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Origine : http://www.ac-versailles.fr/PEDAGOGI/ses/traveleves/fichlect/casto-combel.htm
I. LE MARXISME : BILAN PROVISOIRE
1. LA SITUATION HISTORIQUE DU MARXISME ET LA NOTION D’ORTHODOXIE
Le marxisme est une référence incontestable pour qui s’intéresse
aux problèmes de la société. Mais de quoi parle-t-on ? Les visions
du marxisme s’opposent, et chacune prétend à la vérité unique.
Le marxisme ne saurait se réduire au “ retour à Marx ”,
envisagé comme une exégèse des textes, pouvant être compris indépendamment
de la pratique historique et sociale à laquelle ils correspondent.
Dire qu’aucune des pratiques historiques qui se sont réclamées
du marxisme ne s’en inspirait “ vraiment ”,
c’est renier Marx lui-même, dont le but déclaré était non pas
d’interpréter, mais de transformer le monde. En fait, si la
pratique inspirée du marxisme a pu se révéler conservatrice, c’est
que depuis les années trente, le marxisme est devenu une idéologie,
comme “ complément solennel de justification ”
(Marx) des régimes totalitaires, comme doctrine de multiples sectes,
et comme théorie rigidifiée et n’évoluant plus. En ce sens,
les trotskistes sont aussi “ orthodoxes ” que
les staliniens. De même, Lukàcs essaie de maintenir une orthodoxie
en tentant de dégager une méthode marxiste, puisque méthode et contenu
ne peuvent jamais être séparés, en histoire encore moins qu’ailleurs :
“ les catégories en fonction desquelles nous pensons l’histoire
sont, pour une part essentielle, des produits réels du développement
historique ” (p. 19). En fait, le monde actuel ne peut
plus être compris, et encore moins transformé, à partir des catégories
marxistes, mêmes “ amendées ” ou “ élargies ”.
Il faut donc choisir entre une doctrine sclérosée et un projet de
transformation radicale de la société.
2. LA THÉORIE MARXISTE DE L’HISTOIRE
L’analyse économique du capitalisme est le nœud gordien
de la théorie marxiste. Pourtant, ses principales prévisions ont été
infirmées par les faits. C’est que cette théorie n’est
pas tenable, en tant qu’elle suppose que les hommes, prolétaires
ou capitalistes, sont entièrement transformé en choses. Or, si la
réification est bien une tendance lourde du capitalisme, elle ne peut
jamais être complète : la moindre activité économique nécessite
de faire appel à l’activité proprement humaine des travailleurs.
La contradiction dernière du capitalisme ne réside donc pas dans l’incompatibilité
entre développement des forces productives et rapports de production,
mais dans la concomitance de ce besoin de l’activité humaine
et de la volonté de réification du capitalisme. On ne peut donc pas
maintenir l’économie à la place centrale qu’elle occupe
dans le marxisme. C’est toute la philosophie de l’histoire
qui doit être reconsidérée. Enfin, il n’est plus possible de
penser que, “ à un certain stade de leur développement,
les forces productives de la société entrent en contradiction avec
les rapports de production existants ” (Contribution
à la critique de l’économie politique), alors qu’elles
en avaient été les forces motrices dans la phase progressive de la
bourgeoisie. C’est que parler de “ contradictions ”
dans le cadre des rapports sociaux est abusif ; on pourrait tout
au plus parler de tensions, se traduisant lorsqu’elles sont
trop fortes par un conflit. Encore ce modèle ne s’applique-t-il
qu’au passage des sociétés féodales-bourgeoises d’Europe
occidentale de 1650 à 1850 à la société capitaliste. Mais cette analyse
ne saurait être généralisée aux autres époques et aux autres continents.
Le développement de la technique ne peut s’analyser sans référence
aux attitudes sociales envers lui. Les “ superstructures ”
ne sont pas inertes face aux “ infrastructures ” :
il y a un rapport circulaire entre les deux. En fait, ces catégories
n’ont de sens que dans la société capitaliste. La tendance au
développement des forces productives ne fait pas partie de la “ nature ”
humaine, mais est socialement construite dans le cadre du capitalisme :
dans d’autres sociétés, les valeurs sont totalement étrangères
à ce complexe technico-économique. “ Si l’on ne veut
pas croire à la magie, l’action des individus, motivée consciemment
ou inconsciemment, est visiblement un relais indispensable à toute
action de “ forces ” ou de “ lois ”
dans l’histoire ” (p. 38).
Déterminisme économique et lutte de classe
La lutte de classe, dans le marxisme, n’est pas réellement
prise en compte. Dans Le Capital, elle n’est qu’un
sous-produit secondaire du matérialisme historique. Mais même si
l’on se réfère à d’autres textes de Marx, la lutte de
classe n’a pas d’utilité : le marxiste “ conséquent ”
sait où doit aller l’histoire. Si la lutte de classe va dans
le “ bon ” sens, elle n’explique rien
de plus et il n’est pas nécessaire de s’y référer. Si
elle va dans le “ mauvais ” sens, c’est
que les travailleurs sont encore sous l’emprise capitaliste.
Sujet et objet de la connaissance historique
La connaissance historique est objet de connaissance pour des
êtres historiques, i.e. insérés dans l’histoire de leur société,
car eux seuls peuvent se poser le problème de l’histoire.
Toute connaissance historique analyse donc les époques et les cultures
différentes avec les catégories de son époque et de sa culture ;
d’où le problème du sociocentrisme, que Marx l’avait
bien soulevé, mais dont on a vu qu’il ne s’était pas
affranchi. La théorie marxiste de l’histoire repose sur deux
piliers : d’une part, la dialectique historique, pour
laquelle chaque période historique dépasse la précédente ;
d’autre part, l’idée que le prolétariat, n’ayant
aucun intérêt particulier à faire valoir (Cf. Lukàks), est le mieux
à même de représenter la vision de l’histoire dans la société
sans classe. Nous avons déjà vu que la dialectique historique n’était
pas tenable. Quant à savoir si le prolétariat est la classe ultime,
ce qui est certain, c’est que personne ne peut parler à sa
place, de son point de vue. Et même s’il était la dernière
classe, il n’est guère possible de considérer que sa vision
du passé soit la vision ultime, celle qui ne pourrait être discutée.
Même dans la société sans classe, d’autres interprétations
de l’histoire pourront se faire jour, car celles-ci dépendent
au moins autant de facteurs culturels et historiques que de leur
production par une classe.
Remarques additionnelles sur la théorie marxiste de l’histoire
Sur l’évolution technologique et son rythme :
la période qui va du début du IVe siècle jusqu’au
XIe ou XIIe siècle présente une régression
du point de vue des techniques utilisées, à de rares exceptions
près, ce qui montre que la technique ne progresse pas nécessairement
de façon ininterrompue. D’autre part, on constate que la plupart
des sociétés ont traversé la plus grande partie de leur histoire
dans des conditions de stagnation technologique, ce qui a eu une
influence considérable sur leur façon de penser le progrès.
Sur le “ progrès ”, Marx et les Grecs :
critique d’un passage de la Contribution à la critique
de l’Économie Politique où Marx essaie de penser le progrès
de la pensée et de l’art par le progrès des techniques. Si
tel était le cas, on n’aurait plus besoin de lire Platon aujourd’hui.
Sur “ l’unité de l’histoire ”,
le sociocentrisme et le relativisme : le sociocentrisme
est une nécessité logique de la connaissance historique. Il n’existe
pas de vérité historique “ en soi ”, valable
en tout lieu et en tout temps. Reconnaître ce simple fait, ce n’est
pas céder au relativisme, mais la condition d’une connaissance
qui ne soit pas pur phantasme. “ … La croyance
en une vérité achevée et acquise une fois pour toutes (et donc possédable
par quelqu’un ou quelques-uns) est un des fondements de l’adhésion
au fascisme ou au stalinisme ” (p. 56).
3. LA PHILOSOPHIE MARXISTE DE L’HISTOIRE
La théorie marxiste de l’histoire a beaucoup apporté à la
connaissance scientifique, mais elle est aujourd’hui fausse,
car dépassée par les recherches qu’elle a elle-même engendré.
D’autre part, cette théorie de l’histoire s’appuie
sur une philosophie de l’histoire, philosophie rationaliste,
et comme telle se donnant d’avance la solution de tous les
problèmes qu’elle se pose.
Le rationalisme objectiviste
Marx reste prisonnier des vieux schémas rationalistes : tout
ce qui a été était rationnel (matérialisme historique), tout ce
qui sera sera rationnel (l’humanité libre). “ Il
y a donc une raison immanente aux choses, qui fera surgir une société
conforme à notre raison ”.
Le déterminisme
Nous ne pouvons pas penser l’histoire sans relations de
causalité. L’histoire est même le seul domaine où la causalité
prend sens pour nous, dans la mesure où elle ne se réduit pas à
l’agrégation de phénomènes physiques ou mécaniques, mais fait
directement appel à notre compréhension des faits. Ces causalités,
en se répétant, donnent des “ lois ”. Mais
aucune de ces dernières ne peut se résumer à un simple déterminisme.
D’abord parce que le comportement des individus inclut une
certaine dose d’imprévisibilité. Mais ce problème pourrait
être résolu par un traitement statistique. La véritable raison est
que l’humain est force de création : chaque écart par
rapport au comportement typique institue de nouvelles façons de
se comporter. A une même situation, l’homme peut donner des
réponses différentes.
L’enchaînement des significations et la “ ruse
de la raison ”
“ L’histoire est le domaine des intentions non
conscientes et des fins non voulues ” (Engels). Personne
n’a voulu, ni pensé le système capitaliste. Il est né des
actions d’agents qui ne visaient que leurs propres fins, et
pourtant il fait vraiment système, en ce sens qu’il est doté
pour nous d’une signification globale, et tout se passe comme
si cette signification globale avait été donnée au départ, si bien
que le capitalisme ne pouvait pas ne pas survenir. Certes, on peut
opérer dans cette cohérence une première réduction causale en faisant
intervenir des déterminations sociales (éducation, “ personnalité
de base ”, facteurs économiques…). Mais ces règles
sont elles-mêmes le produit de la vie sociale, et ne lui préexistaient
pas. Une deuxième réduction causale serait de dire que si nous n’observons
que des sociétés cohérentes, c’est que, par définition, une
société non cohérente ne pourrait pas subsister. Mais cela nous
renvoie à la théorie de l’évolution, dont l’application
à l’histoire est plus qu’hasardeuse. En fait, il faudrait
dire que cette cohérence que nous croyons observer est elle-même
une reconstruction à partir de la réalité sociale : quand Hegel
affirme qu’Alexandre le Grand devait mourir jeune car on n’imagine
pas un héros vieux, sa vision du monde a été forgée à partir de
la mort d’Alexandre à trente-trois ans. Le fait que les héros
meurent souvent jeunes influe sur notre façon de définir ce qu’est
un héros. Cette “ ruse de la raison ”, qui
n’est que l’autre nom de la Providence, se retrouve
intacte dans le marxisme, posant les conditions technico-économiques
comme fondement de la “ nécessité historique ”.
En posant une histoire rationnelle a priori, le marxisme
comme la philosophie de l’histoire occultent la rationalité
humaine.
La dialectique et le “ matérialisme ”
La dialectique de Marx n’est pas fondamentalement différente
de celle de Hegel : toutes deux reposent en fait sur le rationalisme.
Celui-ci peut être d’essence “ spiritualiste ”
chez l’un ou “ matérialiste ” chez l’autre,
il contient toujours l’idée de fin de l’histoire, que
celle-ci prenne la forme du savoir absolu chez Hegel ou de “ l’homme
total ” chez Marx. Il est donc vain de chercher à opposer
ces deux types de dialectiques, qui toutes deux sont fermées, en
ce sens qu’elles supposent que la rationalité englobe la totalité
du monde. L’essence de la dialectique hégélienne “ ne
peut pas être détruite par la remise de la dialectique “ sur
ses pieds ”, puisque visiblement il s’agira du
même animal. Un dépassement révolutionnaire de la dialectique hégélienne
exige non pas qu’on la remette sur ses pieds, mais que, pour
commencer, on lui coupe la tête ” (p. 75). Ceci d’autant
plus que la “ matière ” ou “ l’esprit ”
ne sont que de pures définitions nominales. Une dialectique qui
ne serait ni “ matérialiste ”, ni “ spiritualiste ”
devrait avant tout se débarrasser de cette idée que la réalité peut
être toute entière expliquée par la rationalité, sans laisser de
résidu non rationnel.
4. LES DEUX ÉLÉMENTS DU MARXISME ET LEUR DESTIN HITORIQUE
Le marxisme contient deux éléments antagoniques. D’une part,
il y a la visée révolutionnaire qui pose que l’homme se construit
à travers son action de transformation du monde. Cette conception
est incompatible avec une quelconque “ fin de l’histoire ”.
D’autre part, le “ vieux ” Marx et ses
exégètes fondent le progrès humain sur un déterminisme à base essentiellement
économique. Cette logique, poussée à son terme, s’incarne
dans le stalinisme, qui soumet les hommes à la nécessité de l’industrialisation
et du développement des forces productives par la planification,
à travers le parti, dépositaire ultime de la connaissance des “ lois
de la dialectique ”. Dans ce cas, si l’histoire
ne correspond pas à la théorie, c’est qu’elle se trompe,
et que les travailleurs ne sont pas encore parvenus à la pleine
conscience de leurs intérêts.
Si au contraire l’activité des masses est un facteur historique
autonome et créateur, le statut majoré du Parti n’a plus de
raison d’être, et on lève le paradoxe selon lequel la bourgeoisie,
tout en assurant le développement des forces productives jusqu’à
un point encore inégalé dans les pays capitalistes, est qualifiée
de “ réactionnaire ” (Cf. p ; 80 note
5 : “ on ne peut sans plus faire correspondre la
“ progressivité ” d’un régime à sa capacité
de faire avancer les forces productives ”).
Qu’est-ce qui a fait que le marxisme, en devenant idéologie,
a accouché de la bureaucratie ? Certes, on peut évoquer le
positivisme scientiste de l’époque, et sa foi illimitée dans
la technique. Mais cela ne serait sûrement pas suffisant. Pas plus
que ne serait réaliste une volonté de refonder le marxisme en prenant
pour base les écrits du jeune Marx. Il ne s’agit pas de fournir
une théorie — une de plus — de la dégénérescence du
marxisme en une idéologie sclérosée qui n’existe plus que
comme discours de justification des bureaucraties “ populaires ”.
Ce qu’il faut, c’est élaborer une conception “ qui
puisse inspirer un développement infini, et, surtout, qui
puisse animer et éclairer une activité effective ” (p.
88). L’ambition originelle du marxisme était d’en appeler
à l’action humaine pour “ abolir l’état existant
des choses ”. Mais il faut bien remarquer qu’elle
n’apprenait rien sur l’articulation entre la compréhension
du monde et sa transformation. On a vu qu’à cette ambition
originelle s’était greffé, et peu à peu substitué, un système
totalisant prétendant mettre en évidence les “ lois de
la dialectique ” à travers le développement des forces
productives. Dès lors, le marxisme a cherché sa vérification dans
la pratique, et a mis la praxis entre parenthèses : “ L’idée
de la vérification par “ l’expérimentation ou la
pratique industrielle ” prend la place de ce que l’idée
de praxis présuppose, à savoir que la réalité historique comme réalité
de l’action des hommes est le seul lieu où les idées et les
projets peuvent acquérir leur véritable signification ”
(p. 91). S’il ne s’agit plus de transformer le monde,
mais de fournir la théorie vraie du changement social, la politique
est ravalée au rang de technique, et doit être confiée à des techniciens :
les théoriciens du Parti bureaucratique.
Le fondement philosophique de la déchéance
La dégénérescence du marxisme en complément de justification s’est
nourrie de sa transformation par le Marx de la maturité en un système
fermé. Cette dernière n’est que soumission à l’ordre
établi car le fait que la totalité soit donnée à la théorie implique
l’impossibilité de penser le futur autrement qu’à travers
les catégories du passé, comme transformation linéaire de ce qui
a existé, et non comme avenir à faire autant que se faisant. Par
conséquent, la déchéance du marxisme marque un retour au contemplatif,
puisque l’univers y est déjà donné, sans trou ni résidu.
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Origine : http://www.ac-versailles.fr/PEDAGOGI/ses/traveleves/fichlect/casto-combel.htm
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