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PAYS À VENDRE VAUTOURS SUR L’ALGÉRIE
Lounis Aggoun
Mis à jour le :15 décembre 2006..
CQFD N°040

Origine : http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=1230

Décidément, « on efface tout et on recommence » semble être le credo de l’ère Bouteflika. Après la loi d’amnistie qui relègue la décennie sanglante aux oubliettes, s’ouvre une ère d’affairisme sans précédent. KBR, Northorp Grumman, Carlyle, néo-cons et autres voraces compradores se bousculent au portillon pour un pillage en règle.

LE 11 SEPTEMBRE, Frank Carlucci discute business avec des frères Ben Laden quand soudain les tours jumelles s’effondrent. Le lendemain, un seul avion obtient l’autorisation du Pentagone de décoller dans un espace aérien verrouillé. Il emporte ces encombrants comparses vers l’Arabie Saoudite, les mettant hors d’atteinte de toute enquête. Ancien directeur de la CIA et ancien secrétaire d’État à la Défense de Ronald Reagan, Carlucci est alors PDG du groupe Carlyle, fournisseur d’armes du Pentagone, financier de George W.Bush et principal commanditaire de la guerre du Golfe, qui lui a rapporté gros. Aujourd’hui, l’invasion de l’Irak tourne à la Bérézina. C’est le moment que choisit le groupe Carlyle pour annoncer sa migration prochaine vers le Maghreb. En fait, l’Afrique du Nord est devenue pour les Américains un substitut de choix à l’ingérable Moyen-Orient. Tout ce qu’ils échouent à y obtenir à coup de milliards et de pertes humaines, les dirigeants algériens le leur offrent gratis. Il se passe rarement une semaine sans l’annonce à Alger d’une visite d’un dirigeant US, d’une délégation militaire, de services secrets, d’un conglomérat économique...

Récemment, une société américaine, Securiport, a proposé « de “sécuriser” tous les aéroports et ports algériens par des méthodes technologiques extrêmement avancées [1]. » Il y a un an, c’est Northorp Grumman (géant mondial de l’armement stratégique, constructeur du fameux B2 furtif) qui, sous couvert de sécurisation du transport civil, était sur le point de gagner un mégacontrat qui mettait l’espace algérien sous contrôle militaire total du Pentagone. Cela a coïncidé avec l’hospitalisation de Bouteflika. Impossible de savoir s’il y a relation de cause à effet, mais le deal a été remis sine die. Dès son retour à Alger, Bouteflika préside à un revirement total de sa politique. De façon inattendue, il abroge la loi sur les hydrocarbures qui mettait littéralement l’ensemble du sous-sol algérien entre les mains des multinationales étrangères. Loi que le prodigue ministre de l’Énergie et des mines, Chakib Khelil, avait fait voter au printemps 2005, après cinq ans d’acharnement. Qui est Chakib Khelil ? Un ancien de la Banque mondiale, coresponsable de la banqueroute de l’Argentine dans les années quatre-vingt, arrivé dans les bagages de Bouteflika pour assurer à Bush « l’indépendance énergétique des USA ».

Ce sursaut de patriotismemet Bouteflika en indélicatesse avec ses amis américains. Mais Chakib Khelil n’est pas près de renoncer. « La ville de Hassi Messaoud transformée en EPIC », annonçait La Nouvelle République du 5 novembre dernier. « Elle passe de Zerhouni [ministre de l’Intérieur] à Khelil. » Quelle est donc cette « épique » appellation ? « Établissement public à caractère industriel et commercial doté de la personnalité morale et de l’autonomie financière, régi par les règles administratives dans ses relations avec l’État et par les règles commerciales dans ses rapports avec les tiers » ; bref, une ellipse pour dissimuler rien de moins qu’une privatisation totale de la ville.(JPEG) Le même Chakib Khelil aspire à bouter les 80 000 Algériens vivant à Hassi Messaoud hors de ce fief, au prétexte que leur sécurité n’y est pas assurée. Un véritable philanthrope ! Véritable raison : les Américains n’apprécient pas la promiscuité avec les indigènes.

Une autre affaire secoue l’actualité ces jours-ci. Invitée à se pencher sur la société Brown and Root Condor (BRC) - joint-venture détenue à 51 % par Sonatrach et à 49 % par Kellog and Brown Root (KBR), filiale de la Halliburton de Dick Cheyney -, l’Inspection générale des finances (IGF) découvre une vaste escroquerie. BRC profite de cette alliance privilégiée pour s’adjuger la plupart des contrats juteux que débloque Sonatrach, qu’elle facture jusqu’à vingt fois le prix réel. BRC fait tout en Algérie : construction d’hôpitaux militaires (Oran, Constantine), un « centre spécial sur les crimes », infrastructures aéroportuaires, maintenance industrielle, transport aérien, immobilier et moult affaires aux montants faramineux. Particularité : BRC obtient ces contrats sans passer par les circuits légaux de soumission à appel d’offres. Autre signe distinctif : seuls les bénéfices astronomiques l’intéressent ; quant aux travaux proprement dits, elle en confie la réalisation à des sous-traitants... algériens (initialement boudés en raison de leur incompétence, tare qui a justifié le recours à des sociétés étrangères).

Fallait-il cette enquête de l’IGF pour connaître les frasques de cette société ? Une banale recherche sur Internet fournit le listing interminable de ses escroqueries dans le monde, et des procès que lui font les États des quatre continents. Dans un ouvrage [2] consacré aux sociétés militaires privées, Philippe Chapleau, journaliste à Ouest-France, dresse un portrait effarant de la compagnie KBR, maison mère de BRC. « KBR sent le souffre. Partout où un GI est déployé, KBR est là. Et parfois, même en l’absence de GI, les “boys” de KBR sont au travail pour piloter les hélicoptères en Colombie, construire des bases (au Moyen-Orient et en Asie) ou des prisons (Guantanamo, c’est encore KBR), forer des puits de pétrole et gérer des raffineries [...]. En 2002, KBR a obtenu un premier contrat de type Logcap (ce Logistics Civil Augmentation Program permet au Pentagone de faire assurer, sans appel d’offres ultérieur, des missions de soutien et de maintenance). [...] Au fil des contrats suivants, KBR a guerroyé à Haïti, Bosnie et au Kosovo. [...] Afghanistan, Ouzbékistan [...] Irak. » « KBR est régulièrement accusée de malversations. En février 2002, KBR a versé deux petits millions de dollars à la Justice américaine pour régler une affaire de fraude qui remontait aux années 1994-98. En janvier 2004, nouvelles accusations de surfacturation portant cette fois sur 27,4 millions de dollars et des milliers de repas qui n’auraient jamais été servis à l’armée américaine en Irak et au Koweït. [...] En févier 2004, la justice nigériane a ouvert une enquête sur les pots-de-vin versés par le groupe lors de la construction d’un complexe gazier. Quelques mois plus tard, c’est aux Koweïtiens de demander des comptes à KBR. »

La liste est longue et sont évoqués pelle-mêle « des opérations secrètes occultes pour le compte de la CIA », un soutien militaire direct aux Tutsi de l’armée rwandaise contre les rebelles hutu et dans l’invasion de la RDC. Jusqu’à l’implication de KBR et de Dick Cheyney dans des trafics de drogue en vue de financer les campagnes de Bush junior... Activités civiles, mafieuses, militaires et d’espionnage, voilà donc le profil idéal pour être partenaire privilégié des généraux algériens. Mais pourquoi ces révélations, dans un pays où la presse ne publie que ce que commande le DRS (Sécurité militaire) ? Guerre des clans, disent les experts ! Les raisons sont sans doute plus pragmatiques. Après l’amnistie contre les terroristes qui a permis au DRS d’exfiltrer du maquis ses nombreux agents en déshérence, le pouvoir envisage une autre amnistie pour les crimes économiques. Et c’est évidemment en France que sont posés les premiers jalons. Lors d’une récente conférence à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’obscur affairiste Slim Othmani faisait offre de service en se déclarant « favorable à l’amnistie fiscale », jugeant celle-ci « indispensable ». Plus c’est gros, plus ça passe...

Article publié dans CQFD n° 40, décembre 2006.


[1] Le Quotidien d’Oran, 5 novembre

[2] Philippe Chapleau, Sociétés militaires privées, enquête sur les soldats sans armées, éditions du Rocher, 2005.