
objectif final, des plans comportant toutes les implications en
termes de quantité de travail, de productivité, etc. Déterminant
les 2 données fondamentales - le temps de travail qu’elle
veut consacrer à la production, la répartition de la production
entre consommation privée, consommation publique et investissement
- la collectivité choisit en toute connaissance de cause dans la
gamme des orientations possibles, définies à l’aide des plans. »89
Autant ces formes d’institutions peuvent donner des idées
et répondre aux pragmatismes primaires et désespérés, autant elles
ne doivent pas être vues comme indiscutables et parfaites :
dans l’autonomie rien n’est indiscutable, et rien ne
sert de modèle absolu. Castoriadis rappelle constamment que les
institutions, dans une société autonome, seront le fruit de la délibération,
de l’imagination des expérimentations de chaque collectivité.
Et pour préciser la manière dont il voit leur rôle, il écrit que
« le problème crucial d’une société post-révolutionnaire
n’est ni celui de la « gestion de la production »
ni celui de l’organisation de l’économie. C’est
le problème politique proprement dit, ce que l’on pourrait
appeler le négatif du problème de l’Etat, à savoir, la capacité
de la société d’établir et de conserver son unité explicite
et concrète sans qu’une instance séparée et relativement autonome
- l’appareil d’Etat - soit chargé de cette « tâche » »94.
L’auto-limitation
« La société autonome ne connaît d’autre limitation
que son auto-limitation. »95 Pas d’Etat, pas de police,
pas de traditions à craindre, pas de promesses de paradis ou d’enfer :
qui posera des limites à la liberté humaine, qui empêchera les humain-e-s
de commettre des bêtises ? Rien ni personne d’autre que
leur propre conscience, leur propre éthique, leur propre réflexion.
C’est le paradoxe de l’autonomie, qui à la fois cultive
la liberté des humain-e-s, et à la fois cultive une capacité de
cette liberté à se mesurer elle-même. « Les deux aspects -
créativité et auto-limitation - sont inséparables : la liberté
ne peut être dissociée de l’adoption de comportements prudents. »96
Il y a une « tension entre l’illimitation - (...)
la possibilité illimitée par principe de se transformer - et l’auto-limitation.
Or, affronter ce problème récurrent, que rien ne peut résoudre d’avance,
c’est la tâche des individus éduqués dans, par et pour la
démocratie »97. « Il faut à la fois favoriser
l’activité instituante et introduire le maximum de réflexivité
en elle. »95
Ainsi, la démocratie peut faire peur. « Régime de la liberté,
cette démocratie est donc le régime du risque historique. Mais elle
est aussi, ipso facto, le régime de l’auto-limitation. »51
La démocratie, « régime tragique » du « risque historique » :
cela « ne signifie pas qu’elle est plus exposée que d’autres
formes de société aux menaces sur son intégrité, mais qu’elle
se confronte à l’absence totale d’assurances
ultimes quant à son être propre, ses orientations, ses décisions
et leurs conséquences »98. En effet, qu’en est-il des
autres sociétés, de la démocratie représentative par exemple ?
Comportent-elles plus d’assurances ultimes quant à leur intégrité ?
Pas vraiment : elles ne font que cultiver des assurances illusoires ;
les citoyen-ne-s effrayé-e-s par l’abîme de la liberté pensent
se préserver en confiant les dangereuses tâches politiques aux sécurisant-e-s
expert-e-s politicien-ne-s. Ce faisant, illes ne se confrontent
pas directement au « risque historique », illes le fuient
en le délégant... Mais doivent bien s’apercevoir au bout du
compte que les expert-e-s ne sont pas plus raisonnables qu’elleux-mêmes,
qu’illes mènent tout droit la société dans l’hubris,
l’expansion illimitée et incontrôlée. Ainsi les humain-e-s
ont tout intérêt à reprendre possession de leur sort collectif,
« en opposant leur créativité au processus de réification,
et dans celui d’une frugalité raisonnable, en opposant leur
autolimitation à la démesure capitaliste »96. Il s’agit
donc d’affirmer haut et fort la portée politique de la responsabilité,
de la conscience et de l’auto-limitation, principes subversifs
dans une société qui noie ses angoisses existentielles dans une
fuite en avant aux relents pharaoniques. « Ce n’est qu’à
partir de cette conviction, à la fois profonde et impossible, de
la mortalité de chacun et de tout ce que nous faisons, que l’on
peut vraiment vivre comme être autonome et qu’une société
autonome devient possible. »99
Comment, dans une société autonome, gérer concrètement cette « tension/contradiction
entre, d’un côté, la libération (...) de la créativité sociale
(cette libération étant une caractéristique centrale d’une
démocratie véritable) et de l’autre, les dispositions « prudentes »,
les dispositifs institutionnels et les dispositions anthropologiques
« raisonnables » chargées de prévenir l’hubris,
la démesure »100 ? Quels seront ces dispositifs et dispositions,
ces outils de l’auto-limitation ?
Les institutions de l’auto-limitation peuvent certes être
multiples, ce peuvent être des structures démocratiques qui veillent
au respect du principe d’autonomie, qui empêchent les prises
de pouvoir unilatérales, qui assurent le maintien des droits et
des acquis sociaux. Ce peuvent être des organes de « production
et diffusion maximales de l’information politiquement pertinente,
indispensable aux citoyens pour une prise de décision en connaissance
de cause »101.
Mais aucune institution ne suffira jamais à garantir les principes
d’autonomie et d’auto-limitation. Ces principes doivent
être intériorisés par les humain-e-s : leur éducation doit
leur transmettre des valeurs fortes, un souci de la chose publique,
un intérêt pour la conscience et la responsabilité. « S’il
n’y a aucune garantie absolue pour une société autonome, la
garantie « la moins contingente de toutes se trouve dans la
paideia des citoyens, dans la formation (toujours sociale) d’individus
qui ont intériorisé à la fois la nécessité de la loi et la possibilité
de la mettre en question, l’interrogation, la réflexivité
et la capacité de délibérer, la liberté et la responsabilité. » »102
Une mutation anthropologique
C’est là que Castoriadis relativise l’importance de
réfléchir aux institutions d’une société autonome. Il rappelle
constamment que pour construire une société autonome, il ne suffit
pas d’empiler les aménagements techniques, les changements
de structure, d’économie, d’institutions. Tous ces changement
n’ont aucun sens si les attitudes, les motivations profondes
des humain-e-s ne changent pas. « Face à l’émergence
toujours possible de tendances bureaucratiques, il est absolument
indispensable que la population dans son ensemble exerce le pouvoir.
Mais cela suppose évidemment qu’elle le veuille »92.
Et là nous touchons au domaine de ce que Castoriadis appelle les
« significations » sociales. L’imaginaire de la
société, qui est aussi celui de chaque personne membre cette société,
est composé de « significations » : c’est l’éthique,
la culture, les représentations, les valeurs, le sens qui vont orienter
l’action et le quotidien des humain-e-s, et qui sont transmis
par l’éducation, par la paideia. C’est ce qui qualifiera
le « bien » et le « mal », « l’important »
et « l’anodin », « l’utile » et
« l’inutile »... C’est ce qui détermine nos
choix, ce qui donne du poids à l’obéissance, ou à la carrière,
ou à la solidarité... C’est ce qui concerne « le niveau
le plus radical, des ressorts profonds et des motivations de l’agir
humain ». Nous sommes dans « un monde réel qui ne tient
ensemble qu’avant tout parce qu’il est un « monde
de significations » »103 : la société « comporte
une composante imaginaire qui excède toute détermination fonctionnelle »104.
Cet imaginaire, cet ensemble de mœurs et de « significations »,
compose un certain type d’individu, un certain type d’être,
ce que Castoriadis appelle un « type anthropologique ».
Chaque culture, chaque régime politique, crée un « type anthropologique »
qui lui correspond et que les individu-e-s intériorisent. Castoriadis
rappelle le « fait, bien connu de Platon, Rousseau et d’autres,
qu’il n’existe aucune institution sociale et politique
qui ne soit liée aux mœurs, c’est-à-dire à la
totalité de la structure anthropologique, socio-psychologique, des
individus vivant sous cette institution »105. En d’autres
mots, « les institutions et les moeurs ne sont pas dissociables »106.
Les institutions seules d’une société ne suffiraient d’ailleurs
pas à maintenir l’ordre social, tout comme elles ne suffiront
pas à construire une société autonome : les mœurs gouvernent
les humain-e-s bien plus profondément que les institutions, car
elles les entraînent à adhérer spontanément à l’ordre social.
« En se créant, la société crée l’individu et les individus
dans et par lesquels seulement elle peut être effectivement. »107
Ainsi, construire une société révolutionnaire ne signifie pas simplement
changer les structures administratives, changer les institutions,
changer l’appareil de production... Cela signifie changer
de valeurs, changer de mœurs, de morale, de mentalité, opérer
ce que Castoriadis appelle « une mutation anthropologique ».
« C’est seulement au niveau culturel qu’une politique
de la liberté peut s’ancrer profondément et durablement, et
par conséquent être investie par les individus. »108 Construire
une société autonome, c’est donc combattre les valeurs du
capitalisme et de l’hétéronomie, c’est susciter « un
renouveau des attitudes profondes des gens », c’est les
encourager à « envisager comme finalité essentielle [leur]
propre transformation »109. En ce sens, l’autonomie pour
Castoriadis est bien plus qu’une forme politique, plus qu’une
simple technique, qu’un simple moyen. « Elle est indissociable
d’une conception substantive des fins de l’institution
politique et d’une vue, et d’une visée, du type d’être
humain lui correspondant. »110
Le chantier de destruction, de déconstruction de l’imaginaire
capitaliste111, portera entre autres sur les valeurs de l’économie
et de la hiérarchie. « Le prix à payer pour la liberté, c’est
la destruction de l’économique comme valeur centrale, en fait,
unique. »112 « Cette rétrogradation [de
l’économique], qui revient à remettre l’économie « à
sa juste place, de simple moyen de la vie humaine »,
équivaudrait à détrôner l’investissement psychique et social
de l’accumulation et de la compétition, permettant du coup
une libération des énergies individuelles et collectives en vue
de réimpulser l’investissement de la politique et de la
démocratie. »113
Les valeurs économiques et hiérarchiques sont souvent imbriquées
l’une dans l’autre, puisque l’accumulation de
biens, à laquelle nous motive l’économie capitaliste, amène
tout un imaginaire hiérarchique : la compétition, la différenciation
des revenus, l’échelle sociale114... Mais l’imaginaire
de la hiérarchie, qu’on retrouve dans « l’expertise »,
dans la bureaucratie, ne se limite pas, bien sûr, au domaine économique...
Castoriadis « souligne la dimension à la fois sociale et psychique
du problème [de la hiérarchie], qui touche à l’identité et
l’auto-représentation des individus telles que mises en forme
et orientées dans leur contenu par les institutions sociales »114.
Il répète la nécessité de mettre en place d’autres valeurs,
la nécessité d’un projet de société autonome où « la
passion pour la démocratie et pour la liberté, pour les affaires
communes, prend la place de la distraction, du cynisme, du conformisme,
de la course à la consommation »112.
Castoriadis décrit en effet ce que pourrait être le « type
anthropologique » de la société autonome. Il parle d’un
« sujet de l’autonomie », c’est-à-dire d’un
type d’individu bien particulier, « un type d’être
qui se donne à soi-même, réflexivement, ses lois d’être »115.
« Un être humain qui soit une « subjectivité réfléchissante
et délibérante », un « sujet » au sens plein, capable
de réflexivité et de volonté (capacité d’action
délibérée), (...) un citoyen actif et responsable ayant investi
les visées de liberté et de lucidité »42. « Le sujet de
l’autonomie s’instaure ainsi comme instance active et
lucide, rendant par là possible une politique de la liberté, fondée
sur la responsabilité des individus. »45 Castoriadis, s’attachant
ainsi à décrire les « individus autonomes - autonomes au moins
en devenir »116, ne se limite pas aux considérations
sociologiques globales, et descend fouiller jusqu’à l’échelle
de l’individu ce que pourrait signifier le projet d’autonomie.
La psychanalyse, qu’il pratique, intervient aussi, selon lui,
pour aider cette construction d’un sujet autonome : « la
psychanalyse a, pour l’essentiel, le même objet que la politique :
l’autonomie des êtres humains »117. Elle aide la raison,
pour chaque individu, « non pas [à] supprimer les pulsions
et évacuer l’inconscient, mais [à] « prendre leur place
en tant qu’instance de décision ». »118
Il faut bien saisir qu’au fond des questions de valeurs,
de « type anthropologique », il y a des questions existentielles.
Face à la question du sens de la vie, face à l’effrayant « abîme
du monde », chaque culture a ses réponses, chaque société rassure
ses membres. « Si l’institution sociale a pour « fonction »
première l’auto-conservation, elle doit pour cela assurer
une autre fonction essentielle : la socialisation de la psyché,
la fabrication sociale de l’individu, dans et par laquelle
l’institution doit surtout fournir du sens à la psyché. »119
Dans l’hétéronomie, le sens de l’agir humain est dicté
par des principes supérieurs et inébranlables : la religion,
la tradition, transmettent une morale qu’on ne saurait remettre
en cause, sous peine d’exclusion. Castoriadis dit alors que
le sens est clos : il est fixé, imposé, immobile. Dans une
véritable démocratie, au contraire, « il n’y a ni sens
donné, ni garant du sens, mais seulement du sens créé dans et par
l’Histoire Humaine. La démocratie doit donc écarter le sacré »99.
Et la démocratie signifie donc « la rupture de la clôture du
sens, incarnée dans la mise en question des institutions établies
et des représentations collectivement admises »120. Les significations
sociales doivent être conscientes et réfléchies pour chaque membre
de la société, et elles doivent à tout moment pouvoir être remises
en question. Elles doivent être « sans fondement absolu »
ni « garantie extra-sociale »119.
La paideia
Castoriadis décrit donc l’idéal d’un « type anthropologique »
de l’autonomie, il décrit quelle « mutation anthropologique »
il faudrait entamer aujourd’hui. Mais il décrit aussi l’outil
qui peut construire ce « type anthropologique », ces individu-e-s
autonomes : il l’appelle « paideia ». Ce mot
recouvre pour lui tous les processus d’éducation, au sens
large : l’éducation des enfants, l’école, mais
aussi l’éducation de tous les êtres, à tous les âges de la
vie, leur socialisation, par la culture qui baigne la société. « La
paideia, l’éducation-socialisation, (...) a pour fonction
d’incarner et transmettre la conception (...) du bien commun. »80
« C’est dans et par elle seulement que peut se réaliser
l’intériorisation des significations et des institutions démocratiques. »121
En effet, comme dans toute société, l’éducation, la socialisation,
l’acculturation, fait le lien entre chaque individu et l’ensemble
de la société, entre le domaine intime, personnel, de la psyche,
et le domaine collectif des structures sociales. En des termes plus
savants, la paideia « pourvoit à l’interfaçage psyche-société »,
une médiation entre « les deux pôles où l’autonomie est
en jeu, le pôle individuel, avec la psyche et la praxis psychanalytique,
et le pôle collectif, avec la société et la praxis politique. »108
Castoriadis aborde également la question précise de l’école.
Son but, d’après lui, ne devrait pas être celui de gaver le
cerveau des enfants, mais de développer leur autonomie dans l’apprentissage.
« A propos d’une telle éducation, dont l’objet
fondamental « n’est pas d’enseigner des matières
spécifiques, mais de développer la capacité d’apprendre du
sujet - apprendre à apprendre, apprendre à découvrir, apprendre
à inventer », deux principes s’imposent : « tout
processus d’éducation qui ne vise pas à développer au maximum
l’activité propre des élèves est mauvaise, tout système éducatif
incapable de fournir une réponse raisonnable à la question éventuelle
des élèves : pourquoi devrions-nous apprendre cela ? est
défectueux. ». »122 « La pédagogie doit, à chaque
instant, développer l’activité propre du sujet en utilisant,
pour ainsi dire, cette même activité propre. »123 : là
encore Castoriadis reprend l’idée de l’autonomie comme
fin et comme moyen. « Une éducation non mutilante [...] est
d’une importance capitale. »123 « L’éducation
ainsi conçue ne peut être que publique, elle n’est
pas garantie du tout, ni dans son déroulement ni dans ses
résultats, et surtout elle n’est pas neutre. Elle
est une activité paradoxale, qui consiste à « influencer l’enfant
pour l’aider à se débarrasser de ses influences ». »123
Insistant sur « la nature profondément politique de la question
de l’éducation »121, Castoriadis fait donc de la paideia
« l’institution la plus radicale, centrale et
fondamentale du projet d’autonomie »124.
La révolution
Pour Castoriadis,l’avènementd’une société autonome
passe par une révolution. Mais pour lui, la révolution n’est
pas seulement un moment ponctuel et brutal, ni n’ouvre d’un
coup les portes d’une ère paradisiaque. La révolution est
surtout un processus, qui peut prendre du temps, où l’autonomie
est déjà mise en pratique, et qui remet en question la société dans
sa globalité. « Une modification radicale de l’existant
impliquant l’activité autonome des hommes. »65 « La
révolution correspond au changement de certaines institutions centrales
de la société par l’activité de la société elle-même, et elle
se caractérise par l’entrée de l’essentiel de la communauté
dans une phase d’activité politique, c’est-à-dire instituante. »125
C’est cette activité instituante qui correspond à l’activité
autonome : le questionnement politique n’est pas délégué
à des expert-e-s, il est réapproprié par tout-un-e-chacun-e, il
prend une place essentielle dans la vie sociale. Et cette activité
autonome anime le processus révolutionnaire mais aussi la société
autonome qui lui succède. « Le principe central est que la
forme de la révolution et de la société post-révolutionnaire,
conçues toutes deux comme des processus, est précisément l’activité
d’auto-organisation et d’auto-institution. »126
Pourquoi nous faut-il une révolution pour changer la société ?
« La société est totalité effective, et (...) donc sa réorientation
et sa réorganisation ne peuvent s’inscrire que dans et par
une réinstitution globale et radicale, c’est-à-dire
prenant pour objet à la fois les institutions, les moeurs et les
sujets sociaux qui les animent. »105 Castoriadis insiste sur
l’aspect global de notre société : tout s’y tient,
l’aliénation concerne tous les domaines de la vie, l’économie,
la culture, etc. La critique de la société doit « s’élargir
à tous les aspects de la vie moderne »127. Et le renversement
de cette société, par conséquent, ne peut être que total. D’ailleurs,
« pour Castoriadis, c’est précisément le fait que les
gens soient animés par une visée et une volonté globales
qui permet » de parler d’expériences révolutionnaires
dans l’Histoire105. Ainsi, « la politique révolutionnaire
consiste à reconnaître et expliciter les problèmes de la société
comme totalité, à les aborder de façon active et à montrer que la
mise en oeuvre du projet révolutionnaire accroîtrait la capacité
de la société de faire face à ses propres problèmes »128.
Quel est le sujet de la révolution ? C’est toutes les
personnes qui s’engagent dans les processus d’autonomie.
« Insistant sur la structure hiérarchique pyramidale de la
société bureaucratisée, où la coupure dirigeants/exécutants tend
à se relativiser du fait de l’émergence croissante de couches
intermédiaires, [Castoriadis] soutient en outre que les concepts
traditionnels de « classe » et « d’exploitation »
cessent d’être pertinents pour la société moderne, et que
la seule distinction valable s’établit entre ceux qui acceptent
le système et ceux qui le combattent. A cet égard, une prise
de conscience de la totalité des problèmes pourrait rencontrer la
tendance à l’autonomie inscrite dans les manifestations
concrètes de la vie des hommes. »129 D’ailleurs, Castoriadis
voit dans les crises actuelles de la socialisation (« inadaptation »,
piratages, « problèmes des banlieues »...) des signes
de la volonté des gens de prendre leur vie en main129. Ce sont des
symptômes de cette tendance à l’autonomie, qu’il faut
aider à conscientiser et à rendre explicites, et qu’il faut
encourager à s’affirmer, sans tomber dans le piège des partis
politiques « révolutionnaires », qui en réalité reproduisent
un schéma de délégation, d’hétéronomie. « S’agissant
des formes d’organisation et d’action de la population,
l’idée centrale consiste à concurrencer et marginaliser
les partis politiques moyennant la création et la mise en oeuvre
par la population d’organes collectifs autonomes et démocratiques. »130
Castoriadis parle de « l’autonomie du prolétariat :
(...) ce dernier doit parvenir à la conscience socialiste que dans
et par son expérience propre »131.
Conclusion
L’autonomie est le « régime qui essaie de réaliser,
autant que faire se peut, l’autonomie individuelle et collective,
et le bien commun tel qu’il est conçu par la collectivité
concernée »132. Il n’est autre qu’une « radicalisation
de la problématique démocratique », et s’enracine donc
dans une Histoire millénaire. Pour le construire, Castoriadis ne
donne pas de recettes, ne résout pas a priori les obstacles, mais
ouvre des perspectives. Il préconise un changement social radical
et global, nécessitant :
démocratie directe et praxis, pour construire « une
politique démocratique authentique »
une paideia et une mutation anthropologique qui bâtissent
une culture de l’autonomie et des individu-e-s qui se posent
en acteurs et actrices d’une démocratie véritable : des
citoyen-ne-s lucides et actifs/ves.
Le projet d’autonomie implique « un véritable devenir
public de la sphère publique/publique, une réappropriation du pouvoir
par la collectivité, l’abolition de la division du travail
politique, la circulation sans entraves de l’information politiquement
pertinente, l’abolition de la bureaucratie, la décentralisation
la plus extrême des décisions, le principe : pas d’exécution
des décisions sans participation à la prise de décisions, la souveraineté
des consommateurs, l’auto-gouvernement des producteurs - accompagnés
d’une participation universelle aux décisions engageant la
collectivité, et d’une auto-limitation »133.
« La renaissance du projet d’autonomie requiert (...)
un changement radical de la représentation du monde et de la place
des humains dans celui-ci. (...) Il faut détruire la (...) poussée
d’expansion indéfinie d’une prétendue maîtrise et constellation
d’affects qui l’accompagnent : irresponsabilité
et insouciance. Nous devons dénoncer l’hubris en nous et autour
de nous, accéder à un ethos d’auto-limitation et de prudence,
accepter cette mortalité radicale pour devenir enfin, tant que faire
se peut, libres »134.
Anonyme
P.S. Notes
1. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.140
2. Cornelius Castoriadis, Le régime social de la Russie, 1978,
in les Carrefours du Labyrinthe II, Seuil 1986, rééd. 1999, pp.
197-198
3. Cornelius Castoriadis, Complexité, magma, histoire, 1993, in
les Carrefours du Labyrinthe V, Seuil 1997, pp.219-221
4. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, pp.142-143
5. Cornelius Castoriadis, La montée de l’insignifiance, 1994,
in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, p.101
6. Cornelius Castoriadis, Le délabrement de l’Occident, 1991,
in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.67-68
7. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, pp.144-145
8. idem, p.24 / 9. idem, p.21 / 10. idem, p.23 / 11. idem, p.22
12. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le
capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution
II, 10/18 1979, pp.135-139
13. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.159
14. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in les Carrefours
du Labyrinthe V, Seuil 1997, p.75
15. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le
capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution
II, 10/18 1979, p.49
16. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le
capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution
II, 10/18 1979, p.140-144
17. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.27 / 18. idem, p.149
19. Cornelius Castoriadis, Le mouvement révolutionnaire sous le
capitalisme moderne, 1960-1961, in Capitalisme moderne et révolution
II, 10/18 1979, p.69
20. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.102
21. Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?, 1990, in les
Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, p.150-152
22. Cornelius Castoriadis, Une exigence politique et humaine, Alternatives
économiques n°53, janvier 1988, p. 28
23. Cornelius Castoriadis, Introduction générale, 1973, in La société
bureaucratique, 10/18 1973, p.40
24. Cornelius Castoriadis, La montée de l’insignifiance,
1994, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.90-91
25. Cornelius Castoriadis, La crise de la société moderne, 1966,
in Capitalisme moderne et révolution II, 10/18 1979, pp.295-299
26. Cornelius Castoriadis, La crise de la société moderne, 1982,
in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.12-19
27. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.166
28. Cornelius Castoriadis, La crise des sociétés occidentales,
1982, in les Carrefours du Labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.20-26
29. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.155
30. Cornelius Castoriadis, Entretien accordé au journal Le Monde,
10 décembre 1991
31. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.153, et Cornelius Castoriadis, Entretien accordé
au journal Le Monde, 10 décembre 1991
32. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.32 / 33. idem, p.35
34. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.33
35. Cornelius Castoriadis, Marxisme et théorie révolutionnaire,
1964-1965, L’Institution imaginaire de la société, Seuil 1975
rééd. 1999, p.15
36. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.30 / 37. idem, p.29
38. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.36, et Cornelius Castoriadis, La question de
l’histoire du mouvement ouvrier, 1974, in L’expérience
du mouvement ouvrier I, éd.10/18 1974, pp.11-120
39. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.43
40. Cornelius Castoriadis, Le contenu du socialisme,1955, éd.10/18
1979, p.95
41. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.53 / 42. idem, p.80
43. idem, p.156 / 44. idem, p.60 / 45. idem, p.53 / 46. idem, p.69
/ 47. idem, p.61 / 48. idem, p.55
49. idem, p.59 / 50. idem, p.99 / 51. idem, p.89 / 52. idem, p.103
53. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours
du labyrinthe V, Seuil 1997, p.66
54. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.117 / 55. idem, p.104
56. idem, p.66 / 57. idem, p.54
58. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.123-129
59. Cornelius Castoriadis, Stopper la montée de l’insignifiance,
paru dans le Monde Diplomatique, août 1998, pp.22-23
60. Cornelius Castoriadis, la Démocratie comme procédure et comme
régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996
61. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.36
62. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.131
63. Cornelius Castoriadis, L’institution imaginaire de la
société, rééd. Seuil 1999, pp.103-106
64. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000
65. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.48 / 66. idem, p.94
67. idem, p.92 / 68. idem, p.109 / 69. idem, p.126
70. Cornelius Castoriadis, La polis grecque et la création de la
démocratie, 1983, in Les Carrefours du labyrinthe II, rééd. Seuil
1999, pp.305-306
71. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.124
72. Cornelius Castoriadis, Tiers-monde, tiers-mondisme, démocratie,
1985, in Les carrefours du labyrinthe II, rééd. Seuil 1999, pp.108-109
73. Cornelius Castoriadis, Individu, société, rationalité, histoire,
1988, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. 2000, p.63
74. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.128
75. Cornelius Castoriadis, Individu, société, rationalité, histoire,
1988, in Les carrefours du labyrinthe III, rééd. 2000, p.69
76. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.125
77. idem, p.129 / 78. idem, p.130 / 79. idem, p.133 / 80. idem,
p.112
81. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979,
in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.17-18
82. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.96
83. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979,
in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.40-43
84. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.169, et Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?,
1990, in Les carrefours du labyrinthe VI, Seuil 1999, p.153
85. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.97
86. Cornelius Castoriadis, Socialisme et société autonome, 1979,
in Le contenu du socialisme, éd. 10/18 1979, pp.15-28
87. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.171, et Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?,
1990, in les Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, p.153
88. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.100
89. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.41 / 90. idem, p.103
91. Cornelius Castoriadis, Les enjeux actuels de la démocratie,
1986, art. cité, pp.317-318
92. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.42
93. Cornelius Castoriadis, Une exigence politique et humaine, 1988,
art. cité, p.26
94. Cornelius Castoriadis, La source hongroise, 1976, in Le contenu
du socialisme, éd. 10/18 1979, pp. 406-407
95. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.98
96. idem, p.176 / 97. idem, p.113 / 98. idem, p.112 / 99. idem,
p.114 / 100. idem, p.115 /
101. idem, p.170
102. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, p.139
103. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.58 / 104. idem, p.56 105. idem, p.75 / 106.
idem, p.119
107. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp.114-115
108. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000, p.78
109. idem, p.157
110. Cornelius Castoriadis, La démocratie comme procédure et comme
régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996, p.221
111. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000,p.177
112. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours
du labyrinthe V, Seuil 1997, p.76
113. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000,p.178
114. idem, p.180
115. Cornelius Castoriadis, Pouvoir, politique, autonomie, in Les
carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, p.131
116. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000,p.118
117. idem, p.79 / 118. idem, p.79, et Cornelius Castoriadis, L’institution
imaginaire de la société, 1975, Seuil 2000, pp.138-146
119. Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000,p.72
120. idem, p.110 / 121. idem, p.120
122. Cornelius Castoriadis, Psychanalyse et politique, 1989, in
Les Carrefours du labyrinthe III, rééd. Seuil 2000, pp. 146-150
123.Gérard David, Cornelius Castoriadis, le projet d’autonomie,
éd. Michalon 2000,p.82 / 124. idem, p.81 125. idem, p.76 / 126.
idem, p.77 / 127. idem, p.44 / 128. idem, p.49 / 129. idem, p.45
/ 130. idem, p.169 / 131. idem, p.39
132. Cornelius Castoriadis, La démocratie comme procédure et comme
régime, 1996, in Les carrefours du labyrinthe IV, Seuil 1996, pp.226-240
133. Cornelius Castoriadis, Fait et à faire, 1989, in Les carrefours
du labyrinthe V, Seuil 1997, p.74
134. Cornelius Castoriadis, Quelle démocratie ?, 1990, in
les Carrefours du Labyrinthe VI, Seuil 1999, pp.179-180
Origine : http://infokiosques.net/156
ou http://iso.metric.free.fr/04/pensee-castoriadis.htm
Les infokiosques : http://infokiosques.net/
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