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Origine : http://madame.lefigaro.fr/societe/cachez-clitoris-220211-135176
Interview d’Odile Buisson et de Pierre Foldès,
auteurs de “Qui a peur du point G ?”, un ouvrage qui
dénonce notre retard en matière de médecine
sexuelle féminine
Elles font la une des magazines féminins. Elles font glousser,
fantasmer, mais cela s’arrête là. En France,
les études sur le clitoris et le point G seraient au point
mort sans la ténacité de quelques-uns. Et tandis que
l’on oublie les dysfonctionnements sexuels féminins,
la recherche sur la sexualité masculine, elle, s’épanouit…
2008. L’année de l’affaire Kerviel, de l’interdiction
de fumer dans les lieux publics et… de la première
échographie du clitoris. Oui, vous avez bien lu 2008. Soit
il y a moins de trois ans. Cette année-là, alors qu’en
France, les hommes ont depuis dix ans déjà leurs plaquettes
de Viagra, une gynécologue-obstétricienne, Odile Buisson,
parvient, avec le soutien du chirurgien reconstructeur Pierre Foldès,
à contourner les tabous pour pousser un peu plus loin la
connaissance de cet organe du plaisir féminin. Dont on ne
sait alors presque rien. La France est particulièrement pudibonde
sur le sujet, bien plus encore que la catholique Italie ou la puritaine
Amérique. Ce retard fait tache dans un pays développé,
dans lequel les femmes revendiquent une place grandissante depuis
quarante ans, qui se targue d’avoir fait la révolution
sexuelle et met le mot « plaisir » à toutes les
sauces.
Odile Buisson raconte dans un ouvrage passionnant, “Qui a
peur du point G ?” (1), les blocages auxquels elle a dû
faire face pour mener à bien ses recherches, d’abord
sur le clitoris, puis sur la zone érogène qui contiendrait
le fameux point G. Blocages culturels – « Cela relève
de l’intime » –, querelles de chapelles –
« Le plaisir, c’est dans la tête avant tout »
– et réflexes d’hommes aux commandes des hôpitaux
universitaires et des laboratoires de recherche. Elle a dû
aussi essuyer les railleries de ses confrères qui estimaient
que de telles études étaient inutiles, puisqu’elles
ne servaient pas à la reproduction. On sait pourtant aujourd’hui
que les conséquences d’une sexualité insatisfaisante
peuvent être désastreuses. D’ailleurs, dès
1972, L’OMS estimait que la santé sexuelle était
indispensable à l’épanouissement de l’individu.
Mais en France, aucun hôpital ne possède de véritable
service de médecine sexuelle féminine qui rassemblerait
les spécialistes adéquats pour traiter des dysfonctionnements
féminins.
(1) Qui a peur du point G ? Le Plaisir féminin, une angoisse
masculine, d’Odile Buisson et Pierre Foldès (éd.
Jean-Claude Gawsewitch), 18,90 €.
“Les médecins ont déserté ce
terrain parce que cela ne fait pas sérieux”
Le figaro.fr/madame. - Dans votre livre, vous rappelez qu’il
a fallu attendre 1998 pour connaître précisément
l’anatomie du clitoris grâce à une équipe
australienne. Vous-même avouez que vous n’y connaissiez
pas grand-chose jusqu’à votre rencontre avec Pierre
Foldès…
Odile Buisson. - J’ai appris l’obstétrique avec
un traité d’anatomie de 1979. Il n’y avait que
deux pages sur le clitoris. Et en 1998, on a découvert que
toutes les reproductions qu’on en avait étaient fausses
! Quand j’ai rencontré Pierre Foldès, en 2004,
il m’a proposé d’échographier le clitoris.
Je me souviens lui avoir dit : « Mais ça s’échographie,
cette chose-là ? » Pierre a opéré lors
de missions humanitaires près de 3 500 clitoris excisés.
Les confrères étaient d’ailleurs assez jaloux,
parce que ce n’est pas évident d’avoir accès
à cette chose si particulière.
Quelles étaient leurs réactions ?
Pierre Foldès. - Il faut leur démontrer qu’il
y a une vraie pathologie, une vraie souffrance pour qu’ils
s’y intéressent. La médecine française
est encore bien trop androcentrée (centrée sur l’homme,
NDLR). Quand je suis rentré d’Afrique et que je suis
allé voir dans mes traités d’urologie comment
réparer un clitoris, je me suis rendu compte qu’il
n’y avait rien. Alors qu’il y a mille techniques pour
réparer une verge blessée ! Et quand on a voulu justifier
le fait de réparer, on a dû mettre en avant la douleur.
Comme si le plaisir de la femme ne pouvait pas être une revendication
suffisante. Mais quel réflexe machiste !
O. B. - Un patron m’a déjà dit que ce que je
faisais était inconvenant. D’autres estiment que la
sexualité féminine, c’est bien trop compliqué.
Mais jamais un chercheur n’a été détourné
de ses recherches parce que c’était compliqué
!
Comment expliquer que la France soit si frileuse sur le sujet,
alors que l’Italie ou les États-Unis ont, eux, encouragé
les recherches sur la médecine sexuelle ?
O. B. - Effectivement, il n’y a pas d’interlocuteur
universitaire sur la question ici alors qu’en Italie, par
exemple, il y a quatre équipes qui travaillent sur le sujet.
Dans notre pays, il y a une prévalence de la psychanalyse
: on estime que l’on jouit avant tout avec son cerveau. Quand
j’ai fait la première échographie du clitoris,
des sexologues m’ont reproché de rentrer dans l’intimité
des femmes. Évidemment, il ne faut pas opposer la psyché
au corps. Les spécialités doivent travailler de concert,
pas les unes contre les autres. On nous dit qu’il ne faut
pas médicaliser le sexe, mais s’il y a une souffrance,
elle mérite un traitement. Et un sexologue ne peut pas examiner
une patiente, donc ne peut pas déceler d’éventuelles
pathologies qui empêcheraient une femme d’avoir du plaisir.
Les médecins ont déserté ce terrain parce que
cela ne fait pas sérieux. Pourtant, les troubles de l’orgasme
entraînent des maladies psychiques. Mais la médecine
sexuelle ne fait pas partie des programmes des étudiants.
Il serait temps de l’enseigner au même titre que les
statistiques ou la physique !
Qui a peur du point G ? Le Plaisir féminin, une angoisse
masculine, d’Odile Buisson et Pierre Foldès (éd.
Jean-Claude Gawsewitch), 18,90 €.
“Il faut rendre la parole aux femmes !”
Pourtant, l’injonction de jouir à tout prix est partout.
Alors même que, finalement, nous ne connaissons pas totalement
toutes les possibilités de notre corps. Pour vous, cette
libération sexuelle est-elle une façade ?
O. B. - C’est un écran ! De même que les médecins
hygiénistes du XIXe siècle ne parlaient pas de sexe
pour parler des maladies vénériennes, nos médecins
d’aujourd’hui parlent de la reproduction, mais ne parlent
de la réalité du sexe : qu’est-ce qui se passe
lorsqu’il y a un coït ? Qu’est-ce qu’un orgasme
? Quant à la libération sexuelle, c’est ce que
la société cherche à nous vendre. Mais ce n’est
pas la réalité.
P. F. - Les femmes ne se connaissent pas assez. Mais à qui
la faute ? Elles vivent dans cette société centrée
sur l’homme qui, lui, n’a pas besoin d’apprendre
à connaître un organe dédié au plaisir,
puisqu’il n’en a pas. En même temps, une éducation
sexuelle dispensée plus tôt rencontre toujours de puissants
détracteurs, et d’abord chez les parents. Il y a encore
de forts blocages sur ces sujets dans le psychisme des gens.
Y aura-t-il un jour un Viagra féminin pour atteindre l’orgasme
?
O. B. - Ce n’est pas impossible. Il y a eu la flibansérine,
un antidépresseur testé aux Etats-Unis, mais elle
a été retoquée parce qu’elle ne donnait
pas suffisamment de résultats.
P. F. - La seule molécule efficace à ce jour, c’est
la testostérone, mais elle a bien trop d’effets secondaires
!
Il existe une chirurgie esthétique du point G : des femmes
se font injecter de la silicone dans la paroi intérieure
du vagin qui est considérée comme la zone G et d’autres
se font rétrécir les petites lèvres…
O. B. - Oui, il existe un chirurgien américain, basé
à Hollywood, plein aux as, qui rétrécit les
petites lèvres des femmes qui disent vouloir « une
jolie vulve ». Cela commence à arriver en France. Il
y a d’ailleurs une confusion dommageable entre chirurgie réparatrice
et chirurgie esthétique. Ce sont des images dictées
par le porno et donc par les hommes… C’est comme les
sex-toys. Ils peuvent être très utiles mais finalement,
actuellement, ils ne sont pas réellement adaptés à
la physiologie féminine, faute de recherches adaptées.
Êtes-vous confiants pour l’avenir ? La médecine
sexuelle féminine va-t-elle cesser d’être à
ce point laissée de côté ?
O. B. - Les médecins n’ont jamais changé d’eux-mêmes.
Ceux qui ont œuvré pour la contraception ont toujours
été à la marge, poussés par la société.
Il faut donc une volonté. Les universitaires ne l’ont
pas. C’est aux femmes de réclamer que le clitoris soit
étudié au même titre que le pénis. Les
femmes médecins ont un rôle à jouer, mais elles
risquent de se retrouver bloquées dans leur carrière
par des supérieurs qui n’ont pas envie d’entendre
parler de cela. Il manque des femmes dans les instances du pouvoir
pour insuffler ce changement.
P. F. - Des sujets comme ceux-là bousculent les hommes dans
leurs statuts de mâle et de médecin. Pour moi, on retrouve
le même réflexe androcentré dans les sociétés
africaines et dans la société française. J’ai
assisté à un comité d’éthique
il y a un an à l’Assemblée où se préparait
un dossier sur les mères porteuses. Pour un sujet qui les
concernait pourtant hautement, il y avait une seule femme pour 37
hommes !
C’est honteux ! Il faut rendre la parole
aux femmes !
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