Origine : http://www.chateaubriant.org/spip.php?article592
1939 - 1946, Les camps de Châteaubriant
Les camps ne sont pas une innovation de la Seconde guerre mondiale,
en France par exemple, la nécessité de concentrer
en un seul lieu des personnes présumées hostiles génère
la création de « camps de concentration » dès
1914. Pendant les hostilités, le petit séminaire de
Guérande est réquisitionné pour retenir plusieurs
centaines d’Allemands, d’Austro-Hongrois et de ressortissants
de l’Empire ottoman.
Les camps réapparaissent en 1937 pour héberger provisoirement
des réfugiés espagnols fuyant les combats et les troupes
nationalistes. Puis sans solution de continuité ou presque,
ils renferment des populations très diverses jusqu’au-delà
de 1945.
Le pays castelbriantais, excentré, ne commence à
intéresser les autorités chargées de regrouper
des populations plus ou moins « indésirables »
qu’en 1939. Ensuite les installations sont utilisées
jusqu’à la fin de l’année 1946, mais entre
temps le camp de Choisel, le plus important, devient l’antichambre
de la mort pour quelques détenus.
Les Réfugiés espagnols
La Loire-Inférieure comme l’ensemble du littoral atlantique
est une terre d’asile au printemps 1937 lorsque les troupes
rebelles de Franco s’emparent du Pays basque et des Asturies.
Des dizaines de milliers de personnes parviennent à fuir
par bateaux, les autorités françaises organisent alors
leur répartition à partir des ports, Saint-Nazaire
et occasionnellement Nantes pour notre région. Les réfugiés
sont envoyés vers des centres d’hébergement
répartis sur tout le territoire national. En Loire-Inférieure
le préfet réquisitionne les locaux vides de la caserne
d’Ancenis pour y regrouper près de 700 d’entre
eux.
Des associations liées aux forces du Front Populaire participent
alors à l’accueil des réfugiés et le
gouvernement républicain assure le rapatriement de ses ressortissants.
Dans les mois suivants on trouve en permanence d’anciens miliciens
espagnols en convalescence dans les colonies et les autres établissements
balnéaires appartenant aux syndicats souvent parisiens. Mais
au début de l’été 1938, la cohabitation
d’anciens des Brigades internationales hébergés
au Casino de Préfailles et des habitués de la station
ne se fait pas très facilement. Il est vrai qu’à
cette date le Front populaire a vécu et que le climat politique
français s’alourdit lui aussi.
Quelques mois plus tard l’effondrement du front républicain
de Catalogne projette près de 500 000 Espagnols en France
qu’il faut répartir à nouveau sur l’ensemble
du territoire. La Loire-Inférieure réouvre le camp
d’Ancenis pour les hommes alors que les femmes et les enfants
sont provisoirement logés dans les colonies inoccupées
du littoral, quelques-unes cependant se retrouvent dans l’Intérieur,
et la mairie même de Châteaubriant sert de campement
à quatre-vingt-dix d’entre elles malgré les
protestations d’E. Bréant.
A l’approche de l’été il faut trouver
une autre solution et le sous-préfet de Châteaubriant
part à la recherche d’usines désaffectées
et trouve ainsi deux lieux qui sont immédiatement réquisitionnés
et sommairement aménagés :
Des logements ouvriers inoccupés de la Société
des Ardoisières d’Anjou près du village de Ruigné
en Juigné-les-Moutiers
L’établissement de la Forge Neuve en Moisdon-la-Rivière
où l’exploitation d’anciennes scories a été
abandonnée
Plusieurs centaines de femmes espagnoles et d’enfants s’installent
dans les deux camps à partir du 13 mai 1939.
Si leur arrivée ne semble pas poser de problème à
Juigné, à Moisdon en revanche, le sous-préfet
parvient à grand peine, semble-t-il, à éviter
des manifestations hostiles de la population. Placées derrière
des barbelés et sous la garde de la gendarmerie les réfugiées
connaissent alors une vie difficile : ravitaillement, hygiène,
censure des informations, absence d’école pour les
enfants... Il est vrai que les autorités n’ont qu’un
objectif qui est de les faire rentrer au plus tôt dans leur
patrie malgré les risques. Quelques femmes réussissent
à partir vers l’Amérique du Sud.
A l’automne, les deux camps sont à nouveaux vides,
la minorité de réfugiés espagnols (hommes et
femmes) qui se trouve encore dans la région tente de trouver
un travail et des logements plus décents. Avec la guerre
de nombreux hommes, toujours internés dans les camps du sud
de la France, sont plus ou moins contraints de s’engager dans
l’année ou bien dans des compagnies de travailleurs
espagnols (CTE) envoyés partout en France remplacer les hommes
mobilisés. Une telle compagnie venue du grand camp de Gurs
(Basses-Pyrénées) rejoint alors Saint-Nazaire.
Les Nomades
Les Romanichels, Gitans et Tsiganes que les textes appellent généralement
nomades - tout en prenant bien soin de les distinguer des autres
populations ambulantes comme les forains - forment en 1939 une catégorie
sociale particulière dont le statut remonte à 1912.
Leur internement qui avait été demandé en 1914,
s’opère très rapidement de septembre 1939 à
octobre 1940. L’action des préfets s’appuie d’abord
sur les mesures d’état de siège pour limiter
leurs droits à circuler ou même, purement et simplement,
les expulser comme dans les départements de Maine-et-Loire
et d’Indre-et-Loire en octobre.
Camp de la Forge
En Loire-Inférieure, on peut proposer la chronologie suivante
: en vertu de mesures secrètes préparées en
avril 1938 par l’état major, des nomades d’origine
étrangère (russes, arméniens, grecs et autres)
résidant dans la banlieue parisienne sont expulsés
loin de la capitale et des départements frontaliers en septembre
1939.
Inévitablement on en retrouve un certain nombre, quelques
dizaines, dans des colonies ou des hôtels du Croisic et de
Saint-Nazaire. Quant aux nomades, français ou étrangers
résidant habituellement dans le département, ils sont
tenus de se faire connaître et de se regrouper aux chefs-lieux
de canton près des brigades de gendarmerie.
Leur espace de liberté se restreint encore en novembre 1939
avec un nouveau décret-loi du gouvernement Daladier qui généralise
l’internement administratif de « tous les individus
dangereux pour la défense nationale et la sécurité
publique ». Le préfet maritime invoque immédiatement
ce décret-loi pour chasser les nomades étrangers du
littoral (zone de guerre) et les assigner à résidence
dans quelques centres de l’intérieur : Moisdon-la-Rivière
et Juigné-les-Moutiers . (voir document 1)
Comme le propriétaire de la Forge de Moisdon veut relancer
l’exploitation des scories, les nomades sont dirigés
vers le camp de Ruigné. Ces nomades au nombre de 171, ne
sont plus que 93 en mai 1940 dans l’arrondissement de Châteaubriant
car le préfet a autorisé le regroupement de quelques
familles en dehors du département. Ils ne vivent pas tous
au camp de Ruigné et la gendarmerie les surveille dans leurs
déplacements entre Juigné, Saint-Nicolas-de-Redon,
Derval et Soudan...
Enfin le 6 avril 1940, un décret interdit à tous
les nomades de circuler en France métropolitaine pour la
durée de la guerre. Les nomades français ou étrangers,
définis selon la loi de 1912, sont alors invités à
rejoindre les quatre localités précédentes
par l’arrêté préfectoral du 18 mai. Mais
les évènements militaires empêchent le regroupement
qui n’est véritablement exécuté qu’en
octobre 1940 lorsque les forces d’occupation enjoignent aux
préfets d’interner tous les tsiganes.
En Loire-Inférieure, le préfet ordonne de les concentrer
au camp de la Forge où les premiers arrivent le 11 novembre
1940.
Le camp qui a une capacité de 320 places reçoit aussi
des nomades venus des départements voisins, 116 en provenance
du Morbihan, le 25 novembre 1940.
Le site de la Forge Neuve a été sommairement aménagé
à partir des dépouilles de Ruigné par des corvées
de prisonniers français « prêtés »
par les Allemands ! Louis Leclercq, capitaine hors cadre, qui a
assuré jusqu’à l’été la
direction d’un détachement disciplinaire de troupes
marocaines placées en 1939 à la minière Poorter
de Rougé, se propose comme chef du camp, il va diriger les
camps du castelbriantais jusqu’à l’été
1941.
L’hiver 1940-1941 se révèle particulièrement
difficile pour les internés, les familles qui ont été
autorisées à garder leurs roulottes (mais qui ont
dû vendre les chevaux à bas prix !) s’entassent
à 10 ou 12 dans des espaces exigus (3,5 x 1,8 x 1,7 m). Les
internés individuels sont « logés » en
dortoirs dans les vieux bâtiments de la forge qu’il
est impossible de chauffer. Quant au « réfectoire »,
ce n’est qu’un hangar, et durant les premiers mois d’internement,
chacun tente comme il peut de survivre... Une solution se présente
en janvier 1941, avec le départ des derniers prisonniers
français vers les stalags d’Allemagne... Le sous-préfet
s’empresse de demander la mise à disposition de l’administration
du camp de Choisel.
Du 27 février au 6 mars 1941, 335 romanichels sont donc
transférés de Moisdon au Camp de Choisel à
Châteaubriant. Ils y occupent un quartier de 11 baraquements
que l’on a pris soin d’isoler par des barbelés
du reste du camp prévu pour d’autres catégories
d’« indésirables ». Mais au fur et à
mesure que ces nouvelles catégories d’internés
remplissent le camp de Choisel, la cohabitation se révèle
conflictuelle et le capitaine Leclercq prend argument de la différence
de statut financier des deux catégories d’internés
pour obtenir la réouverture de Moisdon. En effet, les nomades,
placés en camp à la demande des occupants, dépendent
financièrement de l’administration chargée des
frais d’occupation de l’armée allemande, alors
que les autres prisonniers sont pris en charge par le ministère
de l’intérieur.
En quelques mois, des améliorations substantielles sont
apportées au camp de Moisdon : baraquements militaires du
type « Adrian », dortoirs et réfectoire en maçonnerie,
nouvelles cuisines, etc... si bien que le 7 juillet 1941, quatre
mois après leur arrivée à Choisel, les nomades
sont reconduits à la Forge où malgré l’ouverture
d’une école tenue par un couple d’instituteurs
à partir de janvier 1942 (M. et Mme Tannou), les conditions
de vie se révèlent à nouveau très difficiles,
particulièrement en hiver. L’état du camp apparaît
« lamentable » aux différents groupes d’inspection
qui le visitent en décembre 1941 (voir document 3). Le nouveau
directeur du camp M. Moreau, se défend alors violemment,
il nie les décès d’enfants dénoncés
dans certains rapports, mais il est contraint de reconnaître
que la nourriture est quotidiennement insuffisante... On envisage
donc alors de transférer les nomades ailleurs mais il faut
attendre le mois de mai 1942 et l’injonction des forces d’occupation
qui ne veulent plus de camps dans les départements littoraux
pour que le transfert soit effectif.
Le 13 mai 1942, 267 personnes dont 150 enfants sont déplacées
en wagons de Châteaubriant au Mans pour rejoindre le camp
de Mulsanne. A Mulsanne d’abord puis à Montreuil-Bellay
(49) vont alors se concentrer tous les Tsiganes de l’Ouest
de la France.
Les prisonniers de guerre
Le camp de Choisel qui a abrité pendant quelques semaines
les nomades du département constitue alors le dernier témoin
du Front stalag 183 A établi autour de Châteaubriant
par les forces allemandes.
Occupée dès le 17 juin 1940 la ville de Châteaubriant
doit accueillir en quelques jours plus de 45 000 soldats français
faits prisonniers autour de Nantes et concentrés près
d’un nœud ferroviaire éloigné des grandes
villes. Parqués dans un premier temps près du champ
de courses de Choisel, les prisonniers sont peu à peu répartis
dans des installations moins sommaires :
Le camp A au Moulin Roul sur la commune de Soudan, camp où
l’on regroupe un certain temps plus de 7000 hommes dont les
tirailleurs sénégalais,
Le camp B dans le marais près de la Courbetière
sur la route de Saint-Nazaire dont la capacité dépasse
aussi certains jours plus 7000 hommes,
Le camp D dans le stade de la Ville-en-Bois, sur la route de Nantes,
plus de 5000 hommes
Enfin le camp C dans le champ de courses de Choisel sur la route
de Fercé, camp qui reçoit les aménagements
les plus appropriés et où sont gardés dans
l’hiver 1940-1941 les derniers prisonniers avant leur transfert
en Allemagne.
Les officiers français sont internés dans le collège
Saint Joseph et au château qui sont eux aussi vidés
de leurs occupants à la fin de l’été
1940.
La démolition des installations plus que précaires
établies par les Allemands commence au mois d’août,
le camp de Choisel, comme nous l’avons vu, est le seul à
subsister en janvier 1941 lorsque les derniers prisonniers français
sont emmenés en Allemagne et que l’administration française
en reçoit l’usage.
De juin 1940 à janvier 1941, les Castelbriantais et les
Associations d’Anciens Combattants (dont Léon Jost
et Alexandre Fourny qui seront fusillés à Nantes en
octobre 1941) rivalisent d’imagination et de risques pour
faciliter l’évasion de plusieurs milliers de prisonniers.
Mais au fur et à mesure des semaines, les évasions
deviennent plus difficiles et les Allemands qui un certain temps
acceptent de « prêter » quelques hommes pour des
tâches administratives, restreignent les possibilités
de sortie du camp et plusieurs soldats paient même de leur
vie leurs tentatives d’évasion.
Après janvier 1941, le problème ne se pose plus dans
les mêmes termes, le camp passé sous administration
française et gardé par des gardes accueille des nomades
et des « indésirables ».
Camp de Choisel
Les Indésirables
Les « indésirables » constituent alors une nouvelle
catégorie sociale mise en place au cours de l’entre-deux
guerres dans une atmosphère de plus en plus xénophobe
et raciste.
L’indésirable c’est d’abord l’immigrant
dont on a favorisé la venue dans les années vingt
et que l’on veut renvoyer chez lui avec la crise des années
trente, le réfugié espagnol appartient bien sûr
à cette première catégorie.
L’indésirable c’est ensuite le nouveau français,
le « naturalisé » que l’on soupçonne
de vouloir pervertir la « race » française. Après
1927, la loi en fait un citoyen de seconde zone : interdiction de
se présenter à toute élection, politique ou
professionnelle, avant dix ans, puis au cours des années
trente la loi lui interdit de pratiquer certaines professions (avocat,
médecin...)
L’indésirable c’est ensuite celui que l’on
soupçonne d’être un étranger par ses coutumes,
sa « race », sa religion... On laisse entendre avant
1940 que le Front Populaire a multiplié les naturalisations
d’immigrants venus d’Europe Centrale et du Proche-Orient
parce que les Juifs ont tenté de regrouper leurs coreligionnaires.
Avant même 1940 on qualifie aussi d’indésirable
toute personne que l’on juge indigne d’appartenir à
la communauté nationale, ou qui se sépare de lui-même
de cette communauté : un communiste, à partir d’août
1939, entre dans cette catégorie car il appartient à
un parti dirigé de l’étranger et qui prend des
positions contraires à la Nation.
L’indésirable c’est dans le même temps
tout individu louche, aux activités inavouables : proxénète,
avorteur, gangster, nomade aussi...
L’indésirable est donc tout à la fois l’étranger,
le naturalisé, le juif, le communiste, le souteneur, etc...
L’internement au cours de l’hiver 1940-1941, de toutes
ces populations, ensemble, dans les mêmes camps, sous la même
dénomination, contribue encore à renforcer l’amalgame
dans l’esprit des « honnêtes gens ».
Ainsi que nous l’avons vu à propos des nomades leur
internement a commencé très tôt, avant même
la déclaration de guerre. Le premier camp, le camp de Rieucros
en Lozère est créé le 21 janvier 1939 par un
décret signé conjointement par A. Lebrun, président
de la République, E. Daladier, président du Conseil
et A. Sarrault, ministre de l’Intérieur. Le décret
fait référence aux décrets-lois du 2 mai et
du 12 novembre 1938 ; des mesures secrètes élaborées
par l’état-major en avril 1939 ont complété
ce dispositif en envisageant l’internement de tous les étrangers
de sexe masculin de 17 à 50 ans et leur embrigadement dans
des unités de travailleurs... Cependant ce dernier document
qui envisage déjà la multiplication des centres d’internement
à travers la France n’en prépare pas l’existence
concrète, ce qui explique le flou, l’improvisation
complète que l’on ressent encore à Choisel au
printemps 1941.
En février 1941, le camp de Choisel ouvre sous la direction
du capitaine L. Leclercq (voir document 4). De février 1941
à mai 1942, 1278 personnes sont donc enregistrées
sur les listes de Choisel, des personnes détenues pour des
motifs très divers à la demande des autorités
française, elles sont placées sous l’autorité
du chef de camp et d’autres fonctionnaires dépendant
du ministère de l’intérieur, et surveillées
par des gendarmes dont l’armement est sévèrement
contrôlé par l’armée d’occupation.
Les internés s’y retrouvent pris dans un piège
qui se referme tragiquement sur certains : l’armée
d’occupation y trouve tout à sa convenance quelques
juifs qui sont transférés vers les camps du bassin
parisien puis vers l’Allemagne, des listes de résistants
internés comme « gaullistes » et enfin des otages.
Les communistes qui forment le groupe de loin le plus important
et le plus solidaire sont arrivés dans la première
moitié du mois de mai en provenance de centres de détention
de Nantes, du Croisic mais aussi d’autres centres du Nord
et de la centrale de Clairvaux...
C’est parmi eux que l’on prend les otages :
Vingt-sept, le 22 octobre 1941, exécutés à
la Sablière sur la route de Soudan ,
Neuf autres exécutés à la Blisière
en Juigné-les-Moutiers, le 15 décembre,
Deux autres le 7 mars 1942, deux le 7 avril, quatre le 23 avril
puis deux autres le 29 avril, tous exécutés à
Nantes,
Entre temps, le 7 février 1942, neuf internés sont
transférés à Compiègne où trois
sont exécutés.
Les premiers communistes arrivent à Choisel en avril et
surtout en mai 1941, les femmes en juillet. Malgré, ou plutôt
à cause de la menace qui pèse sur eux, ils s’organisent
et imposent leur fonctionnement au chef du camp : un responsable
par baraque, un comité d’organisation aux réunions
quotidiennes.
Les premières décisions concernent les règles
élémentaires d’hygiène que le chef et
les nomades n’avaient pas respectées, puis ils secondent
dans la mesure du possible l’administration du camp : appels,
visites, colis de nourriture, etc... Ils deviennent vite indispensables
au capitaine Leclercq qui les laisse faire...
Dans le même temps ils entreprennent de maîtriser leur
temps, de maintenir leur condition physique et d’approfondir
leur formation intellectuelle.
A la culture physique quotidienne, ils ajoutent des rencontres
sportives dominicales malgré leur affaiblissement consécutif
à la mauvaise qualité et à la faible quantité
de nourriture.
La lecture individuelle (il y a au camp une bibliothèque
créée par les internés que le chef de camp
prend bien soin d’« enrichir » d’œuvres
du Maréchal) est complétée par des cours de
l’« Université populaire ».
Quant aux activités manuelles, soutenues par le chef de
camp qui cherche à améliorer les conditions matérielles,
elles sont prétexte à des scènes burlesques
qui viennent s’ajouter aux autres temps de « loisir
» : théâtre, chants, danses...
La remise de l’objet fabriqué par les menuisiers ou
de l’équipement construit par les terrassiers est «
solennisée » par des défilés, des discours
.
Mais le moral dépend surtout des liens conservés
avec l’extérieur, avec les familles, liens qui passent
le plus souvent par le courrier. Ce dernier intéresse aussi
les fonctionnaires du camp qui ne manquent jamais d’en donner
la teneur dans leurs rapports, ils y recherchent des indices de
complot et d’évasion
Si la révolte est difficile et vouée à l’échec
par la présence proche de renforts de gendarmerie et de troupes
allemandes, les évasions semblent davantage à la portée
des internés, surtout en mai et juin 1941, alors que les
effectifs gonflent rapidement et que la surveillance reste assez
lâche. En juin, 13 détenus réussissent la «
belle » dont 5 communistes, tous cadres du parti. Les évasions
de R. Semat, L. Mauvais, J. Raynaud, E. Henaff et Fernand Grenier
(ancien député, futur ministre) que les autorités
françaises ne peuvent toujours expliquer, les conduisent
à soupçonner l’existence de complicités
entre des détenus et des gardiens. L’encadrement du
camp, doit céder la place fin juin à une nouvelle
équipe dirigée par Charles Moreau et Lucien Touya.
Ce sont cependant d’autres évènements qui entraînent
la fermeture du camp au printemps 1942. Si les problèmes
d’hygiène sont réels à Moisdon, c’est
vraisemblablement l’évolution de la guerre et la crainte
des Allemands de voir des regroupements d’indésirables
trop proches du littoral et des coups de main alliés (raid
sur Saint-Nazaire de mars 1942), qui les amènent à
imposer la fermeture des deux camps.
La Forge et Choisel sont fermés au 15 mai 1942, et les internés
dispersés dans des camps plus « spécialisés
»
Les collabos
Les internés partis, l’armée allemande réoccupe
le camp qui devient une base logistique pour les troupes de passage.
Parmi celles-ci il y a en 1943 et 1944 plusieurs groupes de nouvelles
recrues, des jeunes et des moins jeunes, qui sont en France pour
parfaire leur formation militaire avant de partir vers le front
de l’Est. Ils occupent parfois les autres installations existantes
comme celles du camp de Ruigné où ils séjournent
plusieurs semaines.
Au moment de la libération, le 5 août 1944, le camp
de Choisel est partiellement abandonné mais les besoins de
l’épuration entraînent sa réouverture
provisoire. Le sous-préfet Le Gorgeu, qui s’est placé
sous l’autorité du commissaire de la République
pour la Bretagne, y fait interner les collaborateurs les plus notoires
avant de les transférer sur Rennes car Nantes et Angers restent
momentanément sous le contrôle des Allemands.
Le camp est officiellement réouvert le 21 septembre 1944.
A cette date les derniers FFI qui s’y étaient installés
ont déjà quitté les lieux et des travaux sont
immédiatement entrepris pour pouvoir accueillir plus d’un
millier de détenus. Ceux-ci viennent de Loire-Inférieure
et des départements voisins, de la région qui ne s’appelle
pas encore « les Pays de la Loire ».
Dès l’ouverture du camp de nombreuses rumeurs circulent
à Châteaubriant sur la nourriture abondante et des
conditions de détention trop douces tolérées
par le directeur du camp. Le Comité Local de la Libération
et la section du PCF menacent à plusieurs reprises de manifester
dans le camp pour y imposer une organisation plus décente,
mais ce sont en juin 1945, plusieurs centaines d’anciens prisonniers
et de déportés qui se présentent devant le
camp. Si leurs délégués sont reçus par
les autorités, ils ne sont cependant pas admis à vérifier
par eux-mêmes le bien ou le mal fondé des rumeurs.
C’est ce que font au contraire des inspections sanitaires
venues de Nantes qui constatent un début de dysenterie et
craignent le développement d’épidémies.
Mais en cet été 1945, la vie quotidienne devient encore
plus difficile malgré la fin de la guerre, les rations alimentaires
baissent à Châteaubriant, la ration de viande des J
3 passe de 1000 grammes à 250 grammes par mois !
Peu à peu cependant le nombre de détenus diminue
et la nouvelle municipalité de Châteaubriant fait tout
ce qui est en son pouvoir pour empêcher la pérennisation
du camp qu’elle ne peut éviter. Dans les premiers jours
de l’année 1946, Choisel passe sous le contrôle
de l’administration pénitentiaire qui en fait une dépendance
de la centrale de Fontevrault. Rapidement une centaine de détenus
s’y retrouvent et les « politiques », anciens
collaborateurs, y sont les plus nombreux. La pression de la municipalité,
des propriétaires des terrains et du fermier chassé
de chez lui depuis le 20 juin 1940, aboutit enfin à la fermeture
du camp, effective à l’automne 1946. A ce moment les
derniers prisonniers démolissent les baraques que l’administration
pénitentiaire récupère, n’en laissant
que deux ou trois exemplaires à la municipalité.
Les Castelbriantais soupirent, les barbelés placés
en 1939 et 1940 disparaissent. La Carrière des fusillés
et la Blisière deviennent des lieux de pèlerinage,
seuls témoins d’une période d’exclusion
et de mort ; sans oublier le passé, ils peuvent enfin se
tourner vers l’avenir.
F. MACE, Octobre 2000, à l’occasion d’une exposition
au Château de Châteaubriant
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P.-S.
Plan général du site Résistance
Texte du livre "Telles furent nos jeunes années",
téléchargeable ici : http://www.journal-la-mee-2.info/bp/LivreMee.pdf
Plan du livre
Index du livre
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