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L'Empire Carlyle
Article paru dans le Monde, édition du 30 avril 2004
Le plus grand investisseur privé du monde, bien implanté
dans le secteur de l'armement, est un groupe discret, qui cultive
les accointances avec les hommes influents, dont les Bush, père
et fils Il y a un an, le 1er mai 2003, George Bush atterrissait,
sanglé dans une combinaison de pilote de chasse, sur le porte-avions
USS Abraham-Lincoln au large de la Californie. L'image est devenue
célèbre. Sous une banderole proclamant "Mission
accomplished" (mission accomplie), le président annonçait
prématurément la fin des opérations militaires
en Irak et sa victoire.
Le lendemain, de retour sur la terre ferme, il prononçait
un autre discours martial, non loin de San Diego, dans une usine
d'armement d'United Defense Industries.
Cette entreprise est l'un des principaux fournisseurs du Pentagone.
Elle fabrique, entre autres, des missiles, des véhicules
de transport et, en Californie, le blindé léger Bradley.
Son principal actionnaire est le plus grand investisseur privé
au monde. Un groupe discret, baptisé Carlyle.
Il n'est pas coté en Bourse et n'a de comptes à rendre
qu'à ses 550 investisseurs - milliardaires ou fonds de pension.
Carlyle gère aujourd'hui 18 milliards de dollars, placés
dans les secteurs de la défense et de la haute technologie
(biologie notamment), le spatial, l'informatique liée à
la sécurité, les nanotechnologies, les télécommunications.
Les entreprises qu'il contrôle ont pour caractéristique
commune d'avoir pour clients principaux des gouvernements et administrations.
Comme la société l'a écrit dans une brochure
: " Nous investissons dans des opportunités créées
dans des industries fortement affectées par des changements
de politique gouvernementale."
Carlyle est un modèle unique, construit à l'échelle
planétaire sur le capitalisme de relations ou le " capitalisme
d'accès" pour reprendre l'expression du magazine Americain
New Republic, en 1993. Le groupe incarne aujourd'hui, malgré
ses dénégations, le "complexe militaro-industriel"
contre lequel le président républicain Dwight Eisenhower
mettait en garde le peuple américain en quittant ses fonctions,
en 1961.
Cela n'a pas empêché George Bush père d'occuper
pendant dix ans, jusqu'en octobre 2003, un poste de conseiller de
Carlyle. C'était la première fois dans l'histoire
des Etats-Unis qu'un ancien président travaillait pour un
fournisseur du Pentagone. Son fils, George W. Bush connaît
aussi très bien Carlyle. Le groupe lui a trouvé un
emploi en février 1990, alors que son père occupait
la Maison Blanche : administrateur de Caterair, une société
texane spécialisée dans la restauration aérienne.
L'épisode ne figure plus dans la biographie officielle du
président. Quand George W. Bush quitte Caterair, en 1994,
avant de devenir gouverneur du Texas, l'entreprise est mal en point.
"Il n'est pas possible d'être plus proche de l'administration
que l'est Carlyle", affirme Charles Lewis, directeur du Centre
pour l'intégrité publique, une organisation non partisane
de Washington. "George Bush père a gagné de l'argent
provenant d'intérêts privés qui travaillent
pour le gouvernement dont son fils est le président. On peut
même dire que le président pourra un jour bénéficier
financièrement, via les investissements de son père,
de décisions politiques qu'il a prises", ajoute-t-il.
La collection de personnages influents qui travaillent, ont travaillé
ou ont investi dans le groupe ferait l'incrédulité
des adeptes les plus convaincus de la théorie du complot.
On y trouve entre autres : John Major, ancien premier ministre britannique,
Fidel Ramos, ancien président philippin, Park Tae Joon, ancien
premier ministre de la Corée du Sud, le prince saoudien Al-Walid,
Colin Powell, actuel secrétaire d'Etat, James Baker III,
ancien secrétaire d'Etat, Caspar Weinberger, ancien secrétaire
à la défense, Richard Darman, ancien directeur du
budget à la Maison Blanche, le milliardaire George Soros
et même des membres de la famille Ben Laden. On peut ajouter
à cette liste Alice Albright, la fille de Madeleine Albright,
ancienne secrétaire d'Etat, Arthur Lewitt, ancien président
de la SEC (le gendarme de Wall Street), William Kennard ex-patron
de l'autorité des télécommunications (FCC).
Enfin, il faut ajouter, parmi les Européens, Karl Otto Pöhl,
ancien président de l! a Bundesbank, feu Henri Martre, qui
a été président de l'Aerospatiale, et Etienne
Davignon, ancien président de la Générale de
Belgique.
Carlyle n'est pas seulement une collection d'hommes de pouvoir.
Il possède des participations dans près de 200 sociétés
et surtout, la rentabilité annuelle de ses fonds dépasse
30 % depuis une décennie. "Par rapport aux cinq cents
personnes que nous employons dans le monde, le nombre d'anciens
hommes d'Etat est très faible, une dizaine tout au plus,
explique Christopher Ullmann, vice-président de Carlyle,
responsable de la communication. On nous accuse de tous les maux.
Mais personne n'a jamais apporté la preuve d'une quelconque
malversation. Aucune procédure judiciaire n'a jamais été
lancée contre nous. Nous sommes une cible commode pour qui
veut s'en prendre au gouvernement américain et au président."
Carlyle a été créé en 1987, avec 5
millions de dollars, dans les salons du palace new-yorkais du même
nom. Ses fondateurs, quatre juristes, dont David Rubenstein (ancien
conseiller de Jimmy Carter), ont alors pour ambition - limitée
- de profiter d'une faille de la législation fiscale. Elle
autorise les sociétés détenues en Alaska par
des Eskimos à céder leurs pertes à des entreprises
rentables qui payent ainsi moins d'impôts. Le groupe végète
jusqu'en janvier 1989 et l'arrivée à sa tête
de l'homme qui inventera le système Carlyle, Frank Carlucci.
Ancien directeur adjoint de la CIA, conseiller à la sécurité
nationale puis secrétaire à la défense de Ronald
Reagan, M. Carlucci compte à Washington. Il est l'un des
amis les plus proches de Donald Rumsfeld, actuel ministre de la
défense. Ils ont partagé une chambre quand ils étaient
étudiants à Princeton. Ils se sont ensuite croisés
dans de nombreuses administrations et ont même travaillé,
un temps, pour la même entreprise, Se! ars Robuck.
Six jours après avoir officiellement quitté le Pentagone,
le 6 janvier 1989, Frank Carlucci devient directeur général
de Carlyle. Il emmène avec lui des hommes de confiance, anciens
de la CIA, du département d'Etat et du ministère de
la défense. Surnommé "M. Clean" ("M.
Propre"), Frank Carlucci a une réputation sulfureuse.
Ce diplomate était en poste dans les années 1970
dans des pays comme l'Afrique du Sud, le Congo, la Tanzanie, le
Brésil et le Portugal où les Etats-Unis et la CIA
ont joué un rôle politique douteux. Il était
le numéro deux de l'ambassade américaine au Congo
belge, en 1961, et a été soupçonné d'être
impliqué dans l'assassinat de Patrice Lumumba. Il a toujours
fermement démenti. La presse américaine l'a aussi
accusé d'être impliqué dans plusieurs trafics
d'armes dans les années 1980, mais il n'a jamais été
poursuivi. Il a dirigé un temps Wackenhut, une société
de sécurité à la réputation détestable,
impliquée dans l'un des plus grands scandales d'espionnage,
le détournement du logiciel Promis. Frank Carlucci a eu pour
mission de faire le ménage dans l'administration Reagan au
moment de l'affaire Iran-Contra et a succédé alors
au poste de conseiller à la sécurité nationale
à John Pointdexter. En entrant en fonctions, il avait pris
comme adjoint un jeune général... Colin Powe! ll.
Sur son nom, Frank Carlucci attire les capitaux chez Carlyle. En
octobre 1990, le groupe s'empare de BDM International qui participe
au programme de "guerre des étoiles", et en fait
une tête de pont. En 1992, Frank Carlucci s'allie avec le
groupe français Thomson-CSF pour reprendre la division aérospatiale
de LTV. L'opération échoue, le Congrès s'oppose
à la vente à un groupe étranger. Carlyle trouve
d'autres associés, Loral et Northrop, et met la main sur
LTV Aerospace rapidement rebaptisé Vought Aircraft qui participe
à la fabrication des bombardiers B1 et B2.
Dans le même temps, le fonds multiplie les acquisitions stratégiques,
telles Magnavox Electronic Systems, pionnier en matière d'imagerie
radar, et DGE qui détient la technologie des cartes en relief
électroniques pour les missiles de croisière. Suivent
trois sociétés spécialisées dans la
décontamination nucléaire, chimique et bactériologique
(Magnetek, IT Group et EG G Technical services). Puis, via BDM International,
une firme liée à la CIA, Vinnell, laquelle est parmi
les premières à fournir à l'armée américaine
et ses alliés des contractants privés. C'est-à-dire
des mercenaires. Ceux de Vinnell encadrent les forces armées
saoudiennes et protègent le roi Fahd. Ils ont combattu lors
de la première guerre du Golfe aux côtés des
troupes saoudiennes. En 1997, Carlyle revend BDM et surtout Vinnell,
trop dangereux. Le groupe n'en a plus besoin. Il est devenu le onzième
fournisseur du Pentagone en mettant la main la même année
sur United Defense Industries.
Carlyle sort de l'ombre malgré lui le 11 septembre 2001.
Ce jour-là, le groupe organise au Ritz Carlton de Washington
une réunion avec cinq cents de ses plus importants investisseurs.
Frank Carlucci et James Baker III jouent les maîtres de cérémonie.
George Bush père fait un passage éclair en début
de journée. La présentation est rapidement interrompue,
mais un détail n'échappe à personne. Un des
invités porte sur son badge le nom de Ben Laden. Il s'agit
de Shafiq Ben Laden, un des nombreux demi-frères d'Oussama..
Les médias américains découvrent Carlyle. Un
journaliste, Dan Briody, écrit un livre sur la face cachée
du groupe, The Iron Triangle, et s'intéresse notamment aux
relations étroites entre le clan Bush et les dirigeants saoudiens.
Certains s'interrogent sur l'influence de George Bush père
sur la politique étrangère américaine. En janvier
2001, lorsque George Bush fils rompt des négociations avec
la Corée du Nord sur les missiles, les Coréens du
Sud, consternés, interviennent auprès de son père.
Carlyle a des intérêts importants à Séoul.
En juin 2001, Washington reprend les discussions avec Pyongyang.
Autre exemple, en juillet 2001, selon le New York Times, George
Bush père téléphone au prince saoudien Abdallah
mécontent des prises de position du président sur
le conflit israélo-palestinien. George Bush père assure
alors au prince que son fils "fait de bonnes choses" et
que "son coeur est du bon côté". Larry Klayman,
directeur de Judicial Watch, une organisation résolument
conservatrice, demande au " père du président
de démissionner de Carlyle. Le groupe a des conflits d'intérêts
qui peuvent créer des problèmes à la politique
étrangère américaine". Finalement en octobre
2003, George Bush père quitte Carlyle. Officiellement, car
il approche les 80 ans.
Carlyle a beau mettre fin à toute relation avec la famille
Ben Laden en octobre 2001, le mal est fait. Le groupe devient avec
Halliburton la cible des opposants à l'administration Bush.
" Carlyle a remplacé la Commission trilatérale
dans les théories du complot", reconnaissait David Rubenstein,
en 2003, dans une interview au Washington Post. Pour la première
fois, le groupe nomme un responsable de la communication et change
de patron. Frank Carlucci devient président honoraire et
Lou Gerstner, dirigeant respecté qui a sauvé IBM,
prend officiellement les rênes. L'opération semble
surtout cosmétique. M. Gerstner ne passe pas beaucoup de
temps à son bureau. Mais Carlyle veut devenir respectable.
Le groupe crée un site Internet. Il ouvre certains fonds
à des investisseurs apportant "seulement" 250 000
dollars (210 000 euros). Il aurait réduit sa participation
dans United Defense Industries, et affirme que la défense
et l'aérien ne représentent plus que 15 % de ses investissements.
Mais Carlyle fait toujours un usage intensif des paradis fiscaux
et il est difficile de connaître son périmètre
et le nom des sociétés qu'il contrôle.
Carlyle multiplie aussi les efforts en Europe. En septembre 2000,
il prend le contrôle du groupe suédois d'armement Bofors
via United Defense. Il tente ensuite, sans succès, de mettre
la main sur Thales Information Systems et, début 2003, sur
les parts de France Télécom dans Eutelsat, qui joue
un rôle important dans le système européen de
positionnement par satellite Galileo - concurrent du GPS américain.
De 1999 à 2002, il gère une participation dans Le
Figaro. En Italie, il fait une percée en reprenant la filiale
aéronautique de Fiat, Fiat Avio. Cette société
fournit Arianespace et permet à Carlyle d'entrer au Conseil
de la fusée européenne. Autre coup, en décembre
2002 Carlyle achète un tiers de Qinetic, la filiale privée
du Centre de recherche et développement militaire britannique.
Qinetic occupe une position unique de conseil du gouvernement britannique.
"Anticiper sur les technologies du futur et les entreprises
qui les développeront est notre premier rôle d'investisseur.
Les fonds de pension nous apportent leur argent pour cela. On ne
peut tout de même pas nous reprocher de chercher à
prendre des positions stratégiques", souligne M. Ullmann.
Un autre site, où on peut lire l'article du monde de 2004
http://www.jp-petit.com/Geopolitique/empire_carlyle.htm
L'équipe Stop Carlyle http://stopcarlyle.ifrance.com/
[Le site a été obligé de déménager,
auparavant il était basé en Suisse]
Stop Carlyle est un site gratuit d'information librement alimenté
par un réseau en ligne de citoyens vigilants face aux agissements
néfastes des fonds d'investissement US. Parce qu'il concentre
les dérives du modèle économique ultra-libéral
américain et parce qu'il entretient des liens étroits
avec le parti républicain et les Faucons de l'administration
Bush, le Carlyle Group est devenu un symbole un peu partout en Europe.
Le site devait dans un premier temps réaliser une revue
de presse aussi exhaustive que possible sur le groupe Carlyle. Progressivement,
de nouveaux membres ont rejoint le réseau qui s'est organisé
; chacun participant à hauteur de son temps, de sa volonté
et de ses moyens. Nous avons ainsi pu traduire le site en anglais,
créer un fil RSS de syndication, constituer des dossiers
remarquables sur les montages financiers du fonds d'investissement…
Notre réseau a désormais des correspondants en Suisse,
en France, en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg, au Canada,
et nous avons des contacts avancés avec des militants aux
Etats-Unis.
Petit à petit, le site dérange et les coups pleuvent.
Pour les dirigeants de Carlyle, nous serions payés par leurs
ennemis. A cette heure, les chèques ne sont toujours pas
arrivés. ;) Peut-être parce que 100 % de nos informations
sont trouvables sur Internet, et de manière 100 % gratuite
! Avis aux journalistes et aux amateurs… Merci à tous
ceux qui nous informent sur les parutions, publications…dans
les presses locales et régionales. Merci également
à tous ceux qui nous tiennent au courant de la situation
dans leur entreprise, et plus spécialement un certain jpmillet
(hé oui…) dont les infos sont toujours bienvenues.
;)
Rappelons que ceux qui se sont opposés au Carlyle Group
dans le passé ont souvent été traînés
devant les tribunaux pour des prétextes plus ou moins fallacieux.
Que ceux qui voudraient nous rejoindre le sachent, nous garantissons
leur anonymat. En revanche, nous nous réservons le droit
de vérifier toutes les informations qui nous sont adressées.
Nous ne souhaitons pas perdre notre temps dans des procédures
juridiques « à la Carlyle » !
Nous refusons de voir le Carlyle Group prendre pied en Europe.
Nous considérons que ce fonds et ses nervis bushistes sont
une abomination aussi bien pour les intérêts économiques
européens (voir toutes nos brèves sur les activités
stratégiques) que pour les salariés, premières
victimes d'une régression sociale organisée par la
spéculation financière (voir La liste Noire de Carlyle).
Le Carlyle Group en résumé, c'est quoi :
Le groupe Carlyle est un fond d'investissement américain
discret qui se focalise sur des secteurs stratégiques :
- Défense & espace
- Télécom & nouvelles technologies
- Médias
Les autres activités permettent la plupart du temps à
générer des liquidités qui financent les investissements
plus stratégiques.
Le Carlyle Group est une nébuleuse plus qu'opaque qui dispose
de "conseillers" prestigieux (Bush père, John Major,
Henri Martre, Etienne Davignon...) qui couvrent l'ensemble du monde.
Certains de ces conseillers ne sont plus aujourd'hui dans l'équipe
Carlyle.
Source : Politis
Carlyle est un des principaux fournisseur du Pentagone via United
Defense Industries. La question de son rôle dans le récent
conflit en Irak mérite d'être posée...
Carlyle Group
http://www.reseauvoltaire.net/article12418.html
Complexe militaro-industriel états-unien
Le Carlyle Group, une affaire d'initiés
Premier gestionnaire mondial de portefeuilles, le Carlyle Group
rassemble le gratin de la politique mondiale. Piloté par
l'ancien secrétaire à la Défense Frank Carlucci,
il comprend aussi bien George Bush père que les Ben Laden,
George Soros, Mikhail Khodorkovsky ou John Major. Il s'est spécialisé
dans la prise de contrôle de sociétés d'armement
et de médias. Profitant de la présidence d'un de ses
anciens cadres, Bush fils, il influe selon ses intérêts
sur la politique étrangère des États-Unis.
Usant et abusant de ses relations, le groupe réalise 30%
de retour sur investissement au risque de se voir régulièrement
mis en cause dans des affaires d'initiés et de corruption.
9 février 2004 Le Carlyle Group est né, au milieu des années 1980,
à la faveur d'une affaire d'esquimaux. Au terme d'un accord
avec l'État fédéral, des sociétés
d'Alaska ont reçu, en 1971, d'importantes subventions du gouvernement
fédéral pour créer des entreprises sur place.
Quinze ans plus tard, la plupart de ces sociétés avaient
accumulé des dettes considérables et menacaient de déposer
le bilan. Le sénateur de l'Alaska, Ted Stevens, parvint alors
à faire adopter une clause dans la loi fiscale de 1984 autorisant
ces sociétés à vendre leurs dettes à des
compagnies états-uniennes florissantes, en échange d'un
cadeau fiscal. En clair, une société esquimau ayant
perdu 10 millions de dollars en une année fiscale peut vendre
ses dettes 7 millions de dollars. L'acheteur états-unien peut,
quant à lui, retrancher 10 millions de dollars des bénéfices
déclarés à l'IRS, profitant ainsi d'une réduction
fiscale de 3 millions de dollars [1].
Stephen Norris, cadre dirigeant de la division fusion-acquisition
de la société Marriott, réalise que cette niche
fiscale constitue un filon à exploiter. Son objectif : trouver
des sociétés basées en Alaska disposées
à vendre leurs dettes, les mettre en contact avec des compagnies
états-uniennes, et empocher au passage 1 % de commission.
Pour monter l'opération, il débauche David Rubinstein,
ancien membre de l'administration Carter [2], qui travaille alors
depuis 6 ans, au sein du cabinet Shaw, Pittman, Potts & Trowbridge
et de G. William Miller & Co, également au service fusion-acquisition.
David Rubinstein bénéficie d'un impressionnant carnet
d'adresses qui lui permet de trouver les interlocuteurs des deux
côtés.
Le succès de l'opération, conduite au sein de Mariott,
incite les deux hommes à quitter la structure pour s'installer
à leur compte. En quelques mois, ils s'arrogent ainsi 1%
sur un milliard de dollars de réductions d'impôts obtenu,
soit 10 millions de dollars. Le tout au sein d'une société
nouvellement créée, et qu'ils vont nommer comme le
Carlyle Hotel de New York, où ils tiennent la plupart de
leurs rendez-vous. Le Carlyle Group est né.
Errements financiers, progrès politiques
Mais toutes les bonnes choses ont une fin et le gouvernement fédéral
supprime rapidement cette niche fiscale. Rubinstein et Norris se
reconvertissent alors dans le rachat d'entreprise, dans la conjoncture
économique florissante des années 1980. Le but du
jeu consiste à obtenir des prêts auprès de grandes
banques, à acquérir des positions importantes dans
des sociétés en difficulté, en prendre le contrôle
à bas prix, réorienter leur politique commerciale
puis les revendre à un prix supérieur. Le principal
mode d'action est le rachat d'entreprise financé par l'endettement
[3].
Les débuts sont chaotiques, Stephen Norris et David Rubenstein
découvrant progressivement la nature impitoyable de l'univers
économique dans lequel ils souhaitent opérer. Plusieurs
opérations de rachat échouent au profit de sociétés
plus rompues à l'exercice, tandis que d'autres réussissent,
mais sans générer les profits escomptés. Au
contraire, les pertes s'accumulent pour Carlyle en 1987-88. Les
deux associés cherchent donc du renfort et recrutent plusieurs
personnalités telles que Dan D'Aniello et William Conway,
ancien dirigeant du service financier de MCI Communications.
Le plus gros coup est le recrutement d'un professionnel avisé
de la finance, au passé politique controversé, Frederic
V. Malek. Ce dernier, ancien chef du personnel du président
Nixon, subit de plein fouet, en septembre 1988, un article du Washington
Post relatant les délires paranoïaques et antisémites
du président Nixon. On y apprend que Malek a, en juillet
1971, établi à la demande du président un listing
des employés juifs du Bureau du Travail et des Statistiques,
une démarche qui a abouti à l'époque à
la mise au placard de deux fonctionnaires juifs situés haut
dans l'organigramme, Peter Henle et Harold Goldstein. Le jour même
de l'éclatement de l'affaire, qui compromet gravement sa
carrière politique, il reçoit un appel de Stephen
Norris qui l'invite à rejoindre Carlyle. Pour la société
de Washington, c'est une façon inespérée de
recruter un homme extraordinairement bien introduit dans le milieu
des affaires états-uniens. Dans son carnet d'adresses figurent
notamment les noms du président George H. W. Bush et de son
fils, George Walker Bush, futur président. Avec lui, Carlyle
peut acquérir une nouvelle dimension.
Cette nouvelle dimension ne concerne pas la réussite financière,
mais plutôt le développement incroyable des connexions
politiques de la firme, qui permettront, plus tard, d'importants
succès. À l'époque, le premier projet concerne
la reprise en main de Craterair, une société fournissant
les repas aux passagers des vols de plusieurs compagnies aériennes.
Le président directeur général de Marriott,
J. W. Marriott, souhaite en effet se débarrasser de ce poids
mort de sa compagnie, en 1989. Dan Altobello, qui dirige ce secteur,
propose immédiatement à Carlyle de le racheter. Ce
choix apparaît aujourd'hui comme une évidence : Norris,
Malek et D'Aniello sont en effet tous les trois des anciens dirigeants
de Marriott.
C'est Frederic V. Malek qui s'occupe de l'opération, à
laquelle il fait participer George W. Bush, fils du président
de l'époque. L'expérience du fils Bush dans le milieu
du pétrole n'a a priori aucun rapport avec ses nouvelles
fonctions de membre du conseil d'administration de Craterair. C'est
donc ailleurs qu'il faut chercher les raisons de son recrutement,
des raisons révélatrices des nouvelles méthodes
de Carlyle. En réalité, Malek joue un jeu à
trois bandes : d'un côté, il vient de négocier,
loin de Carlyle, la reprise de la compagnie aérienne Northwest,
dont il est le PDG. Cette compagnie a très souvent recours
aux services de Caterair. De plus, elle a besoin d'autorisations
fédérales en matière de régulation aérienne
pour développer son activité. Le recrutement de George
W. Bush, qui a besoin d'étoffer son CV dans le monde des
affaires, permet d'envisager l'octroi des autorisations par l'entremise
de son père, qui siège à la Maison-Blanche,
et donc un regain d'activité pour Caterair. La boucle est
bouclée. La Guerre du Golfe, qui amène la peur des
attentats et la hausse des prix du pétrole entraîne
malheureusement pour Carlyle une crise du secteur de l'aviation
civile. L'audacieux montage subit donc un échec cuisant.
Mais la compagnie de Norris et Rubinstein a, entre temps, considérablement
accru ses contacts politiques [4].
Frank Carlucci : l'homme des services au service de Carlyle
En 1988, l'administration Reagan quitte la Maison-Blanche. Carlyle,
fidèle à sa tradition, décide d'en recruter
les meilleurs éléments. Le choix se porte sur Franck
Carlucci [5], qui vient juste de quitter son poste de secrétaire
à la Défense. Le 26 janvier 1989, il devient vice-président
du Carlyle Group, ouvrant une nouvelle ère pour la société.
C'est en effet un renfort politique de très haute valeur.
Très impliqué dans la Guerre froide, au cours de laquelle
il a fomenté un grand nombre de coups fourrés dans
divers endroits de la planète, Carlucci est l'homme des services
états-uniens, ancien camarade de classe de Donald Rumsfeld
à Princeton. Il est vice-directeur de la CIA en 1978, sous
l'administration Carter, avant d'intégrer le département
de la Défense de l'ère Reagan, sous la direction de
Caspar Weinberger. Après un passage, en 1982, à la
Sears World Trade [6] où il est impliqué dans une
affaire de trafic d'armes liée à la CIA, il est nommé
en 1986 à la tête du Conseil de sécurité
nationale, en remplacement de l'amiral John Poindexter, carbonisé
par l'affaire Iran-Contra. En novembre 1987, il remplace Caspar
Weinberger au poste de secrétaire à la Défense,
pour les dix-huit derniers mois de l'administration Reagan. Au cours
de cette période, il se familiarise avec le processus d'élaboration
du budget des armées et de ventes d'armes. Une expérience
précieuse pour son futur poste au sein de Carlyle.
Frank Carlucci va ainsi être à l'origine du premier
rachat lucratif pour Carlyle dans le milieu de l'armement. Il est
en effet proche de Earle Williams, le président de BDM International,
une société de conseil en questions de défense,
filiale de Ford Aerospace. Ce dernier a réussi le tour de
force de se faire nommer à la Naval Research Advisory Board,
qui conseille la Navy états-unienne sur ses choix stratégiques
à long terme, permettant ainsi à BDM d'obtenir de
juteux contrats. Le tout en recrutant simplement, au sein de BDM,
la femme de Melvyn Paisley, alors en charge de l'attribution des
contrats de la Navy. Ce dernier rejoint même les rangs de
BDM après avoir quitté ses fonctions en 1987.
Ce joyeux cocktail de corruption, de trafic d'influence et de fraude
fait finalement l'objet d'une enquête d'envergure à
l'été 88, qui aboutit à la mise en accusation
de douzaines de responsables du Pentagone, en regard de leur attribution
des contrats de défense. Le plus éminent d'entre eux
n'est autre que… Melvyn Paisley. Le scandale éclabousse
donc logiquement au passage BDM, dont la valeur chute dramatiquement,
laissant la place libre à des repreneurs. Achetée
425 millions de dollars par Ford Aerospace en 1988, elle est rachetée
130 millions par Carlyle en 1990, grâce aux bons offices d'Earle
Williams qui y conserve son poste de président, tandis que
Carlucci et William Conway font leur entrée au conseil d'administration.
Le succès de Carlyle est complet.
En quatre ans, le Carlyle Group a mis en place les bases de son
succès futur : un savoir-faire financier, un carnet d'adresses
politiques fourni et une spécialisation dans le secteur de
la Défense où précisément les contacts
politiques de haut-niveau sont essentiels. La période qui
suit est une mise en application des leçons tirées
du passé. C'est aussi la période qui voit William
Conway prendre une part de plus en plus importante dans les décisions
du groupe. C'est un homme d'affaires réputé pour son
flair dans le monde de la finance, mais aussi pour ses méthodes
de management autoritaires et conservatrices. Il est à l'origine,
avec David Rubinstein, de la reprise mouvementée de la division
Défense et Aérospatiale de LTV Corp, qui renforce
la réputation du groupe.
Carlyle dans les eaux saoudiennes
À la même période, le Carlyle Group noue des
relations avec l'Arabie saoudite. Profitant de la guerre du Golfe
et d'une diplomatie états-unienne tournée vers le
régime des Saoud, Carlyle rentre en contact avec le prince
Alwaleed bin Talal, alors âgé de 35 ans, neveu du roi
Fahd ayant fait ses études aux États-Unis. Devenu
très riche d'une manière qui reste aujourd'hui inconnue,
il souhaite à l'époque investir aux États-Unis.
Le climat politique y est favorable, et la crise financière
incite les banquiers à chercher de l'argent là où
ils en trouvent. L'une des plus grandes banques du pays, la Citicorp,
cherche ainsi 1,5 milliard de dollars pour rester à flot.
Conscient de l'opportunité, le prince Alwaleed passe par
un cabinet d'affaires de Washington pour intervenir. Ce cabinet
lui conseille d'avoir recours aux services du groupe Carlyle, qui
possède de nombreux atouts en matière de connexion
politique qui peuvent se révéler utiles au prince.
La manœuvre se heurte néanmoins à l'opposition
de plusieurs membres du Congrès, hostiles à la prise
de contrôle des banques états-uniennes par des investisseurs
étrangers. L'entregent de Stephen Norris permet finalement
d'obtenir l'agrément indispensable du Federal Reserve Board,
à condition que le prince Alwaleed n'intervienne pas dans
la gestion de la banque. Le 21 février 1991, le Carlyle Group
peut donc se vanter d'avoir permis l'investissement de 590 millions
de dollars du prince saoudien dans l'une des principales banques
états-uniennes. La manœuvre permet au prince d'être
potentiellement détenteur de 15 % des actions de la banque,
devenant ainsi l'un de ses principaux actionnaires.
Des déclarations à l'emporte-pièce de Stephen
Norris, revendiquant pour Carlyle le sauvetage de la banque et sous-entendant
que le prince chercherait certainement à influer sur les
décisions du conseil d'administration, amènent finalement
le Federal Reserve Board à revenir partiellement sur son
autorisation. Il n'empêche, le Carlyle Group a réussi
son entrée sur la scène internationale.
La société va profiter de son avantage pour acquérir,
en 1992, une entreprise peu connue, Vinnell, qui doit servir de
relais au Proche-Orient pour l'expertise militaire détenue
par Carlyle. Vinell est une société privée
dont l'activité consiste à entraîner des armées
étrangères lorsque celles-ci en ont besoin. Elle forme
depuis 1975 les forces armées saoudiennes, et ses mercenaires,
composés des éléments les plus aguerris des
Special Forces, ont combattu aux côtés des troupes
régulières lors de la Guerre du Golfe, en 1991. A
l'époque, une commission d'enquête parlementaire diligentée
par le sénateur Henry Jackson avait révélé
que les critères de recrutement exluaient que soit embauché
toute personne de religion juive. On retrouve ensuite la société
lors du scandale de l'Irangate, puisque Richard Secord, général
à la retraite de l'Air Force travaillant pour Vinnell fût
impliqué en tant que complice d'Oliver North. En 1987, un
article de Time Magazine met à nouveau en cause la société
de mercenaires en révélant que deux de ses employés
auraient été impliqués dans la tentative avortée
de renversement du Premier ministre de Grenade, l'homme de gauche
Maurice Bishop.
La reprise par Carlyle ne va rien changer aux activités
de Vinnell. Au contraire, elle va s'accompagner d'un renforcement
de la présence militaire états-unienne dans la région,
de 1992 à 1995. En 1995, les bureaux à Riyad de Vinnell
et de BDM, deux sociétés détenues par Carlyle,
sont soufflés par un attentat meurtrier qui fait sept morts,
dont cinq États-uniens. Les bureaux visés sont ceux
soutenant le contrat de Vinnell auprès de la Garde nationale,
à une époque où de nombreux Saoudiens souhaitent
voir l'armée états-unienne quitter le pays. L'affaire
fait grand bruit aux États-Unis et de nombreux témoignages
anonymes font alors ressortir que Vinnell est, en réalité,
une façade pour les interventions de la CIA, chargée,
en Arabie saoudite, d'infiltrer l'armée nationale. D'après
un ancien employé, même après le rachat par
BDM (donc Carlyle) de la société, celle-ci aurait
conservé toute son autonomie. Voilà qui lève
une part du voile sur la couleur politique et les intentions des
dirigeants du Carlyle Group. Ceux-ci ont néanmoins revendu
Vinnell en 1997 [7], ce qui n'empêche pas celle-ci de continuer
son œuvre en Arabie saoudite. Un rôle qui lui valut d'être
au cœur d'importantes polémiques après les attentats
du 11 septembre et l'apparition, au sein de l'administration Bush,
d'un violent courant anti-saoudien.
Un renfort de choix : James Baker III
En 1993, le Carlyle Group poursuit son parcours du combattant pour
parvenir au sommet du monde de la finance. Pour cela, il a besoin
d'un nouvel atout pour ses relations publiques et politiques, une
figure reconnue plus disponible que Frank Carlucci, devenu entre-temps
membre du conseil d'administration de 32 sociétés,
dont certaines n'appartiennent pas à Carlyle. À la
fin de l'ère Bush, en 1992, David Rubenstein, Frank Norris
et William Conway se rendent donc à la Maison-Blanche pour
y débusquer l'oiseau rare : ce sera James A. Baker III [8].
Ce dernier dispose d'impressionnants états de service au
profit des républicains : sous-secrétaire d'État
au Commerce sous Ford en 1975, il fût directeur des campagnes
de Ford, Reagan et Bush, directeur de cabinet de Ronald Reagan de
1981 à 1985, secrétaire au Trésor de 1985 à
1988, puis secrétaire d'État sous George Bush père
de 1989 à 1992. Après la défaite de ce-dernier
face à William Jefferson Clinton, il retourne vers le monde
des affaires d'où il est issu, en acceptant des responsabilités
à la fois pour Enron et pour le Carlyle Group. L'annonce
de son recrutement par la société basée à
Washington déclenche une effervescence médiatique
autour de Carlyle, et on annonce même l'arrivée prochaine
au sein du groupe de Colin Powell. En tout état de cause,
l'arrivée de Baker renforce considérablement la position
de Carlyle.
George Soros
Le nom de James Baker va permettre au groupe de lever des fonds
importants, ce qui avait été impossible jusque-là.
Le premier objectif, fixé par David Rubinstein à 500
millions de dollars, sera rapidement dépassé, grâce
à l'arrivée du financier George Soros, qui vient,
en 1992, de mettre la livre anglaise à genoux [9]. Celui-ci
accepte d'investir 100 millions de dollars dans la société,
mais aussi évidemment de lui apporter sa propre notoriété
de financier hors-pair. Ce qui permet à Carlyle de lever,
en 4 ans, plus de 1,3 milliard de dollars, soit plus de deux fois
la somme initialement recherchée. Les rachats sont alors
couronnés de succès, le groupe se focalisant sur les
domaines liés à la Défense et aux ventes d'armes,
deux terrains qui nécessitent des contrats avec le gouvernement.
Or la proximité avec les décideurs politiques est
désormais la spécialité de Carlyle. Le groupe
va ainsi fleurir, faisant gagner près de 30 % annuels à
ses actionnaires.
La liste des membres du Carlyle continue elle aussi à s'allonger,
avec l'arrivée de George Bush Sr au rang de « conseiller
supérieur », celui-ci étant devenu un ami proche
de David Rubinstein, mais aussi de l'ancien Premier ministre conservateur
britannique, John Major, qui est chargé des investissements
en Europe, fin 1997. Le Carlyle Group bénéficie également
du soutien du fonds de pension de la Banque mondiale, dont il a
recruté l'ancienne trésorière en charge des
investissements, Afsaneh Mashayekhi Beshloss. Celle-ci avait confié
une bonne partie des fonds à sa disposition à Carlyle.
Carlyle multiplie ses investissements à l'étranger,
notamment en Amérique latine, en Russie (avec l'oligarque
Mikhail Khodorkovsky [10]) et en Europe, ainsi que le recrutement
de responsables politiques tels que le Premier ministre de Corée
du sud, Park Tae-joon et l'ancien Président des Philippines,
Fidel Ramos. Et ceux qui ne peuvent y travailler, y envoient leurs
proches, comme Madeleine Albright qui fait engager sa fille Alice.
L'arrivée de George W. Bush à la présidence
des États-Unis est une consécration pour le Carlyle
Group. Le nouveau résident de la Maison-Blanche doit en effet
sa nomination au travail de sape juridique fourni par James Baker
III, membre du Carlyle Group, et aux amitiés politiques de
son père, George H.W. Bush, également lié au
fonds d'investissement de Washington. Carlyle a même financé
la campagne politique des républicains à hauteur de
359 000 dollars, contre 68 000 seulement pour les démocrates.
Le désavantage de cette politique est qu'elle attire vers
la société l'attention de l'ensemble des médias
états-uniens.
Bush père et fils : la diplomatie Carlyle
Le premier véritable scandale éclate en mars 2001,
lors d'une visite de Bush senior en Arabie saoudite, en tant que
responable du Carlyle Group. Sa rencontre avec le roi Fahd suscite
de nombreuses interrogations dans la presse états-unienne
: s'agit-il d'une rencontre diplomatique ? d'un voyage d'affaires
privées ? des deux à la fois ? Des questions d'autant
plus légitimes que l'ancien président des États-Unis,
accompagné de John Major, profite de l'occasion pour rencontrer
d'anciens partenaires en affaires, la famille Ben Laden, alors même
que l'un des frères, Oussama ben Laden, est déjà
considéré comme une menace terroriste par les services
de renseignement états-uniens.
Le deuxième dossier majeur concerne la Corée du Sud.
L'arrivée au pouvoir de George W. Bush a été
caractérisée par une politique extrêmement agressive
à l'égard de la Corée du Nord, qualifiée
d'« État voyou ». Les pays de la région,
tels que la Corée du Sud ou la Thaïlande, voient d'un
mauvais œil cette escalade diplomatique, et remettent alors
gravement en cause leurs accords signés avec Carlyle en mai
1999, lors d'une visite de George Bush Sr. Des contacts privilégiés
existent entre la société et de nombreux dirigeants
locaux, puisque Carlyle compte dans ses rangs le Premier ministre
sud-coréen élu en 2000, Park Tae-joon, mais aussi
son gendre, Michael Kim, chargé de gérer les intérêts
coréens aux États-Unis, et l'ancien Premier ministre
thaïlandais, Anan Panyarachum.
Cet édifice patiemment construit est subitement mis à
mal par les déclarations du nouveau président états-unien,
lui-même influencé par les faucons de son administration.
George W. Bush semble jouer contre son propre camp. Il est vite
ramené à la raison.
Le 6 juin 2001, George W. Bush opère un revirement subit
et annonce la reprise du dialogue avec Pyongang. Quatre jours plus
tard, le New York Times évoque des discussions entre le père
et le fils Bush ayant provoqué cette décision : selon
le journal, Bush père, convaincu que son fils était
indûment influencé par le Pentagone, lui aurait conseillé
d'adopter une position plus modérée sur ce dossier.
Il aurait argué du fait qu'une position dure à l'encontre
de la Corée du Nord mettrait à mal le gouvernement
sud-coréen, et nuirait en conséquence aux intérêts
états-uniens dans la région. Une ingérence
bien inhabituelle à la tête d'une démocratie
aussi solidement enracinée que celle des États-Unis.
Il ne s'agit pas là d'un acte isolé : le 18 juillet
2001, le New York Times rend compte d'une nouvelle intervention
de l'ancien directeur de la CIA dans la diplomatie états-unienne.
George Bush père aurait en effet appelé le prince
héritier de l'Arabie saoudite Abdullah, de la part de son
fils, afin d'assurer le gouvernement saoudien que « le cœur
[de son fils] est du bon côté », par rapport
au Proche-Orient. Un appel rendu nécessaire par la politique
uniquement pro-israélienne menée par l'actuel président.
D'après le journal, ce dernier était présent
lors du coup de téléphone. Ces révélations
suscitent de violentes réactions de la part des organisations
civiques tournées vers la moralisation de la vie politique.
Nombreuses sont celles qui demandent alors que Bush père
démissionne du Carlyle Group, s'il souhaite jouer un rôle
dans la diplomatie du pays.
Le 11 Septembre : la Divine providence pour le Carlyle
Group
La polémique est certes vivace, mais reste minime par rapport
à celle qui attend les actionnaires de Carlyle à la
fin de l'été 2001. La société est en
effet au cœur de l'événement le plus traumatique
qu'aient connu les États-Unis depuis Pearl Harbour : les
attentats du 11 septembre 2001.
Ce jour là, le Carlyle Group tient sa conférence
internationale annuelle pour les investisseurs à l'hôtel
Ritz Carlton de Washington DC. Frank Carlucci, James Baker III,
David Rubenstin, William Conway et Dan D'Aniello ont convié
une galerie d'anciens dirigeants venus des quatre coins de la planète,
d'anciens experts en question militaires, de riches Arabes venus
du Proche-Orient et plusieurs investisseurs internationaux majeurs,
qui peuvent ainsi assister aux attaques terroristes sur écran
géant. Parmi les personnalités, on trouve notamment
Shafiq Ben Laden, officiellement « brouillé »
avec son frère Oussama, et George Bush père. Ce dernier
aurait, d'après le porte-parole de Carlyle, quitté
la convention peu avant les attentats, et se serait trouvé
dans un avion au-dessus du Midwest lorsque fût ordonnée
l'interdiction de décoller à tout appareil sur le
sol états-unien.
La première conséquence de ces attaques est un cadeau
du ciel pour le Carlyle Group : le Congrès approuve immédiatement
le déblocage de 40 milliards de dollars pour la Défense
tandis que, dans l'ombre, les membres de l'administration Bush commencent
à plancher sur le budget 2002 du Pentagone qui prévoit
une hausse de 33 milliards de dollars. Des décisions qui
ont pour conséquence de rendre les partenaires de Carlyle
extrêmement riches. Le projet jusque là vivement controversé
du Crusader, la super-arme états-unienne, est adopté
sans opposition. Un projet vivement défendu par Carlyle,
puisque réalisé par United Defense, une société
détenue par le fonds états-unien. Ses dirigeants profitent
d'ailleurs de ces décisions pour nationaliser United Defense,
en décembre 2001, empochant au passage 237 millions de dollars.
Moins glorieux, la presse états-unienne, et notamment le
Wall Street Journal met à jour les liens du Carlyle Group
avec la famille Ben Laden. Celle-ci a commencé au début
des années 1990, lorsque le groupe tentait de prendre le
contrôle de la société italienne Italian Petroleum.
À cette occasion, son émisaire au Proche-Orient, Basil
Al Rahim, s'était rendu en Arabie saoudite, en Jordanie,
au Bahreïn et aux Émirats arabes unis pour y trouver
des investisseurs. Il avait alors fait la connaissance de la famille
Ben Laden, à la tête d'une entreprise de travaux publics
évaluée à 5 milliards de dollars, le Saudi
Binladin Group. La famille a certes rompu avec le plus connu de
ses cinquante membres, Oussama, qui s'est vu retirer la nationalité
saoudienne en 1991, mais l'article du Wall Street Journal met néanmoins
l'accent sur l'affreux paradoxe que représente la possibilité
pour la famille du terroriste de s'enrichir à la faveur des
attentats, par le biais du Carlyle Group. Une information qui oblige
les dirigants à minimiser les investissements de la famille
Ben Laden (estimée selon eux à 2 millions de dollars,
elle concerne en réalité plusieurs fois cette somme
d'après Basil Al Rahim, qui a quitté le groupe en
1997) et à liquider rapidement leurs avoirs.
Lorsque survient la psychose liée à l'anthrax, en
octobre 2001, le Carlyle Group est à nouveau là pour
offrir - ou plutôt vendre - la solution : il détient
en effet 25 % d'une société appelée IT Group,
spécialisée dans le nettoyage de déchets environnementaux
et toxiques. En situation délicate avant l'épisode
de l'anthrax, IT Group signe, au cours de la période, plusieurs
contrats de désinfection dans des bâtiments «
contaminés » tels que le Hart Senate Office Building
et le centre de tri postal de Trenton [11]. Des chantiers qui emploient
400 travailleurs à plein temps pendant plusieurs jours, et
permettent d'envisager un sauvetage miraculeux de l'entreprise.
Il n'en sera rien, finalement, puisque la compagnie déposera
tout de même le bilan, non sans avoir au préalable
considérablement réduit ses dettes. On retrouve également
Carlyle dans le sillage de Bioport, une société détenant
le seul contrat gouvernemental pour la réalisation d'un vaccin
expérimental et controversé contre l'anthrax. Travaille
en effet dans cette société l'amiral à la retraite
William Crowe, président du bureau des directeurs de cabinet
au secrétariat à la Défense, du temps de Frank
Carlucci. Si les deux hommes se connaissent bien, aucun liencommercialentrelesdeuxsociétésn'a
cependant été établi.
En France, le Carlyle Group a acheté la principale entreprise
de Vitrolles, le Groupe Genoyer qui fabrique des pièces détachées
pour l'équipementier pétrolier Halliburton. Puis,
il s'est emparé du papetier Otor, avant d'investir dans la
presse. De 1999 à 2002, il a détenu 30 % du Figaro,
qui a imposé Dominique Baudis à la présidence
du Comité éditorial [12]. Il détient aujourd'hui
28% d'Aprovia (le pôle professionnel et santé de l'ex
groupe Vivendi Universal Publishing), avec des titres comme Test,
Le Moniteur ou L'Usine nouvelle. Et des participations dans Médimédia,
qui édite par exemple Le Quotidien du Médecin et contrôle
les Éditions Masson. Par ce biais, il bénéficie
d'une expertise et d'une veille permanente sur la recherche et le
développement industriels français. De plus, Carlyle
s'est porté acquéreur de Vivendi Universal Entertainement.
En outre, Carlyle a investi dans l'immobilier de bureaux à
Boulogne, Ivry, La Défense, Malakoff, Montrouge et Paris,
avec une nette préférence pour les immeuble hébergeant
des sociétés liées à l'armement.
L'étude détaillée du fonctionnement du Carlyle
Group surprend et inquiète. Jamais l'influence d'une société
privée n'a menacé à ce point d'engloutir une
démocratie aussi ancienne que celle des États-Unis.
Ce subtil dosage de collusion, de corruption et de népotisme,
à un tel niveau de responsabilités, fait résonner
d'une manière particulière les mots prononcés
par le président Dwight Eisenhower lorsqu'il quitta les commandes
du pays, en janvier 1961 : « Au sein des différents
conseils du gouvernement, nous devons nous protéger contre
l'apport d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée
ou non, de la part du complexe militaro-industriel. Le potentiel
pour une montée désastreuse d'un pouvoir hors de propos
existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser cette agrégation
mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques.
»
[1] Cette enquête s'appuie sur l'excellent livre de Dan Briody
sur le fonctionnement du Carlyle Group : The Iron Triangle - Inside
the secret world of the Carlyle Group, par Dan Briody, Wiley, 2003.
[2] David Rubenstein était l'un des assistants en politique
intérieure du président Jimmy Carter, à l'âge
de 27 ans. Il est décrit par ses collaborateurs de l'époque
comme un serviteur modèle de l'État, « le premier
à arriver au travail, le dernier à en partir ».
[3] C'est ce qu'on appelle le Leveraged Buy Out ou LBO, qui consiste
à constituer un holding qui s'endette pour racheter la cible.
Le holding paiera les intérêts de sa dette et remboursera
celle-ci grâce aux dividendes réguliers ou exceptionnels
provenant de la société rachetée.
[4] « The fancy financial footwork of George W. Bush - The
president as businessman », par David Ignatius, International
Herald Tribune, 7 août 2002.
[5] Voir « L'honorable Frank Carlucci » par Thierry
Meyssan, Voltaire, 11 février 2004.
[6] Filiale du géant de la distribution Sears Roebuck fondé
par le général Robert E. Wood. Dans les années
50, la holding finança la création de l'American Security
Council, embryon de ce qui est devenu le lobby militaro-industriel
états-unien.
[7] Carlyle n'a pas tardé à réinvestir dans
le mercenariat en achetant USIS (US Investigations Services), qui
assure par exemple la sécurité du président
Karzaï en Afghanistan.
[8] Voir « James A. Baker III, un ami fidèle »,
Voltaire, 16 décembre 2003.
[9] Voir « George Soros, spéculateur et philanthrope
», Voltaire, 15 janvier 2004.
[10] Voir « Bush, Khodorkovsky & Associates »,
Voltaire du 13 novembre 2003.
[11] Pour une raison inconnue, IT avait également été
chargé de vitrifier les décombres du Pentagone au
lendemain du 11 septembre.
[12] Les parts ont été revendues depuis au groupe
Dassault et M. Baudis est devenu président du CSA
François Missen
Comment doit-on présenter Potomac : roman ou enquête
?
Pour reprendre l’expression d’un écrivain de
renom, c’est un « romenquête ». Je suis
parti d’une information tout à fait objective concernant
une société américaine impliquée jusqu’au
cou dans des affaires politico-financières mêlant intérêts
privés et publics, gros sous et arrière-pensées
stratégiques. Comme je ne pouvais aller plus avant dans l’enquête,
j’ai décidé d’écrire un roman à
partir des éléments dont je disposais, en les adaptant.
Peux-tu lever un coin du voile sur l’affaire dont tu
t’es inspiré ?
La société en question s’appelle Carlyle, du
nom de l’hôtel new-yorkais où ses golden boys
de créateurs avaient l’habitude de venir siroter des
gin-fizz. Créée en 1987, elle s’est rapidement
développée aux quatre coins du globe, en prenant des
participations dans différents secteurs de l’économie
et des finances. Avec une nette prédilection pour l’armement…
et des liens forts avec les milieux politiques.
Comment en es-tu venu à t’intéresser à
cette société ?
Par le biais d’une entreprise française dans laquelle
Carlyle avait investi et qui commençait à s’inquiéter
de ses manœuvres. À partir de là, j’ai
amassé suffisamment d’informations pour publier, non
sans mal, un premier article dans la revue Politis. J’y expliquais
notamment les passerelles existant entre Carlyle et le Parti républicain
américain.
Tu veux dire que la famille Bush aurait des liens avec Carlyle
?
Au sein du réseau Carlyle, on retrouve en effet George Bush
senior, mais aussi James Baker (ancien secrétaire d’État),
Franck Carlucci (ancien directeur adjoint de la CIA et proche de
Donald Rumsfeld), John Major (ancien Premier ministre britannique)
et bien d’autres. Tout ce beau monde joue au VRP de luxe pour
Carlyle, alimentant « la pieuvre » en capitaux frais
et en affaires juteuses. Cerise sur la gâteau : l’un
des demi-frères de Ben Laden fut actionnaire de Carlyle.
Il l’était encore le 11 septembre 2001.
Cette histoire serait donc une petite bombe…
Ce n’est pas à moi d’en juger. À chacun
de se faire son opinion…
Qu’attendent les journalistes américains pour
en parler ?
Beaucoup de choses ont déjà été écrites
sur Carlyle ; il suffit de pianoter sur Internet pour trouver des
informations. Ces deux dernières années, les journalistes
américains ont surtout axé leur attention sur le terrorisme,
actualité oblige. Mais ils ne devraient pas tarder à
sortir certains sujets gardés « au chaud ». Des
gens comme Michael Moore s’intéressent par exemple
de très près aux liens entre Carlyle et Bush.
« Une bonne enquête se mène à
froid. »
Comment se mène une investigation de cette envergure
?
Ce n’est pas une question de « bon » ou de «
mauvais » journaliste, c’est une question de moyens.
Pouvoir se rendre immédiatement disponible et sauter dans
le premier avion, ça demande des moyens. Prendre le temps
nécessaire, être exhaustif, suivre toutes les pistes,
ça demande également des moyens. Il faut pouvoir faire
des erreurs ; si la piste est négative, tant pis ; si elle
est positive, elle fera peut-être toute la différence.
Sur tes derniers dossiers, tu as pu manœuvrer comme tu
le souhaitais ?
Pas forcément ! J’ai par exemple essayé pendant six mois
de convaincre un éditeur de l’intérêt
d’aller enquêter en Turquie, que je considère
depuis longtemps comme l’un des foyers les plus explosifs
de la planète. Un pays islamique laïque, contre-exemple
de l’intégrisme, occupant une place stratégique
aux portes de l’Orient et entretenant des relations soutenues
avec l’Occident… Ça ne pouvait que péter
! Maintenant, enquêter sur place va être bien plus difficile.
Le pays est quadrillé par la police et l’armée,
les gens sont en alerte, ils ont peur, se méfient. Sous la
pression d’un événement, tu ne peux plus découvrir
grand-chose. Une bonne enquête se mène à froid.
*CARLYLE, BUSH, BEN LADEN, GUERRE ÉCONOMIQUE
Le groupe Carlyle : entre Bush et ben Laden
POLITIQUE D'INFLUENCE US ET MAGOUILLES FINANCIÈRES
: THE CARLYLE GROUP
samedi 1er février 2003, par mirmillon
Qu'y a-t-il de commun entre la famille Ben Laden, la famille Bush,
Casema (télécommunications), QinetiQ (défense),
Vinnell (conseillers militaires), la BCCI (banque), Bofors (défense)
et le Pentagone ?
Le Carlyle Group.
Un réseau de conseillers prestigieux
Fonds d'investissement étasunien, le groupe Carlyle est
dirigé depuis janvier 2003 par Louis Gerstner, ancien patron
d'IBM. Jusqu’à cette date, Franck Carlucci, ancien
Secrétaire d’État à la Défense
sous Ronald Reagan entre 1987 et 1989, et ancien patron de la CIA,
était aux commandes. Les liens noués avec le monde
politique et économique international sont très forts.
On retrouve notamment comme conseillers permanents ou occasionnels
Georges Bush (ancien président des USA), Otto Pohl (ex-président
de la Bundesbank), John Major (ex-premier ministre de Grande-Bretagne),
Arthur Levitt (ex-président de la Security Exchange Commission),
James Baker (ancien secrétaire d'état de Bush senior),
Karl Fidel Ramos (ex-président des Philippines), Henri Martre
(transfuge de Matra Aérospatiale)…. Même G. W.
Bush, actuel président des États-Unis, a travaillé
un temps pour Caterair, une des filiales du groupe et, jusqu’aux
attentats du 11 septembre 2001, des membres de la famille Ben Laden
faisait même partie du conseil d’administration [1].
Offensive sur « Le Figaro »
Carlyle gère près de 13 milliards d’euros dans
différents secteurs : industries d’armement, télécommunications,
hautes technologies, industries pharmaceutiques, presse et papeterie...
Le groupe contrôle à présent plus de 160 sociétés
réparties dans 55 pays, dont la France. C’est le bureau
français qui en juillet 1999 s'était fait remarquer
en contrôlant 40 % de la holding financière du Figaro,
via des opérations de conversion d’actions et d’obligations.
Suite aux craintes de voir le quotidien national passer sous contrôle
du fond étasuniens, les pressions médiatiques et politiques
ont permis que Dassault entre dans le capital et que Carlyle s’en
retire en cédant la totalité de ses parts de la Socpresse.
Malgré cet échec, Carlyle a réussi à
pénétrer la presse française en prenant d’importantes
parts d’Aprovia, qui regroupe une grande partie de la presse
professionnelle dont les groupes Tests et Moniteur.
La Défense et l’Armement
Les activités liées à l'Armement et à
la Défense ont fait du groupe Carlyle un des plus importants
fournisseurs du Pentagone. Le gouvernement US représente
80 % des ventes de United Defense Industries dont le groupe Carlyle
contrôle 54 % du capital, soit une valeur de 560 millions
de dollars [2]. Une grande partie de ses commandes dépend
donc de l'administration en place. Or, la conjoncture actuelle semble
très favorable au groupe étant donné les liens
étroits qu’il entretient avec la famille Bush. Suite
aux nouvelles menaces du terrorisme, l’armée US a commandé
au Congrès, pour quelques 500 millions de dollars, un nouveau
char dont elle aurait besoin pour de futures opérations terrestres
: le Crusader. Or c’est la United Defense Industries (filiale
du groupe Carlyle) qui construit le char Crusader.
La famille Ben Laden a investit 2 millions de dollars dans le fonds
de participation « Carlyle Partners II fund », dans
lequel se trouve United Defense Industries. Les liens entre le groupe
Carlyle et des Séoudiens ne sont pas nouveaux. En 1991, la
compagnie avait réalisé une opération de 590
millions de dollars pour le prince Alwaleed ben Talal qui souhaitait
investir dans Citicorp.
De plus, le groupe Carlyle a servi de conseiller à la monarchie
séoudienne sur l'Economic Offset Program. Ce programme permettait
la vente d’armes étasuniennes à l’Arabie
Séoudite. En retour, les États-Unis s’engageaient
à acheter certains produits séoudiens. Par ailleurs,
Carlyle a longtemps été un des actionnaires principaux
de BDM International, chargé d’entraîner et de
structurer la garde nationale séoudienne et les forces aériennes
séoudiennes par le biais de Vinnell Corp. Franck Carlucci
a été membre du conseil d’administration de
BDM International pendant la majeure partie des années 1990).
BDM International est passé sous le contrôle de TRW
International en 1997.
Au conseil d’administration du groupe Carlyle, on retrouvait
récemment Sami Baarma, directeur de la Prime Commercial Bank
du Pakistan, dont Khalid Ben Mafhouz est le patron. Or, ce dernier
est associé au scandale de la BCCI (12 milliards de dollars
disparus en fumée lors de la banqueroute) dont il détenait
20 %. Reconnu coupable de dissimulation fiscale, il a dû s’acquitter
d’une amende de 225 millions de dollars et est désormais
interdit d’exercer un métier bancaire aux États-Unis.
Khalid Ben Mahfouz a acquis 11,5 % de Harken, société
que présidait G. W. Bush, via son homme d'affaires aux États-Unis,
Abdullah Taha Bakksh [3]. Harken, avait obtenu l'exploitation exclusive
du gaz et du pétrole de l'émirat du Bahreïn pour
35 ans, alors qu'elle n'avait aucune expérience des forages
off-shore... En juin 1990, quelques semaines avant le déclenchement
de l’opération Desert Storm, Bush liquidait sa participation
dans Harken, 850 000 $, et une semaine après, Harken annonçait
des pertes records de 23 millions de dollars [4]. Quant à
Khalid Ben Mafhouz, il a été arrêté en
août 2000 sous l'administration de Clinton et placé
sous mandat d'arrêt dans un hôpital militaire d’Arabie
Séoudite. Ben Mahfouz fait partie des personnes activement
recherchées pour soutien à l'organisation El Quaïda
via des organisations humanitaires islamiques.
Désormais, la branche « Armement » de Carlyle
cherche à prendre position en Europe. En 2001, United Defense
Industries a pris le contrôle de la compagnie suédoise
Bofors Defense, spécialisée dans le développement
d’armes dites « intelligentes ». Plus récemment,
la Commission européenne a autorisé l’acquisition
de QinetiQ, un laboratoire de recherche britannique de défense,
par le groupe étasunien voir communiqué.
Pas coté en Bourse...
Autre détail intéressant, le groupe Carlyle n’est
pas coté en bourse, et cela présente plusieurs avantages.
Hors du circuit boursier, Carlyle n’est pas obligé
de divulguer à la Security Exchange Commission (la commission
américaine chargée de veiller à la régularité
des opérations boursières ; l’équivalent
de la COB en France) le nom des associés, des actionnaires,
pas plus que leurs parts respectives. Cela permet également
de dissimuler les détails des opérations gênantes
: quand le président Bush achète de l’armement
à Carlyle, c’est notamment son père qui se frotte
les mains !
La discrétion du groupe a été mise à
mal par les révélations de deux organismes non gouvernementaux,
Judicial Watch et Center for Public Integrity, qui épluchent
chaque année les textes du Congrès et les documents
déclassifiés de la CIA et du FBI. Ces organismes ont
dénoncé cet état de fait sur leurs sites respectifs,
informations par la suite reprises par le Wall Street Journal et
la BBC. En pleine préparation de conflit en Irak, sûr
que le groupe fera reparler lui...
Plus d'infos sur "la pieuvre" Carlyle
[1] « Carlyle, la pieuvre », Politis n°722 et «
Carlyle a-t-il réellement abandonné Yeslam ? »,
Intelligence Online, 25/04/2002.
[2] truthout.org et corpwatch.org
[3] Intelligence News Letter, 2 mars 2000 et Les sulfureux réseaux
de George W. Bush, Intelligence Online, 09/11/2001.
[4] US News and World Report, 1992.
Carlyle, la pieuvre
François Missen
C''est un drôle de mélange d ?intérêts
publics et privés, de profits géants et d'arrière-pensées
stratégiques. Depuis sa création en 1987, la compagnie
américaine Carlyle n'a cessé d'étendre ses
prises de participations dans tous les secteurs de l'industrie et
de la finance. Avec une nette prédilection pour l'armement
et la haute technologie. Présent dans toutes les régions
sensibles du globe, Carlyle dispose de VRP de luxe, anciens chefs
d'États ou banquiers reconvertis. Mais Carlyle, c'est surtout
les Bush, père et fils, et de bonnes affaires avec la famille
Ben Laden. Après une enquête de plusieurs mois, François
Missen nous propose ce voyage dans un univers qui cultive le secret.
Washington, 11 septembre 2001, 9 h 10, Pentagone City. Radieux,
l’été indien ! Kamishi est déjà
aux fourneaux. Le sushi-man n’en finit pas de découper
thon et saumon en fines lamelles sous la verrière de l’immense
centre commercial. Dans trois heures, il n’y aura plus une
table libre. Malgré la télé. Malgré
ce qui se passe à Manhattan. Ici, le ciel est vierge. Comme
la bretelle routière qui contourne cette usine à bouffe,
gadgets et dollars. Les milliers de Virginiens sont déjà
devant leurs consoles d’ordinateurs. Ça change avec
cette artère busy dès sept heures du matin au coeur
de la puissance américaine, entre la tour de la DEA (Drug
Enforcement Administration) et les cinq ailes du Pentagone. À
l’est du Potomac, la capitale fédérale est sous
perfusion télévisuelle. À l’Enfant Plazza,
la station de métro dégorge une foule moins dense
que d’ordinaire. Les images live de CNN ont frappé
comme partout dans le monde.
Elles frappent ici, au sommet du Ritz Carlton, un palace de la
Vingt-deuxième, à trois cents mètres de Washington-Circle,
qui coupe Pennsylvania Avenue. Il y a du beau monde là-haut.
Le groupe Carlyle tenait une réunion, lorsqu’un homme
est venu glisser quelques mots à l’oreille du président,
Frank Carlucci.
What ? La télé a immédiatement déversé
les documents en provenance de New York. Et depuis, comme des millions
d’êtres humains, ces messieurs sont pétrifiés,
rivés au drame barbare qui se déroule à quatre
cents kilomètres de là. Et puis, entre les premières
images des deux avions projectiles injectées en boucle et
celles qui racontent l’insupportable agonie des hommes et
des pierres, les téléphones entrent en plein délire
: Maison Blanche, State Department, CIA, FBI, messages codés,
Pentagone. Téléphones, famille, amis. États-Unis,
Europe, France...
Allô, Michèle...
Oui, Jean-Pierre, c’est vous. Ah...
Vous savez ?
Oui, oui, bien sûr, c’est épouvantable...
Oh, mais qu’est-ce que c’est ?
Oui, dites-moi...
Je ne sais pas. Je vois de la fumée. Il se passe quelque
chose là-bas...
Comment ?
Oui, je suis inquiet. Le ciel s’obscurcit... Là-bas,
à l’ouest. Je vous rappellerai...
Washington, 9 h 53. Le Boeing 757 d’American Airlines, vol
AA77, vient de s’écraser sur les zones L2 et L6 du
Pentagone.
Paris, 13 septembre 2001, 16 h, 70, boulevard de Courcelles, troisième
étage. C’est le siège de la société
Otor, une holding présidée par son fondateur Jean-Yves
Bacques. Michèle Bouvier, directrice générale,
est à ses côtés. En France, le savoir-faire
et le dynamisme d’Otor dans l’industrie du papier carton
recyclé sont reconnus, l’agroalimentaire figure parmi
ses meilleurs clients : on emballe aussi bien le champagne que le
yaourt et les tomates. Des livres, des CD sont en vente sur des
présentoirs en carton ; des éviers et des modèles
réduits sont expédiés dans des coffrages en
carton. Tout cela en fait le numéro un français du
papier recyclé pour emballage et le numéro deux pour
la fabrication d’emballages en carton ondulé. Otor
emploie 3 000 salariés.
Problème : malgré de brillants résultats commerciaux,
malgré un sens très développé de l’innovation,
Otor éprouve des difficultés de trésorerie
depuis 1999. L’entreprise s’est saignée pour
acquérir en juillet 1997 les usines de La Chapelle-d’Arblay,
un autre grand du papier en France. Jean-Yves Bacques et Michèle
Bouvier appellent leurs banquiers à l’aide. Ces derniers
n’y vont pas par quatre chemins : si d’autres investisseurs
n’entrent pas dans le capital d’Otor, ils ne feront
pas la prochaine échéance. Le Crédit Lyonnais
propose alors que sa filiale, la banque d’affaires Clinvest,
explore quelques pistes.
Et Carlyle est arrivé. Séduction, contrat, dollars...
Et guerre ! Car après l’oxygène américain
investi chez les petits Français, est rapidement venu le
temps de la discorde, puis celui de l’affrontement. Et, quarante-huit
heures après le séisme de Manhattan, voici donc réunies,
par temps d’orage, les deux parties, au siège de l’entreprise
encore française.
Jean-Pierre Millet, le managing director de Carlyle en France,
n’est pas rentré. L’espace aérien américain
est interdit. Millet tente de trouver un vol par le Canada. Frank
Falezan, son collaborateur, est là aujourd’hui pour
ce conseil prévu avant la réunion de Washington. L’échange
est rude. La pause-café est bienvenue. On feint d’oublier
la querelle du jour, celles à venir. Dollars, actions, tribunaux,
avocats New York-Washington-Paris.
Avez-vous eu des nouvelles ?
Non, pas davantage. Ah ! j’ai eu une sacrée surprise.
????
L’un des Ben Laden était là.
Ben Laden ?
Shafig Ben Laden, oui Ben Laden, l’un des demi-frères
d’Oussama était autour de la table. Normal, il est
actionnaire de Carlyle ! Tout de même...
C’est terrible ça, Frank...
Oui, si on veut... Ce sont les affaires...
Ben Laden, tout de même...
Dès les premières images de la télé,
il s’est levé, s’est rendu aux toilettes, je
ne sais où. Lorsqu’il est revenu, il ne portait plus
le badge à son nom. Il s’est excusé : «
That is better, isn’t it ? » (C’est mieux comme
ça, n’est-ce pas ?)
Lire la suite de l’enquête dans Politis n° 722
Carlyle Group : anatomie d'une pieuvre
http://www.infoguerre.com
Le fonds d'investissement, proche de la famille Bush, serait une
"CIA des affaires", le site d'informations édité
par l'Ecole de guerre économique (EGE) publie une sur Carlyle
Group, l'un des fonds d'investissement privés les plus puissants
de la planète, très proche de l'administration Bush.
On y apprend que Carlyle, déjà connu pour son emprise
sur le complexe militaro-industriel américain et ses liens
avec la famille Ben Laden, est de mieux en mieux implantée
dans les nouvelles technologies.
L'auteur de l'enquête, Pascal Dallecoste est chercheur associé
au
le Laboratoire de Recherche de l'Ecole de guerre économique,
qui travaille sur les logiques de puissance et de guerre de l'information.
Carlyle, c'est 70 000 salariés, 13 milliards de dollars
d'actifs et des participations dans 164 sociétés.
"L'un des premiers groupes d'investissement privés de
la planète", souligne Pascal Dallecoste, pour qui il
s'agit aussi d'un "service de renseignement à part entière".
"Privatisation de la sécurité nationale"
Créé en 1987, Carlyle commence à se développer
massivement en 1989, après la nomination à sa tête
d'un certain Franck Carlucci. Après avoir dirigé la
CIA de 1977 à 1981, Carlucci est nommé directeur de
Wackenhut, une société de sécurité "communément
décrite comme un paravent de la CIA, proche de l'extrême
droite", d'après Dallecoste.
Wackenhut est spécialisée, entre autres, dans la
sécurité des ambassades et des centrales nucléaires
américaines, ainsi que dans "la mise au point de centres
de recherche quasi-clandestins sur les armes biologiques et chimiques",
précise Dallecoste.
Wackenhut fut également impliquée dans l'un des plus
grands scandales d'espionnage industriel et technologique, l'affaire
Promis : un logiciel commercialisé dans le monde entier auprès
d'un grand nombre de forces de l'ordre, sociétés privées
et services de renseignement, au profit du Pentagone, qui y avait
préalablement installé une "porte dérobée",
de sorte de pouvoir accéder aux données soit-disant
"sécurisées".
Conseiller pour la sécurité nationale de Ronald Reagan,
Carlucci est nommé en 1987 secrétaire d'Etat à
la Défense. Il en profite pour réformer les procédures
d'appel d'offres de la Défense américaine. Fort de
ses relations dans les milieux du renseignement, de la police et
de l'armée, il passe, en 1989 à la tête de Carlyle
Group, qui réalisera dès lors l'essentiel de son chiffre
d'affaires dans l'industrie militaire.
"Le grand mouvement de privatisation de la sécurité
nationale se met alors en marche", explique Dallecoste. "Au
milieu des années 90, le Carlyle Group participe de manière
très active à la reconstruction du complexe militaro-industriel
américain", au point que d'aucuns la surnomme la "CIA
des affaires".
"Carlyle est un proxy anonymisant"
Grâce à une très forte rentabilité financière,
Carlyle attire rapidement les banques. Carlyle compte dans ses rangs
des conseillers issus, pour bonne partie, des services de renseignements,
de l'armée, "du gotha politique des Etats-Unis et des
plus hauts dignitaires de l'administration Bush", dont Bush
père en personne. Dans les années 90, le groupe se
montre capable d'identifier les technologies émergentes à
surveiller et les sociétés publiques qu'il convient
de privatiser, sur fond de déréglementation des marchés.
"Carlyle est un proxy anonymisant : le groupe ne dévoile
rien de ses investisseurs, ce qui permet à des sociétés
ou à des pays d'accéder à des brevets sans
se faire repérer", poursuit Dallecoste, qui note aussi
son utilisation intensive des paradis fiscaux. "Chantre de
la privatisation et du rôle des marchés financiers,
Carlyle n'est pas coté en Bourse et n'est donc pas obligé
de dévoiler l'identité de ses nombreux associés
et actionnaires."
La société "montre une attention toute particulière
envers les leaders d'opinion". L'ancien Premier ministre conservateur
britannique John Major est par exemple le représentant européen
du groupe.
En France, après avoir pris des parts dans Le Figaro en
1999, Carlyle a investi dans Vivendi Universal Publishing, dont
les groupes Tests et Moniteur sont les leaders de la presse professionnelle
informatique, BTP et marchés publics.
"Des postes d'observation essentiels : le laboratoire du groupe
Tests figure parmi les premiers centres européens de tests
informatiques", quand "l'annuaire France R&D"
de L'Usine Nouvelle est "le premier annuaire des laboratoires
et centres de recherche français".
L'ombre des Ben Laden
"Une oreille à Washington, une autre au Pentagone",
la société profite financièrement de la menace
terroriste : "les postes budgétaires qui ont le plus
augmenté après les attentats du 11 septembre (biodéfense,
sécurité informatique et technologies de protection
de pointe, sont au coeur de Carlyle", rappelle Dallecoste.
Ironie de l'histoire, le groupe a commencé à faire
parler de lui après que l'on eut découvert que la
famille Ben Laden avait investi deux millions de dollars en 1994
dans l'un de ses fonds, centré sur l'industrie de la défense
et de l'aérospatial. Une somme considérée comme
une "mise de départ" par plusieurs analystes :
il se pourrait bien que la famille Ben Laden fasse encore partie
des principaux investisseurs du groupe.
D'abord concentré sur les secteurs militaires et pétroliers,
Carlyle prend position dans le domaine des nouvelles technologies
dès le début des années 2000. En janvier 2003,
Carlucci ayant mauvaise presse, Carlyle nomme à sa tête
Louis Gerstner, le très médiatique ex-directeur d'IBM.
Colonne vertébrale du réseau
"Capable de répondre à n'importe quel appel
d'offres, de l'aéronautique aux télécoms, de
l'électronique de défense à la décontamination
nucléaire, bactériologique et chimique, en passant
par la production de chars, de canons, de missiles..., écrit
Dallecoste en introduction de son enquête, les participations
du Carlyle Group dans les nanotechnologies, les biotechnologies
et les semi-conducteurs en font l'un des principaux centres de recherche
et développement sur les infrastructures de l'information,
le nucléaire et les programmes génétiques."
Mais, selon le chercheur, le pire reste à venir : "La
plupart des câbles sous-marins, notamment asiatiques, appartiennent
à Carlyle. La société contrôle une partie
des 'backbones' mondiales, capitalise les routeurs, l'internet tactique
et militaire, les radiofréquences, contrôle à
peu près l'ensemble de la chaîne, en amont et en aval...
En cas de conflit, c'est hautement stratégique".
Depuis peu, Carlyle se concentre aussi sur les places de marché
virtuelles et les solutions de commerce électronique, les
systèmes de cryptage et les produits interbancaires : "un
accès aux flux d'informations les plus critiques de la planète
le rendrait immensément riche et quasiment intouchable",
selon Dallecoste.
Un autre site, où on peut lire l'article du monde de 2004
http://www.jp-petit.com/Geopolitique/empire_carlyle.htm
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