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Origine : http://www.espritcritique.org/0502/index.html
Revue Esprit critique Printemps
2003 - Vol.05, No.02
Résumé:
La reconnaissance de l'imaginaire en ses composantes radicales et
sociales est sans doute la clef qui permet de dépasse les ruptures
de sens induites par la modernité. Nous explorons ces dimensions de
l'imaginaire dans ses versions mécaniques progressistes et mythiques
pour, instruisant le procès de l'attitude matérialiste, en proposer
une lecture alternative fondée sur une position épistémologique paradoxale
propre à la post modernité.
Auteur:
Georges Bertin, directeur général de l'IFORIS (Institut de Formation
et de Recherches en Intervention Sociale), Angers, docteur en Sciences
de l'Education, HDR en Sociologie, membre du Centre de Recherches
sur l'Imaginaire et du bureau de l'AFIRSE. "Quelle est
la chose la plus difficile?
Celle qui te semble la plus facile: de voir de tes yeux ce qui se
trouve devant tes yeux."
Goethe. L'Imaginaire
social, tel que nous le partageons dans nos évidences, est aujourd'hui
soumis quasi mécaniquement à la loi du progrès technologique entée
sur le principe de réalité dont Herbert Marcuse (1963, p.155) nous
rappelait que Freud avait fait un universel. Ceci travaille en creux
nos représentations sociales vouées aux principes de l'éclairement
et de la mystification institués. Nous retrouvons ainsi cette tendance
dans de nombreux travaux d'inspiration psychosociale[1],
lesquels, sans toutefois se référer à cette notion, partent de celle,
toute moderne, de croissance, et se réfèrent implicitement à l'idée
de progrès lorsqu'ils traitent du social et du développement. Ainsi,
lisons-nous, sous la plume de Jean-Pierre Boutinet (1992, p.116):
"parler du projet de société, c'est délibérément rejeter une conception
traditionnelle de la société,... c'est affirmer que la société peut
se définir par sa capacité à produire un ordre nouveau, à engendrer
le changement et l'innovation, en un mot nous acheminer vers des rivages
inconnus jusqu'ici". Plus loin seront évoqués les avatars des
projets de développement sur la scène internationale, palliatifs au
"mal-développement" et de dénoncer le fait que le développement
se réduit à l'une de ses dimensions; l'auteur en cerne fort justement
diverses caractéristiques et préconise les opérations nécessaires
au projet de développement et à l'intégration de ses objectifs.
La définition
même du développement social est là, d'emblée, convoquée dans une
dimension spatiale (taxinomique) et semble donner la primauté à l'instance
organisationnelle, ce qui est d'ailleurs induit par la définition
même du concept, la notion de projet venant en quelque sorte en surdéterminer
la visée. Ces analyses sont aujourd'hui souvent reprises (et encore
plus souvent réduites par les nombreux experts et auditeurs qui fleurissent
sur les champs de ruines de la pensée critique, à des schèmes utilitaires
de fonctionnement dans les modèles du management, des démarches qualités,
des arbres de croissance, des géographies des zones du cerveau en
pédagogie...). Partant du point de vue prédominant des sujets, et
postulant leur incontournable capacité à mettre en oeuvre une rationalité
agissante dans un système moyens-fins orienté vers l'expansion, les
références spatiales qui dominent toutes ces approches semblent en
témoigner lorsqu'elles pensent l'imaginaire social en termes d'explication
(ex-plicare = mettre à plat), soit par un processus abstrait
de démonstrations logiquement effectuées à partir de données objectives
en vertu de nécessités causales matérielles ou formelles basées sur
une adéquation à des structures ou des modèles établis, institués.
Elles renvoient à des définitions ethnocentriques du corps social
comme déroulement de concepts à partir d'un donné techno-scientifique
préexistant. C'est ce modèle qui a prévalu à la période de la décolonisation
vis-à-vis des peuples dits sous-développés, réflexion qui s'est surtout
construite à partir d'une expérience limitée - celle des pays occidentaux
-, et d'un type de société - la société industrielle -, imposant ses
cadres imaginaires et les imposant d'autant plus que nous les pensions
principes de réalité, à d'autres imaginaires, ceux du pli, de la tribu,
de la caverne et de la forêt vierge. Les travaux sur le local, lointain
puis proche - puisque le local est justement le lieu de l'émergence
et de l'expression du particulier, siège de toutes les ambiguïtés,
de toutes les contradictions, véritable lieu de rencontre de l'imprécis,
du provisoire, de l'irréductible - nous ont appris que cet imaginaire
dérivait de mythes anciens, tel celui de Jessé[2].
Gilbert Durand (1989, p.14) pense qu'il s'agissait du mythe de la
mécanique fatale d'une histoire hypostasiée, démentie par la redécouverte
de la pensée sauvage.
Ethnométhodologiquement,
si les populations que nous observons pour travailler avec elles depuis
plus de trente ans sur des questions de développement culturel local,
semblent s'installer dans des attitudes qui sont loin de s'inscrire
dans la dynamique du progrès, et n'ont cure de projets programmés,
c'est sans doute parce qu'elles répugnent à se sentir liées aux schèmes
héroïques mécanistes. Paradoxalement, leur passivité face à l'injonction
du projet fondé que un progrès, un dépassement possible, allant de
soi de nombre d'instances, d'éducation de formation ou de management,
les conforte dans une attitude d'évitement qui ne peut que les inciter
à la dérive. Ce qui se produit sous nos yeux. Singulièrement, nous
manquons d'outils pour le penser quand le rationalisme critique évacue
l'irrationnel et ce que Jean-Marie Brohm et Louis-Vincent Thomas appellent
"le gigantesque continent de l'irrationalité, de l'imaginaire,
du fantasme, du surnaturel, du mythique, voire du mystique" (1991,
p4), négligeant, du haut de leurs échelles préfabriquées, nombre de
réalités sensibles, difficiles, si ce n'est diffamées. Et l'on se
souvient que Louis-Vincent Thomas nous invitait à côtoyer les états
intermédiaires, les zones ambivalentes, les processus obscurs, les
limites incertaines, les frontières mobiles, les mondes lointains,
l'Ailleurs, l'Autre, voire le Tout Autre, à penser l'impensable...
Ainsi,
dans leurs accomplissements pratiques, à partir des situations particulières
rencontrées, les acteurs du social lient leurs représentations du
développement à leurs propres représentations du temps, dont la recherche
anthropologique nous a appris qu'il s'agissait de la chose la moins
partagée. Nous pouvons ainsi constater que le procès linéaire est
la marque des aménageurs et organisateurs de tous poils. Il n'en manque
pas pour proposer audits et expertises aux décideurs politiques et
chefs d'entreprise mystifiés d'abord par leur propre incurie. Ceux-ci
ne visent qu'à faire passer le social dans la catégorie des espaces
de l'aménagement, survalorisant les archétypes de l'ingénieur (type
l'ingénierie sociale et le management des projets comme nouvelle panacées!)
et de l'architecte (le projet dissocié de son exécution). Ceci se
trouve aux antipodes de toute reconnaissance de la puissance sociétale,
où l'archaïque est, le plus souvent, convoqué au service d'une tentative
de moralisation d'une modernité dont le sens tend à s'épuiser en même
temps qu'il épuise les populations. Pour le sociologue, la prise en
compte de cette dichotomie débouche nécessairement sur le paradoxal
dans la nécessité de combiner entre eux les savoirs humains pour penser
le social et l'économique.
L'imaginaire social à la dérive
La
notion de crise est, là, valorisée. Au sein des déterminismes, des
contraintes internes, des stabilités, elle est signe de la progression
des incertitudes quand le système social entre dans une phase aléatoire.
"La crise des significations imaginaires de la société moderne
(significations de progrès et/ou de révolution) manifeste une crise
de sens qui permet aux éléments conjoncturels de jouer le rôle qu'il
faut" écrivait Cornélius Castoriadis (1996, p.89).
Entre
déstructuration et restructuration, dans un processus de dissimultanéité,
l'imaginaire social entre alors en dérive, ne pouvant plus jouer son
rôle instituant de régénération, il est mis en surveillance, réprimé
par le jeu des normes (ceci intervient d'ailleurs le plus souvent
dans les périodes moralisatrices et puritaines, de reprise en main
du corps social et l'on observera avec intérêt la coïncidence des
injonctions d'institutions vides de leur sens et des schémas des aménageurs
qui se substituent au politique).
Or, si
nous savons que l'ordre ne peut jaillir que du chaos, encore faut-il
que le chaos soit perceptible, vécu sur un mode ludique (la Fête des
Fous au Moyen-Age, les raves parties ou les festivals folk aujourd'hui)
pour être élaboré. Dans le cas contraire, il laisse la place à des
dieux bien plus violents et nous connaissons tous le parallèle que
faisait Roger Caillois entre Guerre et Fête, la seconde accomplissant
en demi teinte ce que la première assume bien plus radicalement. C'est,
comme l'a décrit Gilbert Durand, "tout l'enjeu des praxis et des
pratiques sociales sans pouvoir prédire ce qui sortira de cette irrépressible
poussée sauvage..." (1898, p.279).
Plus la
crise est profonde, plus il faudra chercher son noeud originel, dans
le caché, l'occulte. Au coeur du dispositif de régulation sociale,
la société accouche alors d'un nouvel imaginaire social. La référence
au mythe est, là, nous semble t-il, prépondérante dans la mesure où
la question du social est aussi celle de l'actualisation mythique,
et c'est sans doute ce qui peut encore lui donner une force politique.
Le politique, à l'époque post-moderne, s'il prend conscience de la
désacralisation du monde, sera à nouveau un des lieux de l'expérience
du sacré dans nos sociétés. Il devra, en revanche, ce sera le prix
à payer, renoncer à ce qui fut un donné constant de la pensée occidentale:
la séparation qui a dichotomisé à l'infini le donné mondain (culture-nature,
corps-esprit, esprit-matière). De fait, notre temps a repris conscience
de l'importance des images symboliques dans la vie mentale ou sociale.
Les conduites humaines, les cadres sociaux (dont l'architecture, l'habitat,
l'urbanisme, la fête, les nouvelles religions, les sectes, les moyens
de communication culturelle, le patrimoine, les instances du développement
local) sont aussi organisés en fonction d'imaginaires en interactions
qui ne cessent de les habiter et dont l'actualisation provoque l'émergence.
Reconnaître les données de l'imaginaire social, magma, réservoir de
significations qui se proposent à l'émergence de la vie sociale et
les contraintes rationnelles-réelles de l'organisation, entre l'action
systémique orientée vers la rationalité instrumentale et le monde
de la vie orienté vers la compréhension, c'est reconsidérer nos catégories
constituant, comme objet d'études, ce que Jean-Marie Brohm et Louis-Vincent
Thomas ont appelé une transversalité, laquelle est "interrogation
permanente et questionnement infini", soit, "refus des cloisonnements
des disciplines, des champs, des objets, des méthodes, attention accordée
aux totalités mouvantes (Garfinkel), aux praxis-processus (Sartre),
aux mondes cachés (Bachelard), à la compréhension de l'unité signifiante
de tout fait social qui est prioritairement une donnée existentielle
avec ses finalités, ses enjeux anthropologiques, ses conflits"
(1991).
Dans ces
catégories, le mythe tient une place éminente, car il se situe à la
fois du côté de la "réserve d'images" et dans la capacité à rendre
opérationnel l'imaginaire en actes. Il tient à la fois au radical
et au social pour reprendre la distinction de Cornélius Castoriadis;
c'est un "récit chaud" comme le souligne Guy Ménard, qui attire
notre attention sur le fait "qu'on ne joue pas impunément, n'importe
comment avec les mythes des gens" que les mythes sont vivants,
qu'ils peuvent mourir, être tués. Il est présent dans l'imaginaire
de tous les peuples, et c'est si vrai que les peuples le réinventent
constamment, il constitue le miroir dans lequel ils ne cessent de
se regarder (Ménard, 1986, p.3).
Le mythe
interroge les couches profondes de la psyché, dans ce qu'elle a de
plus radical comme dans ses formes immuables ordonnées aux besoins
les plus fondamentaux de l'espèce et les formations dues à l'effervescence
poétique, aux capacités instituantes mises en oeuvre par l'imagination
créatrice. Il peut donc sembler légitime de s'interroger sur la fonction
sociale du mythe à la fois garant de notre relation à ce qu'on a pu
appeler l'arkhé et comme force productrice de sens au coeur du construit
social. Car la vie sociale est un mixte inextricable d'intelligible
et de sensible, de sapiens et de demens (Maffesoli, 1998, p.74.).
Le mythe,
parce qu'il porte la vérité subjective d'une culture, d'un groupe
social, d'un pays et de ses habitants agit comme révélateur, est saisi
comme prise de conscience plus que comme objet, il favorise l'intelligence
active. Il est une catégorie du symbolisme car il porte à la fois
ce qui a toujours été caché aux sociétés et que pourtant elles ont
toujours su et ce qui les a toujours amenées à négocier dans leur
rapport au réel, ce que tentent, au plan politique, de faire les projets
de développement local.
Pour Claude
Levi-Strauss, l'opposition entre l'ordre du sensible et celui de l'intelligible
est de plus en plus dépassée, la science s'appliquant à réintégrer
le domaine du sensible en retrouvant ce qui se trouve à l'origine
des croyances et rites populaires. Loin d'un rationalisme nous imposant
le morcellement des phénomènes sociaux et culturels alors que tous
les domaines qui les concernent sont liés, chaque expérience de la
vie collective peut, dés lors, être lue comme ce que Marcel Mauss
appelait "un fait social total". N'est-ce pas justement l'atout
majeur de la pensée symbolique-mythique que de pouvoir, dans l'ordre
du spéculatif, combiner les éléments qu'elle accumule en leur donnant
une suite significative? Croire aux Images est le secret du dynamisme
psychologique" écrivait Gaston Bachelard (1990, p.291).
Gilbert
Durand (1989, p.5) oppose ainsi justement deux catégories mythiques
qui sont, pour nous, des clés de lecture des tendances s'exprimant:
- d'un côté, les sociétés de la Modernité triomphante se réfèrent
implicitement au mythe de Jessé. Mythe de la mécanique fatale
d'une histoire hypostasiée, il est celui de sociétés fermées sur
l'unidimensionnel et la fatalité, mythe progressiste grossièrement
rationalisé, mythe caché du procès linéaire de l'histoire, il
aligne les valeurs sur un modèle passé et a pour effet de démythologiser
grossièrement au nom d'une objectivité absolue et enfermante.
C'est le mythe de l'organisation dominante comme système d'hyperationalité.
Le vingtième siècle lui a vu se donner libre cours dans divers
systèmes politiques également destructeurs de l'humain, dans leur
propension à la mécanisation.
- de l'autre côté, les sociétés de la Tradition sont celles pour
lesquelles l'avenir ne peut actualiser des possibles. Elles accueillent,
dans le Mythe de l'Eternel retour, la possibilité d'une ouverture
au Grand Temps, ce temps des grands récits et des traditions orales,
lequel connaît aujourd'hui une ferveur nouvelle, des néo-celtes
au New Age et surtout dans l'expression artistique, admettant
le principe de dissimultanéité, des retours possibles de l'histoire
comme moyen de libération de l'homme et sa régénération par la
culture dans la société. L'éternel retour d'entités qui assurent
la permanence de l'espèce, confirme son espoir et le renouveau.
C'est encore, pour Gilbert Durand, le mythe avoué et exalté des
renaissances et des libres recommencements, il produit une démystification
du progrès en s'ouvrant aux puissances de la pluralité.
Nous dépassons
pour notre part cette opposition en évoquant, avec David Riesman (1984)
les sociétés extéro-déterminées ou post-modernes, lesquelles sont
soumises aux préférences d'autrui. Sociétés des loisirs, de la consommation,
de l'abondance, leur univers est rétréci. Cela provoque une accélération
des contacts entre races et cultures, manifestée par la mise en oeuvre
de nouveaux mécanismes psychologiques, liés à l'abondance, aux loisirs,
aux excédents, à la consommation accrue de mots, d'images, de signes
(essor des mass medias). Elle se vivent plurielles et métissées, développant
les relations entre structures sociales et structures instinctuelles
comme l'avait bien vu Reich (1978). D'où l'importance de penser les
modes sociaux non dans des acceptions disciplinaires, mais comme tissu
conjonctif entre les disciplines, ce qui est, pour Gilbert Durand,
le rôle de l'Imaginaire. Ce que Reich appelait l'énergie dans laquelle
il voyait, si on parvenait à la délier, la capacité de sauvegarde
du potentiel de l'humanité.
Instruire le procès de l'attitude matérialiste
D'où la
nécessité où nous sommes, avec André Breton, d'instruire le procès
de l'attitude "réaliste après le procès de l'attitude matérialiste
(...) ayant pris conscience du fait que, sous couvert de civilisation,
sous prétexte de progrès, on est parvenu à bannir tout ce qui peut
se taxer à tort ou à raison de superstition, de chimère, à proscrire
tout mode de recherche de la vérité qui n'est pas conforme à l'usage"
(1983, p.313). Breton proposait ainsi le retour d'une figure de l'imaginaire
social: Mélusine, comme alternative aux maux de nos sociétés dans
l'épiphanie de la femme-enfant. "La femme-enfant. C'est son avènement
à tout l'empire sensible que systématiquement l'art doit préparer...
la figure de la femme-enfant désigne autour d'elle les systèmes les
mieux organisés parce que rien n'a pu faire qu'elle y soit assujettie
ou comprise...". On les voit bien, ces sociétés situées du côté
de la Terre-Mère-Nature et des rythmes fondateurs, Mélusine étant
à la fois la Grand Mère (la Mé' Lusine) et l'infatigable bâtisseuse
aux constructions marquées par l'inachèvement. "Ce qui s'exprime
dans ce sensualisme local", comme le souligne Michel Maffesoli
(1998), "c'est l'affirmation d'une solidarité de base, qui unit
ceux qui habitent un même lieu" (Breton, 1967, p. 60).
C'est
peut-être là que nous devrions chercher une alternative à la dérive
technicisée de l'imaginaire social qui prendrait son sens, d'abord
par sa qualité intrinsèque et aussi parce son insertion dans un tissu
vivant est en rapport avec des savoirs groupaux ou sociaux. Il signifie,
au sens premier de ce terme, le rapport dialectique entretenu aux
populations ou aux publics. C'est la découverte de la richesse de
la vie locale: communale, intercommunale, entrepreneuriale, associative,
des logiques liées à l'action locale, de leurs aspects instituants,
lorsqu'elles mettent en oeuvre les déterminants de la vie sociale,
ceux des acteurs, les mécanismes de leurs prises de décision, les
dérives et les transformations auxquels sont confrontés les projets
quand il s'agit de prendre en compte les rituels de la vie quotidienne,
la concrétude des métiers, les parcours des sujets et des institutions,
tout ce qui forme la riche trame de la socialité pour en saisir les
axes structurants, les directions effectives.
Alternatives
Alors
que les pouvoirs mettent en place des procédures de surveillance technologiques,
pour effectuer un quadrillage disciplinaire, une mise en ordre du
champ culturel, de minuscules pratiques populaires (associations,
groupes sociaux en recherche active) leur répondent par des opérations
quasi-microbiennes. Ces pratiques y acquièrent une grande valeur,
l'ici et le maintenant étant valorisé au détriment de l'histoire,
par de multiples stratégies et tactiques qui font que d'un même objet
chacun fait son produit à lui, différent. Elles expriment encore une
réserve d'énergie insondable et mystérieuse que l'on ne peut sous-estimer,
car c'est dans ce sens que l'on peut parler d'incarnation de la socialité
laquelle a toujours besoin d'un sol pour s'enraciner.
En effet,
la faillite du marxisme et du mythe qui le soutenait ne prouve pas
le bien-fondé du libéralisme et des ses mythes plus divers; le producteur
comme forme sociale ne se substituant pas nécessairement au guerrier.
Dans le Tiers Monde, la démocratie est souvent exsangue. Le capitalisme
adopté n'entraîne pas forcément un régime politique libéral; cela
suppose repérages, aménagements, émergence des conflits internes et
leur négociation, remise en perspective d'équilibres sociaux perturbés.
Castoriadis rappelait que si les sociétés libérales comportent une
forte composante démocratique, c'est le résultat des luttes et d'une
histoire de plusieurs siècles, une de leurs institutions, le "citoyen",
étant bien une création historique d'un type d'individus inconnu ailleurs,
et qui peut mettre en cause la représentation du monde instituée,
contester l'autorité, penser que la loi est injuste et agir pour la
changer. Quand la crise sociale, perçue comme une crise des valeurs,
crise de civilisation, anomie, ou pathologie sociale trouve une solution
dans l'édification d'une science de la morale, la sociologie ne trouve
t-elle pas également une parade dans la constitution de pratiques
qui tentent de mettre plus de cohésion là où la conscience des solidarités
devient plus faible?
De ce
point de vue, nous pensons que la mise au jour de l'imaginaire radical
est l'autre forme de la réalité de l'imaginaire qui émerge en tant
que signification sociale. L'un et l'autre étant en quelque sorte
les deux faces d'un même Janus exactement comme les secrets de la
matière peuvent s'appréhender et en ondes et en corpuscules.
A cet
endroit, les reconnaissances mythiques ne sont certes pas négligeables,
fournissant aux uns et aux autres une base de travail commun: c'est
le partage du savoir que l'on se reconnaît commun qui libère. Jean
Duvignaud parlait aussi d'autogestion de l'imaginaire et mettait l'accent
sur le politique quand il définissait le projet de développement local
comme "action collective dont l'expression se révèle à elle-même
et aux autres par des manifestations diverses: invention de relations
inédites, organisations de décisions communes" (Duvignanud, 1976)
accordant un grand poids à la tradition dans l'invention sociale,
comme instrument de dynamisme, pour aller au devant d'actions nouvelles
et de connaissances reconnues parce qu'inconnues en les fondant sur
des soubassements psychiques et biologiques: "Enfer ou Ciel qu'importe,
au fond de l'inconnu pour trouver du nouveau" (Baudelaire, reprint
1999).
Georges Bertin
- Notes:
- 1.- Trop souvent confondus avec
les travaux psychosociologiques, plus liés à l'intervention et
donc plus labiles, interactifs, en prise sur le vivant.
2.- Jessé, personnage biblique
souche de la lignée de David et de ses successeurs dont le Christ
est représenté par un arbre fortement enraciné aux rameaux prolifiques.
Il est le support du mythe du développement de l'humanité auquel
feront explicitement référence les théories du progrès de Joachim
de Flore au 13ème siècle à Teilhard de Chardin au 20ème siècle.
S'y réfèrent également, à leur corps défendant, en tant que structure
anthropologique de l'Imaginaire, les théories de Darwin et d'Auguste
Comte... (Durand, 1989. p.14.)
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carrefours du labyrinthe, IV, Le Seuil, 1996.
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- Notice:
- Bertin, Georges. "Imaginaire social et politique: Quand le système
entre en dérive", Esprit critique, Printemps 2003, Vol.05,
No.02, ISSN 1705-1045, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org
Revue internationale de sociologie et de sciences sociales
Revue Esprit
critique http://www.espritcritique.org/
Origine : http://www.espritcritique.org/0502/index.html
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