Origine : http://www.chateaubriant.org/spip.php?article76
Qiero dormir ...
Quiero dormir el sueño de las manzanas
Je veux dormir du sommeil des pommes
Alejarme del tumulto de los cementorios
Loin du tumulte des cimetières
Quiera dormir el sueño de aquel niño
Je veux dormir du sommeil de cet enfant
Que queria cortarse en corazoñ en alta mar
Qui souhaite se transpercer le cœur en haute mer
Federico Garcia Llorca
(Gacela de la muerte oscura)
18 juillet 1936 : pour faire échec à la République
qui a pris le pouvoir en Espagne lors des élections de février
1936, le Général FRANCO et les troupes du Maroc, débarquèrent
dans la péninsule ibérique. Ce fut le début
de la Guerre civile espagnole. Hitler et Mussolini apportèrent
leur aide massive (armes et soldats) au Général Franco.
Le pays se transforma en champ de bataille du fascisme contre le
gouvernement régulier de Front Populaire.
La Guerre d’Espagne se révéla être le
banc d’essai des armes et techniques nouvelles (surtout dans
le domaine de l’aviation) qui allaient être utilisées
dans la Seconde Guerre Mondiale. Elle prit fin le 28 mars 1939.
Commença alors la dictature franquiste.
L’article qui suit rappelle le souvenir des réfugiés
espagnols qui arrivèrent en Loire-Atlantique (La Loire-Inférieure
d’alors) à la suite de la débâcle des
Républicains. Certains ont fait souche dans notre pays et
sont restés dans la région. Grâce aux témoignages
des survivants qui étaient alors des enfants ou des adolescents,
il est possible de retracer à grands traits l’arrivée
et la vie de ces personnes déplacées dont plus de
la moitié fut installée dans la région de Châteaubriant
dans les camps de la Forge à Moisdon-la-Rivière et
de Juigné-les-Moutiers. Les archives départementales
conservent des dossiers très importants qui demanderaient
une étude beaucoup plus approfondie
(article fait par Noëlle Ménard à la demande
de l’association nantaise “ Les anneaux de la Mémoire
”)
LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE
La Guerre Civile Espagnole, 1936-1939, laissa I’Espagne exsangue
avec au moins 600 000 morts et des milliers de gens sur les routes.
(1)
Dans les derniers mois de 1938 et au fur et à mesure de
I’avancée des armées franquistes vers le Levant
et la Catalogne, les sympathisants du gouvernement légal
républicain, menacés dans leur vie, commencèrent
à se regrouper à la frontière catalane. Les
historiens évaluent à au moins 400 000 le nombre de
personnes accueillies en France avant la fermeture définitive
de la frontière par Franco.
Dès le début des hostilités, en 1936 et 1937,
un petit contingent d’Espagnols, souvent originaires du Pays
Basque et des Asturies , transporté par des bateaux anglais,
avait été dispersé dans toute la France : 236
personnes furent ainsi hébergées à Ancenis
Quelques jours avant la chute de Barcelone (26 janvier 1939), le
ministre des affaires étrangères Alvarez del Vayo
rencontra son homologue français Georges Bonnet et le supplia
d’accueillir les partisans de la République et leurs
familles. Il fut alors envisagé de regrouper ceux-ci en Espagne
sur un territoire neutralisé et administré par la
France laquelle serait également chargée du logement
et de la nourriture. Bien entendu, cette solution imaginée
dans les chancelleries n’eut aucune suite sur le terrain.
FRANCO prit tout le monde de court. Il n’y avait plus d’autre
alternative pour les républicains que la fuite, la prison
ou la mort.
Le 27 janvier la frontière du Perthus s’ouvrit sur
I’ordre du gouvernement Daladier :100 000 personnes attendaient
déjà. On en fera passer dans un premier temps 2000
par jour... puis dans I’urgence un nombre indéterminé.
Les hommes, considérés comme des soldats, sont alors
systématiquement envoyés dans des camps situés
entre Carcassonne et la frontière (Le Vernet, Bram, Sept-Fonds,
Rieucros, Agde, Le Barcarès, Rivesaltes, Saint-Cyprien, Argelès,
Collioure)
Dans la confusion qui régna, les familles furent séparées
et il faudra ensuite des mois pour rétablir le contact. 45
trains sont mis en place par le ministre des Travaux Publics pour
évacuer vers I’intérieur 45 000 personnes, essentiellement
des femmes, des enfants et des hommes invalides. Les préfets
ne disposent que de quelques heures pour accueillir et répartir
leur contingent de réfugiés. Le département
de Loire Inférieure recevra pour sa part 2800 personnes (1er
avril 1939) dont une bonne partie sera dirigée vers le nord
du département et sur la côte où se trouvaient
des bâtiments inoccupés. Chaque commune fut priée
d’affecter des locaux même si ceux -ci étaient
précaires.
Odelinda GUTIERREZ DIEZ FERNANDEZ se souvient du voyage de Barcelone
au Perthus (160 km) fait à pied et en camion, sous les bombardements
allemands et italiens.
Odelinda a aujourd’hui 67 ans. EIle est originaire de Gijon
dans les Asturies. Son père, Juan DIEZ FERNANDEZ était
militaire de carrière dans I’armée régulière
espagnole. Sa mère Ramona DIEZ ARGUELLES avait également
deux autres filles plus jeunes : Paz née en 1937 et la petite
Amapola née en 1938 au cours de I’exode à Barcelone.
La famille franchira la frontière le 8 février 1939.
(Le père attendra le 10). Aussitôt, la famille fut
mise dans un train vers une destination inconnue qui s’avéra
être Châteaubriant. Le train s’arrêtait
dans toutes les gares pour déposer à chaque fois des
femmes et des enfants. La famille DIEZ FERNANDEZ était si
fatiguée et dénutrie qu’elle fut tout à
suite dirigée vers I’hôpital le temps de reprendre
quelques forces.
Logés à la mairie de Châteaubriant
A Châteaubriant, on commença à s’organiser.
Le maire, Ernest Bréant, fait acheter tout de suite du matériel
(couvertures, cuisinière, batteries de cuisine) pour les
110 personnes installées en hâte au rez-de-chaussée
de la mairie. D’autres sont hébergées à
la salle Lutétia (*) et dans des entrepôts privés
comme chez Larose, rue Hoche.
Le 18 mars 1939, le Préfet publia une première liste
des réfugiés espagnols envoyés dans d’autres
départements et recherchant des membres de leurs familles.
Plusieurs fois par mois, la Préfecture renouvellera I’opération.
Des cartes d’identité sont délivrées
aux réfugiés avec une simple déclaration sur
I’honneur. Certaines fiches conservées aux archives
sont incomplètes, car le fonctionnaire n’a pu obtenir
les renseignements. C’est ainsi que Justo Fernandez, 33 ans,
né à Oviedo et demeurant à Barcelone, est évacué
sur Sion-les-Mines sans plus de précisions, car I’intéressé
est muet.
Les « rouges »
La population de Châteaubriant regarde d’un drôle
d’air ces "rouges" qui occupent le rez-de-chaussée
à la mairie et qui peuvent coûter cher. Ernest Bréant
est interpellé au conseil municipal du 29 mai 1939 par M.
Renaud Conseiller municipal. Celui-ci s’inquiète "des
frais d’éclairage du rez-de-chaussée de la mairie
transformé en centre d’hébergement". Le
maire lui répond que "les frais sont pris en charge
par la sous-préfecture", il indique aussi "qu’il
est intervenu auprès de Monsieur le Sous-Préfet pour
que les réfugiés soient transférés prochainement
dans les nouveaux cantonnements de la Forge à Moisdon-la-Rivière
et dans la région de Juigné. Il espère que
les locaux de la mairie seront libérés avant un mois."
Le préfet organise déjà quelques rapatriements
au compte-gouttes pour quelques volontaires dès avril-mai
1939.
Pendant ce temps-Ià, les réfugiés tentent
de survivre car ils manquent de tout. La Commission Internationale
des Populations civiles d’Espagne, d’obédience
communiste, est autorisée par le Ministre de I’intérieur
à envoyer des vêtements de première nécessité
(robes, tabliers, chemises, sandales, brosses, savons, etc..). Des
galoches (289 paires) suivront quelques semaines plus tard.
Les enfants espagnols reçoivent I’autorisation d’être
scolarisés, mais ils manquent de fournitures. Le 7 août
1939, M. Gondy, secrétaire de la Bourse du Travail à
Nantes envoie "une petite somme d’argent pour acheter
crayons et cahiers". La SFIO écrit de son côté
au préfet pour demander des nouvelles des réfugiés.
Un enfant, Javier NOVAS, dont le père est décédé,
est envoyé en URSS, avec I’accord de sa mère.
Des centaines d’enfants de communistes espagnols orphelins
seront en effet accueillis par les soviétiques et répartis
sur leur territoire. D’après le témoignage de
Julio Gonzalez, publié en Mayenne en 1996, ces enfants ont
été éduqués dans des institutions en
URSS, ils ont pu conserver leur langue et certains ont pu revenir
en France après la guerre. (L’oribus-avril 1996)
Le Camp de la Forge
A Moisdon-la-Rivière, on prépare activement le Camp
de la Forge, malgré les protestations du Maire Paul Ginoux-Defermon
qui écrit que "la population a une hostilité
extrêmement vive" vis à vis des réfugiés.
Monsieur Michau, propriétaire de la Forge et des longères,
accepte de louer le manoir et la charpenterie pour un loyer de 1000
francs le 25 mai 1939. Le lendemain, les anciennes ardoisières
de la Tangourde à Juigné-les-Moutiers sont également
louées. Dans les jours qui suivent, 700 personnes, en majorité
des femmes et des enfants , venant de tout le département
sont acheminées à la Forge.
L’administration a cherché en hâte du personnel
pour les encadrer.
Monsieur Legoff, inspecteur de la police spéciale en retraite,
accepte de diriger le camp de Moisdon. Il est aidé par un
sous-chef de poste et six gardes. A Juigné, Charles Cadot,
retraité de la gendarmerie à Châteaubriant,
fait de même.
300 planches et 200 pieds
Le sous-préfet Arnaud pare au plus pressé. Il commande
300 planches et 200 pieds, ainsi que 620 paillasses et 600 kg de
paille pour assurer le couchage. L’installation est sommaire,
I’eau potable manque. La Croix-rouge fait de nombreuses visites
et réconforte les réfugiés.
Madame Arnaud, femme du sous-préfet, s’occupe personnellement
de la petite Amapola (coquelicot en espagnol) Diez Fernandez qui
est un bébé malingre à peine âgé
d’un an. EIlle est aidée par des castelbriantaises,
Mesdames Roussel, Nivert, Larose, Lebastard, Delanoue, Chailleux,
Bicot, Cassin et beaucoup d’autres
D’après le livre de comptes du camp de Juigné,
il apparaît que la nourriture était variée et
chose plus surprenante adaptée au goût des Espagnols.
A côté des légumes habituels on relève
I’achat de pois chiches qui n’étaient pas beaucoup
consommés à Châteaubriant. Le fournisseur attitré
est Amador Castañer, qui tenait boutique, rue Aristide Briand
à I’enseigne "Au palmier de Valencia". S’il
y a de la morue en quantité, manque I’huile d’olive.
L’état sanitaire des camps est correct. Des infirmières
ont été réquisitionnées et les médecins
sont appelés régulièrement. L’administration
a très peur des épidémies aussi elle ne lésine
pas sur les médicaments et les hospitalisations. Chaque mois
le préfet continue à publier des listes de personnes
disparues. Ces listes écrites en espagnol permettent de connaître
I’origine géographique des réfugiés.
S’ils viennent de toute I’Espagne, leur dernier domicile
connu se trouve souvent être la Catalogne (Provinces de Barcelone
et de Gérone). Il y a peu d’indications sur les professions
exercées, d’autant plus qu’il y a une majorité
de femmes. Parmi les réfugiés se trouvent un certain
nombre d"’indianos" c’est-à-dire des
Espagnols nés en Amérique , comme Emilia Marquez Villazon,
née en Floride ou Dolorès Elias Martin née
à Cuba en 1915. Pour des raisons de sécurité,
le préfet interdit le regroupement des familles dans le cas
où les réfugiés ont des parents près
de la frontière espagnole.
La population de Châteaubriant fait son possible
La population de Châteaubriant, après le choc des
premiers jours, a fait son possible pour adoucir le sort de ces
pauvres gens. Une lettre du sous-préfet est très significative
à cet égard. Celui-ci écrit que dans un premier
temps la population "était assez réfractaire"
mais "elle a été vivement impressionnée
par la dignité des réfugiés et par leur attitude
pleine de sagesse. Entraînée par des hommes de bonne
volonté qui ont constitué le Comité d’accueil,
il semble, si I’on excepte quelques hostilités irréductibles,
que les réfugiés soient acceptés sans difficultés."
Le sous-préfet ajoute : "Toutes les associations et
groupements ont aidé à ce résultat, et je ne
saurai passer sous silence, comme majeure de ce revirement, toute
l’aide que j’ai trouvée dans LE COURRIER DE CHATEAUBRIANT
(organe des partis modérés) et dans les autorités
ecclésiastiques qui n’ont pas hésité
à organiser, dans les locaux du Cercle catholique, une représentation
au bénéfice des réfugiés"
Des témoins de l’époque affirment que cet afflux
de réfugiés a été pour la première
fois la cause d’un rapprochement des deux camps traditionnellement
hostiles (catholiques et laïcs), préfiguration de ce
qui se passera pendant et après la guerre.
.. à
Moisdon, on craint pour les filles !
31 août 1939 Paul Ginoux Defermon, maire de Moisdon, demande
au sous-préfet I’évacuation de la Forge car
"les femmes (de Moisdon) sont effrayées à la
pensée de se défendre de ces indésirables dont
le nombre est d’environ 800". En fait , les moisdonnaises
n’avaient aucune raison d’avoir peur car dans le camp
il n’y avait que des femmes, des enfants et quelques hommes
invalides... Mais avec "les rouges"... on ne sait jamais.
On notera que les mentalités à la campagne sont plus
figées qu’à Châteaubriant qui possède
une vieille tradition républicaine. Les habitants de Moisdon
sauf exception ne manifesteront pas de sympathie, ils venaient voir
avec curiosité ces gens qui leur semblaient venir d’une
autre planète.
Résister aux convois
La Pologne est envahie le 1er septembre 1939.
L’administration se fait alors plus pressante pour organiser
le retour volontaire ou non des réfugiés en Espagne.
C’est dans ce contexte que des évasions ont lieu et
surtout qu’un Comité révolutionnaire se constitue
dans les deux camps. “ Il s’occupe d’organiser
une propagande à travers les réfugiés, les
engageant à résister à tous les départs
de nouveaux convois en direction de I’Espagne." ”
écrit le sous-préfet.
La secrétaire du comité de Moisdon est Gabriela Abad
Miro. A Juigné, la résistance s’organise sous
la direction de Teresa Alonso Gutierriez, 22 ans, assistée
d’une demi douzaine de compatriotes. Le préfet note
"qu’il est à remarquer que toutes ont demandé
à partir pour la Russie".
Certains qui ont la chance d’avoir des relations ou de la
famille, peuvent encore partir au cours de I’été
1939 pour les Etats-Unis, Cuba, le Chili, Tetouan et Tanger.
Les journaux espagnols républicains publiés en France
sont vite interdits par le ministre de I’lntérieur.(
Voz de Madrid, Espana, ABC, La Vanguardia de Barcelona etc...).
Celui-ci envoie par télégrammes au préfet,
des listes de publications qui risquaient peu de se retrouver à
Moisdon.
Le sous-préfet Arnaud écrit à plusieurs reprises
que "les réfugiés gardent une attitude très
digne".
Engagés dans l’armée française
24 septembre 1939, la guerre est déclarée depuis
trois semaines. Les circulaires du gouvernement se multiplient :
il faut coûte que coûte renvoyer le plus possible d’Espagnols
à I’exception de ceux et de leurs familles qui se sont
engagés dans les Compagnies de Travailleurs Espagnols, au
service de I’armée française. Il en est de même
pour ceux qui ont trouvé un emploi. Le sous-préfet
avec beaucoup de courage indique par lettre "qu’il ne
peut séparer les parents et les enfants pour les renvoyer
en Espagne".
196 enfants sont encore à Moisdon et 106 à Juigné.
La famille DIEZ FERNANDEZ, c’est à dire la mère,
Ramona, et ses trois petites filles vivent à la Forge. Il
y a de nombreux courriers concernant cette famille, car le père
militaire de carrière "est dans une compagnie de 7e
(auxiliaires) depuis le début des hostilités, il est
en instance d’engagement dans I’armée française".
Cet engagement permettra à sa femme de toucher une allocation
militaire de 20,50F par jour
Des personnes interviennent pour éviter des départs
forcés, comme I’adjoint au maire de Saint Nazaire qui
plaide pour une femme qu’il connaît, afin d’éviter
son expulsion, ce qui lui a été accordé. Les
rapatriements commencent à faire du bruit. Un certain Monsieur
Pringt de Cholet interpelle par lettre le préfet pour protester
contre ses décisions. Celui-ci ne répond pas mais
dans une note interne, visiblement excédé, iI dit
à ses collaborateurs de demander à ce monsieur "de
s’occuper de ce qui le regarde"....
Le 24 octobre 1939, il reste 996 Espagnols à Juigné
et Moisdon, se répartissant ainsi :
688 à la Forge (306 femmes, 356 enfants et 26 hommes invalides)
308 à Juigné( 150 femmes et 150 enfants)
L’arrivée d’autres réfugiés est
telle, que I’administration décide de disperser les
Espagnols et de les pousser au maximum à rentrer en Espagne.
Des lettres de propagande de I’Ambassade d’Espagne en
France sont distribuées à cet effet. Franco promet
d’accueillir sans poursuites les exilés.
Mensonges...
Ceux qui retournent sont aussitôt internés dans les
geôles du Caudillo. La répression est féroce.
Des milliers de prisonniers sont affectés à la construction
de "La valle de los caidos" auprès de I’Escorial.
Ce chantier souterrain gigantesque (cathédrale taillée
dans le roc) est un bagne terrible. Beaucoup de prisonniers mourront
d’épuisement. FRANCO, à sa demande y sera enterré
en 1975.
Les camps sont officiellement dissous à la fin du mois d’octobre
1939. Ne restent dans les cantonnements qu’une douzaine de
familles. Entre le 1er septembre et le 31 octobre, 28 personnes
de Juigné seront renvoyées en Espagne, tandis qu’à
la Forge, sur 826, 87 sont parties, plus ou moins volontairement.
De semaine en semaine le gouvernement incite les préfets
à accélérer les rapatriements en "raison
des dépenses d’assistance". Il faut que les gens
fassent la preuve qu’ils vont subir des représailles
pour obtenir I’autorisation de rester. Mais le meilleur moyen
pour les Espagnols est encore de remplacer les hommes mobilisés,
ce qui est le cas aux mines de Rougé et à la carrière
de Saint-Vincent des-Landes.
Au cours de cet automne 1939, les castelbriantais accueillent successivement
des Belges, des Polonais et des Français du nord de la France,
prélude à ce qu’ils verront I’année
suivante (30 000 prisonniers de guerre et des prisonniers politiques
à Choisel).
La famille DIEZ FERNANDEZ quitte le camp au début de 1940
pour une petite maison à I’extérieur de Châteaubriant
(Laudais). Le père de famille vient en permission une dernière
fois et écrit à sa famille.
Les petites filles sont scolarisées à I’école
publique de Béré. En partant au début de 1940,
Madame Arnaud, confie à la famille espagnole son chat et
les poulets élevés dans les jardins de la sous-préfecture....
Une deuxième guerre commence
Après I’invasion de la France par les Allemands, les
Espagnols ne sont plus protégés. Une deuxième
guerre commence pour eux.
Pour un nombre non négligeable, ce sera de nouveau les camps
d’internement français. Beaucoup seront alors livrés
par le gouvernement de Vichy à Franco. Les Allemands s’intéressent
aussi de près à ces prisonniers un peu spéciaux,
ennemis du Reich depuis 1936, en particulier aux membres des Compagnies
de Travailleurs espagnols ou à ceux qui se sont engagés
dans I’armée française. Ils seront retirés
des camps de prisonniers et directement envoyés à
Mauthausen où une majorité sera exterminée.
Ce fut le cas de Juan DIEZ FERNANDEZ.
Sa femme Ramona déménagea dans la rue de Couëré
et survivra grâce à la fabrication des savons.
Ceux qui résidaient encore sur place, furent repérés
par les occupants et forcés à s’intégrer
aux Groupements de Travailleurs Etrangers et employés par
milliers à la construction du mur de I’Atlantique et
dans I’organisation Todt
Quelques uns parviendront à s’évader et à
rejoindre les maquis. D’autres réussiront à
rejoindre la France libre, quelquefois même en passant par
I’Espagne !
En 1944, des Espagnols débarquent en Normandie dans I’armée
Leclerc et entrent dans Paris sur des chars rappelant la guerre
d’Espagne : "Madrid", "Teruel", "Ebro"
etc...
Après la Libération de la France, chaque cas de travailleur
forcé sera examiné mais aucune sanction ne sera prise.
L’espoir déçu
Beaucoup d’exilés espagnols espéraient rentrer
en Espagne assez vite, croyant que Franco serait balayé rapidement
après la défaite d’Hitler.
Il faudra attendre 1975, avec la mort du Caudillo, pour que la
démocratie ait enfin droit de cité en Espagne. Quelques
personnes âgées avaient obtenu le droit de repartir
dans leur pays, mais les risques étaient grands jusqu’au
milieu des années 1960. II était de toute façon
impossible de revenir en France, ne serait-ce que pour quelques
jours.
En attendant, les familles espagnoles restées en France
se sont complètement intégrées. Voyant que
le retour en Espagne se faisait de plus en plus problématique,
une grande partie a demandé la nationalité française,
ce qui était plus confortable que le statut d’apatride.
La jeune Amapola DIEZ FERNANDEZ est devenue pupille de la nation
car son père a été déclaré "
mort pour la France." .
Les jeunes ont fréquenté I’école et
les clubs sportifs en particulier de football. Ce qui fut le cas
à Châteaubriant, de I’Amicale Laïque et
des Voltigeurs qui ont accueilli dans leur sein des joueurs remarquables
(Ballester, Jimeno, Gutierrez, Franco etc..). La première
génération a souvent épousé des compatriotes,
mais la suivante s’est fondue dans le creuset français.
Ramona Diez Fernandez mourra à Châteaubriant en 1984
après avoir revu I’Espagne., elle avait pu en 1970
se rendre à Gijon.
Ne restent désormais que des dossiers d’archives et
les souvenirs d’une tragédie oubliée.
Noëlle Ménard
Octobre 1997
Je remercie particulièrement Amapola Grelet Diez Fernandez
et Odelinda Gutierrez Diez Fernandez de leurs témoignages
si précieux.
Lire aussi le numéro 2/1995 de la revue « Etudes Tsiganes
», en vente au 2 rue d’Hautpoul, 75019 Paris
Un site à découvrir : http://mayvon.chez.tiscali.fr/
Notes complémentaires
Et soudain ma mère hurle
8 février 1939 : La guerre civile fait rage depuis près
de 3 ans en Espagne. Depuis quelques jours la frontière française
est ouverte au col du Perthus. « Nous avons marché,
marché » se souvient Odelinda (76 ans). Madame Ramona
Diez, portant son unique valise sur la tête, tient la petite
Amapola (9 mois) dans ses bras. A ses jupes s’accrochent Odelinda
(7 ans à l’époque) et Paz (2 ans). Soudain Ramona
hurle. « Je m’en souviendrai toujours, dit Odelinda.
La bousculade avait emporté ma soeur » . Un soldat
républicain espagnol, heureusement, la retrouve et aide la
femme et ses trois filles à passer la frontière. «
Après je ne me souviens plus très bien. Je sais que
nous sommes arrivées à Châteaubriant avec d’autres
Espagnols. Nous avons été très bien reçues.
».
Après Châteaubriant où les réfugiés
ont été logés au rez-de-chaussée de
la mairie, un campement de fortune est aménagé à
La Forge Neuve à Moisdon. Odelinda raconte comment elle a
retrouvé son père, pour une semaine seulement (engagé
dans l’armée française, il mourra plus tard
à Mauthausen), comment sa mère et ses sœurs ont
réussi à survivre tant bien que mal, aidées
par des femmes de Châteaubriant. Comment, après la
guerre, sa mère faisait des ménages ... et du savon
qu’elle vendait dans toute la ville.
Odelinda (76 ans) et Peppe (89 ans)
Par la suite Odelinda épousera José Guttierez (dit
Peppe), combattant républicain espagnol, interné en
France et venu à Châteaubriant, après guerre,
pour jouer ... au foot.
Le collège de Missillac (Loire-Atlantique), ayant eu connaissance
de cette histoire, que raconte Noëlle Ménard, a pris
contact avec Odelinda Guttierez. Celle-ci est allée apporter
son témoignage au collège le 23 mars 2007, et visiter
l’exposition, réalisée par les élèves,
sur la Guerre d’Espagne. Une histoire qui est la sienne mais
qui est aussi en partie celle de Châteaubriant. Les jeunes
de Missillac ont été séduits par le naturel
de ce vieux couple et marqués par cette époque de
leur vie. « On lit cela dans les livres mais cela fait quelque
chose de l’entendre raconter par des vrais gens ».
Espérons que cette exposition pourra venir à Châteaubriant.
En hommage aux Espagnols devenus Castelbriantais.
P.-S.
(*) qui ne portait pas encore ce nom à l’époque
Madrid (chanson de Guy Bontempelli)
On entre dans Madrid et Madrid est soumise
A genoux l’Espagnol baise les parvis
Pourtant il y avait du sang sur ses chemises
Qui sèchent à Madrid en travers du ciel gris
On entre dans Madrid et Madrid est stérile
Le silence a gagné sur l’écho des tambours
Lorsque le sang des morts n’est pas indélébile
Il suffit de la pluie sur le pavé des cours
Bénis soient les canons les brèches sont ouvertes
Il fleurit l’Evangile il fleurit le lilas
Ce lilas dont on sait vos épaules couvertes
Monseigneur Diaz évêque de Gomorra
Est-ce le jour qui point est-ce Madrid qui brûle
Madrid a-t-elle encore quelque chose à brûler
On fusille peut-être à l’aube des cellules
L’incendie qui s’éteint rallume des bûchers
Moi qui n’ai que vingt ans que veux-tu que j’en sache
Sinon ce morne oubli sinon cette rumeur
Et ces corps étendus offerts à la cravache
Lorsque les rues du soir se gonflent de dormeurs
Bénis soient les canons le cloches carillonnent
On voit passer partout des Jésus en haillons
Sur leur tête s’étoile en guise de couronne
Le barbelé tressé qui leur saigne le front
On entre dans Madrid, Madrid est famélique
Il faut survivre, flic ou bien prendre l’habit
Le peuple-roi devient le peuple domestique
Le peuple à deux genoux polit les crucifix
Bénis soient les canons les brèches sont ouvertes
Ouvertes entre les rues d’où s’échappe
un gamin
Pourquoi pas celui-là qui donnera l’alerte
Et qui naît à Madrid pauvre et républicain.
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