Origine : http://www.chateaubriant.org/spip.php?article593
Document 1 (archives Loire-Atlantique 2 Z 140)
28 novembre 1939
Lettre du préfet de la Loire-Inférieure au sous-préfet
de Châteaubriant demandant de préparer l’internement de romanichels
à Juigné-les-Moutiers et Moisdon-la-Rivière, et réponse du sous-préfet
datée du 29/11/39
Ces deux documents nous apprennent qu’en novembre
1939 des nomades étrangers séjournent en semi-liberté dans des immeubles
du bord de mer, mais ils ne nous disent rien des textes réglementaires
qui autorisent cette concentration.
Puis on voit très nettement comment l’armée
dicte leur conduite aux autorités civiles.
Enfin le préfet qualifie ces étrangers d’ « indésirables »,
terme que le sous-préfet hésite à reprendre (version manuscrite)
et qu’il étend ensuite « naturellement »
aux réfugiés espagnols tout en envisageant des mesures d’internement
plus répressives.
Dans sa réponse le sous-préfet apporte encore une
dernière information sur l’effort de guerre et la mobilisation
de toutes les ressources disponibles.
-
- Document
1
Nantes, le 28 novembre 1939
Le Préfet de la Loire-Inférieure
A Monsieur le Sous-Préfet de CHATEAUBRIANT
J’ai l’honneur de vous informer que, par
application du décret du 4 octobre 1939 concernant la protection
des ouvrages fortifiés et des établissements militaires et maritimes,
M. le Vice-Amiral Commandant en Chef, préfet Maritime de la
5e Région, a, par arrêté, prescrit
l’éloignement de la zone spéciale de protection créée autour
de la base navale de Quiberon, dont dépend notamment Le Croisic,
des personnes susceptibles de fomenter des troubles, de se livrer
à des actes d’espionnage, à des entreprises de sabotage, etc.
A l’effet d’assurer l’application
de ces dispositions, j’ai, en accord avec M. le général
Commandant la XIe Région, décidé
de réunir, soit à Moisdon-la-Rivière, soit à Juigné-les-Moutiers,
les romanichels, au nombre de 45, hébergés dans la propriété Ste
Barbe au Croisic, et les Russes Blancs, soit environ 20 hommes et
50 femmes et enfants, actuellement groupés à Saint-Nazaire.
Avant de procéder à leur transfert, je vous prie de
vouloir bien me faire connaître, d’extrême urgence, les conditions
dans lesquelles ces indésirables pourraient être rassemblés et les
effectifs militaires, à défaut de la garde républicaine mobile et
de la gendarmerie, que vous estimez nécessaires pour une surveillance
efficace.
Le Préfet
Annotation manuscrite :
Cette annotation sert de base à la réponse du Sous-Préfet
Pourrait être groupé à Juigné, le propriétaire de
Moisdon ayant repris son établissement pour l’exploitation
du minerai, pour lequel il est titulaire d’une commande de
guerre.
Il y aurait lieu de prévoir l’entourage du camp
par un réseau de fils de fer barbelés et sa garde par 21 hommes
(3 gardes de 7 hommes). Cet effectif ne pouvant être fourni par
la gendarmerie locale.
Enfin, je vous serais très obligé de me f. c. dans
quelles conditions ces suspects seront nourris.
Il existe au camp de Juigné une cuisine collective
dont on pourrait se servir. Si telle était votre décision je vous
serais obligé de me dire si doit être laissé à leur disposition
le matériel ayant servi aux réfugiés espagnols.
Les quelques-uns uns qui restent dans mon arrondissement
pourraient d’ailleurs être joints à ces indésirables.
-
Document 1 -réponse
Réponse du Sous-Préfet de Châteaubriant
29 novembre 1939
En réponse à votre lettre du 28 novembre, j’ai l’honneur
de vous faire connaître qu’il me paraît possible de mettre
à Juigné-les-Moutiers, dans l’ancien camp des espagnols, les
indésirables, objet de votre lettre.
En effet, le propriétaire de la Forge de Moisdon-la-Rivière
a repris son établissement pour l’exploitation du minerai
pour lequel il est titulaire d’une commande de guerre.
Il y aurait cependant lieu de prévoir l’entourage
du camp par un réseau de fils de fer barbelés, et sa garde au moins
par une section militaire, l’effectif de garde ne pouvant
être fourni par la Gendarmerie Locale.
Enfin, je vous serais très obligé de me faire savoir
dans quelles conditions ces suspects seront nourris. Si on les autorise
à aller faire eux-mêmes leurs provisions dans les villages environnants,
toute garde devient illusoire.
Il existe au camp de Juigné-les-Moutiers une cuisine
collective dont on pourrait se servir. Si telle était votre décision,
je vous serais obligé de vouloir bien me faire connaître s’il
serait nécessaire de laisser à leur disposition le matériel ayant
servi aux réfugiés espagnols. Il en serait de même du matériel de
couchage.
Je vous serais obligé, d’autre part, de bien
vouloir me faire connaître si les espagnols restant dans mon arrondissement
ne pourraient pas être joints à eux.
Dès le reçu de votre réponse, je ferai effectuer
l’aménagement du camp.
Document 2 :
ADLA 43 W 148
18 décembre 1940
Plan du camp de la Forge
Le camp de la forge comme son nom
l’indique a été établi dans les ruines d’une ancienne
usine métallurgique du XVIIIe
siècle dont le site peut encore se visiter.
Cette usine utilisait la force motrice
de l’eau entraînant des roues à aubes qui actionnaient les
soufflets de forge et les martinets. C’est ce qui explique
la présence sur le plan de la rivière et du caniveau, la retenue
d’eau se situant à droite, au-dessus du tas de scories ainsi
que le plan lui-même l’indique. Il ne subsiste plus aujourd’hui
que le bâtiment qui abrite les dortoirs 1 et 2 ainsi que les immeubles
placés au bas du plan : salle de visite... poste de police...
dortoirs 3 et 4.
Les voitures placées sur le plan sont
celles des nomades, leurs roulottes. Ce camp nous dit-on est conçu
pour plus de 300 personnes, l’échelle permet de se rendre
compte de l’étroitesse des lieux. En revanche ce qui ne peut
apparaître sur ce plan c’est le caractère très encaissé du
site qui, joint à une forte humidité, le rend très malsain à l’automne.
Document 3 (Archives de Loire-Atlantique 43 W 155)
8 décembre 1941, l’assistante sociale et les Nomades
8 décembre 1941
Rapport de l’Assistante
sociale principale du Secours National sur le camp des nomades de
Moisdon-la-Rivière
La situation qui est décrite ici est
celle de l’hiver 1941-1942 alors que de nombreux aménagements
ont été apportés au camp de la Forge depuis le printemps précédent,
l’assistance sociale s’intéresse surtout aux enfants
qui constituent plus de la moitié des internés. Ce qu’elle
nous dit de leur vie montre l’échec de la politique de concentration
qui est incapable d’apporter aux jeunes nomades des conditions
de vie décentes et des moyens de s’insérer d’une façon
à la fois plus efficace et volontaire dans la société. La solution
qu’elle envisage, la prise en main des enfants par des spécialistes
de l’éducation en milieu difficile ne semble guère meilleure,
certains ordres religieux (de religieuses surtout) qui ont « assez
d’abnégation et d’autorité » exercent toujours
en prison à cette époque et les formations qu’elle envisage,
« ouvriers et ateliers » rappellent
trop les orphelinats du XIXe siècle,
mais elle doute qu’il soit possible de séparer les mères et
leurs enfants.
Il n’est pas sûr non plus qu’elle
soit d’accord avec l’internement des nomades si l’on
se réfère au troisième paragraphe. Cette attitude est aussi celle
du successeur de L. Leclercq qui note dans plusieurs rapports leur
sort malheureux.
Voici ce rapport :
8 décembre 1941 - Nomades
RAPPORT SUR LE CAMP DES NOMADES DE MOISDON LA RIVIERE
A Moisdon-la-Rivière, au lieu dit « LA
FORGE », sont incarcérés environ 300 nomades, dont 150
enfants de 0 à 15 ans, hommes, femmes et enfants, presque tous de
Nationalité Française.
Le Capitaine MOREAU est le Directeur du Camp. Un peloton
de Gendarmes en garde l’entrée et maintient l’ordre
à l’intérieur du Camp. La chose n’est pas toujours aisée,
car certains d’entre eux ont des délits à se reprocher.
Le fait d’être sans domicile fixe a été
le principal, l’unique motif de l’arrestation.
Une sage-femme donne des soins aux nombreuses accouchées.
Une pièce dans une construction de pierre a été aménagée à cet effet.
Une infirmière hospitalière, Diplômée d’Etat, ex Elève de
l’Ecole d’Infirmières de Nantes, soigne les malades.
Si quelques familles parmi les mieux sont réunies
dans une pièce avec quelques paillasses pour s’étendre le
soir venu, toutes les autres sont parquées comme des bêtes dans
deux grands baraquements de bois, repoussants de saleté, où jamais
ne pénètrent ni le soleil, ni l’air.
Dans cet immense taudis aussi sombre à midi que le
soir, vivent des êtres humains. Deux ou trois caisses contenant
chacune une paillasse et quelques lambeaux de couverture sont superposées
les unes au dessus des autres pour abriter une famille entière.
Les cheveux en broussailles, la figure et les mains
noires, les pieds nus sur le sol boueux, le corps recouvert de quelques
haillons, de pauvres enfants, innocentes victimes, s’étiolent
dans cette atmosphère de vice et de saleté.
Autour du poêle allumé se pressent les plus vieux,
les malades, les plus petits. Une jeune femme tuberculeuse de retour
de sana, entourée de ses petits, réchauffe ses membres douloureux
et nus, et sème la contagion.
Cette description du Camp ne traduit pas la compassion
qu’en ressent le visiteur.
Une première solution s’impose d’urgence :
Envoyer vêtements et linge. Le SECOURS NATIONAL, dans la mesure
de ses moyens fera le nécessaire sous trois jours. Mais, ces vêtements
et ce linge, dans un temps relativement court, seront perdus car
ils n’auront pas été lavés et entretenus.
Certaines améliorations sont envisagées :
I° l’installation de douches
2° l’installation de lavoirs
3° l’installation de réfectoires.
Il y a aussi nécessité de soustraire les enfants à
ce milieu vicieux. Un problème angoissant se pose : celui de
la dislocation de la vie familiale. Le sentiment maternel chez la
Nomade est très développé et, cette mesure prise à leur égard va
à l’encontre des sentiments qu’il est un devoir de développer
dans tout individu. Ne pourrait-on solutionner le cas, en créant
à proximité du Camp des Nomades, un quartier spécial pour les enfants
et les adolescents.
Dans ce Camp, ou plus exactement dans ce nouveau centre
de jeunesse, il y aurait :
Ecole pour les enfants d’âge scolaire
Jardins d’enfants pour ceux de : 3 à 6 ans
Crèche pour ceux de : 0 à 3 ans
Création d’un ouvroir que fréquenteraient les grandes
fillettes
Atelier de bricolage pour les jeunes gens.
Les enfants, selon leur âge et leur sexe, coucheraient
dans un dortoir auxquels seraient annexés lavabos et douches.
Les parents seraient autorisés chaque jour, à une
heure déterminée, à pénétrer dans le quartier des enfants, à la
condition toutefois qu’ils aient préalablement consenti à
passer à la douche.
A mon avis, j’estime que seul, un ordre religieux,
aura assez d’abnégation et d’autorité pour entreprendre
une tâche aussi lourde.
En résumé, il s’agit là de former la jeunesse
élevée jusqu’alors dans la malpropreté physique et morale.
Cette lourde tâche ne peut être confiée qu’à une élite.
NANTES, le 8 décembre 1941
L’ASSISTANTE SOCIALE PRINCIPALE
Document 4 (archives de Loire-Atlantiques 43 W 159)
Plan du Camp de Choisel à Châteaubriant
Lettre du 27 février 1941 envoyée par le Sous-Préfet
Le plan du camp de Choisel préparé
par le capitaine Leclercq, chef du camp de Moisdon, accompagne une
lettre du sous-préfet de Châteaubriant au Préfet pour lui annoncer
comment ils ont envisagé d’utiliser les installations laissées
par les Allemands. Le dessin est sommaire et les formes approximatives
mais l’ensemble permet assez bien de se situer.
Il faut tout d’abord repérer
les bâtiments en dur : la ferme de Choisel marquée M1 avec
les annexes qui lui font face sur le chemin qui même à la route
de Fercé ainsi que l’écurie marquée M2.
Tous les autres bâtiments sont des
baraques de bois peu propres à accueillir des internés en cette
fin d’hiver : il n’y a ni double cloison, ni plafond,
le froid est intense l’hiver et la chaleur suffocante l’été.
Ce que ne montre pas non plus ce plan
c’est l’état du terrain, boueux l’hiver, poussiéreux
par temps sec.
Les divisions qui sont prévues alors
seront ensuite respectées sauf que les groupes A et C seront réservés
aux communistes (politiques) et s’appelleront P1 et P2 alors
que la partie B devenue 1 regroupera toutes les autres catégories
d’internés (indésirables).
Les miradors que les Allemands ont construit
avec leurs projecteurs n’apparaissent pas non plus. En revanche
le bâtiment qui est dessiné en dehors du camp, près de la « porte
à condamner provisoirement » nous indique la grande proximité
de la ville....
27 février 1941
Voici cette lettre :
J’ai l’honneur de vous adresser sous
ce pli, un plan schématique du camp C. de Châteaubriant que les
autorités occupantes mettent, sous certaines réserves, à la disposition
de l’Administration Préfectorale.
L’ensemble comprend, à l’intérieur
d’une enceinte en fils de fer barbelés rendant toute évasion
impossible, 32 grands baraquements en bois recouverts de tôle
ondulée.
Sur ces 32 baraquements, 20 sont immédiatement
utilisables, 9 autres en voie d’achèvement et 3 inutilisables
n’étant pas couverts. Sur le plan, ces baraquements sont
numérotés de 1 à 32.
Il y a, en outre, une installation de douches
et d’étuvage numérotés 33 et 34.
Le groupe de bâtiments en maçonnerie à usage
de ferme (habitations et dépendances) est numéroté M.1 et un autre
grand bâtiment en maçonnerie à usage d’écurie est numéroté
M.2
Dès maintenant, 335 romanichels arrivent au camp.
Pour faciliter la surveillance, éviter que les nomades se répandent
dans le camp et y pillent tout selon leurs coutumes, une séparation
en fils de fer barbelés a été aménagée pour délimiter la partie
du camp attribuée aux nomades. []
A l’intérieur de cette enceinte :
Le baraquement N° 3 transformé en
pouponnière et salle à manger des enfants et femmes à suralimenter ;
Les baraquements N° 4, 5, 6, 7, 8, 9, sont les dortoirs
des nomades ;
Le N° 10 sera transformé en atelier familial ;
Le N° 11 cuisine ;
Le N° 12 réfectoire des nomades ;
Le N° 13 magasin à literie, épicerie, atelier du tailleur
et du cordonnier.
Les roulottes seront parquées hors de la vue,
vers M.2, ce bâtiment étant utilisé comme réserve de vivres.
La baraque N° 32 qui n’est pas actuellement
terminée, sera utilisée par les services administratifs.
Hors de cette enceinte et au Nord-Ouest du camp,
le bâtiment M.1 servira de corps de garde pour la gendarmerie
et de locaux disciplinaires - la baraque N° 1, infirmerie,
et la baraque n° 2, dortoirs des Gendarmes.
Tous les bâtiments dont il vient d’être
parlé, sont utilisables dans un avenir prochain. Les bâtiments
numérotés de 14 à 29 inclus seront entourés de fils de fer barbelés
et réservés aux indésirables. Enfin, les baraques numérotées de
20 à 31 inclus, seront réservées aux communistes.
Tel que le camp est ainsi prévu, il pourra contenir :
500 nomades,
400 indésirables,
800 communistes.
Le Sous-Préfet
(A cette lettre était joint un plan, refait ici
de façon "moderne")
Camp de Choisel
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