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Le groupe Carlyle

L'Empire Carlyle

Article paru dans le Monde, édition du 30 avril 2004

Le plus grand investisseur privé du monde, bien implanté dans le secteur de l'armement, est un groupe discret, qui cultive les accointances avec les hommes influents, dont les Bush, père et fils Il y a un an, le 1er mai 2003, George Bush atterrissait, sanglé dans une combinaison de pilote de chasse, sur le porte-avions USS Abraham-Lincoln au large de la Californie. L'image est devenue célèbre. Sous une banderole proclamant "Mission accomplished" (mission accomplie), le président annonçait prématurément la fin des opérations militaires en Irak et sa victoire.

Le lendemain, de retour sur la terre ferme, il prononçait un autre discours martial, non loin de San Diego, dans une usine d'armement d'United Defense Industries.

Cette entreprise est l'un des principaux fournisseurs du Pentagone. Elle fabrique, entre autres, des missiles, des véhicules de transport et, en Californie, le blindé léger Bradley. Son principal actionnaire est le plus grand investisseur privé au monde. Un groupe discret, baptisé Carlyle.

Il n'est pas coté en Bourse et n'a de comptes à rendre qu'à ses 550 investisseurs - milliardaires ou fonds de pension. Carlyle gère aujourd'hui 18 milliards de dollars, placés dans les secteurs de la défense et de la haute technologie (biologie notamment), le spatial, l'informatique liée à la sécurité, les nanotechnologies, les télécommunications. Les entreprises qu'il contrôle ont pour caractéristique commune d'avoir pour clients principaux des gouvernements et administrations. Comme la société l'a écrit dans une brochure : " Nous investissons dans des opportunités créées dans des industries fortement affectées par des changements de politique gouvernementale."

Carlyle est un modèle unique, construit à l'échelle planétaire sur le capitalisme de relations ou le " capitalisme d'accès" pour reprendre l'expression du magazine Americain New Republic, en 1993. Le groupe incarne aujourd'hui, malgré ses dénégations, le "complexe militaro-industriel" contre lequel le président républicain Dwight Eisenhower mettait en garde le peuple américain en quittant ses fonctions, en 1961.

Cela n'a pas empêché George Bush père d'occuper pendant dix ans, jusqu'en octobre 2003, un poste de conseiller de Carlyle. C'était la première fois dans l'histoire des Etats-Unis qu'un ancien président travaillait pour un fournisseur du Pentagone. Son fils, George W. Bush connaît aussi très bien Carlyle. Le groupe lui a trouvé un emploi en février 1990, alors que son père occupait la Maison Blanche : administrateur de Caterair, une société texane spécialisée dans la restauration aérienne. L'épisode ne figure plus dans la biographie officielle du président. Quand George W. Bush quitte Caterair, en 1994, avant de devenir gouverneur du Texas, l'entreprise est mal en point.

"Il n'est pas possible d'être plus proche de l'administration que l'est Carlyle", affirme Charles Lewis, directeur du Centre pour l'intégrité publique, une organisation non partisane de Washington. "George Bush père a gagné de l'argent provenant d'intérêts privés qui travaillent pour le gouvernement dont son fils est le président. On peut même dire que le président pourra un jour bénéficier financièrement, via les investissements de son père, de décisions politiques qu'il a prises", ajoute-t-il.

La collection de personnages influents qui travaillent, ont travaillé ou ont investi dans le groupe ferait l'incrédulité des adeptes les plus convaincus de la théorie du complot. On y trouve entre autres : John Major, ancien premier ministre britannique, Fidel Ramos, ancien président philippin, Park Tae Joon, ancien premier ministre de la Corée du Sud, le prince saoudien Al-Walid, Colin Powell, actuel secrétaire d'Etat, James Baker III, ancien secrétaire d'Etat, Caspar Weinberger, ancien secrétaire à la défense, Richard Darman, ancien directeur du budget à la Maison Blanche, le milliardaire George Soros et même des membres de la famille Ben Laden. On peut ajouter à cette liste Alice Albright, la fille de Madeleine Albright, ancienne secrétaire d'Etat, Arthur Lewitt, ancien président de la SEC (le gendarme de Wall Street), William Kennard ex-patron de l'autorité des télécommunications (FCC). Enfin, il faut ajouter, parmi les Européens, Karl Otto Pöhl, ancien président de l! a Bundesbank, feu Henri Martre, qui a été président de l'Aerospatiale, et Etienne Davignon, ancien président de la Générale de Belgique.

Carlyle n'est pas seulement une collection d'hommes de pouvoir. Il possède des participations dans près de 200 sociétés et surtout, la rentabilité annuelle de ses fonds dépasse 30 % depuis une décennie. "Par rapport aux cinq cents personnes que nous employons dans le monde, le nombre d'anciens hommes d'Etat est très faible, une dizaine tout au plus, explique Christopher Ullmann, vice-président de Carlyle, responsable de la communication. On nous accuse de tous les maux. Mais personne n'a jamais apporté la preuve d'une quelconque malversation. Aucune procédure judiciaire n'a jamais été lancée contre nous. Nous sommes une cible commode pour qui veut s'en prendre au gouvernement américain et au président."

Carlyle a été créé en 1987, avec 5 millions de dollars, dans les salons du palace new-yorkais du même nom. Ses fondateurs, quatre juristes, dont David Rubenstein (ancien conseiller de Jimmy Carter), ont alors pour ambition - limitée - de profiter d'une faille de la législation fiscale. Elle autorise les sociétés détenues en Alaska par des Eskimos à céder leurs pertes à des entreprises rentables qui payent ainsi moins d'impôts. Le groupe végète jusqu'en janvier 1989 et l'arrivée à sa tête de l'homme qui inventera le système Carlyle, Frank Carlucci. Ancien directeur adjoint de la CIA, conseiller à la sécurité nationale puis secrétaire à la défense de Ronald Reagan, M. Carlucci compte à Washington. Il est l'un des amis les plus proches de Donald Rumsfeld, actuel ministre de la défense. Ils ont partagé une chambre quand ils étaient étudiants à Princeton. Ils se sont ensuite croisés dans de nombreuses administrations et ont même travaillé, un temps, pour la même entreprise, Se! ars Robuck.

Six jours après avoir officiellement quitté le Pentagone, le 6 janvier 1989, Frank Carlucci devient directeur général de Carlyle. Il emmène avec lui des hommes de confiance, anciens de la CIA, du département d'Etat et du ministère de la défense. Surnommé "M. Clean" ("M. Propre"), Frank Carlucci a une réputation sulfureuse.

Ce diplomate était en poste dans les années 1970 dans des pays comme l'Afrique du Sud, le Congo, la Tanzanie, le Brésil et le Portugal où les Etats-Unis et la CIA ont joué un rôle politique douteux. Il était le numéro deux de l'ambassade américaine au Congo belge, en 1961, et a été soupçonné d'être impliqué dans l'assassinat de Patrice Lumumba. Il a toujours fermement démenti. La presse américaine l'a aussi accusé d'être impliqué dans plusieurs trafics d'armes dans les années 1980, mais il n'a jamais été poursuivi. Il a dirigé un temps Wackenhut, une société de sécurité à la réputation détestable, impliquée dans l'un des plus grands scandales d'espionnage, le détournement du logiciel Promis. Frank Carlucci a eu pour mission de faire le ménage dans l'administration Reagan au moment de l'affaire Iran-Contra et a succédé alors au poste de conseiller à la sécurité nationale à John Pointdexter. En entrant en fonctions, il avait pris comme adjoint un jeune général... Colin Powe! ll.

Sur son nom, Frank Carlucci attire les capitaux chez Carlyle. En octobre 1990, le groupe s'empare de BDM International qui participe au programme de "guerre des étoiles", et en fait une tête de pont. En 1992, Frank Carlucci s'allie avec le groupe français Thomson-CSF pour reprendre la division aérospatiale de LTV. L'opération échoue, le Congrès s'oppose à la vente à un groupe étranger. Carlyle trouve d'autres associés, Loral et Northrop, et met la main sur LTV Aerospace rapidement rebaptisé Vought Aircraft qui participe à la fabrication des bombardiers B1 et B2.

Dans le même temps, le fonds multiplie les acquisitions stratégiques, telles Magnavox Electronic Systems, pionnier en matière d'imagerie radar, et DGE qui détient la technologie des cartes en relief électroniques pour les missiles de croisière. Suivent trois sociétés spécialisées dans la décontamination nucléaire, chimique et bactériologique (Magnetek, IT Group et EG G Technical services). Puis, via BDM International, une firme liée à la CIA, Vinnell, laquelle est parmi les premières à fournir à l'armée américaine et ses alliés des contractants privés. C'est-à-dire des mercenaires. Ceux de Vinnell encadrent les forces armées saoudiennes et protègent le roi Fahd. Ils ont combattu lors de la première guerre du Golfe aux côtés des troupes saoudiennes. En 1997, Carlyle revend BDM et surtout Vinnell, trop dangereux. Le groupe n'en a plus besoin. Il est devenu le onzième fournisseur du Pentagone en mettant la main la même année sur United Defense Industries.

Carlyle sort de l'ombre malgré lui le 11 septembre 2001. Ce jour-là, le groupe organise au Ritz Carlton de Washington une réunion avec cinq cents de ses plus importants investisseurs. Frank Carlucci et James Baker III jouent les maîtres de cérémonie. George Bush père fait un passage éclair en début de journée. La présentation est rapidement interrompue, mais un détail n'échappe à personne. Un des invités porte sur son badge le nom de Ben Laden. Il s'agit de Shafiq Ben Laden, un des nombreux demi-frères d'Oussama.. Les médias américains découvrent Carlyle. Un journaliste, Dan Briody, écrit un livre sur la face cachée du groupe, The Iron Triangle, et s'intéresse notamment aux relations étroites entre le clan Bush et les dirigeants saoudiens.

Certains s'interrogent sur l'influence de George Bush père sur la politique étrangère américaine. En janvier 2001, lorsque George Bush fils rompt des négociations avec la Corée du Nord sur les missiles, les Coréens du Sud, consternés, interviennent auprès de son père. Carlyle a des intérêts importants à Séoul. En juin 2001, Washington reprend les discussions avec Pyongyang.

Autre exemple, en juillet 2001, selon le New York Times, George Bush père téléphone au prince saoudien Abdallah mécontent des prises de position du président sur le conflit israélo-palestinien. George Bush père assure alors au prince que son fils "fait de bonnes choses" et que "son coeur est du bon côté". Larry Klayman, directeur de Judicial Watch, une organisation résolument conservatrice, demande au " père du président de démissionner de Carlyle. Le groupe a des conflits d'intérêts qui peuvent créer des problèmes à la politique étrangère américaine". Finalement en octobre 2003, George Bush père quitte Carlyle. Officiellement, car il approche les 80 ans.

Carlyle a beau mettre fin à toute relation avec la famille Ben Laden en octobre 2001, le mal est fait. Le groupe devient avec Halliburton la cible des opposants à l'administration Bush. " Carlyle a remplacé la Commission trilatérale dans les théories du complot", reconnaissait David Rubenstein, en 2003, dans une interview au Washington Post. Pour la première fois, le groupe nomme un responsable de la communication et change de patron. Frank Carlucci devient président honoraire et Lou Gerstner, dirigeant respecté qui a sauvé IBM, prend officiellement les rênes. L'opération semble surtout cosmétique. M. Gerstner ne passe pas beaucoup de temps à son bureau. Mais Carlyle veut devenir respectable.

Le groupe crée un site Internet. Il ouvre certains fonds à des investisseurs apportant "seulement" 250 000 dollars (210 000 euros). Il aurait réduit sa participation dans United Defense Industries, et affirme que la défense et l'aérien ne représentent plus que 15 % de ses investissements. Mais Carlyle fait toujours un usage intensif des paradis fiscaux et il est difficile de connaître son périmètre et le nom des sociétés qu'il contrôle.

Carlyle multiplie aussi les efforts en Europe. En septembre 2000, il prend le contrôle du groupe suédois d'armement Bofors via United Defense. Il tente ensuite, sans succès, de mettre la main sur Thales Information Systems et, début 2003, sur les parts de France Télécom dans Eutelsat, qui joue un rôle important dans le système européen de positionnement par satellite Galileo - concurrent du GPS américain. De 1999 à 2002, il gère une participation dans Le Figaro. En Italie, il fait une percée en reprenant la filiale aéronautique de Fiat, Fiat Avio. Cette société fournit Arianespace et permet à Carlyle d'entrer au Conseil de la fusée européenne. Autre coup, en décembre 2002 Carlyle achète un tiers de Qinetic, la filiale privée du Centre de recherche et développement militaire britannique. Qinetic occupe une position unique de conseil du gouvernement britannique.

"Anticiper sur les technologies du futur et les entreprises qui les développeront est notre premier rôle d'investisseur. Les fonds de pension nous apportent leur argent pour cela. On ne peut tout de même pas nous reprocher de chercher à prendre des positions stratégiques", souligne M. Ullmann.



Un autre site, où on peut lire l'article du monde de 2004

http://www.jp-petit.com/Geopolitique/empire_carlyle.htm

L'équipe Stop Carlyle

http://stopcarlyle.ifrance.com/

[Le site a été obligé de déménager, auparavant il était basé en Suisse]

Stop Carlyle est un site gratuit d'information librement alimenté par un réseau en ligne de citoyens vigilants face aux agissements néfastes des fonds d'investissement US. Parce qu'il concentre les dérives du modèle économique ultra-libéral américain et parce qu'il entretient des liens étroits avec le parti républicain et les Faucons de l'administration Bush, le Carlyle Group est devenu un symbole un peu partout en Europe.

Le site devait dans un premier temps réaliser une revue de presse aussi exhaustive que possible sur le groupe Carlyle. Progressivement, de nouveaux membres ont rejoint le réseau qui s'est organisé ; chacun participant à hauteur de son temps, de sa volonté et de ses moyens. Nous avons ainsi pu traduire le site en anglais, créer un fil RSS de syndication, constituer des dossiers remarquables sur les montages financiers du fonds d'investissement…

Notre réseau a désormais des correspondants en Suisse, en France, en Allemagne, en Belgique, au Luxembourg, au Canada, et nous avons des contacts avancés avec des militants aux Etats-Unis.

Petit à petit, le site dérange et les coups pleuvent. Pour les dirigeants de Carlyle, nous serions payés par leurs ennemis. A cette heure, les chèques ne sont toujours pas arrivés. ;) Peut-être parce que 100 % de nos informations sont trouvables sur Internet, et de manière 100 % gratuite ! Avis aux journalistes et aux amateurs… Merci à tous ceux qui nous informent sur les parutions, publications…dans les presses locales et régionales. Merci également à tous ceux qui nous tiennent au courant de la situation dans leur entreprise, et plus spécialement un certain jpmillet (hé oui…) dont les infos sont toujours bienvenues. ;)

Rappelons que ceux qui se sont opposés au Carlyle Group dans le passé ont souvent été traînés devant les tribunaux pour des prétextes plus ou moins fallacieux. Que ceux qui voudraient nous rejoindre le sachent, nous garantissons leur anonymat. En revanche, nous nous réservons le droit de vérifier toutes les informations qui nous sont adressées. Nous ne souhaitons pas perdre notre temps dans des procédures juridiques « à la Carlyle » !

Nous refusons de voir le Carlyle Group prendre pied en Europe. Nous considérons que ce fonds et ses nervis bushistes sont une abomination aussi bien pour les intérêts économiques européens (voir toutes nos brèves sur les activités stratégiques) que pour les salariés, premières victimes d'une régression sociale organisée par la spéculation financière (voir La liste Noire de Carlyle).

Le Carlyle Group en résumé, c'est quoi :

Le groupe Carlyle est un fond d'investissement américain discret qui se focalise sur des secteurs stratégiques :

- Défense & espace

- Télécom & nouvelles technologies

- Médias

Les autres activités permettent la plupart du temps à générer des liquidités qui financent les investissements plus stratégiques.


Le Carlyle Group est une nébuleuse plus qu'opaque qui dispose de "conseillers" prestigieux (Bush père, John Major, Henri Martre, Etienne Davignon...) qui couvrent l'ensemble du monde. Certains de ces conseillers ne sont plus aujourd'hui dans l'équipe Carlyle.

Source : Politis


Carlyle est un des principaux fournisseur du Pentagone via United Defense Industries. La question de son rôle dans le récent conflit en Irak mérite d'être posée...


Carlyle Group

http://www.reseauvoltaire.net/article12418.html

Complexe militaro-industriel états-unien

Le Carlyle Group, une affaire d'initiés

Premier gestionnaire mondial de portefeuilles, le Carlyle Group rassemble le gratin de la politique mondiale. Piloté par l'ancien secrétaire à la Défense Frank Carlucci, il comprend aussi bien George Bush père que les Ben Laden, George Soros, Mikhail Khodorkovsky ou John Major. Il s'est spécialisé dans la prise de contrôle de sociétés d'armement et de médias. Profitant de la présidence d'un de ses anciens cadres, Bush fils, il influe selon ses intérêts sur la politique étrangère des États-Unis. Usant et abusant de ses relations, le groupe réalise 30% de retour sur investissement au risque de se voir régulièrement mis en cause dans des affaires d'initiés et de corruption.

9 février 2004 Le Carlyle Group est né, au milieu des années 1980, à la faveur d'une affaire d'esquimaux. Au terme d'un accord avec l'État fédéral, des sociétés d'Alaska ont reçu, en 1971, d'importantes subventions du gouvernement fédéral pour créer des entreprises sur place. Quinze ans plus tard, la plupart de ces sociétés avaient accumulé des dettes considérables et menacaient de déposer le bilan. Le sénateur de l'Alaska, Ted Stevens, parvint alors à faire adopter une clause dans la loi fiscale de 1984 autorisant ces sociétés à vendre leurs dettes à des compagnies états-uniennes florissantes, en échange d'un cadeau fiscal. En clair, une société esquimau ayant perdu 10 millions de dollars en une année fiscale peut vendre ses dettes 7 millions de dollars. L'acheteur états-unien peut, quant à lui, retrancher 10 millions de dollars des bénéfices déclarés à l'IRS, profitant ainsi d'une réduction fiscale de 3 millions de dollars [1].

Stephen Norris, cadre dirigeant de la division fusion-acquisition de la société Marriott, réalise que cette niche fiscale constitue un filon à exploiter. Son objectif : trouver des sociétés basées en Alaska disposées à vendre leurs dettes, les mettre en contact avec des compagnies états-uniennes, et empocher au passage 1 % de commission. Pour monter l'opération, il débauche David Rubinstein, ancien membre de l'administration Carter [2], qui travaille alors depuis 6 ans, au sein du cabinet Shaw, Pittman, Potts & Trowbridge et de G. William Miller & Co, également au service fusion-acquisition. David Rubinstein bénéficie d'un impressionnant carnet d'adresses qui lui permet de trouver les interlocuteurs des deux côtés.

Le succès de l'opération, conduite au sein de Mariott, incite les deux hommes à quitter la structure pour s'installer à leur compte. En quelques mois, ils s'arrogent ainsi 1% sur un milliard de dollars de réductions d'impôts obtenu, soit 10 millions de dollars. Le tout au sein d'une société nouvellement créée, et qu'ils vont nommer comme le Carlyle Hotel de New York, où ils tiennent la plupart de leurs rendez-vous. Le Carlyle Group est né.

Errements financiers, progrès politiques

Mais toutes les bonnes choses ont une fin et le gouvernement fédéral supprime rapidement cette niche fiscale. Rubinstein et Norris se reconvertissent alors dans le rachat d'entreprise, dans la conjoncture économique florissante des années 1980. Le but du jeu consiste à obtenir des prêts auprès de grandes banques, à acquérir des positions importantes dans des sociétés en difficulté, en prendre le contrôle à bas prix, réorienter leur politique commerciale puis les revendre à un prix supérieur. Le principal mode d'action est le rachat d'entreprise financé par l'endettement [3].

Les débuts sont chaotiques, Stephen Norris et David Rubenstein découvrant progressivement la nature impitoyable de l'univers économique dans lequel ils souhaitent opérer. Plusieurs opérations de rachat échouent au profit de sociétés plus rompues à l'exercice, tandis que d'autres réussissent, mais sans générer les profits escomptés. Au contraire, les pertes s'accumulent pour Carlyle en 1987-88. Les deux associés cherchent donc du renfort et recrutent plusieurs personnalités telles que Dan D'Aniello et William Conway, ancien dirigeant du service financier de MCI Communications.

Le plus gros coup est le recrutement d'un professionnel avisé de la finance, au passé politique controversé, Frederic V. Malek. Ce dernier, ancien chef du personnel du président Nixon, subit de plein fouet, en septembre 1988, un article du Washington Post relatant les délires paranoïaques et antisémites du président Nixon. On y apprend que Malek a, en juillet 1971, établi à la demande du président un listing des employés juifs du Bureau du Travail et des Statistiques, une démarche qui a abouti à l'époque à la mise au placard de deux fonctionnaires juifs situés haut dans l'organigramme, Peter Henle et Harold Goldstein. Le jour même de l'éclatement de l'affaire, qui compromet gravement sa carrière politique, il reçoit un appel de Stephen Norris qui l'invite à rejoindre Carlyle. Pour la société de Washington, c'est une façon inespérée de recruter un homme extraordinairement bien introduit dans le milieu des affaires états-uniens. Dans son carnet d'adresses figurent notamment les noms du président George H. W. Bush et de son fils, George Walker Bush, futur président. Avec lui, Carlyle peut acquérir une nouvelle dimension.

Cette nouvelle dimension ne concerne pas la réussite financière, mais plutôt le développement incroyable des connexions politiques de la firme, qui permettront, plus tard, d'importants succès. À l'époque, le premier projet concerne la reprise en main de Craterair, une société fournissant les repas aux passagers des vols de plusieurs compagnies aériennes. Le président directeur général de Marriott, J. W. Marriott, souhaite en effet se débarrasser de ce poids mort de sa compagnie, en 1989. Dan Altobello, qui dirige ce secteur, propose immédiatement à Carlyle de le racheter. Ce choix apparaît aujourd'hui comme une évidence : Norris, Malek et D'Aniello sont en effet tous les trois des anciens dirigeants de Marriott.

C'est Frederic V. Malek qui s'occupe de l'opération, à laquelle il fait participer George W. Bush, fils du président de l'époque. L'expérience du fils Bush dans le milieu du pétrole n'a a priori aucun rapport avec ses nouvelles fonctions de membre du conseil d'administration de Craterair. C'est donc ailleurs qu'il faut chercher les raisons de son recrutement, des raisons révélatrices des nouvelles méthodes de Carlyle. En réalité, Malek joue un jeu à trois bandes : d'un côté, il vient de négocier, loin de Carlyle, la reprise de la compagnie aérienne Northwest, dont il est le PDG. Cette compagnie a très souvent recours aux services de Caterair. De plus, elle a besoin d'autorisations fédérales en matière de régulation aérienne pour développer son activité. Le recrutement de George W. Bush, qui a besoin d'étoffer son CV dans le monde des affaires, permet d'envisager l'octroi des autorisations par l'entremise de son père, qui siège à la Maison-Blanche, et donc un regain d'activité pour Caterair. La boucle est bouclée. La Guerre du Golfe, qui amène la peur des attentats et la hausse des prix du pétrole entraîne malheureusement pour Carlyle une crise du secteur de l'aviation civile. L'audacieux montage subit donc un échec cuisant. Mais la compagnie de Norris et Rubinstein a, entre temps, considérablement accru ses contacts politiques [4].

Frank Carlucci : l'homme des services au service de Carlyle

En 1988, l'administration Reagan quitte la Maison-Blanche. Carlyle, fidèle à sa tradition, décide d'en recruter les meilleurs éléments. Le choix se porte sur Franck Carlucci [5], qui vient juste de quitter son poste de secrétaire à la Défense. Le 26 janvier 1989, il devient vice-président du Carlyle Group, ouvrant une nouvelle ère pour la société.

C'est en effet un renfort politique de très haute valeur. Très impliqué dans la Guerre froide, au cours de laquelle il a fomenté un grand nombre de coups fourrés dans divers endroits de la planète, Carlucci est l'homme des services états-uniens, ancien camarade de classe de Donald Rumsfeld à Princeton. Il est vice-directeur de la CIA en 1978, sous l'administration Carter, avant d'intégrer le département de la Défense de l'ère Reagan, sous la direction de Caspar Weinberger. Après un passage, en 1982, à la Sears World Trade [6] où il est impliqué dans une affaire de trafic d'armes liée à la CIA, il est nommé en 1986 à la tête du Conseil de sécurité nationale, en remplacement de l'amiral John Poindexter, carbonisé par l'affaire Iran-Contra. En novembre 1987, il remplace Caspar Weinberger au poste de secrétaire à la Défense, pour les dix-huit derniers mois de l'administration Reagan. Au cours de cette période, il se familiarise avec le processus d'élaboration du budget des armées et de ventes d'armes. Une expérience précieuse pour son futur poste au sein de Carlyle.

Frank Carlucci va ainsi être à l'origine du premier rachat lucratif pour Carlyle dans le milieu de l'armement. Il est en effet proche de Earle Williams, le président de BDM International, une société de conseil en questions de défense, filiale de Ford Aerospace. Ce dernier a réussi le tour de force de se faire nommer à la Naval Research Advisory Board, qui conseille la Navy états-unienne sur ses choix stratégiques à long terme, permettant ainsi à BDM d'obtenir de juteux contrats. Le tout en recrutant simplement, au sein de BDM, la femme de Melvyn Paisley, alors en charge de l'attribution des contrats de la Navy. Ce dernier rejoint même les rangs de BDM après avoir quitté ses fonctions en 1987.

Ce joyeux cocktail de corruption, de trafic d'influence et de fraude fait finalement l'objet d'une enquête d'envergure à l'été 88, qui aboutit à la mise en accusation de douzaines de responsables du Pentagone, en regard de leur attribution des contrats de défense. Le plus éminent d'entre eux n'est autre que… Melvyn Paisley. Le scandale éclabousse donc logiquement au passage BDM, dont la valeur chute dramatiquement, laissant la place libre à des repreneurs. Achetée 425 millions de dollars par Ford Aerospace en 1988, elle est rachetée 130 millions par Carlyle en 1990, grâce aux bons offices d'Earle Williams qui y conserve son poste de président, tandis que Carlucci et William Conway font leur entrée au conseil d'administration. Le succès de Carlyle est complet.

En quatre ans, le Carlyle Group a mis en place les bases de son succès futur : un savoir-faire financier, un carnet d'adresses politiques fourni et une spécialisation dans le secteur de la Défense où précisément les contacts politiques de haut-niveau sont essentiels. La période qui suit est une mise en application des leçons tirées du passé. C'est aussi la période qui voit William Conway prendre une part de plus en plus importante dans les décisions du groupe. C'est un homme d'affaires réputé pour son flair dans le monde de la finance, mais aussi pour ses méthodes de management autoritaires et conservatrices. Il est à l'origine, avec David Rubinstein, de la reprise mouvementée de la division Défense et Aérospatiale de LTV Corp, qui renforce la réputation du groupe.

Carlyle dans les eaux saoudiennes

À la même période, le Carlyle Group noue des relations avec l'Arabie saoudite. Profitant de la guerre du Golfe et d'une diplomatie états-unienne tournée vers le régime des Saoud, Carlyle rentre en contact avec le prince Alwaleed bin Talal, alors âgé de 35 ans, neveu du roi Fahd ayant fait ses études aux États-Unis. Devenu très riche d'une manière qui reste aujourd'hui inconnue, il souhaite à l'époque investir aux États-Unis. Le climat politique y est favorable, et la crise financière incite les banquiers à chercher de l'argent là où ils en trouvent. L'une des plus grandes banques du pays, la Citicorp, cherche ainsi 1,5 milliard de dollars pour rester à flot. Conscient de l'opportunité, le prince Alwaleed passe par un cabinet d'affaires de Washington pour intervenir. Ce cabinet lui conseille d'avoir recours aux services du groupe Carlyle, qui possède de nombreux atouts en matière de connexion politique qui peuvent se révéler utiles au prince. La manœuvre se heurte néanmoins à l'opposition de plusieurs membres du Congrès, hostiles à la prise de contrôle des banques états-uniennes par des investisseurs étrangers. L'entregent de Stephen Norris permet finalement d'obtenir l'agrément indispensable du Federal Reserve Board, à condition que le prince Alwaleed n'intervienne pas dans la gestion de la banque. Le 21 février 1991, le Carlyle Group peut donc se vanter d'avoir permis l'investissement de 590 millions de dollars du prince saoudien dans l'une des principales banques états-uniennes. La manœuvre permet au prince d'être potentiellement détenteur de 15 % des actions de la banque, devenant ainsi l'un de ses principaux actionnaires.

Des déclarations à l'emporte-pièce de Stephen Norris, revendiquant pour Carlyle le sauvetage de la banque et sous-entendant que le prince chercherait certainement à influer sur les décisions du conseil d'administration, amènent finalement le Federal Reserve Board à revenir partiellement sur son autorisation. Il n'empêche, le Carlyle Group a réussi son entrée sur la scène internationale.

La société va profiter de son avantage pour acquérir, en 1992, une entreprise peu connue, Vinnell, qui doit servir de relais au Proche-Orient pour l'expertise militaire détenue par Carlyle. Vinell est une société privée dont l'activité consiste à entraîner des armées étrangères lorsque celles-ci en ont besoin. Elle forme depuis 1975 les forces armées saoudiennes, et ses mercenaires, composés des éléments les plus aguerris des Special Forces, ont combattu aux côtés des troupes régulières lors de la Guerre du Golfe, en 1991. A l'époque, une commission d'enquête parlementaire diligentée par le sénateur Henry Jackson avait révélé que les critères de recrutement exluaient que soit embauché toute personne de religion juive. On retrouve ensuite la société lors du scandale de l'Irangate, puisque Richard Secord, général à la retraite de l'Air Force travaillant pour Vinnell fût impliqué en tant que complice d'Oliver North. En 1987, un article de Time Magazine met à nouveau en cause la société de mercenaires en révélant que deux de ses employés auraient été impliqués dans la tentative avortée de renversement du Premier ministre de Grenade, l'homme de gauche Maurice Bishop.

La reprise par Carlyle ne va rien changer aux activités de Vinnell. Au contraire, elle va s'accompagner d'un renforcement de la présence militaire états-unienne dans la région, de 1992 à 1995. En 1995, les bureaux à Riyad de Vinnell et de BDM, deux sociétés détenues par Carlyle, sont soufflés par un attentat meurtrier qui fait sept morts, dont cinq États-uniens. Les bureaux visés sont ceux soutenant le contrat de Vinnell auprès de la Garde nationale, à une époque où de nombreux Saoudiens souhaitent voir l'armée états-unienne quitter le pays. L'affaire fait grand bruit aux États-Unis et de nombreux témoignages anonymes font alors ressortir que Vinnell est, en réalité, une façade pour les interventions de la CIA, chargée, en Arabie saoudite, d'infiltrer l'armée nationale. D'après un ancien employé, même après le rachat par BDM (donc Carlyle) de la société, celle-ci aurait conservé toute son autonomie. Voilà qui lève une part du voile sur la couleur politique et les intentions des dirigeants du Carlyle Group. Ceux-ci ont néanmoins revendu Vinnell en 1997 [7], ce qui n'empêche pas celle-ci de continuer son œuvre en Arabie saoudite. Un rôle qui lui valut d'être au cœur d'importantes polémiques après les attentats du 11 septembre et l'apparition, au sein de l'administration Bush, d'un violent courant anti-saoudien.

Un renfort de choix : James Baker III

En 1993, le Carlyle Group poursuit son parcours du combattant pour parvenir au sommet du monde de la finance. Pour cela, il a besoin d'un nouvel atout pour ses relations publiques et politiques, une figure reconnue plus disponible que Frank Carlucci, devenu entre-temps membre du conseil d'administration de 32 sociétés, dont certaines n'appartiennent pas à Carlyle. À la fin de l'ère Bush, en 1992, David Rubenstein, Frank Norris et William Conway se rendent donc à la Maison-Blanche pour y débusquer l'oiseau rare : ce sera James A. Baker III [8]. Ce dernier dispose d'impressionnants états de service au profit des républicains : sous-secrétaire d'État au Commerce sous Ford en 1975, il fût directeur des campagnes de Ford, Reagan et Bush, directeur de cabinet de Ronald Reagan de 1981 à 1985, secrétaire au Trésor de 1985 à 1988, puis secrétaire d'État sous George Bush père de 1989 à 1992. Après la défaite de ce-dernier face à William Jefferson Clinton, il retourne vers le monde des affaires d'où il est issu, en acceptant des responsabilités à la fois pour Enron et pour le Carlyle Group. L'annonce de son recrutement par la société basée à Washington déclenche une effervescence médiatique autour de Carlyle, et on annonce même l'arrivée prochaine au sein du groupe de Colin Powell. En tout état de cause, l'arrivée de Baker renforce considérablement la position de Carlyle.

George Soros

Le nom de James Baker va permettre au groupe de lever des fonds importants, ce qui avait été impossible jusque-là. Le premier objectif, fixé par David Rubinstein à 500 millions de dollars, sera rapidement dépassé, grâce à l'arrivée du financier George Soros, qui vient, en 1992, de mettre la livre anglaise à genoux [9]. Celui-ci accepte d'investir 100 millions de dollars dans la société, mais aussi évidemment de lui apporter sa propre notoriété de financier hors-pair. Ce qui permet à Carlyle de lever, en 4 ans, plus de 1,3 milliard de dollars, soit plus de deux fois la somme initialement recherchée. Les rachats sont alors couronnés de succès, le groupe se focalisant sur les domaines liés à la Défense et aux ventes d'armes, deux terrains qui nécessitent des contrats avec le gouvernement. Or la proximité avec les décideurs politiques est désormais la spécialité de Carlyle. Le groupe va ainsi fleurir, faisant gagner près de 30 % annuels à ses actionnaires.

La liste des membres du Carlyle continue elle aussi à s'allonger, avec l'arrivée de George Bush Sr au rang de « conseiller supérieur », celui-ci étant devenu un ami proche de David Rubinstein, mais aussi de l'ancien Premier ministre conservateur britannique, John Major, qui est chargé des investissements en Europe, fin 1997. Le Carlyle Group bénéficie également du soutien du fonds de pension de la Banque mondiale, dont il a recruté l'ancienne trésorière en charge des investissements, Afsaneh Mashayekhi Beshloss. Celle-ci avait confié une bonne partie des fonds à sa disposition à Carlyle.

Carlyle multiplie ses investissements à l'étranger, notamment en Amérique latine, en Russie (avec l'oligarque Mikhail Khodorkovsky [10]) et en Europe, ainsi que le recrutement de responsables politiques tels que le Premier ministre de Corée du sud, Park Tae-joon et l'ancien Président des Philippines, Fidel Ramos. Et ceux qui ne peuvent y travailler, y envoient leurs proches, comme Madeleine Albright qui fait engager sa fille Alice.

L'arrivée de George W. Bush à la présidence des États-Unis est une consécration pour le Carlyle Group. Le nouveau résident de la Maison-Blanche doit en effet sa nomination au travail de sape juridique fourni par James Baker III, membre du Carlyle Group, et aux amitiés politiques de son père, George H.W. Bush, également lié au fonds d'investissement de Washington. Carlyle a même financé la campagne politique des républicains à hauteur de 359 000 dollars, contre 68 000 seulement pour les démocrates. Le désavantage de cette politique est qu'elle attire vers la société l'attention de l'ensemble des médias états-uniens.

Bush père et fils : la diplomatie Carlyle

Le premier véritable scandale éclate en mars 2001, lors d'une visite de Bush senior en Arabie saoudite, en tant que responable du Carlyle Group. Sa rencontre avec le roi Fahd suscite de nombreuses interrogations dans la presse états-unienne : s'agit-il d'une rencontre diplomatique ? d'un voyage d'affaires privées ? des deux à la fois ? Des questions d'autant plus légitimes que l'ancien président des États-Unis, accompagné de John Major, profite de l'occasion pour rencontrer d'anciens partenaires en affaires, la famille Ben Laden, alors même que l'un des frères, Oussama ben Laden, est déjà considéré comme une menace terroriste par les services de renseignement états-uniens.

Le deuxième dossier majeur concerne la Corée du Sud. L'arrivée au pouvoir de George W. Bush a été caractérisée par une politique extrêmement agressive à l'égard de la Corée du Nord, qualifiée d'« État voyou ». Les pays de la région, tels que la Corée du Sud ou la Thaïlande, voient d'un mauvais œil cette escalade diplomatique, et remettent alors gravement en cause leurs accords signés avec Carlyle en mai 1999, lors d'une visite de George Bush Sr. Des contacts privilégiés existent entre la société et de nombreux dirigeants locaux, puisque Carlyle compte dans ses rangs le Premier ministre sud-coréen élu en 2000, Park Tae-joon, mais aussi son gendre, Michael Kim, chargé de gérer les intérêts coréens aux États-Unis, et l'ancien Premier ministre thaïlandais, Anan Panyarachum.

Cet édifice patiemment construit est subitement mis à mal par les déclarations du nouveau président états-unien, lui-même influencé par les faucons de son administration. George W. Bush semble jouer contre son propre camp. Il est vite ramené à la raison.

Le 6 juin 2001, George W. Bush opère un revirement subit et annonce la reprise du dialogue avec Pyongang. Quatre jours plus tard, le New York Times évoque des discussions entre le père et le fils Bush ayant provoqué cette décision : selon le journal, Bush père, convaincu que son fils était indûment influencé par le Pentagone, lui aurait conseillé d'adopter une position plus modérée sur ce dossier. Il aurait argué du fait qu'une position dure à l'encontre de la Corée du Nord mettrait à mal le gouvernement sud-coréen, et nuirait en conséquence aux intérêts états-uniens dans la région. Une ingérence bien inhabituelle à la tête d'une démocratie aussi solidement enracinée que celle des États-Unis.

Il ne s'agit pas là d'un acte isolé : le 18 juillet 2001, le New York Times rend compte d'une nouvelle intervention de l'ancien directeur de la CIA dans la diplomatie états-unienne. George Bush père aurait en effet appelé le prince héritier de l'Arabie saoudite Abdullah, de la part de son fils, afin d'assurer le gouvernement saoudien que « le cœur [de son fils] est du bon côté », par rapport au Proche-Orient. Un appel rendu nécessaire par la politique uniquement pro-israélienne menée par l'actuel président. D'après le journal, ce dernier était présent lors du coup de téléphone. Ces révélations suscitent de violentes réactions de la part des organisations civiques tournées vers la moralisation de la vie politique. Nombreuses sont celles qui demandent alors que Bush père démissionne du Carlyle Group, s'il souhaite jouer un rôle dans la diplomatie du pays.

Le 11 Septembre : la Divine providence pour le Carlyle Group

La polémique est certes vivace, mais reste minime par rapport à celle qui attend les actionnaires de Carlyle à la fin de l'été 2001. La société est en effet au cœur de l'événement le plus traumatique qu'aient connu les États-Unis depuis Pearl Harbour : les attentats du 11 septembre 2001.

Ce jour là, le Carlyle Group tient sa conférence internationale annuelle pour les investisseurs à l'hôtel Ritz Carlton de Washington DC. Frank Carlucci, James Baker III, David Rubenstin, William Conway et Dan D'Aniello ont convié une galerie d'anciens dirigeants venus des quatre coins de la planète, d'anciens experts en question militaires, de riches Arabes venus du Proche-Orient et plusieurs investisseurs internationaux majeurs, qui peuvent ainsi assister aux attaques terroristes sur écran géant. Parmi les personnalités, on trouve notamment Shafiq Ben Laden, officiellement « brouillé » avec son frère Oussama, et George Bush père. Ce dernier aurait, d'après le porte-parole de Carlyle, quitté la convention peu avant les attentats, et se serait trouvé dans un avion au-dessus du Midwest lorsque fût ordonnée l'interdiction de décoller à tout appareil sur le sol états-unien.

La première conséquence de ces attaques est un cadeau du ciel pour le Carlyle Group : le Congrès approuve immédiatement le déblocage de 40 milliards de dollars pour la Défense tandis que, dans l'ombre, les membres de l'administration Bush commencent à plancher sur le budget 2002 du Pentagone qui prévoit une hausse de 33 milliards de dollars. Des décisions qui ont pour conséquence de rendre les partenaires de Carlyle extrêmement riches. Le projet jusque là vivement controversé du Crusader, la super-arme états-unienne, est adopté sans opposition. Un projet vivement défendu par Carlyle, puisque réalisé par United Defense, une société détenue par le fonds états-unien. Ses dirigeants profitent d'ailleurs de ces décisions pour nationaliser United Defense, en décembre 2001, empochant au passage 237 millions de dollars.

Moins glorieux, la presse états-unienne, et notamment le Wall Street Journal met à jour les liens du Carlyle Group avec la famille Ben Laden. Celle-ci a commencé au début des années 1990, lorsque le groupe tentait de prendre le contrôle de la société italienne Italian Petroleum. À cette occasion, son émisaire au Proche-Orient, Basil Al Rahim, s'était rendu en Arabie saoudite, en Jordanie, au Bahreïn et aux Émirats arabes unis pour y trouver des investisseurs. Il avait alors fait la connaissance de la famille Ben Laden, à la tête d'une entreprise de travaux publics évaluée à 5 milliards de dollars, le Saudi Binladin Group. La famille a certes rompu avec le plus connu de ses cinquante membres, Oussama, qui s'est vu retirer la nationalité saoudienne en 1991, mais l'article du Wall Street Journal met néanmoins l'accent sur l'affreux paradoxe que représente la possibilité pour la famille du terroriste de s'enrichir à la faveur des attentats, par le biais du Carlyle Group. Une information qui oblige les dirigants à minimiser les investissements de la famille Ben Laden (estimée selon eux à 2 millions de dollars, elle concerne en réalité plusieurs fois cette somme d'après Basil Al Rahim, qui a quitté le groupe en 1997) et à liquider rapidement leurs avoirs.

Lorsque survient la psychose liée à l'anthrax, en octobre 2001, le Carlyle Group est à nouveau là pour offrir - ou plutôt vendre - la solution : il détient en effet 25 % d'une société appelée IT Group, spécialisée dans le nettoyage de déchets environnementaux et toxiques. En situation délicate avant l'épisode de l'anthrax, IT Group signe, au cours de la période, plusieurs contrats de désinfection dans des bâtiments « contaminés » tels que le Hart Senate Office Building et le centre de tri postal de Trenton [11]. Des chantiers qui emploient 400 travailleurs à plein temps pendant plusieurs jours, et permettent d'envisager un sauvetage miraculeux de l'entreprise. Il n'en sera rien, finalement, puisque la compagnie déposera tout de même le bilan, non sans avoir au préalable considérablement réduit ses dettes. On retrouve également Carlyle dans le sillage de Bioport, une société détenant le seul contrat gouvernemental pour la réalisation d'un vaccin expérimental et controversé contre l'anthrax. Travaille en effet dans cette société l'amiral à la retraite William Crowe, président du bureau des directeurs de cabinet au secrétariat à la Défense, du temps de Frank Carlucci. Si les deux hommes se connaissent bien, aucun liencommercialentrelesdeuxsociétésn'a cependant été établi.

En France, le Carlyle Group a acheté la principale entreprise de Vitrolles, le Groupe Genoyer qui fabrique des pièces détachées pour l'équipementier pétrolier Halliburton. Puis, il s'est emparé du papetier Otor, avant d'investir dans la presse. De 1999 à 2002, il a détenu 30 % du Figaro, qui a imposé Dominique Baudis à la présidence du Comité éditorial [12]. Il détient aujourd'hui 28% d'Aprovia (le pôle professionnel et santé de l'ex groupe Vivendi Universal Publishing), avec des titres comme Test, Le Moniteur ou L'Usine nouvelle. Et des participations dans Médimédia, qui édite par exemple Le Quotidien du Médecin et contrôle les Éditions Masson. Par ce biais, il bénéficie d'une expertise et d'une veille permanente sur la recherche et le développement industriels français. De plus, Carlyle s'est porté acquéreur de Vivendi Universal Entertainement.

En outre, Carlyle a investi dans l'immobilier de bureaux à Boulogne, Ivry, La Défense, Malakoff, Montrouge et Paris, avec une nette préférence pour les immeuble hébergeant des sociétés liées à l'armement.

L'étude détaillée du fonctionnement du Carlyle Group surprend et inquiète. Jamais l'influence d'une société privée n'a menacé à ce point d'engloutir une démocratie aussi ancienne que celle des États-Unis. Ce subtil dosage de collusion, de corruption et de népotisme, à un tel niveau de responsabilités, fait résonner d'une manière particulière les mots prononcés par le président Dwight Eisenhower lorsqu'il quitta les commandes du pays, en janvier 1961 : « Au sein des différents conseils du gouvernement, nous devons nous protéger contre l'apport d'une influence injustifiée, qu'elle soit recherchée ou non, de la part du complexe militaro-industriel. Le potentiel pour une montée désastreuse d'un pouvoir hors de propos existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser cette agrégation mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. »


[1] Cette enquête s'appuie sur l'excellent livre de Dan Briody sur le fonctionnement du Carlyle Group : The Iron Triangle - Inside the secret world of the Carlyle Group, par Dan Briody, Wiley, 2003.

[2] David Rubenstein était l'un des assistants en politique intérieure du président Jimmy Carter, à l'âge de 27 ans. Il est décrit par ses collaborateurs de l'époque comme un serviteur modèle de l'État, « le premier à arriver au travail, le dernier à en partir ».

[3] C'est ce qu'on appelle le Leveraged Buy Out ou LBO, qui consiste à constituer un holding qui s'endette pour racheter la cible. Le holding paiera les intérêts de sa dette et remboursera celle-ci grâce aux dividendes réguliers ou exceptionnels provenant de la société rachetée.

[4] « The fancy financial footwork of George W. Bush - The president as businessman », par David Ignatius, International Herald Tribune, 7 août 2002.

[5] Voir « L'honorable Frank Carlucci » par Thierry Meyssan, Voltaire, 11 février 2004.

[6] Filiale du géant de la distribution Sears Roebuck fondé par le général Robert E. Wood. Dans les années 50, la holding finança la création de l'American Security Council, embryon de ce qui est devenu le lobby militaro-industriel états-unien.

[7] Carlyle n'a pas tardé à réinvestir dans le mercenariat en achetant USIS (US Investigations Services), qui assure par exemple la sécurité du président Karzaï en Afghanistan.

[8] Voir « James A. Baker III, un ami fidèle », Voltaire, 16 décembre 2003.

[9] Voir « George Soros, spéculateur et philanthrope », Voltaire, 15 janvier 2004.

[10] Voir « Bush, Khodorkovsky & Associates », Voltaire du 13 novembre 2003.

[11] Pour une raison inconnue, IT avait également été chargé de vitrifier les décombres du Pentagone au lendemain du 11 septembre.

[12] Les parts ont été revendues depuis au groupe Dassault et M. Baudis est devenu président du CSA


François Missen

Comment doit-on présenter Potomac : roman ou enquête ?

Pour reprendre l’expression d’un écrivain de renom, c’est un « romenquête ». Je suis parti d’une information tout à fait objective concernant une société américaine impliquée jusqu’au cou dans des affaires politico-financières mêlant intérêts privés et publics, gros sous et arrière-pensées stratégiques. Comme je ne pouvais aller plus avant dans l’enquête, j’ai décidé d’écrire un roman à partir des éléments dont je disposais, en les adaptant.

Peux-tu lever un coin du voile sur l’affaire dont tu t’es inspiré ?

La société en question s’appelle Carlyle, du nom de l’hôtel new-yorkais où ses golden boys de créateurs avaient l’habitude de venir siroter des gin-fizz. Créée en 1987, elle s’est rapidement développée aux quatre coins du globe, en prenant des participations dans différents secteurs de l’économie et des finances. Avec une nette prédilection pour l’armement… et des liens forts avec les milieux politiques.

Comment en es-tu venu à t’intéresser à cette société ?

Par le biais d’une entreprise française dans laquelle Carlyle avait investi et qui commençait à s’inquiéter de ses manœuvres. À partir de là, j’ai amassé suffisamment d’informations pour publier, non sans mal, un premier article dans la revue Politis. J’y expliquais notamment les passerelles existant entre Carlyle et le Parti républicain américain.

Tu veux dire que la famille Bush aurait des liens avec Carlyle ?

Au sein du réseau Carlyle, on retrouve en effet George Bush senior, mais aussi James Baker (ancien secrétaire d’État), Franck Carlucci (ancien directeur adjoint de la CIA et proche de Donald Rumsfeld), John Major (ancien Premier ministre britannique) et bien d’autres. Tout ce beau monde joue au VRP de luxe pour Carlyle, alimentant « la pieuvre » en capitaux frais et en affaires juteuses. Cerise sur la gâteau : l’un des demi-frères de Ben Laden fut actionnaire de Carlyle. Il l’était encore le 11 septembre 2001.

Cette histoire serait donc une petite bombe…

Ce n’est pas à moi d’en juger. À chacun de se faire son opinion…

Qu’attendent les journalistes américains pour en parler ?

Beaucoup de choses ont déjà été écrites sur Carlyle ; il suffit de pianoter sur Internet pour trouver des informations. Ces deux dernières années, les journalistes américains ont surtout axé leur attention sur le terrorisme, actualité oblige. Mais ils ne devraient pas tarder à sortir certains sujets gardés « au chaud ». Des gens comme Michael Moore s’intéressent par exemple de très près aux liens entre Carlyle et Bush.

« Une bonne enquête se mène à froid. »

Comment se mène une investigation de cette envergure ?

Ce n’est pas une question de « bon » ou de « mauvais » journaliste, c’est une question de moyens. Pouvoir se rendre immédiatement disponible et sauter dans le premier avion, ça demande des moyens. Prendre le temps nécessaire, être exhaustif, suivre toutes les pistes, ça demande également des moyens. Il faut pouvoir faire des erreurs ; si la piste est négative, tant pis ; si elle est positive, elle fera peut-être toute la différence.

Sur tes derniers dossiers, tu as pu manœuvrer comme tu le souhaitais ?

Pas forcément ! J’ai par exemple essayé pendant six mois de convaincre un éditeur de l’intérêt d’aller enquêter en Turquie, que je considère depuis longtemps comme l’un des foyers les plus explosifs de la planète. Un pays islamique laïque, contre-exemple de l’intégrisme, occupant une place stratégique aux portes de l’Orient et entretenant des relations soutenues avec l’Occident… Ça ne pouvait que péter ! Maintenant, enquêter sur place va être bien plus difficile. Le pays est quadrillé par la police et l’armée, les gens sont en alerte, ils ont peur, se méfient. Sous la pression d’un événement, tu ne peux plus découvrir grand-chose. Une bonne enquête se mène à froid.


*CARLYLE, BUSH, BEN LADEN, GUERRE ÉCONOMIQUE

Le groupe Carlyle : entre Bush et ben Laden

POLITIQUE D'INFLUENCE US ET MAGOUILLES FINANCIÈRES : THE CARLYLE GROUP

samedi 1er février 2003, par mirmillon

Qu'y a-t-il de commun entre la famille Ben Laden, la famille Bush, Casema (télécommunications), QinetiQ (défense), Vinnell (conseillers militaires), la BCCI (banque), Bofors (défense) et le Pentagone ?

Le Carlyle Group.

Un réseau de conseillers prestigieux

Fonds d'investissement étasunien, le groupe Carlyle est dirigé depuis janvier 2003 par Louis Gerstner, ancien patron d'IBM. Jusqu’à cette date, Franck Carlucci, ancien Secrétaire d’État à la Défense sous Ronald Reagan entre 1987 et 1989, et ancien patron de la CIA, était aux commandes. Les liens noués avec le monde politique et économique international sont très forts. On retrouve notamment comme conseillers permanents ou occasionnels Georges Bush (ancien président des USA), Otto Pohl (ex-président de la Bundesbank), John Major (ex-premier ministre de Grande-Bretagne), Arthur Levitt (ex-président de la Security Exchange Commission), James Baker (ancien secrétaire d'état de Bush senior), Karl Fidel Ramos (ex-président des Philippines), Henri Martre (transfuge de Matra Aérospatiale)…. Même G. W. Bush, actuel président des États-Unis, a travaillé un temps pour Caterair, une des filiales du groupe et, jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001, des membres de la famille Ben Laden faisait même partie du conseil d’administration [1].

Offensive sur « Le Figaro »

Carlyle gère près de 13 milliards d’euros dans différents secteurs : industries d’armement, télécommunications, hautes technologies, industries pharmaceutiques, presse et papeterie... Le groupe contrôle à présent plus de 160 sociétés réparties dans 55 pays, dont la France. C’est le bureau français qui en juillet 1999 s'était fait remarquer en contrôlant 40 % de la holding financière du Figaro, via des opérations de conversion d’actions et d’obligations. Suite aux craintes de voir le quotidien national passer sous contrôle du fond étasuniens, les pressions médiatiques et politiques ont permis que Dassault entre dans le capital et que Carlyle s’en retire en cédant la totalité de ses parts de la Socpresse. Malgré cet échec, Carlyle a réussi à pénétrer la presse française en prenant d’importantes parts d’Aprovia, qui regroupe une grande partie de la presse professionnelle dont les groupes Tests et Moniteur.

La Défense et l’Armement

Les activités liées à l'Armement et à la Défense ont fait du groupe Carlyle un des plus importants fournisseurs du Pentagone. Le gouvernement US représente 80 % des ventes de United Defense Industries dont le groupe Carlyle contrôle 54 % du capital, soit une valeur de 560 millions de dollars [2]. Une grande partie de ses commandes dépend donc de l'administration en place. Or, la conjoncture actuelle semble très favorable au groupe étant donné les liens étroits qu’il entretient avec la famille Bush. Suite aux nouvelles menaces du terrorisme, l’armée US a commandé au Congrès, pour quelques 500 millions de dollars, un nouveau char dont elle aurait besoin pour de futures opérations terrestres : le Crusader. Or c’est la United Defense Industries (filiale du groupe Carlyle) qui construit le char Crusader.

La famille Ben Laden a investit 2 millions de dollars dans le fonds de participation « Carlyle Partners II fund », dans lequel se trouve United Defense Industries. Les liens entre le groupe Carlyle et des Séoudiens ne sont pas nouveaux. En 1991, la compagnie avait réalisé une opération de 590 millions de dollars pour le prince Alwaleed ben Talal qui souhaitait investir dans Citicorp.

De plus, le groupe Carlyle a servi de conseiller à la monarchie séoudienne sur l'Economic Offset Program. Ce programme permettait la vente d’armes étasuniennes à l’Arabie Séoudite. En retour, les États-Unis s’engageaient à acheter certains produits séoudiens. Par ailleurs, Carlyle a longtemps été un des actionnaires principaux de BDM International, chargé d’entraîner et de structurer la garde nationale séoudienne et les forces aériennes séoudiennes par le biais de Vinnell Corp. Franck Carlucci a été membre du conseil d’administration de BDM International pendant la majeure partie des années 1990). BDM International est passé sous le contrôle de TRW International en 1997.

Au conseil d’administration du groupe Carlyle, on retrouvait récemment Sami Baarma, directeur de la Prime Commercial Bank du Pakistan, dont Khalid Ben Mafhouz est le patron. Or, ce dernier est associé au scandale de la BCCI (12 milliards de dollars disparus en fumée lors de la banqueroute) dont il détenait 20 %. Reconnu coupable de dissimulation fiscale, il a dû s’acquitter d’une amende de 225 millions de dollars et est désormais interdit d’exercer un métier bancaire aux États-Unis. Khalid Ben Mahfouz a acquis 11,5 % de Harken, société que présidait G. W. Bush, via son homme d'affaires aux États-Unis, Abdullah Taha Bakksh [3]. Harken, avait obtenu l'exploitation exclusive du gaz et du pétrole de l'émirat du Bahreïn pour 35 ans, alors qu'elle n'avait aucune expérience des forages off-shore... En juin 1990, quelques semaines avant le déclenchement de l’opération Desert Storm, Bush liquidait sa participation dans Harken, 850 000 $, et une semaine après, Harken annonçait des pertes records de 23 millions de dollars [4]. Quant à Khalid Ben Mafhouz, il a été arrêté en août 2000 sous l'administration de Clinton et placé sous mandat d'arrêt dans un hôpital militaire d’Arabie Séoudite. Ben Mahfouz fait partie des personnes activement recherchées pour soutien à l'organisation El Quaïda via des organisations humanitaires islamiques.

Désormais, la branche « Armement » de Carlyle cherche à prendre position en Europe. En 2001, United Defense Industries a pris le contrôle de la compagnie suédoise Bofors Defense, spécialisée dans le développement d’armes dites « intelligentes ». Plus récemment, la Commission européenne a autorisé l’acquisition de QinetiQ, un laboratoire de recherche britannique de défense, par le groupe étasunien voir communiqué.

Pas coté en Bourse...

Autre détail intéressant, le groupe Carlyle n’est pas coté en bourse, et cela présente plusieurs avantages. Hors du circuit boursier, Carlyle n’est pas obligé de divulguer à la Security Exchange Commission (la commission américaine chargée de veiller à la régularité des opérations boursières ; l’équivalent de la COB en France) le nom des associés, des actionnaires, pas plus que leurs parts respectives. Cela permet également de dissimuler les détails des opérations gênantes : quand le président Bush achète de l’armement à Carlyle, c’est notamment son père qui se frotte les mains !

La discrétion du groupe a été mise à mal par les révélations de deux organismes non gouvernementaux, Judicial Watch et Center for Public Integrity, qui épluchent chaque année les textes du Congrès et les documents déclassifiés de la CIA et du FBI. Ces organismes ont dénoncé cet état de fait sur leurs sites respectifs, informations par la suite reprises par le Wall Street Journal et la BBC. En pleine préparation de conflit en Irak, sûr que le groupe fera reparler lui...

Plus d'infos sur "la pieuvre" Carlyle

[1] « Carlyle, la pieuvre », Politis n°722 et « Carlyle a-t-il réellement abandonné Yeslam ? », Intelligence Online, 25/04/2002.

[2] truthout.org et corpwatch.org

[3] Intelligence News Letter, 2 mars 2000 et Les sulfureux réseaux de George W. Bush, Intelligence Online, 09/11/2001.

[4] US News and World Report, 1992.


Carlyle, la pieuvre

François Missen

C''est un drôle de mélange d ?intérêts publics et privés, de profits géants et d'arrière-pensées stratégiques. Depuis sa création en 1987, la compagnie américaine Carlyle n'a cessé d'étendre ses prises de participations dans tous les secteurs de l'industrie et de la finance. Avec une nette prédilection pour l'armement et la haute technologie. Présent dans toutes les régions sensibles du globe, Carlyle dispose de VRP de luxe, anciens chefs d'États ou banquiers reconvertis. Mais Carlyle, c'est surtout les Bush, père et fils, et de bonnes affaires avec la famille Ben Laden. Après une enquête de plusieurs mois, François Missen nous propose ce voyage dans un univers qui cultive le secret.

Washington, 11 septembre 2001, 9 h 10, Pentagone City. Radieux, l’été indien ! Kamishi est déjà aux fourneaux. Le sushi-man n’en finit pas de découper thon et saumon en fines lamelles sous la verrière de l’immense centre commercial. Dans trois heures, il n’y aura plus une table libre. Malgré la télé. Malgré ce qui se passe à Manhattan. Ici, le ciel est vierge. Comme la bretelle routière qui contourne cette usine à bouffe, gadgets et dollars. Les milliers de Virginiens sont déjà devant leurs consoles d’ordinateurs. Ça change avec cette artère busy dès sept heures du matin au coeur de la puissance américaine, entre la tour de la DEA (Drug Enforcement Administration) et les cinq ailes du Pentagone. À l’est du Potomac, la capitale fédérale est sous perfusion télévisuelle. À l’Enfant Plazza, la station de métro dégorge une foule moins dense que d’ordinaire. Les images live de CNN ont frappé comme partout dans le monde.

Elles frappent ici, au sommet du Ritz Carlton, un palace de la Vingt-deuxième, à trois cents mètres de Washington-Circle, qui coupe Pennsylvania Avenue. Il y a du beau monde là-haut. Le groupe Carlyle tenait une réunion, lorsqu’un homme est venu glisser quelques mots à l’oreille du président, Frank Carlucci.

What ? La télé a immédiatement déversé les documents en provenance de New York. Et depuis, comme des millions d’êtres humains, ces messieurs sont pétrifiés, rivés au drame barbare qui se déroule à quatre cents kilomètres de là. Et puis, entre les premières images des deux avions projectiles injectées en boucle et celles qui racontent l’insupportable agonie des hommes et des pierres, les téléphones entrent en plein délire : Maison Blanche, State Department, CIA, FBI, messages codés, Pentagone. Téléphones, famille, amis. États-Unis, Europe, France...

Allô, Michèle...

Oui, Jean-Pierre, c’est vous. Ah...

Vous savez ?

Oui, oui, bien sûr, c’est épouvantable...

Oh, mais qu’est-ce que c’est ?

Oui, dites-moi...

Je ne sais pas. Je vois de la fumée. Il se passe quelque chose là-bas...

Comment ?

Oui, je suis inquiet. Le ciel s’obscurcit... Là-bas, à l’ouest. Je vous rappellerai...

Washington, 9 h 53. Le Boeing 757 d’American Airlines, vol AA77, vient de s’écraser sur les zones L2 et L6 du Pentagone.

Paris, 13 septembre 2001, 16 h, 70, boulevard de Courcelles, troisième étage. C’est le siège de la société Otor, une holding présidée par son fondateur Jean-Yves Bacques. Michèle Bouvier, directrice générale, est à ses côtés. En France, le savoir-faire et le dynamisme d’Otor dans l’industrie du papier carton recyclé sont reconnus, l’agroalimentaire figure parmi ses meilleurs clients : on emballe aussi bien le champagne que le yaourt et les tomates. Des livres, des CD sont en vente sur des présentoirs en carton ; des éviers et des modèles réduits sont expédiés dans des coffrages en carton. Tout cela en fait le numéro un français du papier recyclé pour emballage et le numéro deux pour la fabrication d’emballages en carton ondulé. Otor emploie 3 000 salariés.

Problème : malgré de brillants résultats commerciaux, malgré un sens très développé de l’innovation, Otor éprouve des difficultés de trésorerie depuis 1999. L’entreprise s’est saignée pour acquérir en juillet 1997 les usines de La Chapelle-d’Arblay, un autre grand du papier en France. Jean-Yves Bacques et Michèle Bouvier appellent leurs banquiers à l’aide. Ces derniers n’y vont pas par quatre chemins : si d’autres investisseurs n’entrent pas dans le capital d’Otor, ils ne feront pas la prochaine échéance. Le Crédit Lyonnais propose alors que sa filiale, la banque d’affaires Clinvest, explore quelques pistes.

Et Carlyle est arrivé. Séduction, contrat, dollars...

Et guerre ! Car après l’oxygène américain investi chez les petits Français, est rapidement venu le temps de la discorde, puis celui de l’affrontement. Et, quarante-huit heures après le séisme de Manhattan, voici donc réunies, par temps d’orage, les deux parties, au siège de l’entreprise encore française.

Jean-Pierre Millet, le managing director de Carlyle en France, n’est pas rentré. L’espace aérien américain est interdit. Millet tente de trouver un vol par le Canada. Frank Falezan, son collaborateur, est là aujourd’hui pour ce conseil prévu avant la réunion de Washington. L’échange est rude. La pause-café est bienvenue. On feint d’oublier la querelle du jour, celles à venir. Dollars, actions, tribunaux, avocats New York-Washington-Paris.

Avez-vous eu des nouvelles ?

Non, pas davantage. Ah ! j’ai eu une sacrée surprise.

????

L’un des Ben Laden était là.

Ben Laden ?

Shafig Ben Laden, oui Ben Laden, l’un des demi-frères d’Oussama était autour de la table. Normal, il est actionnaire de Carlyle ! Tout de même...

C’est terrible ça, Frank...

Oui, si on veut... Ce sont les affaires...

Ben Laden, tout de même...

Dès les premières images de la télé, il s’est levé, s’est rendu aux toilettes, je ne sais où. Lorsqu’il est revenu, il ne portait plus le badge à son nom. Il s’est excusé : « That is better, isn’t it ? » (C’est mieux comme ça, n’est-ce pas ?)

Lire la suite de l’enquête dans Politis n° 722


Carlyle Group : anatomie d'une pieuvre

http://www.infoguerre.com

Le fonds d'investissement, proche de la famille Bush, serait une "CIA des affaires", le site d'informations édité par l'Ecole de guerre économique (EGE) publie une sur Carlyle Group, l'un des fonds d'investissement privés les plus puissants de la planète, très proche de l'administration Bush.

On y apprend que Carlyle, déjà connu pour son emprise sur le complexe militaro-industriel américain et ses liens avec la famille Ben Laden, est de mieux en mieux implantée dans les nouvelles technologies.

L'auteur de l'enquête, Pascal Dallecoste est chercheur associé au

le Laboratoire de Recherche de l'Ecole de guerre économique, qui travaille sur les logiques de puissance et de guerre de l'information.

Carlyle, c'est 70 000 salariés, 13 milliards de dollars d'actifs et des participations dans 164 sociétés. "L'un des premiers groupes d'investissement privés de la planète", souligne Pascal Dallecoste, pour qui il s'agit aussi d'un "service de renseignement à part entière".

"Privatisation de la sécurité nationale"

Créé en 1987, Carlyle commence à se développer massivement en 1989, après la nomination à sa tête d'un certain Franck Carlucci. Après avoir dirigé la CIA de 1977 à 1981, Carlucci est nommé directeur de Wackenhut, une société de sécurité "communément décrite comme un paravent de la CIA, proche de l'extrême droite", d'après Dallecoste.

Wackenhut est spécialisée, entre autres, dans la sécurité des ambassades et des centrales nucléaires américaines, ainsi que dans "la mise au point de centres de recherche quasi-clandestins sur les armes biologiques et chimiques", précise Dallecoste.

Wackenhut fut également impliquée dans l'un des plus grands scandales d'espionnage industriel et technologique, l'affaire Promis : un logiciel commercialisé dans le monde entier auprès d'un grand nombre de forces de l'ordre, sociétés privées et services de renseignement, au profit du Pentagone, qui y avait préalablement installé une "porte dérobée", de sorte de pouvoir accéder aux données soit-disant "sécurisées".

Conseiller pour la sécurité nationale de Ronald Reagan, Carlucci est nommé en 1987 secrétaire d'Etat à la Défense. Il en profite pour réformer les procédures d'appel d'offres de la Défense américaine. Fort de ses relations dans les milieux du renseignement, de la police et de l'armée, il passe, en 1989 à la tête de Carlyle Group, qui réalisera dès lors l'essentiel de son chiffre d'affaires dans l'industrie militaire.

"Le grand mouvement de privatisation de la sécurité nationale se met alors en marche", explique Dallecoste. "Au milieu des années 90, le Carlyle Group participe de manière très active à la reconstruction du complexe militaro-industriel américain", au point que d'aucuns la surnomme la "CIA des affaires".

"Carlyle est un proxy anonymisant"

Grâce à une très forte rentabilité financière, Carlyle attire rapidement les banques. Carlyle compte dans ses rangs des conseillers issus, pour bonne partie, des services de renseignements, de l'armée, "du gotha politique des Etats-Unis et des plus hauts dignitaires de l'administration Bush", dont Bush père en personne. Dans les années 90, le groupe se montre capable d'identifier les technologies émergentes à surveiller et les sociétés publiques qu'il convient de privatiser, sur fond de déréglementation des marchés.

"Carlyle est un proxy anonymisant : le groupe ne dévoile rien de ses investisseurs, ce qui permet à des sociétés ou à des pays d'accéder à des brevets sans se faire repérer", poursuit Dallecoste, qui note aussi son utilisation intensive des paradis fiscaux. "Chantre de la privatisation et du rôle des marchés financiers, Carlyle n'est pas coté en Bourse et n'est donc pas obligé de dévoiler l'identité de ses nombreux associés et actionnaires."

La société "montre une attention toute particulière envers les leaders d'opinion". L'ancien Premier ministre conservateur britannique John Major est par exemple le représentant européen du groupe.

En France, après avoir pris des parts dans Le Figaro en 1999, Carlyle a investi dans Vivendi Universal Publishing, dont les groupes Tests et Moniteur sont les leaders de la presse professionnelle informatique, BTP et marchés publics.

"Des postes d'observation essentiels : le laboratoire du groupe Tests figure parmi les premiers centres européens de tests informatiques", quand "l'annuaire France R&D" de L'Usine Nouvelle est "le premier annuaire des laboratoires et centres de recherche français".

L'ombre des Ben Laden

"Une oreille à Washington, une autre au Pentagone", la société profite financièrement de la menace terroriste : "les postes budgétaires qui ont le plus augmenté après les attentats du 11 septembre (biodéfense, sécurité informatique et technologies de protection de pointe, sont au coeur de Carlyle", rappelle Dallecoste.

Ironie de l'histoire, le groupe a commencé à faire parler de lui après que l'on eut découvert que la famille Ben Laden avait investi deux millions de dollars en 1994 dans l'un de ses fonds, centré sur l'industrie de la défense et de l'aérospatial. Une somme considérée comme une "mise de départ" par plusieurs analystes : il se pourrait bien que la famille Ben Laden fasse encore partie des principaux investisseurs du groupe.

D'abord concentré sur les secteurs militaires et pétroliers, Carlyle prend position dans le domaine des nouvelles technologies dès le début des années 2000. En janvier 2003, Carlucci ayant mauvaise presse, Carlyle nomme à sa tête Louis Gerstner, le très médiatique ex-directeur d'IBM.

Colonne vertébrale du réseau

"Capable de répondre à n'importe quel appel d'offres, de l'aéronautique aux télécoms, de l'électronique de défense à la décontamination nucléaire, bactériologique et chimique, en passant par la production de chars, de canons, de missiles..., écrit Dallecoste en introduction de son enquête, les participations du Carlyle Group dans les nanotechnologies, les biotechnologies et les semi-conducteurs en font l'un des principaux centres de recherche et développement sur les infrastructures de l'information, le nucléaire et les programmes génétiques."

Mais, selon le chercheur, le pire reste à venir : "La plupart des câbles sous-marins, notamment asiatiques, appartiennent à Carlyle. La société contrôle une partie des 'backbones' mondiales, capitalise les routeurs, l'internet tactique et militaire, les radiofréquences, contrôle à peu près l'ensemble de la chaîne, en amont et en aval... En cas de conflit, c'est hautement stratégique".

Depuis peu, Carlyle se concentre aussi sur les places de marché virtuelles et les solutions de commerce électronique, les systèmes de cryptage et les produits interbancaires : "un accès aux flux d'informations les plus critiques de la planète le rendrait immensément riche et quasiment intouchable", selon Dallecoste.


Un autre site, où on peut lire l'article du monde de 2004

http://www.jp-petit.com/Geopolitique/empire_carlyle.htm