|
Origine : http://www.cequilfautdetruire.org/article.php3?id_article=1230
Décidément, « on efface tout et on recommence
» semble être le credo de l’ère Bouteflika.
Après la loi d’amnistie qui relègue la décennie
sanglante aux oubliettes, s’ouvre une ère d’affairisme
sans précédent. KBR, Northorp Grumman, Carlyle, néo-cons
et autres voraces compradores se bousculent au portillon pour un
pillage en règle.
LE 11 SEPTEMBRE, Frank Carlucci discute business avec des frères
Ben Laden quand soudain les tours jumelles s’effondrent. Le
lendemain, un seul avion obtient l’autorisation du Pentagone
de décoller dans un espace aérien verrouillé.
Il emporte ces encombrants comparses vers l’Arabie Saoudite,
les mettant hors d’atteinte de toute enquête. Ancien
directeur de la CIA et ancien secrétaire d’État
à la Défense de Ronald Reagan, Carlucci est alors
PDG du groupe Carlyle, fournisseur d’armes du Pentagone, financier
de George W.Bush et principal commanditaire de la guerre du Golfe,
qui lui a rapporté gros. Aujourd’hui, l’invasion
de l’Irak tourne à la Bérézina. C’est
le moment que choisit le groupe Carlyle pour annoncer sa migration
prochaine vers le Maghreb. En fait, l’Afrique du Nord est
devenue pour les Américains un substitut de choix à
l’ingérable Moyen-Orient. Tout ce qu’ils échouent
à y obtenir à coup de milliards et de pertes humaines,
les dirigeants algériens le leur offrent gratis. Il se passe
rarement une semaine sans l’annonce à Alger d’une
visite d’un dirigeant US, d’une délégation
militaire, de services secrets, d’un conglomérat économique...
Récemment, une société américaine,
Securiport, a proposé « de “sécuriser”
tous les aéroports et ports algériens par des méthodes
technologiques extrêmement avancées [1]. » Il
y a un an, c’est Northorp Grumman (géant mondial de
l’armement stratégique, constructeur du fameux B2 furtif)
qui, sous couvert de sécurisation du transport civil, était
sur le point de gagner un mégacontrat qui mettait l’espace
algérien sous contrôle militaire total du Pentagone.
Cela a coïncidé avec l’hospitalisation de Bouteflika.
Impossible de savoir s’il y a relation de cause à effet,
mais le deal a été remis sine die. Dès son
retour à Alger, Bouteflika préside à un revirement
total de sa politique. De façon inattendue, il abroge la
loi sur les hydrocarbures qui mettait littéralement l’ensemble
du sous-sol algérien entre les mains des multinationales
étrangères. Loi que le prodigue ministre de l’Énergie
et des mines, Chakib Khelil, avait fait voter au printemps 2005,
après cinq ans d’acharnement. Qui est Chakib Khelil
? Un ancien de la Banque mondiale, coresponsable de la banqueroute
de l’Argentine dans les années quatre-vingt, arrivé
dans les bagages de Bouteflika pour assurer à Bush «
l’indépendance énergétique des USA ».
Ce sursaut de patriotismemet Bouteflika en indélicatesse
avec ses amis américains. Mais Chakib Khelil n’est
pas près de renoncer. « La ville de Hassi Messaoud
transformée en EPIC », annonçait La Nouvelle
République du 5 novembre dernier. « Elle passe de Zerhouni
[ministre de l’Intérieur] à Khelil. »
Quelle est donc cette « épique » appellation
? « Établissement public à caractère
industriel et commercial doté de la personnalité morale
et de l’autonomie financière, régi par les règles
administratives dans ses relations avec l’État et par
les règles commerciales dans ses rapports avec les tiers
» ; bref, une ellipse pour dissimuler rien de moins qu’une
privatisation totale de la ville.(JPEG) Le même Chakib Khelil
aspire à bouter les 80 000 Algériens vivant à
Hassi Messaoud hors de ce fief, au prétexte que leur sécurité
n’y est pas assurée. Un véritable philanthrope
! Véritable raison : les Américains n’apprécient
pas la promiscuité avec les indigènes.
Une autre affaire secoue l’actualité ces jours-ci.
Invitée à se pencher sur la société
Brown and Root Condor (BRC) - joint-venture détenue à
51 % par Sonatrach et à 49 % par Kellog and Brown Root (KBR),
filiale de la Halliburton de Dick Cheyney -, l’Inspection
générale des finances (IGF) découvre une vaste
escroquerie. BRC profite de cette alliance privilégiée
pour s’adjuger la plupart des contrats juteux que débloque
Sonatrach, qu’elle facture jusqu’à vingt fois
le prix réel. BRC fait tout en Algérie : construction
d’hôpitaux militaires (Oran, Constantine), un «
centre spécial sur les crimes », infrastructures aéroportuaires,
maintenance industrielle, transport aérien, immobilier et
moult affaires aux montants faramineux. Particularité : BRC
obtient ces contrats sans passer par les circuits légaux
de soumission à appel d’offres. Autre signe distinctif
: seuls les bénéfices astronomiques l’intéressent
; quant aux travaux proprement dits, elle en confie la réalisation
à des sous-traitants... algériens (initialement boudés
en raison de leur incompétence, tare qui a justifié
le recours à des sociétés étrangères).
Fallait-il cette enquête de l’IGF pour connaître
les frasques de cette société ? Une banale recherche
sur Internet fournit le listing interminable de ses escroqueries
dans le monde, et des procès que lui font les États
des quatre continents. Dans un ouvrage [2] consacré aux sociétés
militaires privées, Philippe Chapleau, journaliste à
Ouest-France, dresse un portrait effarant de la compagnie KBR, maison
mère de BRC. « KBR sent le souffre. Partout où
un GI est déployé, KBR est là. Et parfois,
même en l’absence de GI, les “boys” de KBR
sont au travail pour piloter les hélicoptères en Colombie,
construire des bases (au Moyen-Orient et en Asie) ou des prisons
(Guantanamo, c’est encore KBR), forer des puits de pétrole
et gérer des raffineries [...]. En 2002, KBR a obtenu un
premier contrat de type Logcap (ce Logistics Civil Augmentation
Program permet au Pentagone de faire assurer, sans appel d’offres
ultérieur, des missions de soutien et de maintenance). [...]
Au fil des contrats suivants, KBR a guerroyé à Haïti,
Bosnie et au Kosovo. [...] Afghanistan, Ouzbékistan [...]
Irak. » « KBR est régulièrement accusée
de malversations. En février 2002, KBR a versé deux
petits millions de dollars à la Justice américaine
pour régler une affaire de fraude qui remontait aux années
1994-98. En janvier 2004, nouvelles accusations de surfacturation
portant cette fois sur 27,4 millions de dollars et des milliers
de repas qui n’auraient jamais été servis à
l’armée américaine en Irak et au Koweït.
[...] En févier 2004, la justice nigériane a ouvert
une enquête sur les pots-de-vin versés par le groupe
lors de la construction d’un complexe gazier. Quelques mois
plus tard, c’est aux Koweïtiens de demander des comptes
à KBR. »
La liste est longue et sont évoqués pelle-mêle
« des opérations secrètes occultes pour le compte
de la CIA », un soutien militaire direct aux Tutsi de l’armée
rwandaise contre les rebelles hutu et dans l’invasion de la
RDC. Jusqu’à l’implication de KBR et de Dick
Cheyney dans des trafics de drogue en vue de financer les campagnes
de Bush junior... Activités civiles, mafieuses, militaires
et d’espionnage, voilà donc le profil idéal
pour être partenaire privilégié des généraux
algériens. Mais pourquoi ces révélations, dans
un pays où la presse ne publie que ce que commande le DRS
(Sécurité militaire) ? Guerre des clans, disent les
experts ! Les raisons sont sans doute plus pragmatiques. Après
l’amnistie contre les terroristes qui a permis au DRS d’exfiltrer
du maquis ses nombreux agents en déshérence, le pouvoir
envisage une autre amnistie pour les crimes économiques.
Et c’est évidemment en France que sont posés
les premiers jalons. Lors d’une récente conférence
à la Chambre de commerce et d’industrie de Paris, l’obscur
affairiste Slim Othmani faisait offre de service en se déclarant
« favorable à l’amnistie fiscale », jugeant
celle-ci « indispensable ». Plus c’est gros, plus
ça passe...
Article publié dans CQFD n° 40, décembre 2006.
[1] Le Quotidien d’Oran, 5 novembre
[2] Philippe Chapleau, Sociétés militaires privées,
enquête sur les soldats sans armées, éditions
du Rocher, 2005.
|
|