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Les camps dans la région de chateaubriant
Les Nomades

Origine :  http://www.chateaubriant.org/spip.php?article514

Les Nomades

Très peu de temps après l’entrée en guerre de la France, un décret du 4 octobre 1939 concerne la protection des ouvrages fortifiés et des établissements militaires et maritimes. Le Préfet maritime de la Cinquième Région prescrit l’éloignement de la zone spéciale de protection créée autour de la base navale de Quiberon dont dépend notamment Le Croisic. Sont visées « les personnes susceptibles de fomenter des troubles, de se livrer à des actes d’espionnage, à des entreprises de sabotage » comme l’écrit le Préfet de La Loire-Inférieure le 28 novembre 1939.

Il est décidé alors de réunir, soit à Moisdon-la-Rivière, soit à Juigné-les-Moutiers, « les romanichels, au nombre de 45, hébergés dans la propriété Sainte Barbe au Croisic, et les Russes Blancs, soit environ 20 hommes et 50 femmes et enfants groupés à Saint Nazaire ».

Le Préfet demande au Sous-Préfet de Châteaubriant de faire connaître les conditions dans lesquelles « ces indésirables » pourraient être rassemblés avec une surveillance efficace.

Le Sous-Préfet de Châteaubriant, dès le 29 novembre 1939, répond « que le propriétaire de la Forge de Moisdon-la-Rivière a repris son établissement pour l’exploitation du minerai pour lequel il est titulaire d’une commande militaire ». Il propose donc l’ancien camp des Espagnols à Juigné-les-Moutiers où restent encore une cuisine collective et du matériel de couchage. « Il y aurait lieu de prévoir l’entourage du camp par un réseau de fils de fer barbelés et sa garde au moins par une section militaire ». Le Sous-Préfet demande dans quelles conditions seront nourris « ces suspects » : « Si on les autorise à aller faire eux-mêmes leurs provisions dans les villages environnants, toute garde devient illusoire ». Il suggère enfin d’enfermer dans ce camp les Espagnols de l’arrondissement de Châteaubriant.

Le 25 octobre 1940 est réquisitionné le « Domaine de la Forge » à Moisdon-la-Rivière. Un mois plus tard 116 nomades, venus de Pontivy, débarquent du train à Issé : 32 hommes, 28 femmes et 56 enfants dans des verdines (roulottes) acheminées jusqu’à Moisdon par un tracteur. Les familles en roulotte s’y entassent parfois à 11 ou 12 dans un espace restreint. Les isolés sont logés en dortoirs dans la Grande Halle impossible à chauffer. (voir document D 34.

L’administration n’hésite pas à écrire : « Le Chef de Camp ne perdra jamais de vue que les Nomades ont des habitudes de malpropreté et de négligence (...) et par tempérament, la manie de la rapine, celle du gaspillage et de la réclamation » (...) ». « Les Nomades sont, par atavisme, amoraux ».

Durant l’hiver 1940-41, très dur, le camp de Moisdon se révèle inhabitable : le site est très encaissé, très humide, la plupart des roulottes sont orientées au Nord-Est. Les dortoirs, aménagés dans les anciennes halles à charbon, ne voient jamais le soleil et la hauteur des toitures interdit toute possibilité de chauffage. Du 27 février 1941 au 6 mars 1941, après le départ des prisonniers de guerre, tous les Nomades (soit 335 personnes) sont transférés au Camp de Choisel. (voir plan page D 6).

Le Sous-Préfet écrit au Préfet : « Pour faciliter la surveillance, éviter que les Nomades se répandent dans le camp et y pillent tout selon leurs coutumes, une séparation de fils de fers barbelés a été aménagée pour délimiter la partie du camp attribuée aux Nomades ». A l’intérieur de cette enceinte, la baraque 3 sert de pouponnière et de salle à manger des enfants. Les baraques 4,5,6,7,8,9 sont les dortoirs des Nomades [par la suite le bâtiment 9 sera réservé à la « réception » « pour y loger provisoirement, et jusqu’à épouillage et désinfection, tous les nouveaux arrivants »]. Le bâtiment 10 est transformé en atelier familial. La cuisine est au 11. Le réfectoire est au 12. Quant au bâtiment 13 il est le magasin à literie, épicerie, atelier du tailleur et du cordonnier. Il y a aussi une baraque-chapelle. « Les roulottes seront parquées hors de la vue » vers le bâtiment M 2, utilisé comme réserve de vivres. (voir documents D6 et D 8) (archives de Loire-Atlantique 43 W 159)

Selon Mme Gaby Cosson-Leroy, le camp est ainsi organisé : dans le fond, derrière les baraques, dans les « verdines » (roulottes) vivent les « romanichels », comme on disait, qui ne parlent pas le français. « Nous n’avons jamais pu avoir de contacts avec eux » dit-elle « Ils vivaient à part, portant encore leur costume traditionnel et ne se mêlant pas aux autres ».

[Même au camp, ils ont gardé leur mode de vie, ce qui n’est pas sans poser problème. On voit un jour une vive querelle entre deux familles : l’une a mangé le coq de l’autre ...].

Les Nomades français s’entassent dans les baraques, avec leurs nombreux enfants. « Un prêtre réfugié, l’abbé Mamet, a pris contact avec Mme Nouvel, femme d’un avoué de Châteaubriant. Elle est venue me demander de l’aide. Munies d’un laisser-passer, nous longions les baraques réservées aux prisonniers politiques et nous allions faire le catéchisme aux enfants tziganes dans la baraque-chapelle » raconte Mme Leroy-Cosson. « C’était assez pittoresque. Un souteneur, grande balafre sur le visage, faisait office de sacristain. Un harmonium accompagnait les chants des enfants. Ceux-ci était très mignons ... mais très remuants aussi. Un jour ils nous ont chanté, a cappella, un chant admirable ». (voir document D 8). Ces cours de catéchisme ne durent pas longtemps : les Allemands interdisent qu’on pénètre ainsi au camp. De toutes façons, avec le retour de l’été, 339 nomades sont renvoyés par camions à Moisdon, avec 75 indésirables de droit commun, le 7 juillet 1941.

Le 8 décembre 1941 l‘assistante sociale principale évoque la précarité tragique des conditions matérielles du camp de Moisdon. A part quelques familles, « toutes les autres sont parquées comme des bêtes dans deux grands baraquements de bois, repoussants de saleté, où jamais ne pénètrent ni le soleil ni l’air. Dans cet immense taudis aussi sombre à midi que le soir, vivent des êtres humains. Deux ou trois caisses contenant chacune une paillasse et quelques lambeaux de couverture, sont superposées les unes au dessus des autres pour abriter une famille entière. Les cheveux en broussailles, la figure et les mains noires, les pieds nus sur le sol boueux, le corps recouvert de quelques haillons, de pauvres enfants, innocentes victimes, s’étiolent dans cette atmosphère de vice et de saleté ».

L’assistante sociale sollicite un secours d’urgence : des vêtements et du linge. Puis elle suggère de soustraire les enfants à ce qu’elle considère comme un « milieu vicieux ». Elle s’interroge cependant sur la dislocation de la vie familiale : « le sentiment maternel chez la Nomade est très développé et cette mesure prise à leur égard va à l’encontre des sentiments qu’il est un devoir de développer dans tout individu. Ne pourrait-on solutionner le cas, en créant à proximité du Camp des Nomades, un quartier spécial pour les enfants et les adolescents ? ».

Son désir de « former la jeunesse élevée jusqu’alors dans la malpropreté physique et morale » est si fort qu’elle propose la création d’un Centre de jeunesse : « Ecole pour les enfants d’âge scolaire ; Jardin d’enfants pour ceux de 3 à 6 ans ; Crèche pour ceux de 0 à 3 ans ; Ouvroir que fréquenteraient les grandes fillettes ; Atelier de bricolage pour les jeunes gens »

« Les enfants, selon leur âge et leur sexe, coucheraient dans des dortoirs auxquels seraient annexés lavabos et douches. Les parents seraient autorisés chaque jour, à une heure déterminée, à pénétrer dans le quartier des enfants, à la condition toutefois qu’ils aient préalablement consenti à passer à la douche ». L’assistante sociale estime que la gestion de ce camp « ne peut être confiée qu’à une élite » « un ordre religieux (qui) aura assez d’abnégation et d’autorité pour entreprendre une tâche aussi lourde » (source : archives de Loire-Atlantique 43 W 155)

Le 12 décembre 1941, deux personnes rendent un rapport au Sous-Préfet : Moisdon « est inhabitable en cette saison à cause de l’humidité et des crues possibles. [le camp] est, d’autre part, très difficile d’accès pour les provisions, les visites de médecin, etc » (cité dans Etudes Tziganes)

Le chef de camp, lui, renvoie la responsabilité sur les nomades eux-mêmes : « Il faudra des générations pour obtenir de ces dégénérés sans moralité et sans respect, un résultat positif »

Le 13 mai 1942, les nomades de Moisdon sont dirigés vers le camp de Mulsanne (Sarthe).