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Origine :
http://www.moisdon-la-riviere.org/articles.php?lng=fr&pg=454
Une installation lente et difficile
Lorsque le camp ouvre ses portes le 11 novembre 1940, peu d’aménagements
ont été effectués par le sous-préfet.
En réalité, seule une clôture a été
installée après que le sous-préfet ait réquisitionné
l’usine désaffectée appartenant à la
Société Anonyme des Ferriers de l’Ouest. Le
camp ainsi encerclé permet d’accueillir trois cents
nomades. Les bâtiments, en très mauvais état,
sont inhabitables à l’approche de l’hiver et
du froid, si bien que la plupart des nomades logent dans leurs roulottes,
une douzaine de personnes étant parquées dans chaque
voiture. Il n’existe ni eau potable, ni système de
douches, et les WC sont en nombre insuffisant. De même, aucun
matériel médical n’existe. A peine un mois après
l’ouverture du camp, fin novembre, deux cent vingt-deux personnes
sont internées dans ce camp insalubre.
Elles sont surveillées par vingt-et-un gardes mobiles, placés
sous l’autorité d’un adjudant, lui-même
sous l’autorité du sous-lieutenant de gendarmerie commandant
la section de Châteaubriant. L’administration du camp
est, quant à elle, assurée par cinq prisonniers de
guerre français du camp de Choisel, mis à la disposition
du sous-préfet par les autorités allemandes le 4 novembre
: Georges ARDOISE, régisseur du camp, qui est aidé
dans son travail par Robert MARTEL, Jean POIRSON, Pol REGNAULT et
Alcide NOCHEZ. Dès l’ouverture, ils doivent faire face
à de nombreux problèmes, dont ceux liés au
manque de crédits et à l’arrivée massive
des nomades. Mais ils n’ont guère le temps d’y
réfléchir profondément puisque, le 25 novembre,
ils sont rappelés par les autorités allemandes pour
sanctionner l’évasion de deux prisonniers du camp de
Choisel. Le sous-préfet doit trouver d’urgence un nouveau
régisseur pour le camp de nomades. Il accepte que le Capitaine
Louis LECLERCQ, ancien commandant des unités disciplinaires
marocaines, prenne ce poste à titre d’employé
civil. Celui-ci arrive au camp le 26 novembre.
Louis LECLERCQ comme solution ?
Pétainiste convaincu, le Capitaine vient au camp afin de
« servir l’intérêt général
» Louis LECLERCQ étant souvent appelé «
Capitaine », cette dénomination se retrouvera tout
le long de cet article. Cependant, c’est bien à titre
civil – et non militaire – que Louis LECLERCQ organise
le camp... Il n’éprouve aucun respect pour les nomades
qui ont une « mentalité toute spéciale ».
Il faut, selon-lui, les rééduquer. Il porte un intérêt
tout particulier aux enfants : il est plus simple de les éduquer
que d’inculquer des notions de civilité à leurs
parents. Cependant, ce n’est pas cela qui l’inquiète
le plus : il cherche en effet plus que tout à améliorer
le sort des enfants, proposant de créer une pouponnière
et d’autres services de puériculture.
Nommé chef de camp le 14 décembre 1940, il est aidé
depuis le 30 novembre par Pierre BRELLIER, secrétaire. Malgré
tout, ils ne parviennent pas à régler les différents
problèmes qui existent au camp : les problèmes financiers
perdurent, entraînant des problèmes de ravitaillement
en nourriture et moyens de chauffage. Si bien que le 7 janvier,
se sentant abandonné par ses supérieurs, le Capitaine
donne sa démission. Mais après discussion avec le
nouveau sous-préfet, Bernard LECORNU, il décide finalement
de rester, ce qui fera dire bien plus tard à Bernard LECORNU
que le Capitaine « passait par des périodes d’exubérance
suivies de phases d’abattement », ajoutant : «
Peut-être se droguait-il ? ». Il le décrit aussi
comme étant « humain dans son comportement ».
Il semblerait en effet que les internés n’aient pas
eu à souffrir du comportement du Capitaine, qui tente, bien
au contraire, de faire tout son possible pour améliorer au
mieux le quotidien, notamment sur le plan sanitaire.
La fermeture de La Forge
Dès l’ouverture du camp, le problème de l’hygiène
est le problème le plus inquiétant. Les familles vivent
entassées dans leurs roulottes, l’hygiène corporelle
est inexistante, et les poux et maladies circulent, malgré
les visites quotidiennes du Dr BOURIGAULT, médecin de Moisdon-la-Rivière,
et malgré l’arrivée de l’infirmière
Simone FIGNON le 30 décembre 1940. En effet, bien que celle-ci
tente de mettre en place, petit à petit, un service médical,
les problèmes perdurent. Les jeunes enfants sont les premières
victimes de cet état des choses : entre le 10 janvier et
le 26 février 1941, six enfants âgés de dix-sept
jours à deux ans et demie décèdent. Dans le
camp comme à Moisdon-la-Rivière, des bruits d’épidémie
circulent alors, aussitôt démentis par le chef de camp.
Cependant, il faut faire quelque chose. Aménager La Forge
coûterait trop cher. Il est donc projeté de faire transférer
les nomades internés à La Forge au camp de Choisel
– à Châteaubriant –, d’où
viennent de partir pour l’Allemagne les derniers prisonniers
de guerre français. Le 9 février, les autorités
allemandes donnent leur accord et, le 10, elles expliquent qu’elles
projettent d’y envoyer des communistes en plus des nomades.
Les autorités françaises pensent, quant à elles,
y interner des indésirables. Dès la mi-février,
le Capitaine fait procéder aux aménagements nécessaires,
de manière à pouvoir concentrer à Choisel,
dans des locaux nettement séparés, les trois catégories
d’individus qui doivent y être internées. Les
trois cent quarante-cinq nomades de La Forge sont alors transférés
à Choisel entre le 27 février et le 2 mars 1941.
Choisel, nouveau camp, nouveaux problèmes
Ce nouveau camp, qui est un camp pour indésirables, semble
être mieux aménagé que La Forge. Il se constitue
de trente-deux grands bâtiments en bois couverts de tôles
ondulées. Il contient aussi une installation de douches et
d’étuvage, ainsi que deux groupes de bâtiments
en maçonnerie. Le tout est clôturé par des fils
de fer barbelés. Les trois îlots – nomade, indésirable
et politique – sont eux aussi séparés par des
barbelés. Maintenant, les nomades ne logent plus dans leurs
roulottes, mais dans cinq des trente-deux bâtiments, qui leurs
servent de dortoirs. A Choisel, il existe une infirmerie, une pouponnière,
un atelier familial,… Ce camp a une capacité d’accueil
maximale de mille sept cents personnes.
Dès avril 1941, les premiers indésirables et communistes
arrivent à Choisel, et la population du camp est quasiment
multipliée par deux, passant de trois cent quatre-vingt-quatre
à six cent vingt-huit entre le 15 avril et le 15 mai. Le
Capitaine a maintenant un rôle social et moral envers les
internés. Il n’est plus seulement là pour administrer
le camp, mais aussi pour guider les internés : il doit aider
les nomades à s’intégrer en les civilisant ;
et les communistes, à retrouver le droit chemin.
L’arrivée massive de nouveaux internés aggrave
certains des problèmes déjà présents
à La Forge, notamment les problèmes de ravitaillement
concernant la nourriture et les vêtements. Seules les conditions
d’hygiène semblent s’améliorer, du fait
de la présence d’appareils sanitaires – telles
les douches –, et de l’arrivée de deux autres
infirmières : Melle MICHAUT le 1er avril, et Melle MAYNIER
le 24 juin. Si bien que, aidé seulement de Pierre BRELLIER
et d’une secrétaire – arrivée au camp
le 15 mai –, le Capitaine se sent submergé par les
problèmes. Le 2 mai, perdant espoir, il donne une nouvelle
fois sa démission au sous-préfet. Cette fois encore,
le sous-préfet parvient à le faire changer d’avis
et le Capitaine reste à Choisel.
Des mesures sévères
Le Capitaine LECLERCQ doit aussi s’occuper de surveiller
les différentes catégories de population du camp,
afin de renseigner au mieux le sous-préfet de leurs agissements.
Mais les nomades, qu’il qualifie de « remuants »,
ne sont pas ceux qui retiennent le plus son attention. La catégorie
d’internés qui lui cause le plus de tourments est celle
des politiques. En mai 1941, le Capitaine qualifie leur autorité
de « certaine ». Néanmoins, bien qu’il
les pense dangereux, il les laisse organiser le camp à leur
guise, ne se rendant pas compte que les internés communistes
en profitent pour mettre en place toute une organisation clandestine.
Devant le manque de personnel – et bien qu’il les considère
comme dangereux –, le Capitaine prend à son service
quelques internés communistes. Cela permet à l’organisation
clandestine d’obtenir des renseignements, sans que le Capitaine
ne se doute de rien.
Cette organisation de la gestion du camp reste en place jusqu’aux
évasions de juin 1941. Le 19 juin, le Capitaine annonce au
sous-préfet que quatre internés communistes de l’îlot
P3 se sont évadés le jour même : Julien RAYNAUD,
Léon MAUVAIS, Fernand GRENIER et Eugène HÉNAFF.
Le Capitaine supprime alors toutes visites jusqu’à
nouvel ordre. Le sous-préfet supprime quant à lui
les autorisations de sortie, et le Capitaine est rendu responsable
de ces évasions.
Sa situation s’aggrave encore lorsqu’il annonce, le
31 juin, qu’un autre interné politique s’est
évadé : Raymond SEMAT. Le Capitaine est éloigné
du commandement. Le Lieutenant Charles MOREAU (Tout comme Louis
LECLERCQ était appelé « Capitaine », Charles
MOREAU était souvent appelé « Lieutenant ».
Là encore, cette dénomination sera gardée tout
le long de cet article. Cependant, c’est bien à titre
civil – et non militaire – que Charles MOREAU prend
la suite de Louis LECLERCQ), est nommé commandant du camp.
Arrivé à Choisel le 8 juillet, il décide de
s’occuper des indésirables et des politiques, et confie
la gestion de l’îlot nomade au Capitaine LECLERCQ. Cependant,
le Lieutenant ploie vite sous le poids des difficultés :
alors que la surveillance du courrier demande de plus en plus de
travail, le Lieutenant doit faire face aux multiples plaintes des
internés et de leurs familles concernant les interdictions
de visite et de sortie. Face à cette situation, le chef de
camp et ses collaborateurs se trouvent de nouveau débordés.
Rapidement, il est décidé de renvoyer les nomades
au camp de La Forge.
Le retour des nomades à La Forge
Dès juillet 1941, ce retour est décidé, notamment
en raison du manque de place et du travail lié à la
surveillance du courrier. Le Capitaine est choisi pour être
le chef de ce second camp. Le 15 août, les autorités
allemandes donnent leur accord à ce transfert ; mais il ne
pourra avoir lieu qu’une fois les travaux nécessaires
entrepris, afin de ne pas rencontrer à nouveau les problèmes
qui ont été à l’origine du départ
des nomades vers Choisel au début de l’année
1941. Quatre baraques de type Adrian sont alors montées afin
de loger les nomades, et le camp est de nouveau clôturé.
En parallèle, le Capitaine se charge aussi de recruter le
personnel médical du futur camp. Début août,
il apprend que seule Melle MAYNIER accepte d’être transférée
à La Forge. Cependant, deux infirmières sont nécessaires.
Le Capitaine demande alors à Melle FIGNON de venir avec lui,
celle-ci ayant suivi les nomades quasiment depuis l’ouverture
du premier camp. Mais, le 19 août, elle refuse cette proposition,
ajoutant : « J’ai eu mon compte de cette sale race ».
Elle avait déjà cette opinion en janvier 1941, puisqu’elle
voyait les nomades comme des gens à la mentalité toute
particulière. Quatre jours plus tard, elle renouvelle son
refus de partir pour le camp ; elle est finalement révoquée.
Cette situation affecte énormément le Capitaine :
il perd ici une alliée précieuse, alliée des
premiers moments. Il tombe malade – faisant, selon le sous-préfet
LECORNU, une dépression nerveuse –, et est hospitalisé
à l’Hôtel-Dieu à Nantes. Malgré
cela, le transfert des nomades vers La Forge se réalise dans
le courant du mois de septembre 1941, sous la direction du Lieutenant
MOREAU, qui assure momentanément les fonctions du Capitaine
jusqu’à ce que celui-ci se rétablisse totalement.
La Forge, unité du camp de Choisel
Cela sera les derniers mois des nomades en Loire-Inférieure.
Le Capitaine sort de l’hôpital le 10 septembre. En convalescence,
il doit normalement reprendre ses fonctions le 1er octobre. Cependant,
durant sa convalescence, il reçoit l’acceptation de
son engagement pour la Légion antibolchévique (LVF).
Il quitte son poste au camp de La Forge. Le Lieutenant MOREAU est
alors nommé chef de ce camp.
Le Lieutenant est maintenant chef des deux camps. Mais, malgré
cette nomination en tant que chef du camp de La Forge, il reste
en réalité chef d’un seul camp, celui de La
Forge – Choisel, La Forge devenant une annexe de Choisel.
Aucun employé civil n’est présent à La
Forge, à l’exception de l’infirmière et
de la sage-femme. Le camp de La Forge est donc administré
de Choisel. Il en est de même concernant la surveillance et
la garde du camp, puisque le détachement de gendarmerie qui
en a la charge est placé sous l’autorité du
sous-lieutenant TOUYA, qui commande le détachement du camp
de Choisel.
Des nomades presque oubliés
Il semblerait que le Lieutenant se sente moins concerné
par le camp de nomades car par celui d’indésirables
et de politiques. Si bien que les nomades sont absents de la quasi-totalité
des rapports. Il s’investit moins à La Forge. Cette
implication minime résulte du fait que le Lieutenant dépense
énormément d’énergie afin de surveiller
les communistes internés à Choisel, souhaitant connaître
leur état d’esprit.
Cette surveillance se renforce encore suite aux fusillades du 22
octobre et du 15 décembre, dans lesquelles trente-six otages
politiques de Choisel trouvent la mort. En effet, face aux différentes
exécutions qui ont lieu un peu partout en France occupée,
les milieux communistes s’agitent. Dès janvier 1942,
le ministre de l’Intérieur prévient les préfets
de possibles coups de force dans les camps où sont internés
des communistes. Le Lieutenant occupe alors son temps à organiser
la défense du camp de Choisel en vue d’une attaque
éventuelle, ne s’intéressant que de manière
superficielle au camp de La Forge.
Pourtant, les problèmes existent, même s’ils
ne sont pas de même nature. Les nomades souffrent dans le
camp. Le manque d’espace leur pèse. Mais la souffrance
des nomades n’est pas seulement morale. Ils souffrent aussi
du froid, du fait de l’hiver et du manque de vêtements.
Rapidement, de nouveaux cas de gales apparaissent, et deux cas de
tuberculose sont diagnostiqués par le Dr BOURIGAULT, qui
s’occupe de nouveau des nomades de La Forge.
Face à cette situation sanitaire, le préfet informe
le sous-préfet qu’il faut réagir. Il ne faut
pas que ce qui s’est passé au camp de La Forge lors
de l’hiver 1940-1941 se reproduise. Le sous-préfet
a deux choix : soit procéder à l’aménagement
de La Forge, soit faire transférer les nomades dans un autre
camp. Il opte pour la deuxième solution, décidant
de les envoyer à Montreuil-Bellay. Ce transfert doit avoir
lieu fin février 1942. Cependant, cela ne se fait pas, et
les nomades doivent continuer de vivre dans ce camp où aucun
aménagement n’est fait pour améliorer leur quotidien.
Des projets de fermeture à la fermeture définitive
D’autres projets visant à transférer certains
internés voient le jour dès octobre 1941. Ainsi, le
16 octobre, le Lieutenant propose de transférer les nomades
dans un autre camp. Les indésirables seraient alors envoyés
à La Forge, et il serait plus aisé de surveiller les
communistes, restés seuls à Choisel. Il propose de
nouveau ce projet en décembre 1941. Mais le sous-préfet
lui répond que cela n’est guère envisageable
pour l’heure.
Le Lieutenant trouve alors une autre solution, car il veut pouvoir
concentrer toute son attention sur les communistes : puisque les
nomades de La Forge ne peuvent être transférés
ailleurs, certains vont être libérés. Ainsi,
le 8 octobre 1941, quarante-sept sont libérés ; le
14 novembre, cent soixante-dix-sept ; et du 24 mars au 11 mai 1942,
entre soixante-dix et quatre-vingt personnes sont de nouveau libérées.
Grâce à ces libérations, les effectifs du camp
de La Forge ne cessent de diminuer : alors que quatre cent vingt-cinq
nomades sont présents au camp le 1er octobre 1941, il n’en
reste "que" deux cent soixante-deux le 16 avril. D’autres
internés, n‘obtenant pas leur libération, acceptent
de partir travailler en Allemagne : en avril 1942, vingt nomades
se portent ainsi volontaires.
Malgré tout, la baisse des effectifs ne permet pas de résoudre
les différents problèmes, et, selon les autorités
françaises, seul le transfert des nomades peut mettre fin
à cette situation. Le 16 avril, les autorités allemandes
ordonnent le transfert des communistes au camp de Voves. Celui des
autres catégories d’internés est décidé
à la fin de ce même mois. Tous les transferts doivent
avoir lieu avant le 15 mai 1942. C’est chose faite. Le 1er
mai, vingt-neuf indésirables hommes partent pour Rouillé
; le 4, six juifs pour Pithiviers ; le 7, quatre cent vingt-quatre
politiques hommes pour Voves ; le 9, trente « marchés
noirs » hommes pour Gaillon ; le 11, quatre-vingt-douze politiques
et indésirables femmes pour Aincourt ; et, le 13, deux cent
cinquante-sept nomades pour Mulsanne. Les nomades sont les derniers
à quitter le camp. Après leur départ, les camps
de La Forge et de Choisel sont fermés.
Date de création : 23/03/2008
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