Origine : http://www.chateaubriant.org/spip.php?article592
1939 - 1946, Les camps de Châteaubriant
Les camps ne sont pas une innovation de la Seconde
guerre mondiale, en France par exemple, la nécessité de concentrer
en un seul lieu des personnes présumées hostiles génère la création
de « camps de concentration » dès
1914. Pendant les hostilités, le petit séminaire de Guérande est
réquisitionné pour retenir plusieurs centaines d’Allemands,
d’Austro-Hongrois et de ressortissants de l’Empire
ottoman.
Les camps réapparaissent en 1937 pour héberger provisoirement
des réfugiés espagnols fuyant les combats et les troupes nationalistes.
Puis sans solution de continuité ou presque, ils renferment des
populations très diverses jusqu’au-delà de 1945.
Le pays castelbriantais, excentré, ne commence à
intéresser les autorités chargées de regrouper des populations
plus ou moins « indésirables » qu’en
1939. Ensuite les installations sont utilisées jusqu’à la
fin de l’année 1946, mais entre temps le camp de Choisel,
le plus important, devient l’antichambre de la mort pour
quelques détenus.
Les Réfugiés espagnols
La Loire-Inférieure comme l’ensemble du littoral
atlantique est une terre d’asile au printemps 1937 lorsque
les troupes rebelles de Franco s’emparent du Pays basque
et des Asturies. Des dizaines de milliers de personnes parviennent
à fuir par bateaux, les autorités françaises organisent alors
leur répartition à partir des ports, Saint-Nazaire et occasionnellement
Nantes pour notre région. Les réfugiés sont envoyés vers des centres
d’hébergement répartis sur tout le territoire national.
En Loire-Inférieure le préfet réquisitionne les locaux vides de
la caserne d’Ancenis pour y regrouper près de 700 d’entre
eux.
Des associations liées aux forces du Front Populaire
participent alors à l’accueil des réfugiés et le gouvernement
républicain assure le rapatriement de ses ressortissants. Dans
les mois suivants on trouve en permanence d’anciens miliciens
espagnols en convalescence dans les colonies et les autres établissements
balnéaires appartenant aux syndicats souvent parisiens. Mais au
début de l’été 1938, la cohabitation d’anciens des
Brigades internationales hébergés au Casino de Préfailles et des
habitués de la station ne se fait pas très facilement. Il est
vrai qu’à cette date le Front populaire a vécu et que le
climat politique français s’alourdit lui aussi.
Quelques mois plus tard l’effondrement du
front républicain de Catalogne projette près de 500 000 Espagnols
en France qu’il faut répartir à nouveau sur l’ensemble
du territoire. La Loire-Inférieure réouvre le camp d’Ancenis
pour les hommes alors que les femmes et les enfants sont provisoirement
logés dans les colonies inoccupées du littoral, quelques-unes
cependant se retrouvent dans l’Intérieur, et la mairie même
de Châteaubriant sert de campement à quatre-vingt-dix d’entre
elles malgré les protestations d’E. Bréant.
A l’approche de l’été il faut trouver
une autre solution et le sous-préfet de Châteaubriant part à la
recherche d’usines désaffectées et trouve ainsi deux lieux
qui sont immédiatement réquisitionnés et sommairement aménagés :
Des logements ouvriers inoccupés de la Société
des Ardoisières d’Anjou près du village de Ruigné en Juigné-les-Moutiers
L’établissement de la Forge Neuve en
Moisdon-la-Rivière où l’exploitation d’anciennes scories
a été abandonnée
Plusieurs centaines de femmes espagnoles et d’enfants
s’installent dans les deux camps à partir du 13 mai 1939.
Si leur arrivée ne semble pas poser de problème
à Juigné, à Moisdon en revanche, le sous-préfet parvient à grand
peine, semble-t-il, à éviter des manifestations hostiles de la
population. Placées derrière des barbelés et sous la garde de
la gendarmerie les réfugiées connaissent alors une vie difficile :
ravitaillement, hygiène, censure des informations, absence d’école
pour les enfants... Il est vrai que les autorités n’ont
qu’un objectif qui est de les faire rentrer au plus tôt
dans leur patrie malgré les risques. Quelques femmes réussissent
à partir vers l’Amérique du Sud.
A l’automne, les deux camps sont à nouveaux
vides, la minorité de réfugiés espagnols (hommes et femmes) qui
se trouve encore dans la région tente de trouver un travail et
des logements plus décents. Avec la guerre de nombreux hommes,
toujours internés dans les camps du sud de la France, sont plus
ou moins contraints de s’engager dans l’année ou bien
dans des compagnies de travailleurs espagnols (CTE) envoyés partout
en France remplacer les hommes mobilisés. Une telle compagnie
venue du grand camp de Gurs (Basses-Pyrénées) rejoint alors Saint-Nazaire.
Les Nomades
Les Romanichels, Gitans et Tsiganes que les textes
appellent généralement nomades - tout en prenant bien soin de
les distinguer des autres populations ambulantes comme les forains
- forment en 1939 une catégorie sociale particulière dont le statut
remonte à 1912. Leur internement qui avait été demandé en 1914,
s’opère très rapidement de septembre 1939 à octobre 1940.
L’action des préfets s’appuie d’abord sur les
mesures d’état de siège pour limiter leurs droits à circuler
ou même, purement et simplement, les expulser comme dans les départements
de Maine-et-Loire et d’Indre-et-Loire en octobre.
En Loire-Inférieure, on peut proposer la chronologie
suivante : en vertu de mesures secrètes préparées en avril
1938 par l’état major, des nomades d’origine étrangère
(russes, arméniens, grecs et autres) résidant dans la banlieue
parisienne sont expulsés loin de la capitale et des départements
frontaliers en septembre 1939.
Inévitablement on en retrouve un certain nombre,
quelques dizaines, dans des colonies ou des hôtels du Croisic
et de Saint-Nazaire. Quant aux nomades, français ou étrangers
résidant habituellement dans le département, ils sont tenus de
se faire connaître et de se regrouper aux chefs-lieux de canton
près des brigades de gendarmerie.
Leur espace de liberté se restreint encore en novembre
1939 avec un nouveau décret-loi du gouvernement Daladier qui généralise
l’internement administratif de « tous
les individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité
publique ». Le préfet maritime invoque immédiatement
ce décret-loi pour chasser les nomades étrangers du littoral (zone
de guerre) et les assigner à résidence dans quelques centres de
l’intérieur : Moisdon-la-Rivière et Juigné-les-Moutiers
. >(voir
document 1)
Comme le propriétaire de la Forge de Moisdon veut
relancer l’exploitation des scories, les nomades sont dirigés
vers le camp de Ruigné. Ces nomades au nombre de 171, ne sont
plus que 93 en mai 1940 dans l’arrondissement de Châteaubriant
car le préfet a autorisé le regroupement de quelques familles
en dehors du département. Ils ne vivent pas tous au camp de Ruigné
et la gendarmerie les surveille dans leurs déplacements entre
Juigné, Saint-Nicolas-de-Redon, Derval et Soudan...
Enfin le 6 avril 1940, un décret interdit à tous
les nomades de circuler en France métropolitaine pour la durée
de la guerre. Les nomades français ou étrangers, définis selon
la loi de 1912, sont alors invités à rejoindre les quatre localités
précédentes par l’arrêté préfectoral du 18 mai. Mais les
évènements militaires empêchent le regroupement qui n’est
véritablement exécuté qu’en octobre 1940 lorsque les forces
d’occupation enjoignent aux préfets d’interner tous
les tsiganes.
En Loire-Inférieure, le préfet ordonne de les concentrer
au camp de la Forge où les premiers arrivent le 11 novembre 1940.
Le camp qui a une capacité de 320 places reçoit
aussi des nomades venus des départements voisins, 116 en provenance
du Morbihan, le 25 novembre 1940.
Le
site de la Forge Neuvea été sommairement aménagé à partir
des dépouilles de Ruigné par des corvées de prisonniers français
« prêtés » par les Allemands !
Louis Leclercq, capitaine hors cadre, qui a assuré jusqu’à
l’été la direction d’un détachement disciplinaire
de troupes marocaines placées en 1939 à la minière Poorter de
Rougé, se propose comme chef du camp, il va diriger les camps
du castelbriantais jusqu’à l’été 1941.
L’hiver 1940-1941 se révèle particulièrement
difficile pour les internés, les familles qui ont été autorisées
à garder leurs roulottes (mais qui ont dû vendre les chevaux à
bas prix !) s’entassent à 10 ou 12 dans des espaces
exigus (3,5 x 1,8 x 1,7 m). Les internés individuels sont « logés »
en dortoirs dans les vieux bâtiments de la forge qu’il est
impossible de chauffer. Quant au « réfectoire »,
ce n’est qu’un hangar, et durant les premiers mois
d’internement, chacun tente comme il peut de survivre...
Une solution se présente en janvier 1941, avec le départ des derniers
prisonniers français vers les stalags d’Allemagne... Le
sous-préfet s’empresse de demander la mise à disposition
de l’administration du camp de Choisel.
Du 27 février au 6 mars 1941, 335 romanichels sont
donc transférés de Moisdon au Camp de Choisel à Châteaubriant.
Ils y occupent un quartier de 11 baraquements que l’on a
pris soin d’isoler par des barbelés du reste du camp prévu
pour d’autres catégories d’« indésirables ».
Mais au fur et à mesure que ces nouvelles catégories d’internés
remplissent le camp de Choisel, la cohabitation se révèle conflictuelle
et le capitaine Leclercq prend argument de la différence de statut
financier des deux catégories d’internés pour obtenir la
réouverture de Moisdon. En effet, les nomades, placés en camp
à la demande des occupants, dépendent financièrement de l’administration
chargée des frais d’occupation de l’armée allemande,
alors que les autres prisonniers sont pris en charge par le ministère
de l’intérieur.
En quelques mois, des améliorations substantielles
sont apportées au camp de Moisdon : baraquements militaires
du type « Adrian », dortoirs et
réfectoire en maçonnerie, nouvelles cuisines, etc... si bien que
le 7 juillet 1941, quatre mois après leur arrivée à Choisel, les
nomades sont reconduits à la Forge où malgré l’ouverture
d’une école tenue par un couple d’instituteurs à partir
de janvier 1942 (M. et Mme Tannou),
les conditions de vie se révèlent à nouveau très difficiles, particulièrement
en hiver. L’état du camp apparaît « lamentable »
aux différents groupes d’inspection qui le visitent en décembre
1941 (voir document
3). Le nouveau directeur du camp M. Moreau, se défend
alors violemment, il nie les décès d’enfants dénoncés dans
certains rapports, mais il est contraint de reconnaître que la
nourriture est quotidiennement insuffisante... On envisage donc
alors de transférer les nomades ailleurs mais il faut attendre
le mois de mai 1942 et l’injonction des forces d’occupation
qui ne veulent plus de camps dans les départements littoraux pour
que le transfert soit effectif.
Le 13 mai 1942, 267 personnes dont 150 enfants sont déplacées
en wagons de Châteaubriant au Mans pour rejoindre le camp de Mulsanne.
A Mulsanne d’abord puis à Montreuil-Bellay (49) vont alors
se concentrer tous les Tsiganes de l’Ouest de la France.
Les prisonniers de guerre
Le camp de Choisel qui a abrité pendant quelques
semaines les nomades du département constitue alors le dernier
témoin du Front stalag 183 A établi autour de Châteaubriant par
les forces allemandes.
Occupée dès le 17 juin 1940 la ville de Châteaubriant
doit accueillir en quelques jours plus de 45 000 soldats français
faits prisonniers autour de Nantes et concentrés près d’un
nœud ferroviaire éloigné des grandes villes. Parqués dans
un premier temps près du champ de courses de Choisel, les prisonniers
sont peu à peu répartis dans des installations moins sommaires :
Le camp A au Moulin Roul sur la commune de
Soudan, camp où l’on regroupe un certain temps plus de 7000
hommes dont les tirailleurs sénégalais,
Le camp B dans le marais près de la Courbetière
sur la route de Saint-Nazaire dont la capacité dépasse aussi certains
jours plus 7000 hommes,
Le camp D dans le stade de la Ville-en-Bois,
sur la route de Nantes, plus de 5000 hommes
Enfin le camp C dans le champ de courses
de Choisel sur la route de Fercé, camp qui reçoit les aménagements
les plus appropriés et où sont gardés dans l’hiver 1940-1941
les derniers prisonniers avant leur transfert en Allemagne.
Les officiers français sont internés dans le collège
Saint Joseph et au château qui sont eux aussi vidés de leurs occupants
à la fin de l’été 1940.
La démolition des installations plus que précaires
établies par les Allemands commence au mois d’août, le camp
de Choisel, comme nous l’avons vu, est le seul à subsister
en janvier 1941 lorsque les derniers prisonniers français sont
emmenés en Allemagne et que l’administration française en
reçoit l’usage.
De juin 1940 à janvier 1941, les Castelbriantais
et les Associations d’Anciens Combattants (dont Léon Jost
et Alexandre Fourny qui seront fusillés à Nantes en octobre 1941)
rivalisent d’imagination et de risques pour faciliter l’évasion
de plusieurs milliers de prisonniers. Mais au fur et à mesure
des semaines, les évasions deviennent plus difficiles et les Allemands
qui un certain temps acceptent de « prêter »
quelques hommes pour des tâches administratives, restreignent
les possibilités de sortie du camp et plusieurs soldats paient
même de leur vie leurs tentatives d’évasion.
Après janvier 1941, le problème ne se pose plus dans les mêmes
termes, le camp passé sous administration française et gardé par
des gardes accueille des nomades et des « indésirables ».
Les Indésirables
Les « indésirables »
constituent alors une nouvelle catégorie sociale mise en place
au cours de l’entre-deux guerres dans une atmosphère de
plus en plus xénophobe et raciste.
L’indésirable c’est d’abord l’immigrant
dont on a favorisé la venue dans les années vingt et que l’on
veut renvoyer chez lui avec la crise des années trente, le réfugié
espagnol appartient bien sûr à cette première catégorie.
L’indésirable c’est ensuite le nouveau
français, le « naturalisé » que
l’on soupçonne de vouloir pervertir la « race »
française. Après 1927, la loi en fait un citoyen de seconde zone :
interdiction de se présenter à toute élection, politique ou professionnelle,
avant dix ans, puis au cours des années trente la loi lui interdit
de pratiquer certaines professions (avocat, médecin...)
L’indésirable c’est ensuite celui que
l’on soupçonne d’être un étranger par ses coutumes,
sa « race », sa religion... On laisse
entendre avant 1940 que le Front Populaire a multiplié les naturalisations
d’immigrants venus d’Europe Centrale et du Proche-Orient
parce que les Juifs ont tenté de regrouper leurs coreligionnaires.
Avant même 1940 on qualifie aussi d’indésirable
toute personne que l’on juge indigne d’appartenir
à la communauté nationale, ou qui se sépare de lui-même de cette
communauté : un communiste, à partir d’août 1939, entre
dans cette catégorie car il appartient à un parti dirigé de l’étranger
et qui prend des positions contraires à la Nation.
L’indésirable c’est dans le même temps
tout individu louche, aux activités inavouables : proxénète,
avorteur, gangster, nomade aussi...
L’indésirable est donc tout à la fois l’étranger,
le naturalisé, le juif, le communiste, le souteneur, etc...
L’internement au cours de l’hiver 1940-1941,
de toutes ces populations, ensemble, dans les mêmes camps, sous
la même dénomination, contribue encore à renforcer l’amalgame
dans l’esprit des « honnêtes gens ».
Ainsi que nous l’avons vu à propos des nomades
leur internement a commencé très tôt, avant même la déclaration
de guerre. Le premier camp, le camp de Rieucros en Lozère est
créé le 21 janvier 1939 par un décret signé conjointement par
A. Lebrun, président de la République, E. Daladier, président
du Conseil et A. Sarrault, ministre de l’Intérieur. Le décret
fait référence aux décrets-lois du 2 mai et du 12 novembre 1938 ;
des mesures secrètes élaborées par l’état-major en avril
1939 ont complété ce dispositif en envisageant l’internement
de tous les étrangers de sexe masculin de 17 à 50 ans et leur
embrigadement dans des unités de travailleurs... Cependant ce
dernier document qui envisage déjà la multiplication des centres
d’internement à travers la France n’en prépare pas
l’existence concrète, ce qui explique le flou, l’improvisation
complète que l’on ressent encore à Choisel au printemps
1941.
En février 1941, le camp de Choisel ouvre sous la
direction du capitaine L. Leclercq (voir
document 4). De février 1941 à mai 1942, 1278 personnes sont
donc enregistrées sur les listes de Choisel, des personnes détenues
pour des motifs très divers à la demande des autorités française,
elles sont placées sous l’autorité du chef de camp et d’autres
fonctionnaires dépendant du ministère de l’intérieur, et
surveillées par des gendarmes dont l’armement est sévèrement
contrôlé par l’armée d’occupation.
Les internés s’y retrouvent pris dans un piège
qui se referme tragiquement sur certains : l’armée
d’occupation y trouve tout à sa convenance quelques juifs
qui sont transférés vers les camps du bassin parisien puis vers
l’Allemagne, des listes de résistants internés comme « gaullistes »
et enfin des otages. Les communistes qui forment le groupe de
loin le plus important et le plus solidaire sont arrivés dans
la première moitié du mois de mai en provenance de centres de
détention de Nantes, du Croisic mais aussi d’autres centres
du Nord et de la centrale de Clairvaux...
C’est parmi eux que l’on prend les otages :
Vingt-sept, le 22 octobre 1941, exécutés
à la Sablière sur la route de Soudan ,
Neuf autres exécutés à la Blisière en Juigné-les-Moutiers,
le 15 décembre,
Deux autres le 7 mars 1942, deux le 7 avril,
quatre le 23 avril puis deux autres le 29 avril, tous exécutés
à Nantes,
Entre temps, le 7 février 1942, neuf internés
sont transférés à Compiègne où trois sont exécutés.
Les premiers communistes arrivent à Choisel en avril
et surtout en mai 1941, les femmes en juillet. Malgré, ou plutôt
à cause de la menace qui pèse sur eux, ils s’organisent
et imposent leur fonctionnement au chef du camp : un responsable
par baraque, un comité d’organisation aux réunions quotidiennes.
Les premières décisions concernent les règles élémentaires
d’hygiène que le chef et les nomades n’avaient pas
respectées, puis ils secondent dans la mesure du possible l’administration
du camp : appels, visites, colis de nourriture, etc... Ils
deviennent vite indispensables au capitaine Leclercq qui les laisse
faire...
Dans le même temps ils entreprennent de maîtriser
leur temps, de maintenir leur condition physique et d’approfondir
leur formation intellectuelle.
A la culture physique quotidienne, ils ajoutent
des rencontres sportives dominicales malgré leur affaiblissement
consécutif à la mauvaise qualité et à la faible quantité de nourriture.
La lecture individuelle (il y a au camp une bibliothèque
créée par les internés que le chef de camp prend bien soin d’« enrichir »
d’œuvres du Maréchal) est complétée par des cours de
l’« Université populaire ».
Quant aux activités manuelles, soutenues par le
chef de camp qui cherche à améliorer les conditions matérielles,
elles sont prétexte à des scènes burlesques qui viennent s’ajouter
aux autres temps de « loisir » :
théâtre, chants, danses...
La remise de l’objet fabriqué par les menuisiers
ou de l’équipement construit par les terrassiers est « solennisée »
par des défilés, des discours .
Mais le moral dépend surtout des liens conservés
avec l’extérieur, avec les familles, liens qui passent le
plus souvent par le courrier. Ce dernier intéresse aussi les fonctionnaires
du camp qui ne manquent jamais d’en donner la teneur dans
leurs rapports, ils y recherchent des indices de complot et d’évasion
Si la révolte est difficile et vouée à l’échec
par la présence proche de renforts de gendarmerie et de troupes
allemandes, les évasions semblent davantage à la portée des internés,
surtout en mai et juin 1941, alors que les effectifs gonflent
rapidement et que la surveillance reste assez lâche. En juin,
13 détenus réussissent la « belle »
dont 5 communistes, tous cadres du parti. Les évasions de R. Semat,
L. Mauvais, J. Raynaud, E. Henaff et Fernand Grenier (ancien député,
futur ministre) que les autorités françaises ne peuvent toujours
expliquer, les conduisent à soupçonner l’existence de complicités
entre des détenus et des gardiens. L’encadrement du camp,
doit céder la place fin juin à une nouvelle équipe dirigée par
Charles Moreau et Lucien Touya.
Ce sont cependant d’autres évènements qui
entraînent la fermeture du camp au printemps 1942. Si les problèmes
d’hygiène sont réels à Moisdon, c’est vraisemblablement
l’évolution de la guerre et la crainte des Allemands de
voir des regroupements d’indésirables trop proches du littoral
et des coups de main alliés (raid sur Saint-Nazaire de mars 1942),
qui les amènent à imposer la fermeture des deux camps.
La Forge et Choisel sont fermés au 15 mai 1942,
et les internés dispersés dans des camps plus « spécialisés »
Les collabos
Les internés partis, l’armée allemande réoccupe
le camp qui devient une base logistique pour les troupes de passage.
Parmi celles-ci il y a en 1943 et 1944 plusieurs groupes de nouvelles
recrues, des jeunes et des moins jeunes, qui sont en France pour
parfaire leur formation militaire avant de partir vers le front
de l’Est. Ils occupent parfois les autres installations
existantes comme celles du camp de Ruigné où ils séjournent plusieurs
semaines.
Au moment de la libération, le 5 août 1944, le camp
de Choisel est partiellement abandonné mais les besoins de l’épuration
entraînent sa réouverture provisoire. Le sous-préfet Le Gorgeu,
qui s’est placé sous l’autorité du commissaire de
la République pour la Bretagne, y fait interner les collaborateurs
les plus notoires avant de les transférer sur Rennes car Nantes
et Angers restent momentanément sous le contrôle des Allemands.
Le camp est officiellement réouvert le 21 septembre
1944. A cette date les derniers FFI qui s’y étaient installés
ont déjà quitté les lieux et des travaux sont immédiatement entrepris
pour pouvoir accueillir plus d’un millier de détenus. Ceux-ci
viennent de Loire-Inférieure et des départements voisins, de la
région qui ne s’appelle pas encore « les
Pays de la Loire ».
Dès l’ouverture du camp de nombreuses rumeurs
circulent à Châteaubriant sur la nourriture abondante et des conditions
de détention trop douces tolérées par le directeur du camp. Le
Comité Local de la Libération et la section du PCF menacent à
plusieurs reprises de manifester dans le camp pour y imposer une
organisation plus décente, mais ce sont en juin 1945, plusieurs
centaines d’anciens prisonniers et de déportés qui se présentent
devant le camp. Si leurs délégués sont reçus par les autorités,
ils ne sont cependant pas admis à vérifier par eux-mêmes le bien
ou le mal fondé des rumeurs. C’est ce que font au contraire
des inspections sanitaires venues de Nantes qui constatent un
début de dysenterie et craignent le développement d’épidémies.
Mais en cet été 1945, la vie quotidienne devient encore plus difficile
malgré la fin de la guerre, les rations alimentaires baissent
à Châteaubriant, la ration de viande des J 3 passe de 1000 grammes
à 250 grammes par mois !
Peu à peu cependant le nombre de détenus diminue
et la nouvelle municipalité de Châteaubriant fait tout ce qui
est en son pouvoir pour empêcher la pérennisation du camp qu’elle
ne peut éviter. Dans les premiers jours de l’année 1946,
Choisel passe sous le contrôle de l’administration pénitentiaire
qui en fait une dépendance de la centrale de Fontevrault. Rapidement
une centaine de détenus s’y retrouvent et les « politiques »,
anciens collaborateurs, y sont les plus nombreux. La pression
de la municipalité, des propriétaires des terrains et du fermier
chassé de chez lui depuis le 20 juin 1940, aboutit enfin à la
fermeture du camp, effective à l’automne 1946. A ce moment
les derniers prisonniers démolissent les baraques que l’administration
pénitentiaire récupère, n’en laissant que deux ou trois
exemplaires à la municipalité.
Les Castelbriantais soupirent, les barbelés placés
en 1939 et 1940 disparaissent. La Carrière des fusillés et la
Blisière deviennent des lieux de pèlerinage, seuls témoins d’une
période d’exclusion et de mort ; sans oublier le passé,
ils peuvent enfin se tourner vers l’avenir.
F. MACE, Octobre 2000, à l’occasion d’une
exposition au Château de Châteaubriant
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