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Origine
: échanges avec l'auteur
De 1939 à 1942, les forges de Moisdon-la-Rivière servirent
de décor au traitement atroce des populations indésirables
d’alors. En ce lieu comme en tant d’autres, se préparait
et s’exécutait leur effacement programmé. Pendant
que l’Espagne de Franco massacrait les Républicains,
la France républicaine internait les rescapés dans des
« camps de concentration » (à Moisdon-la-Rivière
dès le mois de mai 1939).
Tandis que l’Allemagne d’Hitler préparait le génocide
des Tsiganes, la France démocratique interdisait les nomades
de tout déplacement par un décret de Paul Reynaud daté
du 6 avril 1940, et créait, début mai, les premiers
camps de concentration à leur intention ; ces camps furent
généralisés par les occupants nazis en octobre
1940 ; le 7 novembre, le préfet de Loire-Inférieure
s’appuyait sur le décret du 6 avril pour ordonner l’internement
de tous les nomades du département aux forges de Moisdon-la-Rivière.
Enfin, pendant qu’en Allemagne, les nazis s’efforçaient
d’éliminer les asociaux, mendiants et malades mentaux,
l’administration et les gendarmes français raflaient
les clochards (comme à Nantes à la fin du printemps
ou au début de l’été 1942) et les déportaient
dans les mêmes camps. Ces derniers ne furent toutefois pas envoyés
à Moisdon-la-Rivière (qui ferma ses portes le 13 mai
1942) mais à Mulsanne, puis à Montreuil-Bellay. Par
contre, « 75 indésirables de droit commun » ont
été internés à Moisdon-la-Rivière
le 7 juillet 1941, avec les gens du voyage.
On parle peu des Espagnols et des Tsiganes ; on n’évoque
jamais le sort des autres « indésirables », comme
ces clochards nantais, dont la plupart sont morts de faim et de
froid (nettoyés au jet d’eau glacée en plein
hiver : peut-on dire kärchérisés ?) dans le camp
de Montreuil-Bellay, au cours de l’hiver 1942-1943.
L’immigré, le gitan, le sans-logis : on voit que la
politique de la Troisième République, poursuivie par
Vichy, est plus que jamais à l’ordre du jour ; l’occultation
d’un tel passé sert à cela : légitimer
le mépris dans lequel la société policée
tient ces hommes, mépris qui constitue le creuset des lois
d’exception et des rafles dont nous voyons croître les
ravages.
Les déportés de Moisdon-la-Rivière : comment
leur rendre témoignage, en leur lieu ? La terre de leur supplice
crie vers les vivants d’aujourd’hui, pour qu’ils
entendent, du fond d’eux-mêmes, la voix des hommes qui
ne comptent pour rien au regard des puissances d’alors et
de ce jour, pour qui l’occasion est toujours bonne d’éliminer
puis d’effacer les indésirables.
Moisdon-la-Rivière, le 26 janvier 2008 (corrigé le
13 mars)
Patrick Drevet
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